(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63
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(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Observations générales
sur
l’art dramatique.

Un honnête spectacle est la plus belle éducation qu’on puisse donner à la jeunesse, le plus noble délassement du travail, la meilleure instruction pour tous les ordres de citoyens ; c’est presque la seule manière d’assembler les hommes sociables.

Emollit mores, nec sinit esse feros.

Rien, en effet, ne rend les hommes plus sociables, n’adoucit plus leurs mœurs, ne perfectionne plus leur raison, que de les rassembler pour leur faire goûter ensemble les plaisirs purs de l’esprit.

Je regarde, dit Voltaire, la tragédie et la bonne comédie comme des leçons de vertu, de raison et de bienséance. Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école de grandeur d’âme ; et Molière a fondé celle de la vie civile. Les génies français formés par eux appellent du fond de l’Europe les étrangers, qui viennent s’instruire chez nous et qui contribuent à l’abondance de Paris.

Salle de spectacle.

Un théâtre construit selon les règles, doit être très vaste ; il doit représenter une partie d’une place publique, le péristyle d’un palais, l’entrée d’un temple. Il doit être fait de sorte qu’un personnage vu par les spectateurs, puisse ne l’être point par les autres personnages, selon le besoin ; il doit en imposer aux yeux, qu’il faut toujours séduire les premiers ; il doit être susceptible de la pompe la plus majestueuse. Tous les spectateurs viennent pour voir et entendre également, en quelque endroit qu’ils soient placés. Comment cela peut-il s’exécuter sur une scène étroite, au milieu d’une foule de jeunes gens qui laissent à peine dix pieds de place aux acteurs  ?1

Un abus public n’est jamais corrigé qu’à la dernière extrémité. Au reste, quand je parle d’une action théâtrale, je parle d’un appareil, d’une cérémonie, d’une assemblée, d’un événement nécessaire à la pièce, et non pas de ces vains spectacles plus puérils que pompeux, de ces ressources du décorateur qui suppléent à la stérilité du poète, et qui amusent les yeux quand on ne sait pas parler aux oreilles et à l’âme.

Action théâtrale.

On se propose de réunir ici quelques remarques préliminaires concernant l’action théâtrale. On tâchera surtout de développer l’artifice qui a présidé à la texture de quelques-uns de nos chefs-d’œuvre : on entrera dans quelques détails, parce que les préceptes paraissent peu de chose sans les exemples qui les éclaircissent.

Outre les principales règles de l’art dramatique, qu’on peut voir ci-après aux mots action, intrigue, intérêt, unité, et autres, on sait qu’il y a un art plus caché et plus délicat, qui règle en quelque façon tous les pas qu’on doit faire, et qui n’abandonne rien aux caprices du génie même. Il consiste à ranger tellement ce qu’on a à dire, que du commencement à la fin, les choses se servent de préparation les unes aux autres, et que cependant elles ne paraissent jamais dites pour rien préparer.

C’est une attention de tous les instants, à mettre si bien toutes les circonstances à leur place, qu’elles soient nécessaires où on les met, et que d’ailleurs elles s’éclaircissent et s’embellissent toutes réciproquement ; à tout arranger pour les effets qu’on a en vue, sans laisser apercevoir de dessein ; de manière enfin que le spectateur suive toujours une action et ne sente jamais un ouvrage : autrement l’illusion cesse, et on ne voit plus que le poète au lieu des personnages.

C’est encore un grand secret de l’art, quand un morceau plein d’éloquence ou un beau développement servent, non seulement à passionner la scène où ils se trouvent, mais encore à préparer le dénouement ou quelque incident terrible. En voici un exemple frappant dans les Horaces.

Le vieil Horace s’applaudit de ce que ses enfants n’ont pas voulu qu’on les empêchât de combattre contre les trois Curiaces.

Ils sont, grâces aux dieux, dignes de leur patrie ;
Aucun étonnement n’a leur gloire flétrie ;
Et j’ai vu leur honneur croître de la moitié
Quand ils ont des deux camps refusé la pitié.
Si par quelque faiblesse ils l’avaient mendiée,
Si leur haute vertu ne l’eût répudiée,
Ma main bientôt sur eux m’eût vengé hautement
De l’affront que m’eût fait ce mou consentement.

