(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Banville, Théodore de (1823-1891)

[Bibliographie]

Les Cariatides (1842). — Les Stalactites (1846). — Les Nations, opéra-ballet (1851). — Le Feuilleton d’Aristophane, avec Philoxène Boyer (1852). — Les Saltimbanques (1853). — Les Odelettes (1856). — Le Beau Léandre, un acte en vers (1865). — Odes funambulesques (Alençon, 1857). — Poésies complètes (1857). — Le Cousin du Roi, avec Philoxène Boyer (1857). — Odes funambulesques, édition revue et augmentée (1859). — Esquisses parisiennes (1809). — Diane au bois, comédie héroïque (1863). — Les Fourberies de Nérine, comédie (1864). — La Pomme, comédie (1866). — Gringoire, comédie (1866). — Les Exilés (1866). — Les Parisiennes de Paris (1866). — Les Camées parisiens (1866). — Nouvelles Odes funambulesques (1869). — Florise (1870). — Idylles prussiennes (1871). — Petit Traité de poésie française (1879). — Les Princesses (1874). — Trente-six ballades joyeuses (1875). — Déidamia, comédie (1876). — Comédies (1879). — Contes pour les femmes (1881). — Contes féeriques (1889). — Mes souvenirs (1889). — Contes héroïques (1884). — Dames et demoiselles et Fables choisies, mises en prose (1886). — Le Forgeron, scènes héroïques (1887). — Madame Robert (1887). — Le Baiser, comédie en vers (1888). — Scènes de la vie : Les Belles Poupées (1888). — Les Cariatides ; Roses de Noël (1889). Les Exilés ; Les Princesses (1890) — Petites études ; L’Âme de Paris ; Nouveaux Souvenirs (1890). — Poésies nouvelles ; Sonnailles et clochettes (1890). — Le Sang de la coupe ; Trente-six ballades joyeuses ; Le Baiser (1890). — Marcel Rabe (1891). — Idylles prussiennes ; Riquet à la Houppe (1891). — Occidentales ; Rimes dorées (1891). — Dans la fournaise (1892). — Ésope, comédie en trois actes (1898).

OPINIONS.

Charles Baudelaire

À Théodore de Banville.

Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet qu’on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,
Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.

L’œil clair et plein du feu de la précocité,
Vous avez prélassé votre orgueil d’architecte
Dans des constructions dont l’audace correcte
Fait voir quelle sera votre maturité.

Poète, votre sang nous luit par chaque pore ;
Est-ce que par hasard la robe du Centaure,
Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau,

Était teinte trois fois dans les baves subtiles
De ces vindicatifs et monstrueux reptiles
Que le petit Hercule étranglait au berceau ?
[Pièce — 1842 — insérée plus tard dans l’édition définitive des Fleurs du mal ().]

Charles Asselineau

Le livre dont je vais parler (les Odelettes) n’a pas soixante pages ; c’est un recueil de douze à quinze pièces de poésie, dont la plus longue n’excède pas quatre-vingt vers. Tout ce que je voudrais, à propos de ce souvenir, de cette carte de visite poétique adressée à quelques amis et à un petit nombre de lecteurs d’élite, ce serait de marquer dans la littérature contemporaine la place d’un poète auquel il me semble qu’on n’a pas jusqu’ici rendu pleine justice. Non pas qu’en prenant ce petit livre pour prétexte de quelques considérations générales, je veuille dire qu’il n’a que la valeur d’un prétexte : jamais le talent de l’auteur des Cariatides et des Stalactites n’a été ni plus complet, ni plus puissant ; jamais ce but qu’il a constamment poursuivi, de la correction dans la forme, et surtout de la correction dans l’imprévu, n’a été mieux atteint. Jamais les difficultés, cherchées et multipliées à plaisir d’artiste, de la prosodie et du rythme n’ont été mieux déguisées par la simplicité mélodique du sentiment ; et jamais la banalité du sentiment éternel n’a été mieux relevée par la recherche, la complication adroite de l’art… Aujourd’hui, M. de Banville, après avoir publié deux livres de poésies remarquables, et répandu dans les journaux, dans les revues, de nombreuses pages d’une prose savante, correcte, pleine de nombre et de mouvement, est encore considéré par bien des gens comme un jeune écrivain dont le talent promet. Évidemment, il y a là une inégalité, une injustice, un fatum… On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître, dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction ne s’est interposée entre le poète et son but… Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue, M. Théodore de Banville a retenu le second, et l’on peut certainement dire qu’après Théophile Gautier il est celui qui l’a le mieux compris et le mieux appliqué.

