Chapitre III.
Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique.
§. I.
De l’Histoire sacrée.
LE principal avantage qu’a l’Histoire sacrée sur toutes les autres histoires, c’est qu’elle nous éleve à Dieu, & nous fait connoître sa Providence & aimer sa justice. Ce qui distingue encore les annales des Juifs de celles des autres Nations, c’est qu’elles sont vraies dans tous les points & qu’il n’est pas permis d’en révoquer en doute un seul événement. Il est donc de la plus grande importance d’étudier de bonne heure cette histoire.
Celui qui l’a traitée avec le plus d’étenduë & d’exactitude est le Pere Calmet, Bénédictin. Son ouvrage est intitulé : Histoire sainte de l’ancien & du nouveau Testament, pour servir d’introduction à l’Histoire Ecclésiastique de M. Fleuri, in-4°. Paris 1715. quatre vol. & in-12. cinq vol. Ce savant avoit fait une étude profonde de l’Ecriture-sainte ; & son érudition se fait sentir dans tout l’ouvrage. Il raconte les faits dans une juste étenduë. Son récit est suivi, sans interruption, sans digressions, sans remarques, sans affectation de savoir. Il ne perd pas pourtant de vue les grandes difficultés, mais il les éclaircit en peu de mots ; & ceux qui demandent des explications plus étendues peuvent consulter les dissertations du même auteur imprimées séparément de son Commentaire en trois vol. in-4°.
Après s’être rempli de la lecture de Dom Calmet, vous
pourrez lire les Antiquités judaïques de Josephe,
traduites en françois, par M. Arnauld d’Andilli, in-folio, Paris 1667. deux volumes. Il y en a une
autre traduction plus exacte par le P. Gillet, en
quatre vol. in-4°. ; mais celle de M. d’Andilli est plus commune & plus connue, quoiqu’elle soit
peut-être moins digne de l’être. Nous avons du même auteur l’Histoire de
la guerre des Juifs & quelques autres morceaux intéressans. Tous ces
ouvrages réunis forment cinq vol. in-12. “Il
est peu d’Ecrivains dans l’antiquité, dit
Dom Ceillier, dont les ouvrages ayent été si
généralement estimés que ceux de Josephe. Son
histoire de la guerre des Juifs est regardée comme un chef-d’œuvre,
qui a fait mettre son auteur au rang des Historiens excellens. Elle
est agréable, pleine d’élévation & de majesté, mais sans excès
& sans enflure ; elle est vive & animée, propre à exciter
des mouvemens & à les appaiser ; elle est pleine de regles &
de sentences morales ; les harangues en sont belles &
persuasives, & quand il faut soutenir les deux partis opposés,
il est fécond en raisons plausibles pour l’un & pour l’autre.
L’esprit & l’éloquence de Josephe ne se font
pas moins remarquer dans ses livres des antiquités, & l’ouvrage
seroit inestimable, s’il y eût exactement suivi les loix de
l’histoire.”
Mais vivant au milieu de payens qui haïssoient
& méprisoient sa nation, il diminue autant qu’il peut la foi que
l’on doit aux miracles ; & quand il parle de certains effets d’une
Providence extraordinaire de Dieu dans la conduite de son peuple, il
ajoute à son récit qu’on peut croire de ces
merveilles ce qu’on en jugera à propos.
Ses livres ont pourtant moins fait de tort à la Religion que ceux du P. Berruyer qui a employé le style du Roman dans la plus grave de nos histoires. Son Histoire du Peuple de Dieu, depuis son origine jusqu’à la naissance du Messie, in-12. dix volumes 1729. in-4°. huit vol. 1738. est d’une indécence extrême. Ce Jésuite a écrit la vie des saints Patriarches à peu près comme on raconte les aventures de nos Marquis, & ces hommes respectables y parlent d’amour comme nos petits maîtres. On peut comparer son livre à une vieille Dame, respectable par sa vertu & par son grand âge, & qui avec cela se coëffe en cheveux, met des mouches, du rouge, & porte un mantelet blanc sur une robe couleur de rose. Cet ouvrage eut le sort de toutes les nouveautés, qui piquent par leur singularité & leur hardiesse. Une chronologie nouvelle & condamnée, les doctes extravagances du Jésuite Hardouin renouvellées, des morceaux isolés rapprochés avec art, une érudition profonde & légere qu’on y seine avec choix, la richesse & la douceur du style, tout frappa les curieux dans cette singuliere production. L’auteur seroit un des plus agréables historiens de la nation, s’il étoit moins diffus, plus circonspect dans ses termes ; s’il avoit moins employé d’expressions qu’il croyoit naturelles, & dont l’usage du monde lui auroit fait sentir l’indécence ; s’il eût moins recherché l’esprit & les agrémens ; si son coloris eût toujours répondu à la dignité de la matiere. Le Pere de Tournemine, Jésuite, anti-Harduiniste, s’éleva contre ce Roman sacré. Il publia des observations qui renferment une critique vive, des peintures choquantes dont cet ouvrage est rempli. Celles des amours des Patriarches, de la passion éfrénée de la femme de Putiphar, de la coqueterie de Judith & des propositions brusques que lui fait Holopherne, du crime épouvantable d’Onan, de la facilité avec laquelle Rachel céde Lia à Jacob pour une nuit, y sont relevées comme étant toutes des écueils pour l’innocence.
Un ouvrage semblable à celui-là pour le plan, le systême & l’audace est l’Histoire du Peuple de Dieu, depuis la naissance du Messie, jusqu’à la fin de la Synagogue par le même, in-12. , huit vol. 1754. & in-4°. quatre volumes ; mais il est écrit bien différemment du précédent. On y cherche en vain les graces & l’élégance, l’élévation & la chaleur du style. Le texte y est noyé dans un fatras de réfléxions communes, dans un verbiage froid entortillé, moins fleuri que précieux. La Vierge y dit, que c’est bien de l’honneur à elle d’être désignée Mere d’un Dieu : le Sauveur y fait assaut d’esprit avec la Samaritaine. Ce qu’il y a de mieux dans le livre, c’est la maniere dont tout est ramené à la venue du Messie.
Le Pere Berruyer péchoit par un excès d’imagination ; on trouve un défaut précisément contraire dans l’Histoire des Juifs, traduite de l’Anglois de M. Prideaux, depuis la décadence des Royaumes d’Israël & de Juda jusqu’à la mort de J. C. Amsterdam 1729. six volumes in-12. , ouvrage très-sçavant & plein de discussions profondes nécessaires pour l’histoire de la nation judaïque sous les successeurs de Salomon, mais écrit d’une maniere séche & lourde.
Vous lirez avec plus de plaisir les Discours historiques, critiques, théologiques & moraux sur les événemens le plus remarquables de l’ancien & du nouveau Testament, par Mrs. Saurin, Rocques & Beausobre, avec de belles figures, in-fol. la Haye 1727. Ouvrage curieux, mais aussi recherché pour les figures que pour le texte.
Si vous n’avez pas lu dans votre jeunesse les Mœurs des Israélites, par l’Abbé Fleuri, vous ferez très-bien de les lire avant que de terminer l’Histoire sacrée & vous devriez même commencer par-là. C’est un livre plein d’onction & écrit avec cette simplicité touchante qui vaut quelquefois mieux que l’éloquence.