Ce discours du vieil Horace, dit Voltaire, est plein d’un art d’autant plus beau qu’il ne paraît pas : on ne voit que la hauteur d’un Romain et la chaleur d’un vieillard qui préfère l’honneur à la nature ; mais cela même prépare le désespoir que montre le vieil Horace dans la scène suivante, lorsqu’il croit que son troisième fils s’est enfui.

Le poète, dit La Motte, travaille dans un certain ordre, et le spectateur sent dans un autre. Le poète se propose d’abord quelques beautés principales sur lesquelles il fonde l’espoir de son succès : c’est de là qu’il part, et il imagine ensuite ce qui doit être dit ou fait pour parvenir à son but.

Le spectateur, au contraire, part de ce qu’il voit et de ce qu’il entend d’abord ; et il passe de là aux progrès et au dénouement de l’action, comme à des suites naturelles du premier état où on lui a exposé les choses.

Il faut donc que ce que le poète a inventé arbitrairement pour amener ces beautés, devienne pour les spectateurs le fondement nécessaire dont elles naissent. En un mot, tout est art du côté de celui qui arrange une action théâtrale ; mais rien ne le doit paraître à celui qui la voit.

Il y a certains sujets très beaux, mais d’une difficulté presque insurmontable, parce que leur beauté même tient à quelque défaut de vraisemblance qu’on ne peut éviter : c’est alors que le génie développe toutes ses ressources. L’art consiste à couvrir ce défaut par des beautés d’un ordre supérieur.

Telle était, dans Tancrède, la difficulté d’empêcher que les deux amants ne pussent se voir et s’expliquer, ni avant ni après le combat. Que fait l’auteur ? Tancrède apprend de la bouche du père même d’Aménaïde, qu’elle est infidèle. Aucun chevalier ne se présente pour la défendre.

Celle qui fut ma fille à mes yeux va périr
Sans trouver un guerrier qui l’ose secourir :
Ma douleur s’en accroît, ma honte s’en augmente.
Tout frémit, tout se tait, aucun ne se présente.

TANCRÈDE.

Il s’en présentera, gardez-vous d’en douter.

ARGYRE.

De quel espoir, seigneur, daignez-vous me flatter ?
…………………………………………………………………………………
Eh ! qui, pour nous défendre, entrera dans la lice ?
Nous sommes en horreur ; on est glacé d’effroi :
Qui daignera me tendre une main protectrice ?
Je n’ose m’en flatter. Qui combattra ?

TANCRÈDE.

Qui ? Moi.
Moi, dis-je ; et si le ciel seconde ma vaillance,
Je demande de vous, seigneur, pour récompense,
De partir à l’instant sans être retenu,
Sans voir Aménaïde et sans être connu.

Que de beautés dans cette scène ! L’auteur saisit le moment d’une émotion si vive pour vous cacher le défaut de son sujet. Quel intérêt il annonce ! il vous donne beaucoup et vous promet davantage. Tancrède, vainqueur, ne pourra point parler à sa maîtresse ; mais vous vous y attendez. D’ailleurs, elle ne le verra qu’environné de ses ennemis, qui ne le connaissent point. Cette circonstance, toute nécessaire qu’elle est, cesse de vous le paraître, parce que, dans un moment que le spectateur ne pouvait point la prévoir, Tancrède a déjà résolu de partir sans voir Aménaïde. C’est là le comble de l’art.

Dans le Fanatisme, il paraît nécessaire que Séide arrive dans la Mecque avant Mahomet. Mais est-il dans l’exacte vraisemblance qu’un jeune homme vienne ainsi se donner lui-même en otage, sans l’aveu de son maître ? L’auteur a bien senti ce défaut. Il en tire une beauté. Séide, en voyant Mahomet, s’écrie :

                     Ô mon père ! ô mon roi !
Le dieu qui vous inspire a marché devant moi.
Prêt à mourir pour vous, prêt à tout entreprendre,
J’ai prévenu votre ordre.