[La Revue française (année 1856, 6e vol.).]

Victor Hugo

Je viens de lire vos Odes. Donnez-leur l’épithète que vous voudrez, (celle que vous avez choisie est charmante), mais sachez bien que vous avez construit là un des monuments lyriques du siècle. J’ai lu votre ravissant livre d’un bout à l’autre, d’un trait, sans m’arrêter. J’en ai l’ivresse en ce moment, et je me dirais presque que j’ai trop bu ; mais non, on ne boit jamais trop à cette coupe d’or de l’idéal. Oui, vous avez fait un livre exquis. Que de sagesse dans ce rire, que de raison dans cette démence, et sous ces grimaces, quel masque douloureux et sévère de l’art et de la pensée indignée ! Je vous aime, poète, et je vous remercie d’avoir sculpté mon nom dans ce marbre et dans ce bronze, et je vous embrasse.

[Hauteville-house, 15 mars 1857.]

Auguste Vacquerie

À Théodore de Banville, après la lecture de ses Odes funambulesques.
Ton volume éclate de rire,
Mais le beau rayonne à travers.
J’aime ce carnaval du vers
Où l’Ode se masque en satire.

C’est méchant et c’est excellent !
C’est la ruade et l’étincelle,
Le coup de poing et le coup d’aile ;
Ça fredonne, même en ronflant.

C’est le babil de toutes choses,
De l’éteignoir et du flambeau ;
C’est le laid qui devient le beau ;
C’est le fumier frère des roses !

C’est l’idéal dans le réel ;
C’est la Vérité qui s’insurge ;
C’est insolent comme Panurge
Et c’est charmant comme Ariel !

C’est Rosalinde qui s’enivre !
C’est la rue et c’est le château ;
Ah ! Téniers dispute à Watteau
L’illustration de ton livre.

Derrière la strophe où tu ris
De mêler l’ortie aux pervenches,
On voit, en écartant les branches,
Régnier embrasser Lycoris.

C’est tous les jurons de l’auberge
Et toutes les chansons du bois.
Un funambule par endroits
Danse sur un fil de la Vierge.

Bottom, à vingt ânes pareils,
Tend son dos à Puck qui le monte,
Et Scapin bâtonne Géronte
Avec un rayon de soleil !
[Odes funambulesques (2e édition, ).]

Hippolyte Babou

Les Odes funambulesques, c’est vous trait pour trait, c’est vous tout entier, avec votre fougue savante et votre lyrisme excessif, avec vos gammes tournoyantes d’allégresse, avec cette double force native qui ne s’est révélée qu’à demi, je le crois, dans les Cariatides et dans les Odelettes… J’ai entendu dire un jour à quelqu’un, qui songeait sans doute au vers de Boileau :

La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir,

que vous étiez le commandeur de la rime. Le mot serait juste en supposant que la rime fût une esclave maîtresse, battue et caressée de la même main vigoureuse. Je n’ajouterai rien à ce genre d’éloges. Vous avez montré, selon moi, dans les Odes funambulesques, un mérite plus rare et plus imprévu, mérite singulier que je ne puis exprimer suffisamment que par des comparaisons très singulières. En fermant votre livre, je suis poursuivi par trois images qui résument mes impressions. Je vois la Vénus de Milo jouant Colombine, le Bacchus indien mimant Arlequin, et l’Apollon du Belvédère avec les deux bosses de Polichinelle. Si Vénus, sans rien perdre de sa beauté, savait détacher un coup de pied comme Deburau, elle serait la vraie Muse, la Muse pindaricomique des Odes funambulesques.

[Revue française (1er avril ).]

Charles Baudelaire

J’ai dit, je ne sais plus où : « La poésie de Banville représente les belles heures de la vie, c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre »Banville seul, je l’ai déjà dit, est purement, naturellement et volontairement lyrique. Il est retourné aux moyens anciens d’expression poétique, les trouvant sans doute tout à fait suffisants et parfaitement adaptés à son but.