Une fois que vous aurez commencé l’histoire des Juifs, vous voudrez sans doute connoître ce qu’est devenu ce peuple après la venuë du Messie. Vous satisferez votre curiosité dans l’ouvrage de M. Basnage qu’il donna sous le titre d’Histoire des Juifs depuis J. C. jusqu’à présent, pour servir de continuation à l’histoire de Josephe, in-12. la Haye 15. vol. Ce livre très-savant & très-instructif, est plein de profondes recherches sur cette nation. Aussitôt que l’ouvrage parut en 1707. M. l’Abbé Dupin l’accommoda à ses idées, & le fit paroître à Paris en sept vol comme si ce livre lui avoit appartenu. M. Basnage le revendiqua, en se plaignant vivement de ce larcin littéraire, qui avoit diminué les profits de l’auteur sans perfectionner son ouvrage. C’est sans doute ce qui engagea cet illustre réformé à le revoir & à l’augmenter. Cependant il y auroit quelque chose à faire pour perfectionner ce livre, très-utile pour la connoissance d’une nation que le soufle de Dieu a répandue sur la face de la terre. On se plaint que dans beaucoup de chapitres cette histoire est plûtôt une compilation des rêveries rabbiniques qu’une véritable histoire. Mais il auroit été difficile que l’auteur eût composé quinze vol. s’il n’avoit voulu écrire que pour les gens de goût.
Vous savez que dans ces derniers tems on a donné des abrégés chronologiques de toutes les Histoires. Nous en avons un de l’histoire des Juifs par M. Charbui 1759. in-8°. Quoique cet ouvrage soit bon & assez bien fait, on aime mieux lire l’Abrégé de l’histoire & de la morale de l’ancien Testament par M. Mezangui. Il est vrai que les Jésuites y ont trouvé le poison de la doctrine jansénienne ; mais qu’il nous soit permis de dire avec un auteur que c’est insulter aux approbateurs de livres, que de trouver des erreurs dans des ouvrages dont le ministère public à permis l’impression, après les avoir fait revoir.
Nous comprenons dans l’Histoire sacrée celle de J. C. , vous en avez une écrite avec beaucoup de simplicité dans l’Histoire Sainte de Dom Calmet. Elle a été imprimée séparément in-12. Ce livre peut vous suffire, à moins que vous ne trouvassiez l’Histoire évangelique par le P. Paul Pezron, in-12. Paris 1696. deux vol. Cet ouvrage, qui n’est pas commun, est estimable en ce que l’auteur, dont le sçavoir est connu, y a inséré tout ce qu’il a trouvé dans l’histoire prophane qui pouvoit se rapporter à Jesus-Christ.
§. II.
Histoire ecclésiastique en Général
VOici un champ bien vaste à moissonner, mais il faut se borner a cueillir les épis qui seront nécessaires pour remplir vos vues. Vous commencerez, si vous me croyez, par la lecture des mœurs des Chrétiens, de l’Abbé Fleuri : tableau fidéle & agréable de l’innocence de la vie des premiers Chrétiens. Leurs vertus sont peintes avec d’autant plus de sincérité qu’elles respiroient dans la personne du peintre, ainsi que dans ses écrits.
Ce livre servira d’introduction à son Histoire ecclésiastique dont on a vingt volumes in-4°. & in-12. Le premier parut en 1690. & le dernier sur la fin de 1719. L’auteur s’étant proposé de rapporter les faits certains qui peuvent servir à établir, ou à éclaircir la Doctrine de l’Eglise, sa discipline & ses mœurs, omet les faits peu importans, qui n’ont point de liaison entr’eux, ni de rapport au but principal de l’histoire. Il n’admet que les témoignages des auteurs contemporains & encore faut-il qu’il soit persuadé de leur bonne foi. Le plus souvent il se borne à les copier, sans les embélir. Il n’a semé dans son histoire que quelques réfléxions très-courtes, mais très-solides & très-judicieuses. Il en a retranché les dissertations, les discussions & les notes de critique. Il ne s’attache point scrupuleusement aux questions de chronologie. Il y fait des extraits exacts des ouvrages des Peres touchant la doctrine, la discipline & les mœurs. Il donne les Actes des Martyrs, qu’il a cru les plus véritables. Il marque la suite des Empereurs & les événemens particuliers qui ont une connexion nécessaire avec l’histoire de la Religion. Il expose dans le discours qui est à la tête du premier volume, les regles qu’il s’est prescrites & qu’il a suivies exactement. On trouve plusieurs autres discours au commencement de quelques volumes, qui montrent également le bon goût, l’érudition & le jugement de l’auteur. On voit dans celui qui est au huitiéme tome, l’établissement divin du Christianisme, & le gouvernement de l’Eglise ; au treiziéme, l’inondation des Barbares & la décadence des études ; au seiziéme, le changement dans la discipline & dans la pénitence, les translations, érections, appellations, &c. ; au dix-septiéme, les Universités & les études ; au dix-huitiéme, les Croisades & les Indulgences ; au dix-neuviéme, la juridiction essentielle à l’Eglise ; enfin au vingtiéme on trouve les réfléxions de l’auteur sur l’état des divers Ordres Religieux qui subsistoient au XIVme. siécle. Cet auteur a réuni dans ces excellens discours les qualités de philosophe, de dissertateur & d’historien. Il n’est pas inférieur à Bossuet, & si l’on n’y trouve pas la même force de pinceau, ni la même pompe d’expression, on en est bien dédommagé par la netteté & par la pureté du style, par la solidité du raisonnement, & par la noble indépendance des préjugés. Rien n’est mieux pensé que ce qu’il dit sur ces matieres ; & il nous a donné dans ces huit discours tous les éclaircissemens nécessaires pour juger sainement des révolutions arrivées dans la Religion. On les a imprimés séparément en un volume in- 12. pour ceux qui ne peuvent acheter son histoire, ou qui la trouvent trop peu ornée pour en entreprendre la lecture.
Ce célébre Ecrivain laissa son ouvrage au vingtiéme volume. Il étoit question de trouver un continuateur. Le P. Fabre de l’Oratoire se présenta, & il ne craignit point de continuer▶ un historien, qu’il ne pouvoit certainement pas remplacer. Il donna successivement 16. vol. in-4°. & in-12. ; & il en préparoit un grand nombre d’autres, lorsqu’il reçut une défense de les ◀continuer▶. Cette défense de les ◀continuer▶. Cette défense ne fit pas beaucoup de peine au public. L’auteur écrivoit facilement, mais sans élégance & sans exactitude. Peu heureux dans les détails & dans le choix des faits, il donne la préférence à ceux qu’il trouve tout arrangés dans les autres historiens. Voilà pourquoi l’histoire profane est si fort mêlée avec l’Ecclésiastique dans cette compilation. L’auteur ne cherchoit qu’entasser volume sur volume pour allonger l’ouvrage. On ne trouve dans cette continuation aucun de ces discours admirables, qui donnent tant de prix à l’ouvrage de M. Fleuri. Le seul qui y soit est de M. l’Abbé Goujet, & il roule sur le renouvellement des études ecclésiastiques. Ce savant Ecrivain s’étoit chargé de revoir l’ouvrage du P. Fabre son ami. Il auroit bien dû l’avertir des négligences du style, du défaut de précision, des contre-sens qui défigurent quelquefois ses traductions, &c.
Avant M. Fleuri, Godeau, Evêque de Vence, avoit écrit l’Histoire de l’Eglise depuis le commencement du monde jusqu’à la fin du neuviéme siècle, in-fol. Paris 1663., trois vol. réimprimés à Bruxelles & à Lyon, in-12. en six volumes. Cette histoire est écrite avec éloquence & avec majesté ; mais ce qui précéde le tems avant J. C. est fort superficiel & ne peut servir que d’une médiocre introduction. Ce qui regarde proprement l’Histoire Ecclésiastique est beaucoup mieux traité. L’auteur a l’art de fondre les faits & de les rapprocher pour en faire un corps. Il a corrigé Baronius dans plusieurs endroits, mais dans d’autres il le suit trop aveuglément. Moins crédule que les historiens qui l’avoient précédé, il l’est encore quelquefois. Des recherches plus savantes, un style plus précis auroient rendu cet ouvrage digne de la postérité ; mais on ne l’imprime plus depuis que l’Abbé Fleuri a donné son histoire écrite avec moins d’art, mais avec plus de simplicité & d’exactitude. D’ailleurs l’ouvrage de M. Godeau n’est point fini.