MAHOMET.

Il eût fallu l’attendre :
Qui fait plus qu’il ne doit, ne sait point me servir.
J’obéis à mon dieu, vous, sachez m’obéir.

L’empressement de Palmire à justifier Séide devant Mahomet, qui abhorre en lui son rival, est aussi une beauté qui naît de ce léger défaut.

Sémiramis est encore un modèle admirable de la manière de triompher des difficultés d’un sujet. L’auteur veut présenter le tableau terrible d’une reine meurtrière de son époux, immolée sur la cendre de cet époux par son fils même, qu’elle allait défendre contre un ministre qui fut complice de ses crimes. Mais comment amener Sémiramis dans le tombeau de Ninus ? Le poète, pour sauver cette invraisemblance, fait intervenir le ministère des dieux. Ce sont eux qui, depuis quinze ans, préparent tout pour la vengeance. Ce sont eux qui ont sauvé Ninias par les soins de Phradate ; ce sont eux qui ordonnent à Sémiramis de rappeler Arsace, et qui inspirent à la reine le dessein de l’opposer à Assur et de lui donner son trône.

La majesté sombre et terrible du sujet, tout le rôle d’Oroès, le style et le grand intérêt, la leçon terrible donnée aux rois et même à tous les hommes : voilà l’artifice théâtral dont le poète se sert pour triompher de tant d’obstacles.

Une des beautés de l’art dramatique, c’est de disposer tellement la pièce, que les principaux personnages soient eux-mêmes les agents de leur propre malheur. Voltaire y a rarement manqué.

Sans parler d’Œdipe, qui est fondé d’un bout à l’autre sur l’ancien système du fatalisme ; c’est Brutus qui, dans la pièce de ce nom, veut, contre l’avis de Valerius, qu’on admette dans Rome l’ambassadeur toscan, qui doit séduire son fils ; c’est lui qui, par noblesse et par grandeur d’âme, a donné à la fille de Tarquin un asile dans sa maison ; c’est encore lui qui, au cinquième acte, s’écrie :

Mais quand nous connaîtrons le nom des parricides,
Prenez garde, Romains : point de grâce aux perfides.
Fussent-ils nos amis, nos femmes, nos enfants,
Ne voyez que leur crime, et gardez vos serments.

Admirez l’usage que l’auteur fait de ce personnage. Il ne le fait paraître que dans les moments où sa présence peut jeter de l’intérêt ou de l’effroi : c’est pour se plaindre à Messala, complice de Titus, des emportements de son fils ; c’est pour faire partir Tullie, dans le moment que son fils allait promettre de lui tout sacrifier ; c’est pour le charger du soin de défendre Rome, quand ce fils malheureux vient de la trahir.

Dans Zaïre, c’est Orosmane et Zaïre qui sont les agents de leurs maux. La générosité d’Orosmane, qui délivre les chevaliers chrétiens, et celle de Zaïre qui a demandé et obtenu la grâce de Lusignan, amènent la reconnaissance de Lusignan et de sa fille, et tous les malheurs d’Orosmane et de Zaïre.

Même artifice à peu près dans Alzire. C’est Alvarès qui a obtenu la liberté des prisonniers, parmi lesquels se trouvera son libérateur, qui deviendra le meurtrier de son fils.

Préparer et suspendre, sont les deux grands secrets du théâtre. Un incident est-il d’une importance majeure : faites-le pressentir, mais sans le laisser deviner. Est-il moins intéressant : contentez-vous d’en laisser entrevoir le genre.

Voyez avec quel soin l’auteur de Mérope insiste sur les moyens de détruire la puissance de Polifonte ! voyez comment il prévient toutes les objections qu’on peut lui faire ! C’est encore une adresse théâtrale d’aller au-devant des objections, fût-on même dans l’impossibilité de les détruire. Le spectateur, content de voir que l’auteur n’a point péché par ignorance, prend le change et impute tout à la difficulté du sujet.