[L’Art romantique ().]

Théophile Gautier

Banville est exclusivement poète ; pour lui, la prose semble ne pas exister ; il peut dire, comme Ovide : « Chaque phrase que j’essayais d’écrire était un vers ». De naissance, il eut le don de cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas ; et de la poésie il possède la note la plus rare, la plus ailée, le lyrisme. Il est en effet lyrique, invinciblement lyrique, et partout et toujours, et presque malgré lui, pour ainsi dire. Comme Euphorion, le symbolique enfant de Faust et d’Hélène, il voltige au-dessus des fleurs de la prairie, enlevé par des souffles qui gonflent sa draperie aux couleurs changeantes et prismatiques. Incapable de maîtriser son essor, il ne peut effleurer la terre du pied sans rebondir aussitôt jusqu’au ciel et se perdre dans la poussière dorée d’un rayon lumineux.

[Rapport sur le progrès des lettres et des sciences, par MM. Sylvestre de Sacy, Paul Féval et Théophile Gautier et Édouard Thierry ().]

Jean Prouvaire

Déidamia : Le poète du Sang de la coupe et des Exilés n’a jamais été plus brillant ni plus hautain. Est-il besoin de dire que l’Aristophane, mêlé dans Théodore de Banville au lyrique Pindare, a semé dans l’œuvre nouvelle plus d’une scène joyeuse et cent morceaux piquants ?

[La République des lettres (19 novembre ).]

Francisque Sarcey

Personne ne rend plus justice que moi à la prodigieuse habileté que M. de Banville déploie dans l’art de faire le vers. Mais j’en reviens toujours là : la poésie ne me plaît au théâtre que si elle a les qualités exigées pour le théâtre, si elle est en situation, si elle exprime des sentiments qui touchent, si elle va au cœur.

[Sur Déidamia. — Le Temps (27 novembre).]

Maurice Bouchor

À Théodore de Banville.

Lorsque morions ou salades
Coiffaient pédaille et chevalier,
Furent faites maintes ballades
Par le très joyeux bachelier
Que le temps ne peut oublier ;
J’ai lu cent poèmes sublimes
Qu’hier on a vu publier.
Mais Banville est le roi des rimes,

Les rimes sont parfois maussades ;
Il les faut alors supplier,
Les noyant d’autant de rasades
Qu’en eût pu boire un templier ;
Elles sont dures à plier
À de si savantes escrimes
Boileau n’est qu’un écolier :
Mais Banville est le roi des rimes.
Celui-ci, l’homme des boutades,
A recours aux vers familiers ;
Cet autre dans ses incartades
Est près de vider l’étrier :
Il a beau suer et crier,
Pégase va droit aux abîmes
Pour y jeter son cavalier….
Mais Banville est le roi des rimes.

ENVOI

Prince, ton or a beau briller ;
Augmente impôts, tailles et dîmes !
Tu peux butiner et piller.
Mais Banville est le roi des rimes.
[La République des lettres (24 décembre ).]

Jules Lemaître

M. Théodore de Banville est un poète lyrique hypnotisé par la rime, le dernier venu, le plus amusé et dans ses bons jours le plus amusant des romantiques, un clown en poésie qui a eu dans sa vie plusieurs idées, dont la plus persistante a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers… M. Théodore de Banville célèbre uniquement, sans arrière-pensée — et même sans pensée — la gloire et la beauté des choses dans des rythmes magnifiques et joyeux. Cela est fort remarquable, et cela l’est devenu, par ce temps de morosité, d’inquiétude et de complication intellectuelle. Vraiment il plane et n’effleure que la surface brillante de l’univers, comme un dieu innocent et ignorant de ce qui est au-dessous, ou plutôt comme un être paradoxal et fantasque, un porte-lauriers pour de bon qui se promène dans la vie comme dans un rêve magnifique et à qui la réalité, même contemporaine n’apparaît qu’à travers des souvenirs de mythologie, des voiles éclatants et transparents qui la colorent et l’agrandissent. Sa poésie est somptueuse et bienfaisante. Et comme le sentiment de la beauté extérieur et le divin jeu des rimes, s’ils ne sont pas toute la poésie, en sont du moins une partie essentielle, M. de Banville a été, à certaines heures, un grand poète et a plusieurs fois, comme il le dit volontiers, heurté les astres du front.