Voulez-vous un livre beaucoup plus savant & plus exact ? lisez les Mémoires pour servir à l’Histoire Ecclésiastique des six premiers siécles, justifiés par les citations des auteurs originaux avec une chronologie, où l’on fait un abrégé de l’Histoire Ecclésiastique & profane, & des notes pour éclaircir les difficultés des faits & de la chronologie, par M. de Tillement. On sçait comment ce savant composa ce grand ouvrage. Il lisoit les Auteurs ecclésiastiques & profanes, anciens & modernes, & il recueilloit dans leurs livres tout ce qui concernoit les personnes & les faits. Il rédigeoit ses recueils sous divers titres des Vies des Saints, d’Auteurs, d’Empereurs, de persécutions, d’Hérésies & les mettoit en ordre sans changer les termes des auteurs qu’il copioit. Sa narration n’est qu’un tissu des passages des auteurs & des monumens qu’il a traduits en françois en marquant exactement à la marge jusqu’à la page du livre d’où il les a tirés. Il n’y a de lui dans le corps de l’ouvrage que quelques courtes réfléxions renfermées entre deux crochets, soit pour concilier les choses qui peuvent paroître contraires, soit pour servir de liaison aux différens passages des auteurs, soit pour instruire en peu de mots & édifier en passant le lecteur. Le peu qu’il donne de son propre fonds, dit M. du Fossé, fait regretter presque toujours de ce qu’il en dit si peu. Les Mémoires de M. de Tillemont sont en seize volumes & ils ne passent guéres le cinquiéme siécle.
L’importance de ces premiers âges du Christianisme demande, dit l’Abbé Lenglet, que des Ecrivains modernes qui ont traité l’Histoire Ecclésiastique, on passe aux auteurs originaux. Ainsi les histoires d’Eusebe, de Socrate, de Sozomene, de Théodoret & les autres traduites si élégamment par M. le Président Cousin, doivent être lues exactement aussi bien que les Actes des Martyrs des quatre premiers siécles, recueillis par le savant Père Dom, Thieri Ruinart, Bénédiction de la Congrégation de St. Maur. Ils ont été. fidélement mis en françois par Mr. Drouet de Maupertui en deux volumes in-8°., & ils peuvent servir de preuve à ce qu’on a lu dans les histoires générales ; mais ces monumens ne suffisent pas. Il faut puiser la connoissance de la doctrine de la morale de l’Eglise dans les Peres qui l’ont illustrée. Ainsi la Lettre du Pape St. Clément, celles de St. Ignace, Martyr ; les Apologies de St. Justin, les Œuvres de St. Clément d’Alexandrie, quelques traités de Tertullien ; l’ouvrage d’Origéne contre Celse, les Œuvres ou les Lettres de St. Cyprien, avec le traité de Lactance de la mort des persécuteurs, doivent d’autant moins être négligés que la lecture ne peut pas occuper long-tems.
§. III.
Histoire des hérésies.
L’Histoire Ecclésiastique est un grand arbre qui se divise en plusieurs branches. Une des plus importantes est celle des Hérétiques, c’est-à-dire, de ces hommes hardis & entreprenans qui ne pouvant plier leur tête orgueilleuse sous le joug de la Foi, ont troublé l’Eglise par des erreurs qui ont fait quelquefois couler le sang humain. Cette histoire qui ne peut être autre chose que le tableau des passions & des extravagances des hommes, présente les faits les plus piquans, soit dans la vie des hérétiques, soit dans l’exposition systématique de leurs folies. Personne ne les a exposé avec plus de netteté que M. l’Abbé Pluquet, auteur des Mémoires pour servir à l’histoire des égaremens de l’esprit humain par rapport à la Religion Chrétienne, ou Dictionnaire des hérésies, des erreurs & des schismes ; précédé d’un discours dans lequel on recherche quelle a été la religion primitive des hommes, les changemens qu’elle a souffert jusqu’à la naissance du Christianisme ; les causes générales, les liaisons & les effets des hérésies qui ont divisé les Chrétiens, en deux vol. in-8°. 1762.
Ce Dictionnaire ne doit pas être confondu dans la multitude des ouvrages de ce genre, dont on est surchargé. Nous avons quelques corps d’histoires, & des catalogues raisonnés des hérésies, qui, de siécle en siécle, se sont élevés jusqu’à notre tems ; mais sans en excepter le Dictionnaire des Hérésies du R. P. Pinchinat, on ne trouvera point un tableau des égaremens de l’esprit humain, en matiere de Religion, aussi bien fait aussi bien frappé que celui-ci. Le discours préliminaire, composé de 272. pages, fait seul un ouvrage complet, qui est regardé comme un chef-d’œuvre. Ce discours, très-méthodique d’ailleurs, semble se diviser naturellement en deux parties. La premiere, est une exposition très-savante, quoique assez sommaire, de la Religion primitive, des systêmes religieux, que les philosophes ont formés, de ses débris chez les Chaldéens, les Persans, les Egyptiens, les Indiens, les Grecs, & de la religion, des Juifs. La seconde, plus étendue, est une excellente histoire du Christianisme distribuée par siécles. L’article du fameux Abailard commence la nomenclature historique, & celui de Zuingle la termine. On ne peut donner qu’une idée très-générale & très-imparfaite d’un ouvrage dont il faudroit détacher plus d’un article, pour en faire connoître le fonds ; mais, après un examen attentif, nous ne craignons pas d’assurer, dit Mr. Querlon, qu’il n’a point paru depuis long-tems un livre plus curieux, aussi plein, & même aussi philosophique & plus instructif que celui-ci.
Quelle différence entre le ton de M. l’Abbé Pluquet & celui qu’a pris Maimbourg dans ses histoires de l’Arianisme, des Iconoclastes, du Luthéranisme, du Calvinisme, du schisme des Grecs, du schisme d’Occident ! L’un est un Philosophe, l’autre ne peut être regardé que comme un Rhéteur. Cependant otez à Maimbourg la longueur de ses périodes, quelques traits de simplicité & de bonnehommie & Maimbourg sera un historien assez agréable. Il a l’imagination vive, noble, élevée, & plus d’impartialité qu’on n’en devoit attendre d’un homme de son état. Les sujets de son histoire sont tous intéressans, & personne ne saisit comme lui ce qu’il y a de plus curieux dans chaque sujet. Malgré cela, tout le monde dit du mal de cet historien ; mais dans le fond, que lui reproche-t’on, demande M. l’Abbé de la Porte ? Des phrases trop longues. Madame de Sevigné l’accuse encore d’avoir ramassé le mauvais délicat des ruelles. Puisque je suis sur cet historien, je dirai que ses ouvrages les plus recherchés font l’Histoire du Pontificat de S. Leon, celle du Pontificat de St. Grégoire le Grand, le traité historique de l’établissement & des prérogatives de l’Eglise de Rome, & de ses Evêques, & l’histoire de la ligue. On sçait que Maimbourg avoit été Jésuite. Le Pere Général l’obligea de rentrer dans le monde à cause de son traité de l’Eglise de Rome. Il avoit porté environ quarante mille écus de dot en entrant dans la Compagnie ; mais pour lui faire mieux observer la pauvreté évangélique, on ne lui rendit rien lorsqu’il sortit.