L’art de tenir les esprits en suspens, n’est pas moindre que celui de préparer. Cette adresse a souvent fait le succès de plusieurs ouvrages assez médiocres. C’est elle qui a soutenu si longtemps la Sophonisbe de Mairet. Nos grands maîtres n’y manquent jamais. En voici un des exemples le plus remarquables : il est tiré du Duc de Foix.

Vamir, fait prisonnier par son frère, a pris les armes pour lui enlever Amélie. L’auteur veut prolonger, jusqu’à l’arrivée d’Amélie, l’explication qui doit apprendre au duc de Foix que Vamir est aimé d’elle, et qu’il n’a pris les armes que pour la lui arracher. Voyez avec quel art il y réussit ! Vamir reproche à son frère d’être révolté contre sa patrie. Le duc lui répond :

                Ce jour, qui semble si funeste,
Des feux de la discorde éteindra ce qui reste.

VAMIR.

Ce jour est trop horrible.

LE DUC.

Il va combler mes vœux.

VAMIR.

Comment ?

LE DUC.

Tout est changé, ton frère est trop heureux.

VAMIR.

Je le crois. On dirait que d’un amour extrême,
Violent, effréné (car c’est ainsi qu’on aime),
Ton cœur depuis trois mois s’occupait tout entier.

LE DUC.

J’aime : la renommée a pu le publier.
Oui, j’aime avec fureur……
Ne blâme point l’amour où ton frère est en proie ;
Pour me justifier, il suffit qu’on la voie.

VAMIR.

Cruel !… elle vous aime ?…

LE DUC.

Elle le doit du moins,
Il n’était qu’un obstacle au succès de mes soins.
Il n’en est plus, je veux que rien ne nous sépare.

VAMIR.

Quels effroyables coups le cruel me prépare !
Ecoute. A ma douleur ne veux-tu qu’insulter ?
Me connais-tu ? Sais-tu ce que j’ose tenter ?
Dans ces funestes lieux, sais-tu ce qui m’amène ?

LE DUC.

Oublions ces sujets de discorde et de haine.

Amélie arrive, et c’est devant elle que se fait l’explication.

C’est cet art de suspendre qui fait passer le spectateur de l’espérance à la crainte, du trouble à la joie : c’est l’artifice du cinquième acte de Tancrède. L’auteur n’a, pour occuper la scène, que le danger de Tancrède et l’incertitude des événements. Argyre envoie les chevaliers le secourir. Aménaïde est partagée entre la crainte et l’espérance. Sa confidente vient lui apprendre la victoire de son amant. Aménaïde se livre aux transports de sa joie ; et le retour d’Aldanon, qui lui annonce que Tancrède est blessé mortellement, la rejette dans le désespoir.

Il faudrait parcourir les pièces de Racine et de Voltaire pour faire voir toutes les finesses de l’art dramatique ; et dans le comique, il n’y a pas une seule des bonnes pièces de Molière qui ne fasse admirer toutes les ressources de son génie et les finesses de son art.

Poème dramatique.

Le poème dramatique, représentation d’actions merveilleuses, héroïques ou bourgeoises, est ainsi nommé du mot grec δραμα (drama), action, représentation, parce que, dans cette espèce de poème, on ne raconte point l’action comme dans l’épopée, mais qu’on la montre elle-même dans les personnages qui la représentent.

L’action dramatique est soumise aux yeux et doit se peindre comme la vérité : or, le jugement des yeux, en fait de spectacle, est infiniment plus redoutable que celui des oreilles. Cela est si vrai que, dans les drames même, on met en récit ce qui serait peu vraisemblable en spectacle. On dit seulement qu’Hippolyte a été attaqué par un monstre et déchiré par ses chevaux, parce que, si on eût voulu représenter cet événement plutôt que le raconter, il y aurait eu une infinité de petites circonstances qui auraient trahi l’art et changé la pitié en risée. Le précepte d’Horace y est formel ; et quand Horace ne l’aurait point dit, la raison le dit assez.

On y exige encore, non seulement que l’action soit une, mais qu’elle se passe toute en un même jour, en un même lieu. La raison de tout cela est dans l’imitation. Comme toute l’action se passe en un lieu, ce lieu doit être convenable à la qualité des acteurs. Si ce sont des bergers, la scène est un paysage ; celle des rois est un palais : ainsi du reste. Pourvu qu’on conserve le caractère du lieu, il est permis de l’embellir de toutes les richesses de l’art ; les couleurs et la perspective en font toute la dépense : cependant il faut que les mœurs des acteurs soient peintes dans la même scène, qu’il y ait une juste proportion entre la demeure et le maître qui l’habite, qu’on y remarque les usages des temps, des pays, des nations. Un Américain ne doit être ni vêtu ni logé comme un Français, ni un Français comme un ancien Romain, ni même comme un Espagnol moderne. Si on n’a point de modèle, il faut s’en figurer un, conformément à l’idée que peuvent en avoir les spectateurs.

Les deux principales espèces de poèmes dramatiques sont la tragédie et la comédie, ou, comme disaient les anciens, le cothurne et le brodequin.

La tragédie partage avec l’épopée la grandeur et l’importance de l’action, et n’en diffère que par le dramatique seulement ; elle imite le beau, le grand ; la comédie imite le ridicule ; l’une élève l’âme et forme le cœur, l’autre polit les mœurs et corrige les dehors. La tragédie nous humanise par la compassion, et nous retient par la crainte ; la comédie ôte le masque à demi, et nous présente adroitement le miroir. La tragédie ne fait pas rire, parce que les sottises des grands sont presque toujours des malheurs publics :

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

La comédie fait rire, parce que les sottises des petits ne sont que des sottises : on n’en craint point les suites. La tragédie excite la terreur et la pitié ; ce qui est signifié par le nom même de tragédie. La comédie fait rire ; et c’est ce qui la rend comique ou comédie.

Au reste, la poésie dramatique fit plus de progrès depuis 1635 jusqu’en 1665 ; elle se perfectionna plus en ces trente années-là, qu’elle ne l’avait fait dans les trois siècles précédents. Rotrou parut en même temps que Corneille ; Racine, Molière et Quinault vinrent bientôt après. Mais il est inutile d’entrer ici dans de plus grands détails.

Pièce de théâtre.

C’est le nom qu’on donne à la fable d’une tragédie ou d’une comédie, ou à l’action qui y est représentée. Chambers ajoute que ce mot se prend plus particulièrement pour signifier le nœud ou l’intrigue qui fait la difficulté et l’embarras d’un poème dramatique. Cette acception du mot de pièce peut avoir lieu en Angleterre ; mais elle n’est pas reçue parmi nous. Par pièce, nous entendons le poème dramatique tout entier ; et nous comprenons les tragédies, les comédies, les opéras, même les opéras comiques, sous le nom générique de pièces de théâtre.

On appelle aussi pièces de poésie certains ouvrages en vers d’une médiocre longueur.

Plan.

C’est le nom que l’on donne au tissu d’une pièce de théâtre, dont le plan est jeté sur le papier, distribué en actes divisés par scènes, et dont l’objet est clairement indiqué par l’auteur. On trouve, dans les œuvres de Racine, le canevas du premier acte d’Iphigénie en Tauride, qui peut servir de modèle.

Canevas.

Le plan est la distribution du sujet dramatique qu’on veut traiter dans ses parties conformément aux règles du théâtre, c’est-à-dire, en actes et en scènes. Si l’on est bien rempli de son sujet, si on l’a médité longtemps, on n’aura pas de peine, dit Horace, à l’arranger et à le traiter ensuite avec la clarté et la noblesse convenables.

                Cui lecta potenter erit res,
Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo.