Pourrions-nous oublier dans cette liste l’histoire des variations des Eglises Protestantes, par Bossuet ? Cet ouvrage parut pour la premiere fois en 1688. Quoique le titre ne semble annoncer qu’une narration historique des différens changemens arrivés dans la doctrine des Protestans ; leurs erreurs y sont mises dans un si grand jour, & elles y sont discutées avec tant de solidité, que l’on peut regarder cet ouvrage comme une histoire, & en même tems comme une réfutation complette du Protestantisme. M. de Meaux y suit par-tout l’ordre des tems ; il prend la réforme dès son origine, & il en fait connoître les auteurs avec autant de vérité que d’éloquence.
L’histoire critique de Manichée & du Manichéisme, par M. de Beausobre, in-4°. Amsterdam 1734. deux vol., a demandé encore plus de recherches que l’Histoire des Variations. C’est un des livres les plus profonds, les plus curieux & les mieux faits. On y développe le systême philosophique de Manés, qui étoit la suite des dogmes de l’ancien Zoroastre & de l’ancien Hermés ; systême qui séduisit longtems St. Augustin. Cette histoire est enrichie de connoissances de l’antiquité, & l’auteur entre dans des détails qui ne laissent rien à désirer.
Les Albigeois & les Vaudois étoient, dit-on, une branche des Manichéens. Ceux qui voudront connoître ces hérétiques pourront lire l’histoire que le P. Benoit, Dominicain en a donné, à Paris 1691. deux vol. & l’Histoire des Croisades contre les Albigeois, par le P. Langlois, Jésuite, in-12. Paris 1703. Ouvrage fait avec élégance & écrit avec plus de soin que celui du Jacobin.
A mesure que nous descendons vers les derniers siécles de l’Eglise, nous trouvons l’Histoire du Calvinisme, par Solier in-4°. Paris 1686. Histoire meilleure que celle du Père Maimbourg, non pour le style qui est fort lourd, mais pour les recherches & pour les piéces justificatives.
L’Histoire des Anabaptistes depuis 1521. jusqu’en 1536. par le P. Catrou, Jésuite, in-4°. Paris : ouvrage curieux mais d’une élégance un peu affectée.
L’Histoire du Fanatisme de notre tems, par Brueis 1692. & 1709. deux vol. in-12. : ouvrage plein de particularités intéressantes, & qui vient d’un homme très-instruit.
L’Histoire des cinq propositions de Jansénius depuis 1640. jusqu’en 1669. in-12. Trévoux 1702. trois vol. On attribue cette histoire à M. Dumas, Docteur de Sorbonne. D’autres la croient du P. le Tellier, Jésuite fanatique, qui troubla la vieillesse de Louis XIV. dont il étoit confesseur. Mais cet ouvrage est écrit avec assez de modération, pour penser qu’il n’est pas de cet homme fougueux ; le style est pur & les faits y sont assez bien détaillés.
L’Histoire générale du Jansénisme, depuis 1640. jusqu’en 1669. in-12., Amsterdam 1700. trois vol., par le P. Gerberon, Bénédictin, alors retiré en Hollande, & qui depuis est mort en France. Cet ouvrage renferme beaucoup de recherches ; mais il n’est pas écrit avec cette simplicité & cette impartialité que demande l’histoire. Tous ses ennemis sont des Molinistes outrés, des disciples de Pélage, ou des demi-Pélagiens. Il prête des intentions à tous ceux qui avoient agi contre le livre de Jansénius. Si le Cardinal Mazarin, & M. de Marca, Archevêque de Toulouse, se déclarerent en faveur de ceux qui le poursuivoient, c’est que le premier n’aimoit pas le Cardinal de Retz ; & l’autre cherchoit à se racommoder avec Rome. Nous n’aurons que fort tard une histoire fidéle du Jansénisme ; il faudroit voir les choses de sang froid pour l’écrire, & tout le monde porte les armes ou pour ou contre dans cette guerre si longue, si ridicule & si funeste.
Ces misérables querelles ont eu des suites qui ont aussi fourni des historiens. Telle est l’affaire du Cas de conscience dont nous avons une longue & ennuyeuse histoire ; telle est celle de la Bulle Unigenitus sur laquelle nous avons tant de mémoires. Je ne citerai que les Anecdotes ou Mémoires secrets sur la Constitution Unigenitus, en trois vol. in-12. par M. de Villefore. L’auteur avoit entrepris les deux premiers volumes à la priére du Cardinal de Noailles, & ils ne furent imprimés qu’après la mort de ce Prélat. Cet ouvrage, qui a plu aux uns & déplu aux autres, est exact dans les principaux faits ; mais il y a quelques circonstances altérées sur lesquelles on peut voir les réfutations qui en ont été faites. Celles que nous devons à Lafitau, Evêque de Sisteron ont paru si insipides qu’on ne les lit plus. On a du même Prélat l’histoire de la Constitution Unigenitus, où il tâche de détruire tous les faits avancés dans les anecdotes. Mais c’est un malade qui s’érige en médecin, & il est encore plus passionné & plus partial que l’auteur qu’il réfute. La vieillesse produisit en lui des sentimens plus modérés & une vertu plus humaine.
§. IV.
Histoire des auteurs ecclesiastiques.
SI les Hérésies déshonorent pour la plûpart la nature humaine, les différens Ecrivains que l’Eglise a produit ne peuvent que lui faire beaucoup d’honneur. Ce n’est que dans le dernier siécle qu’on a connu la véritable manière de rendre cette partie de l’Histoire Ecclésiastique aussi agréable qu’instructive, & c’est à M. l’Abbé du Pin qu’on en eut l’obligation. Il donna en 1686. le premier volume de sa Bibliothèque universelle des Auteurs Ecclésiastiques, contenant l’histoire de leur vie, le catalogue, la critique & la chronologie de leurs ouvrages, un abrégé de ce qu’ils renferment, un jugement sur leur style & sur leur doctrine, & le dénombrement des différentes éditions de leurs œuvres. C’étoit sans doute une grande entreprise pour un jeune homme d’environ 30. ans, tel qu’étoit alors M. du Pin ; mais il n’en fut point effrayé. Il ne se borna pas même à ce seul ouvrage, dont l’exécution sembloit suffire à la vie de plusieurs hommes. Le premier vol. parut en 1686., & fut réimprimé dans la suite avec des changemens & des augmentations considérables. Les autres se suivirent avec une excessive promptitude. En 1691. Don Mathieu petit Didier, Bénédiction de la Congrégation de St. Vannes, fit imprimer un volume in-8°. sous le titre de Remarques solides sur les premiers volumes de la Bibliothèque de M. du Pin. Il en donna un second en 1692. & un troisiéme en 1696. Ces remarques solides pour la plûpart déplurent à M. du Pin. Il en témoigna son chagrin & y répondit avec une vivacité qui ne nuisit point à son adversaire. Peu de tems après, M. de Harlai, Archevêque de Paris, obligea ce Docteur de donner une rétractation d’un assez grand nombre de propositions vraiment repréhensibles qui lui étoient échappées. Si l’on veut savoir de quelle nature étoient les écarts qu’on lui reprochoit, on peut consulter un savant Mémoire de Mr. Bossuet, que l’on trouve à la fin du second volume des œuvres posthumes de cet illustre soutien de la saine Doctrine.