Il faut bien discerner le moment où l’action doit commencer et où elle doit finir, bien choisir le nœud qui doit l’embarrasser et l’incident principal qui doit la dénouer, considérer de quels personnages secondaires on aura besoin pour mieux faire briller le principal, bien assurer le caractère qu’on veut leur donner. Cela fait, on divise son sujet par actes et les actes par scènes, de manière que chaque acte, quelque grandes situations qu’il amène, en fasse attendre encore de plus grandes, et laisse toujours le spectateur dans l’inquiétude de ce qui doit arriver jusqu’à l’entier dénouement. Le premier acte est toujours destiné à l’exposition du sujet ; mais, dans les autres, il est de l’art du poète de ménager dans chacun, des situations intéressantes, de grands troubles de passions, et des choses qui fassent spectacle. En conséquence, on distribue les scènes de chaque acte, faisant venir pour chacune les personnages qui y sont nécessaires ; observant qu’aucun ne s’y montre sans raison, n’y parle que conformément à sa dignité, à son caractère, n’y dise que ce qui est convenable et qui tend à augmenter l’intérêt de l’action.

Les parties du drame étant ainsi esquissées, ses actes bien marqués, ses incidents bien ménagés et enchaînés les uns aux autres, ses scènes bien liées, bien amenées, tous ses caractères bien dessinés, il ne reste plus au poète que les vers à composer. C’est ce que le grand Corneille trouvait de moindre dans une tragédie. Quand l’échafaudage d’une de ses pièces était dressé, qu’il en avait tracé le plan : « Ma pièce est faite, disait-il ; je n’ai plus que les vers à faire. »

Aristote donne l’idée d’un plan de drame dans sa poétique, mais tracé seulement en grand et sans descendre dans les détails. Soit que l’on travaille, dit-il, sur un sujet connu, soit que l’on en tente un nouveau, il faut commencer par esquisser la fable et penser ensuite aux épisodes ou circonstances qui doivent l’étendre.

Est-ce une tragédie ? Dites : Une jeune princesse est conduite sur un autel pour y être immolée ; mais elle disparaît tout à coup aux yeux des spectateurs, et elle est transportée dans un pays où la coutume est de sacrifier les étrangers à la déesse qu’on y adore. On la fait prêtresse. Quelques années après, le frère de cette princesse arrive dans ce pays ; il est saisi par les habitants et sur le point d’être sacrifié par les mains de sa sœur. Il s’écrie : « Ce n’est donc pas assez que ma sœur ait été sacrifiée, il faut que je le sois aussi ! » À ce mot il est reconnu et sauvé.

Mais pourquoi la princesse avait-elle été condamnée à mourir sur un autel ?

Pourquoi immole-t-on les étrangers dans la terre barbare où son frère la rencontre ?

Comment a-t-il été pris ?

Il vient pour obéir à un oracle ; et pourquoi cet oracle ?

Il est reconnu par sa sœur ; mais cette reconnaissance ne pouvait-elle se faire autrement ?

Toutes ces choses sont hors du sujet ; il faut les suppléer dans la fable.

Selon le même Aristote, il faut dresser tout le plan de son sujet, le mettre par écrit le plus exactement qu’on le peut, et le faire passer tout entier sous ses yeux ; car en voyant ainsi nous-mêmes très clairement toutes ses parties, comme si nous étions mêlés dans l’action, nous trouverons bien sûrement ce qui sied, et nous remarquerons jusqu’aux moindres défauts et jusqu’aux moindres contrariétés qui pourraient nous être échappées.

Il veut encore qu’en composant on imite les gestes et l’action de ceux qu’on fait parler ; car, de deux hommes qui seront d’un égal génie, celui qui se mettra dans la passion sera toujours plus persuasif : et une preuve de cela, c’est que celui qui est véritablement agité, agite de même ceux qui l’écoutent ; celui qui est en colère, ne manque jamais d’exciter les mêmes mouvements dans le cœur des spectateurs.

Une invention purement raisonnable, dit le grand Corneille, peut être très mauvaise ; une invention théâtrale que la raison condamne dans l’examen, peut faire un très grand effet : c’est que l’imagination émanée de la grandeur du spectacle se demande rarement compte de son plaisir.

Si, dans le plan qu’on trace de son sujet, on commence par une situation forte, il faut que tout le reste soit de la même vigueur, ou il languira. Il est donc bien essentiel, en crayonnant son dessin, de ménager les situations de manière qu’elles deviennent toujours plus frappantes, plus intéressantes, plus terribles. Il faut commencer par le plus faible pour aller par degrés au plus fort.

Le plan d’un drame peut être fait et très bien fait, sans que le poète sache rien encore du caractère qu’il attachera à ses personnages. Des hommes de différents caractères sont tous les jours exposés à un même événement. Celui qui sacrifie sa fille peut être ambitieux, faible ou féroce ; celui qui a perdu son argent peut être riche ou pauvre ; celui qui craint ; pour sa maîtresse, bourgeois ou héros, tendre ou jaloux, prince ou valet : c’est au poète à se décider pour l’un ou pour l’autre.

Une des meilleures règles pour bien former un plan, c’est de diviser l’action principale en cinq parties bien distinctes, qui fassent autant de tableaux différents qui ne se confondent pas les uns dans les autres, et qui mettent une espèce d’unité dans chaque acte. Cette méthode produit nécessairement deux effets ; elle facilite l’attention du spectateur, parce que les choses, plus liées entre elles, se lient aussi plus facilement dans son esprit ; et elle augmente d’ailleurs son émotion, parce qu’il est frappé plus continûment par le même endroit.

Sujet.

Le sujet est ce que les anciens ont nommé, dans le poème dramatique, la fable, et ce que nous nommons encore l’histoire ou le roman : c’est le fonds principal de l’action d’une tragédie ou d’une comédie. Tous les sujets frappants dans l’histoire ou dans la fable ne peuvent point toujours paraître heureusement sur la scène : en effet, leur beauté dépend souvent de quelque circonstance que le théâtre ne peut souffrir. Le poète ne peut retrancher ou ajouter à son sujet, parce qu’il n’est point d’une nécessité absolue que la scène donne les choses comme elles ont été, mais seulement comme elles ont pu être.

On peut distinguer plusieurs sortes de sujets ; les uns sont d’incidents, les autres de passions : il y a des sujets qui admettent tout à la fois les incidents et les passions.

C’est un sujet d’incidents, lorsque, d’acte en acte et presque de scène en scène, il arrive quelque chose de nouveau dans l’action ; c’est un sujet de passion, quand, d’un fonds simple en apparence, le poète a l’art de faire sortir des mouvements rapides et extraordinaires, qui portent l’épouvante ou l’admiration dans l’âme des spectateurs.

Enfin, les sujets mixtes sont ceux qui produisent en même temps la surprise des incidents et le trouble des passions. Il est hors de doute que les sujets mixtes sont les meilleurs et se soutiennent le mieux.

Roman.

C’est le nom qu’on donne quelquefois au tissu d’événements qui entrent dans l’action. Ce mot sert aussi quelquefois à désigner les pièces dont le fonds est un roman connu, telles que sont la plupart des pièces de La Chaussée.

Fable.

C’est, dans la poétique d’Aristote, une des six parties de la tragédie ; il en définit la composition des choses. Il divise les fables, en fables simples et en fables implexes ; il appelle simples, les actions qui, étant continues et unies, finissent sans reconnaissance et sans révolutions ; il appelle implexes, celles qui ont la révolution ou la reconnaissance, ou, mieux encore, toutes les deux.

Dans la fable simple, il n’y point de révolution décisive ; les choses y suivent un même cours, comme dans Atrée. Celui qui méditait de se venger, se venge ; celui qui, dès le commencement, était dans le malheur, y succombe : et tout est fini. L’inconvénient de ces sortes de fables, c’est qu’elles ne portent pas assez loin la terreur et la pitié.

La fable implexe est à révolution simple ou à révolution composée. Dans le premier cas, s’il n’y a qu’un personnage principal, il est vertueux, ou méchant, ou mixte ; et il passe d’un état heureux à un état malheureux, ou au contraire. S’il y a deux personnages principaux, l’un et l’autre passent de la bonne à la mauvaise fortune, ou de la mauvaise à la bonne ; ou la fortune de l’un persiste, tandis que celle de l’autre change ; et ces combinaisons se multiplient par la qualité des personnages, dont chacun peut être méchant ou bon, ou mêlé de vices et de vertus.