On ne se borna pas à trouver des fautes dans le travail de M. du Pin, on prétendit qu’il n’étoit pas de lui. On voulut que M. de Bassompierre, Evêque de Saintes, eût fait les six premiers siécles de cet ouvrage, que l’Abbé du Pin alors fort jeune avoit eu de son pere attaché à ce savant Prélat. On crut appercevoir de la différence entre ces premiers siécles & les suivans. Ces derniers ne parurent pas travaillés avec autant de force, de soin & d’exactitude que les premiers. Tels furent les propos que l’on tint contre M. du Pin dans la chaleur d’un procès, qui fut porté au Parlement. Cependant le célébre Antoine Arnauld, Docteur de Sorbonne, avoit pris long-tems auparavant la défense de l’Abbé du Pin, qui resta possesseur tranquille de la gloire que lui avoit procuré son ouvrage, dont le plan étoit excellent.
Ce plan a été perfectionné par Dom Ceillier, auteur
d’une Histoire générale des Auteurs sacrés &
ecclésiastiques, qui contient leurs vies, le catalogue, la critique,
le jugement, la chronologie, l’analyse & le dénombrement des
différentes éditions de leurs ouvrages : ce qu’ils renferment de
plus
intéressant sur le dogme, sur la
morale & sur la discipline de l’Eglise ; l’histoire des Conciles
tant généraux que particuliers, & les Actes choisis des
Martyrs, in-4°. vingt-trois volumes, publiés depuis 1729.
jusqu’en 1763. Cet ouvrage ne va que jusqu’à St. Bernard, & ne comprend point par conséquent l’histoire si
intéressante des auteurs qui sont venus après. Les confreres de Dom Ceillier se proposoient de ◀continuer ce travail ; mais
il est à craindre que le dégoût du public pour les longs ouvrages, &
le goût dominant de ce siécle pour la frivolité ne les empêche de
poursuivre cette carriere. L’histoire des Ecrivains ecclésiastiques de
Dom Ceillier est travaillée, suivant l’Abbé Lenglet, avec plus d’étendue & de correction que
la Bibliothèque de M. du Pin : “Il ne se
contente pas d’écrire l’histoire de l’auteur dont il parle ; il fait voir encore le sujet qui a donné lieu aux
écrits dont il fait l’analyse, avec des lumieres & des
connoissances que n’avoit pu acquérir M. du Pin,
lorsqu’il publia les premiers volumes de sa Bibliothèque ; ce qui lui donna lieu d’expliquer toutes
les
contestations qui se sont élevées dans
l’Eglise.”
Son style est plein de simplicité & de
netteté ; mais il manque souvent de pureté & d’agrémens. On y trouve
beaucoup de latinisme, parce que l’auteur avoit d’abord écrit en latin
les trois premiers volumes de son ouvrage, & qu’il ne les publia en
françois qu’à la priére de ses amis. Ses analyses n’ont point ce tour
heureux & cet air de facilité qu’on remarque dans du Pin.
Ceux qui n’ont ni l’ouvrage de ce Docteur, ni celui de Dom Ceillier peuvent se contenter de la Bibliothèque portative des P. P. de l’Eglise qui renferme l’histoire abrégée de leur vie, l’analyse de leurs principaux ouvrages, les endroits les plus remarquables de leur doctrine sur le dogme, la morale & la discipline, & les plus belles sentences spirituelles contenues dans leurs écrits : ouvrage utile à M. M. les Ecclésiastiques & même à tous les fidéles qui désirent s’instruire à fond de leur Religion, par M. Tricalet, Directeur du Séminaire de St. Nicolas du Chardonnet, à Paris chez Lotin en 9. vol. in-8°. Cet ouvrage, le plus considérable de tous ceux de cet auteur & en même tems le plus intéressant, est fait avec beaucoup de méthode & de choix. Mais il n’y faut pas chercher l’histoire de tous les Ecrivains ecclésiastiques ; on n’y en trouve qu’une trentaine, & l’auteur finit à St. Bernard. Son livre n’est proprement qu’un abrégé de celui de Dom Ceillier ; mais on sent qu’il a été dirigé par un homme plein de l’esprit de la Religion, & qui avoit de l’ordre dans ses idées.
La substance des différens écrits dont nous venons de parler, a été exprimée dans le Dictionnaire historique des Auteurs ecclésiastiques, renfermant la vie des Peres & des Docteurs de l’Eglise ; des meilleurs interprêtes de l’Ecriture Sainte, Juifs & Chrétiens ; des Théologiens scholastiques, moraux, mystiques, polémiques, hétérodoxes même qui ont écrit sur des matieres non controversées ; des Canonistes & des Commentateurs des Décrétales & du corps du Droit canonique, des Historiens, Bibliographes, Biographes & Agiographes ecclésiastiques ; des Orateurs sacrés ; des Liturgistes & généralement de tous les auteurs qui ont écrit sur les matieres ecclésiastiques ; avec le catalogue de leurs principaux ouvrages ; le sommaire de ce qu’on trouve de remarquable dans ceux des Peres, pour former la chaine de la tradition ; le jugement des critiques sur la personne, le caractère, la doctrine, la méthode & le style des différens Auteurs ecclésiastiques ; & l’indication des meilleures éditions de leurs ouvrages : le tout suivi d’une table chronologique pour l’histoire de l’Eglise depuis J. C. jusqu’à nos jours, en 4. petits volumes in-8°. à Lyon 1767. Ce titre vaut un analyse. L’auteur du Journal encyclopédique en rendant compte de cet ouvrage, en parle comme d’un livre bien fait, dont les articles ont été choisis avec goût.
§. V.
Histoire des conciles.
ON a comparé les Conciles généraux de l’Eglise aux Etats généraux qui se tiennent chez les différentes nations. Cette comparaison est fort imparfaite, & elle ne rend qu’en partie l’idée qu’on doit avoir des Synodes universels & particuliers. Rien ne seroit plus curieux & plus intéressant qu’une histoire générale des Conciles ; mais nous n’avons rien malheureusement en ce genre qui soit digne d’être cité. Hermant, Curé du Diocèse de Bayeux, a donné à la vérité une Histoire des Conciles en 4. vol. in-12. ; mais elle est aussi superficielle, aussi fautive & aussi platement écrite que ces insipides histoires des Ordres Religieux, des Ordres de Chevalerie, des Hérésies, &c. L’auteur n’étoit qu’un misérable compilateur, qui a donné dans tous ses livres autant de preuves de mauvais goût que d’ignorance.
Le Dictionnaire portatif des Conciles depuis le premier Concile tenu par les Apôtres à Jérusalem jusques & au-delà du Concile de Trente, Paris 1758. in-8°. par M. Alletz, vaut mieux que l’ouvrage d’Hermant ; mais la partie historique est trop abrégée, & ce Dictionnaire, quoique fait avec soin, est d’une médiocre utilité pour la connoissance des événemens qui ont précédé, accompagné ou suivi les grandes Assemblées ecclésiastiques.
Au défaut d’une histoire générale des Conciles, il faut rassembler des morceaux particuliers. Nous avons obligation au savant & modéré M. Lenfant, illustre réfugié françois, de nous avoir développé avec beaucoup de soin tout ce qui regarde les Conciles de Pise, de Constance & de Bâle ; Conciles intéressans, soit pour la connoissance des erreurs qu’on y a condamnées, soit pour l’extinction du grand schisme d’Occident, qui affligea si long-tems l’Eglise. Ces trois ouvrages, écrits avec beaucoup de modération, pourroient être avoués par beaucoup de Catholiques, à l’exception néanmoins de quelques endroits, où une main protestante ne sauroit s’empêcher de faire connoître le parti qu’elle a embrassé. Il résulte de la lecture de ces trois histoires qui forment six volumes in-4°. que du sein des passions & des intrigues qui se mêlent souvent aux choses les plus saintes, il peut sortir des loix équitables & des dogmes consolans.
Le Concile de Trente, le dernier des généraux, a été détaillé d’une manière extrêmement hardie par un Religieux qui, sous l’habit de Servite, cachoit vraisemblablement, la façon de penser d’un disciple de Calvin. Tout le monde connoît son histoire du Concile de Trente, dont nous avons deux traductions en françois ; une par Amelot de la Houssaye, l’autre, publiée sous ce titre : Histoire du Concile de Trente, écrite en italien par Frapaolo Sarpi de l’Ordre des Servites & traduit de nouveau en françois avec des notes critiques, historiques & théologiques, par Pierre-François le Courrayer, Docteur en Théologie de l’Université d’Oxford, Chanoine régulier & ancien Bibliothéquaire de Ste. Geneviéve de Paris, imprimée en 2. vol. in-4°. à Amsterdam 1736. Cette histoire, qui paroît être d’un Protestant déguisé, est encore plus dangereuse en françois qu’en italien. Le traducteur l’a chargée de notes, dans lesquelles il s’offre d’établir un systême qui tend à justifier toutes les Religions, & à ravir à la seule véritable les caractères qui la distinguent. Je m’étonne, dit l’Abbé Lenglet, que M. le Courrayer, homme habile en qui j’avois toujours reconnu & admiré beaucoup de douceur, ait augmenté par ses notes les aigreurs que des intérêts particuliers contre la Cour de Rome, avoient engagé le premier auteur à semer dans son histoire. L’emportement & le fiel n’ont jamais annoncé la vérité ; & il y en a beaucoup dans l’original & dans la copie.
L’histoire de Frapaolo fut réfutée par le Cardinal Palavicin qui lui en opposa une autre bien plus exacte & plus détaillée que la sienne. Son ouvrage, composé sur les Archives mêmes du Château St. Ange, où sont toutes les négociations du Concile, ne peut manquer d’être exact ; mais l’auteur est imbu des principes ultramontains. On en préparoit une traduction françoise dans le dernier siécle, qui fut arrêtée par l’ouvrage du fameux le Noir, Théologal de Seez, intitulé : Les nouvelles lumieres politiques pour le gouvernement de l’Eglise, ou le nouvel Evangile du Cardinal Palavicin révélé par lui dans son histoire du Concile de Trente.
§. VI.
Histoire des papes.
CEtte Histoire forme une branche très-intéressante de l’Histoire Ecclésiastique ; mais nous ne sommes pas plus riches en ce genre que dans la partie des Conciles. Je compte pour rien, dit l’Abbé Lenglet, ce qu’André du Chesne & François son fils ont écrit & imprimé sur ce sujet en deux énormes volumes in-folio. Ces deux Ecrivains qui réussissoient à donner des recueils de piéces & de monumens originaux nécessaires pour la connoissance de l’histoire, n’avoient aucun talent pour écrire avec l’élégance & le goût nécessaires pour le faire lire. Ils étoient de purs compilateurs, c’étoit leur profession ; ils devoient donc s’y tenir, sans nous ennuyer par la lecture de leurs médiocres compositions.
Leur compilation sur les Papes est pourtant plus exacte que l’histoire de ces Pontifes depuis St. Pierre jusques à Benoît XIII. inclusivement, in-4°. la Haye 1732. cinq vol. Ce misérable livre, fruit de l’enthousiasme & de l’emportement d’un jeune homme, n’est qu’une collection indigeste de tout ce qu’on a écrit de plus satyrique contre les Chefs de l’Eglise Romaine. Le style incorrect, décousu & rampant, n’est relevé que par des grossiéretés qui n’ont pu plaire qu’à la populace protestante. Il y a des fanatiques dans toutes les sectes.
Ce sont ces fanatiques qui ont fait tant de bruit au sujet de la
prétendue Papesse Jeanne. La plûpart des Protestans ont plus écrit sur
ce sujet que sur une question fort importante. “Quelle
conséquence, dit l’Abbé Lenglet, peut-on tirer
pour le dogme d’un fait de cette nature ? Quel inconvénient y
auroit-il quand par hasard nous aurions eu une Papesse, croyant que
ce fut un Pape ? Les Anglicans n’ont-ils pas eu Elizabeth & Anne pour chefs de leur
Religion ? Leur a-t’on fait un procès ? & le Ministre Jurieu a
pensé sensément contre son ordinaire, en regardant cette
contestation comme une bagatelle.”
D’autres Ministres plus
modérés que lui l’ont moins été dans cette occasion ; & le sage
Jacques Lenfant ne craignit
point d’établir l’absurde opinion répandue dans le vulgaire de la secte
dans son histoire de la Papesse Jeanne 1694. Il revint
dans la suite de fes préjugés au sujet de cette fable si ridiculement
inventée ; mais Vignoles donna une nouvelle édition de
son ouvrage en 1736. en deux vol. in-12., avec des
augmentations considérables, dans lesquelles il fit de vains efforts
pour appuyer ce Roman.
Il y a plus de vérité dans ce que les Protestans ont écrit sur Alexandre VI. Pontife dont l’ambition artificieuse & les débauches scandaleuses firent gémir tous les gens de bien. On a publié à Amsterdam en 1732. en deux volumes in-12. la vie de ce Pontife & de son fils Borgia, traduite de l’Anglois d’Alexandre Gordon. Ce livre est pésamment écrit ; mais les faits sont exacts & en général l’auteur est plus modéré qu’on ne devoit s’y attendre.
Le même caractère de modération se fait sentir dans la Vie du Pape Sixte V. traduite de l’italien de Gregorio Leti en françois, in-12. Paris 1685. deux vol. C’est un des meilleurs ouvrages de cet auteur, qui mêle à des anecdotes vraies des choses hazardées. La traduction françoise n’est pas bien élégante & donne une foible idée du style de l’auteur italien.
Cette histoire offre pourtant des choses plus intéressantes que celle du Pontificat de Paul V., par l’Abbé Goujet, écrite d’une maniere languissante & publiée en 1765. en deux vol. in-12. Il y a pourtant des recherches curieuses ; mais les lecteurs qui ne sont pas prévenus par l’esprit de parti auroient souhaité que l’auteur en parlant d’un certain Corps qui ne subsiste plus en France, eût moins laissé voir de passion. Ce savant avoit vieilli dans la haine contre les Jésuites, & quoique naturellement doux, cette haine perçoit dans sa conversation, ainsi que dans ses écrits.
Les Conclaves & les brigues qu’ils occasionnent, sont une des parties les plus intéressantes de l’histoire des Papes. Nous avons l’Histoire des Conclaves depuis Clément V. jusqu’à présent, in-12. Cologne 1694. : livre curieux attribué au Baron de Huissen, écrivain très-médiocre, mais homme instruit.
§. VII.
Histoire des ordres Religieux et Militaires.
CEtte partie de l’Histoire Ecclésiastique, si intéressante & si variee, a été traitée avec plus d’exactitude & de méthode que toutes les autres, & c’est au Pere Héliot, Religieux Picpus que nous en avons obligation. Son ouvrage est intitulé : Histoire des Ordres Monastiques, Religieux & Militaires, & des Congrégations séculieres de l’un & de l’autre sexe, en 8. volumes in-4°. Le premier parut en 1714., & les sept derniers furent donnés après la mort de l’auteur. Nous n’avons aucun ouvrage dans notre langue qui s’étende autant sur les Ordres Religieux. Il est plein de recherches, écrit avec discernement & traité d’une maniere intéressante. On ne doit pas s’attendre qu’un livre aussi considérable soit exempt de fautes, mais l’auteur n’a rien oublié pour les éviter. Son style pourroit être plus châtié & plus élégant. On prétend que de savans Religieux de Paris travaillent à un ouvrage du même genre qui éclipsera celui du P. Héliot.