La fable à révolution composée ou double, doit avoir deux personnages principaux, bons, mauvais ou mixtes, et la même révolution doit les faire changer de fortune en sens contraire.

Dans la fable unie et simple, si l’on représente le malheur du méchant, ce malheur n’inspire ni pitié ni terreur ; nous le regardons comme la juste punition de son crime. Si c’est l’homme de bien qu’on nous retrace dans le malheur et la disgrâce, son malheur, à la vérité, nous afflige et nous épouvante, mais comme ce malheur ne change par aucune révolution, il nous attriste, nous décourage, et finit par nous révolter. Il ne reste donc à la fable simple que le malheur d’un personnage mixte, c’est-à-dire qui ne soit ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant.

Dans les fables à double révolution, il faut éviter de faire entrer deux principaux personnages de même qualité, car si, de ces deux hommes également bons ou mauvais, ou mêlés de vices et de vertus, l’un devient heureux et l’autre malheureux, l’impression de deux événements opposés se contrarie et se détruit. On ne sait plus si l’on doit s’affliger ou se réjouir, ni ce qu’on doit craindre ou espérer.

Il faut éviter aussi d’y faire périr l’homme de bien et prospérer le méchant ; mais il faut observer la règle contraire, c’est-à-dire, que le méchant tombe dans l’infortune, et que le juste, le vertueux, pour qui on s’intéresse, passe du malheur à la prospérité. C’est ainsi que la vertueuse Iphigénie, qu’on tremble de voir immolée selon l’oracle de Calchas, se trouve sauvée ; et Ériphile sa rivale, injuste et méchante, se trouve, par la même révolution, la malheureuse victime désignée par l’oracle ; et elle s’immole elle-même de rage et de dépit.

La fable tragique, selon Aristote, peut se combiner de quatre manières différentes : la première, lorsque le crime s’achève ; la seconde, lorsqu’il ne s’achève pas ; la troisième, quand il est commis sans connaissance et comme involontairement ; la quatrième enfin, quand il est commis de propos délibéré. Dans toutes ces combinaisons, le poète habile peut trouver de l’intéressant et du pathétique.

Dans Œdipe, le crime est commis avant d’être connu ; et la connaissance qu’en ont ensuite ceux qui l’ont commis, cause la plus grande terreur dans le dénouement.

Dans Mérope et dans Iphigénie en Tauride, le crime est reconnu avant d’être commis ; Mérope reconnaît son fils Égiste sur le point de l’immoler. Iphigénie reconnaît de même Oreste son frère, au moment où elle va le sacrifier. Cette reconnaissance empêche le crime de se consommer ; mais le spectateur n’en a pas moins frémi sur le sort d’Égiste et d’Oreste ; et le but de la tragédie est également rempli dans ces fables.

Le grand Corneille a inventé une autre combinaison pour la fable tragique, ou, si l’on veut, un autre genre de fable : c’est celle où le crime, entrepris avec connaissance de cause, ne s’achève pas. La fin de ces sortes de fables n’a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du spectacle, au plus grand pathétique et aux plus fortes émotions de l’âme, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime. Il faut observer, dans cette sorte de fable, que celui qui a entrepris le crime ne l’abandonne pas par un simple changement de volonté, mais qu’il en soit empêché, par une cause étrangère.

La fable de la comédie consiste dans l’exposition d’une action prise de la vie ordinaire, dans le choix des caractères, dans l’intrigue, les incidents, etc., au moyen desquels on parvient à faire sortir le ridicule d’un vice quelconque, si le sujet est vraiment comique, ou à développer, divers sentiments du cœur, si le sujet n’est pas véritablement comique.

La fable, soit tragique, soit comique, est ce qu’on appelle plus ordinairement le roman de la pièce.