Quand vous aurez lu ce livre, vous voudrez peut-être remonter jusqu’à l’origine de la vie cénobitique, & suivre ensuite ses progrès dans les différens siécles. Ces héros de la retraite & du silence qui peuplerent & sanctifierent les déserts de la Thébaïde, méritent les regards de tout homme qui s’intéresse au Christianisme. Le Pere Marin a développé leurs vertus dans ses Vies des Peres des déserts d’Orient, avec leur doctrine spirituelle & leur discipline monastique, à Avignon 1762. en trois volumes in-4°. & en neuf vol. in-12. Cet auteur commence son histoire par St. Paul, le pere des Hermites. Il parcourt dans le premier & le second livre l’une & l’autre Thébaïde. De-là il passe au désert de Nitrie & des cellules dans le troisiéme livre ; puis à celui de Sceté dans le quatriéme, & aux monastères de l’Egypte proprement dite, ou des environs d’Alexandrie dans le cinquiéme. L’Arabie se présente à lui en sortant de l’Egypte, & fait le sujet du sixiéme livre. Enfin il a renfermé tout ce qui concerne les Moines de la Palestine dans le septiéme livre qui finit au tems que le Calife Omar prit Jérusalem, & changea la face de ces pays pour toujours. Cet ouvrage est beaucoup plus complet que les Vies des Peres du désert, par M. Arnauld d’Anditli. Il peut non-seulement contribuer à l’édification des simples fidéles par les exemples de vertu & les maximes de sainteté qu’il contient ; mais encore à l’éclaircissement des faits historiques, qui font l’objet des utiles recherches des savans.
Avant le P. Marin, Louis Bulteau avoit donné un Essai de l’histoire monastique d’Orient 1680. in-4°., & une autre histoire de l’Ordre monastique de tout l’Occident jusqu’au dixiéme siécle, dans son Abrégé de l’histoire de l’Ordre de St. Benoit, en deux vol. in-4°. 1684. On voit dans le premier ouvrage l’origine de l’Etat monastique qu’il ne fait pas remonter plus haut que St. Antoine, & une peinture fidéle des Monastères & de la vie des anciens Moines. Parcourant toutes les provinces d’Orient où il y avoit des Solitaires ou des Cénobites, il en décrit l’institut & les regles, & donne la vie des illustres solitaires dont l’antiquité nous a conservé la mémoire. Il fait de tems en tems des remarques sur la discipline. Il prouve qu’ils avoient des Prêtres parmi eux & des Eglises où ils s’assembloient. Il fait voir que les Congrégations & les Chapitres des Moines ne sont pas si nouveaux qu’on s’imagine.
La seconde histoire est tirée en partie des Actes des Saints de l’Ordre de St. Benoit du Pere Mabillon. Il y rapporte l’établissement & le progrès de l’Ordre monastique en Italie, dans les Gaules, en Espagne & dans la grande Bretagne, & même dans l’Afrique du tems de St. Augustin. Il y fait l’histoire du Monastère & des Moines distingués par leur sainteté par leur doctrine ou par leurs travaux pour l’établissement, l’avancement, ou la réforme de l’Ordre monastique, de la discipline ecclésiastique, ou de la Foi. Son style est clair, simple sans pourtant donner dans la bassesse.
A ces histoires générales il sera bon que vous joigniez les vies particuliéres des principaux fondateurs. St. Benoit a eu pour historien le P. Mege ; St. Bernard, M. de Villefore ; St. François, le Pere Chalippe ; St. Dominique le P. Touron ; St. Ignace le P. Bouhours ; St. François de Sales, Mme. de Chantal & l’Abbé de Rancé, M. Marssolier ; St. Vincent de Paule, M. Collet. Vous saurez réduire à leur juste mesure les éloges excessifs que ces Panégyristes ont donnés à leur héros, sur-tout lorsque ce sont des Religieux qui ont écrit la vie de leur Fondateur. Le Pere Bouhours, par exemple, est plus circonspect que les autres historiens de St. Ignace ; il n’a pas laissé pourtant de raconter bien des choses puériles. Il parle de la résurrection d’un nommé Lisan, qui s’étoit pendu parce qu’il avoit perdu un procès qu’il avoit avec son frere. Ignace se borna à demander à Dieu autant de vie, qu’il en falloit à ce misérable pour se confesser. Lisan revint tout d’un coup, dit le P. Bouhours, & le ressuscité mourut dès qu’il se fut confessé. Il assure que le nom d’Ignace étoit redoutable aux puissances de l’enfer, & qu’on a entendu quelquefois les possédés s’écrier au milieu des exorcismes à la vue d’une image du serviteur de Dieu : Où est ton pouvoir, Lucifer, puisqu’un peu de papier avec la figure d’un Prêtre nous fait fuir sans que nous puissions résister ? ha ! Dieu, comment nous privez-vous de la gloire pour la donner à un Prêtre boiteux ? Il s’étend sur les visions, les extases, les prédications & autres prodiges d’Ignace.
De pareilles merveilles ne se rencontrent point dans l’histoire des Ordres Militaires qui ont joué pendant quelque tems un rôle si brillant. Le P. Héliot en parle avec assez d’étendue ; mais son ouvrage ne vous dispensera point de lire l’Histoire des Chevaliers de St. Jean de Jérusalem, aujourd’hui de Malthe, par l’Abbé de Vertot, en sept vol. in-12. Paris 1724. L’auteur avoit plus de soixante & dix ans, quand il acheva cet ouvrage qui a terminé sa carriere littéraire. On a prétendu que lorsqu’il eut à décrire l’histoire du siége de Rhodes, les mémoires qu’il attendoit ayant tardé trop long-tems, il fit ce siége, moitié d’après le peu qu’il en savoit, moitié d’après son imagination. Les mémoires arriverent enfin. J’en suis fâché, dit-il, mais mon siége est fait. Cette anecdote n’a nulle vrai-semblance. L’Abbé de Vertot avoit tout ce qu’il lui falloit sur le siége de Rhodes dans l’histoire de Malthe que Bofio avoit écrite avant lui : histoire dont il parle avec éloge dans sa préface. Quoi qu’il en soit, son ouvrage inférieur à ses Révolutions Romaines, n’est pas pourtant indigne de lui. L’élégance & la pureté de sa diction répondent à la noblesse des sujets. Il les expose avec une grande netteté, & le détail des circonstances semble plûtôt les embellir que les charger. Il exprime les différens caractères par des traits fermes, énergiques & précis qui peignent l’ame même ; ses descriptions vives & animées entraînent le lecteur.
Le Grand Maître de l’Ordre de Malthe, l’avoit nommé en 1715. Historiographe de l’Ordre, l’avoit associé à tous ses privilèges, & lui avoit donné la permission de porter la Croix.
§. VIII.
Vies des saints.
CEtte partie de l’Histoire Ecclésiastique intéresse
un si grand nombre de lecteurs par les combats que les Saints ont eu à
soutenir contre leurs propres passions ou contre celles des ennemis du
nom Chrétien, que plusieurs savans y ont consacré leurs veilles. Celui
qui s’est le plus distingué dans ce genre est Adrien
Baillet, dont les Vies des Saints sont très-connues. Ce grand
ouvrage fut imprimé pendant l’année 1700. en 12. gros volumes in-8°. & en trois vol. in-folio.
L’auteur ajouta ensuite à ces volumes, qui contenoient les douze mois de
l’année, l’histoire des Fêtes mobiles, les vies des Saints de l’ancien
Testament, & deux Tables, une Topographique, & l’autre
Chronologique. Cette suite fut imprimée en cinq vol. in-8°. & en un vol. in-fol. Cet ouvrage
a plu à bien des gens & déplu à quelques autres ; & il n’y a pas
lieu d’en être surpris ; qui peut se flatter de plaire à tout le monde ?
“La
Vie des Saints
d’Adrien Baillet est ; suivant l’auteur du Dictionnaire des
livres jansénistes, moins propre à édifier ou à instruire qu’à faire
douter. Adulateur perpétuel des auteurs protestans, il copie leur
ouvrages avec peu de discernement, sans savoir démêler le bon du
mauvais, faute de théologie, faute de précision & de rectitude
dans l’esprit. Il marche d’un pas sûr, tandis qu’il a pour guide les
Bollandistes dans les ouvrages desquels il a puisé presque tout ce
qu’il a de bon. Hors de-là, il chancele, il s’égare souvent ; il dit
le pour & le contre, & il s’enveloppe dans un dangereux
pyrrhonisme.”
Cette censure est outrée. L’ouvrage de Baillet, malgré un assez grand nombre d’erreurs, qu’il
étoit impossible d’éviter dans un si long travail, est le plus exact, le
plus achevé & le plus utile qui ait encore paru en françois. Il est
purgé de toutes les fables, de tous les faux miracles & des
histoires supposées, dont la crédulité de nos ancêtres avoit déshonoré
les légendes des Saints. On trouve à la tête un discours intéressant
& plein d’observations solides.
Son style,
sans être élégant, attache assez le lecteur ; il seroit à souhaiter que
quelque homme de goût le retouchât & le rendît plus coulant &
plus pur. La derniere édit. de cet ouvrage est en 10. vol. in-4°.
La vie des Saints de M. Baillet n’étant guéres propre pour l’usage journalier, nous citerons ici celles qui sont lues ordinairement dans les familles chrétiennes.
Vies des Saints du P. Giri, Minime, in-fol. Paris 1681. deux vol. & 1700. trois vol. Cet auteur est trop crédule pour son siécle ; mais il écrit avec une simplicité onctueuse.
Vies des Saints, in-8°. Paris chez Roulland & Robustel 1683. 4. vol. : ouvrage de M. Fontaine, disciple de Mr. de Saci & digne de son maître.
Vies des Saints pour tous les jours de l’année avec une priére & des pratiques à la fin de chaque vie ; & des instructions sur les Dimanches & Fêtes mobiles, par M. M. Mezangui & Goujet deux volumes in-4°. & abrégées en deux vol. in-12. Cet ouvrage étant tiré presque mot pour mot de l’Histoire Ecclésiastique de M. Fleuri, ne peut qu’être estimable. Il est fait avec choix & écrit avec une simplicité élégante.
Vies des Saints pour tous les jours de l’année, avec des courtes réfléxions morales, in-fol. deux vol. 1742. par le P. Croiset, Jésuite ; auteur connu par ses lumieres & sa vertu. On imprime à Villefranche de Rouergue des Vies des Saints, traduites de l’Anglois, qui brillent par l’érudition & la critique. Il en a déja paru 7. vol. in-8°.
Je ne vous citerai point les vies particuliéres d’un grand nombre de Saints ; le champ seroit trop vaste ; mais vous ne pouvez vous dispenser de lire les Vies de St. Athanase, de St. Basite, de St. Grégoire de Nazianze, de St. Chrisostome & de St. Ambroise écrites avec autant de détail que de discernement par M. Hermant. Ce savant homme avoit formé son style sur les meilleurs modèles des premiers tems de l’Académie françoise. Peut-être aujourd’hui écriroit-il d’une maniere plus serrée & plus concise.
§. IX.
Abrégés de l’histoire Ecglesiastique.
NOus en avons un grand nombre & très-peu de bons. Le plus estimé est celui de M. Racine, dont les deux premiers volumes parurent en 1758. Sous le titre d’Abrégé de l’Histoire Ecclésiastique, contenant les événemens considérables de chaque siécle, avec des réfléxions. Le succès de ces deux volumes détermina l’auteur à donner la suite, & il publia successivement treize volumes. Le mérite de cet ouvrage est assez connu. On a cependant reproché à l’auteur d’être trop diffus & trop peu modéré dans les derniers volumes ; mais il s’éleve avec force & peut-être avec trop peu de ménagement contre les défauts des Jésuites & de leur compagnie ; il donne des éloges à la vertu de quelques-uns. Une Histoire Ecclésiastique est une entreprise si longue & si difficile, qu’il n’est pas étonnant que M. Racine ait fait quelques fautes. Il n’a pas toujours eu recours aux originaux ; il s’est borné le plus souvent à copier Fleuri. Il a suivi quelquefois sans examen des auteurs peu exacts, & dont le récit méritoit des discussions. Son style n’est pas égal, & on voit qu’en copiant des auteurs différens, il n’a pas eu soin de rendre leur diction uniforme. Mais ces taches sont légeres, & le savant éditeur qui a publié en 1766. l’édition in-4°. en a fait disparoître une partie. On a publié en 1762. deux vol. pour servir de continuation à son histoire ; mais ils ne sont pas dignes de lui. Ils contiennent une exposition des différentes controverses agitées dans le dix-huitiéme siécle jusqu’en l’année 1733., & les faits principaux qui y ont rapport. Le quinziéme tome est terminé par une justification sommaire, mais suffisamment étendue de cet abrégé historique contre quelques critiques injustes.
Quelques reproches qu’on ait fait à M. Racine, son histoire vaut beaucoup mieux que celle de l’Abbé de Choisi. Le but de celui-ci étoit de débarrasser les faits de tout ce que l’érudition a d’accablant. Il vouloit qu’on pût le lire tout de suite, sans qu’on eût besoin d’étude, pour examiner ce qui étoit douteux, & se faire expliquer ce qu’on n’entendoit pas. Ce projet étoit louable ; mais l’auteur l’a mal exécuté : & en voulant en faire un livre d’agrément, il l’a rendu ridicule. Son ouvrage est fort superficiel ; il y mêle trop d’histoire profane, & cherche trop souvent ces traits vifs & agréables qui sont déplacés dans un ouvrage sérieux. Il n’y faut chercher ni l’analyse exacte des meilleurs ouvrages, ni l’exposition fidéle du dogme & de la discipline, ni une critique fine & impartiale, ni cet amour éclairé de la vérité, ni ce jugement exquis, ni cette candeur aimable, ni cette noble simplicité de style qui distinguent M. Fleuri.
Il ne faut pas l’aller chercher non plus dans l’Abrégé de l’Histoire de l’Eglise, par du Pin, en quatre volumes in-12. L’auteur avoit de l’esprit. Il écrivoit avec beaucoup de facilité ; mais il se pressoit trop dans toutes ses compositions, & son livre, quoique souvent réimprimé, n’est pas moins inexact & superficiel. L’Abrégé chronologique de l’Histoire Ecclésiastique, par M. Macquer, en deux volumes in-8°. 1757. vaut beaucoup mieux. Les faits y sont resserrés avec précision & les dates y sont exactes. L’ordre chronologique y répand un peu de sécheresse, & il est à souhaiter qu’on nous présente un abrégé qui étant plus agréable à la jeunesse qu’on éleve dans les Collèges, pût aussi lui être plus utile. C’est ce qu’exécute actuellement un homme de lettres.
Je ne vous conseillerai pas l’Abrégé de l’Histoire Ecclésiastique, par Mr. Formey, en deux volumes in-8°. Ce livre n’est bon que pour les Protestans. Je vous conseillerai encore moins un prétendu Abrégé de l’Histoire Ecclésiastique de Fleuri, imprimé en 1766. & précédé d’une préface où la Religion est très-mal traitée. Elle n’est pas plus ménagée dans le corps de l’ouvrage où l’auteur se livre à cette excessive liberté de penser qui est le défaut dominant de notre-siécle.