[Les Contemporains (1886-).]

Émile Faguet

À propos du Baiser : Malgré tout le talent de M. de Banville et malgré toute la considération qui s’attache à son nom, on ne l’aurait pas écouté bien longtemps, et il le sait parfaitement. Déjà, je crois devoir le dire, pour tout dire, dans ce petit poème si court, arrivés au monologue final de Pierrot, j’affirme qu’il y avait parmi nous, çà et là, des traces, je ne dirais pas de lassitude, non, mais d’un commencement de légère indifférence.

[Le Théâtre contemporain ().]

Jules Barbey d’Aurevilly

Tout le monde sait la place que l’auteur des Cariatides et des Stalactites occupe dans la poésie française, et cette place, même ceux qui ne vibrent pas en accord parfait avec sa poésie, ne la lui contestent pas. Quelle que soit la manière dont elle doive le juger un jour, l’Histoire littéraire la lui conservera. Pour ceux qui viendront après nous comme pour nous, M. Théodore de Banville aura fait partie de cette brillante Heptarchie de poètes qui ont régné sur la France vers le milieu de ce siècle et dont on ne voit point les successeurs… Les autres ont déshonoré la Poésie dans les viletés de la politique, ou l’ont ridiculisée en devenant académiciens. M. Théodore de Banville n’a voulu qu’être poète et rien que poète. C’est du marbre aussi, cela ! — L’inspiration du poète qui était allé des Cariatides aux Odes funambulesques et s’était risqué avec tant de hardiesse sur ce dangereux trapèze lyrique, cette inspiration était bien connue. Elle avait trente ans de rayonnement. On n’imaginait pas qu’elle pût jamais changer dans le poète, et, pourtant, ce rare phénomène s’est accompli !… L’auteur des Cariatides a rejeté son entablement. L’aurait-on prévu jamais ? L’homme des Idylles prussiennes est sorti de l’homme des Odes funambulesques  ! Ce corps souple — ce trop de corps ! — a trouvé cette âme. Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de la vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, comme certainement jusque-là il ne l’avait jamais été !…

M. Théodore de Banville a, de nature, l’imagination joyeuse. Il a un diamant de gaîté qui rit et lutine de ses feux, et cela le met à part dans l’Heptarchie romantique… La gaîté de M. de Banville rit sans malice. Elle se soucie bien de la réalité ! Elle rit avec des dents d’opale qui n’ont jamais rien coupé ni rien mordu. Le poète lyrique exceptionnel qu’il est rit dans le bleu comme il y gambade ; car il y gambade ! mais j’aime mieux l’y voir rire que de l’y voir gambader… Nous arrivons à ces Idylles prussiennes qui ont fait tout à coup surgir de Banville comme un Banville qu’on ne connaissait pas… Toutes les pièces de ce recueil d’Idylles sont superbes et d’un pathétique d’autant plus grand que le désespoir y est plus fort que l’espérance ; qu’il y a bien ici, à quelques rares moments, des volontés, des redressements et des enragements d’espérance, mais tout cela a l’air de s’étouffer dans le cœur et la voix du poète, et on épouse sa sensation… Les hommes sont si faibles et ont tant besoin d’espérer, que c’est peut-être ce qui a fait un tort relatif aux Idylles prussiennes de M. Théodore de Banville. Le fait est que ces poésies d’une si mâle inspiration ont moins résonné dans les oreilles de tout le monde que les poésies de M. Déroulède, par exemple.

[Les Œuvres et les Hommes : les Poètes ().]

Charles Morice

Ce n’est pas assez de dire que M. Théodore de Banville est le plus grand des poètes vivants qui ont réalisé leur œuvre, je crois qu’il a pour âme la poésie elle-même. Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ? — Le poète des Exilés et des Odes funambulesques a sauvé le Parnasse du possible ridicule où son allure guindée l’eût entraîné, et, sachant que la mélancolie n’est pas le dernier but de l’Art, lui a ouvert le chemin vers cette aurore où tout se rajeunira : la Joie. Ce mot suffirait pour indiquer le rang magnifique du poète : il a la joie !

[La Littérature de tout à l’heure ().]

Gabriel Mourey

M. de Banville — cette perruque chauve — tient un cours de cuisine poétique.

[Entretiens politiques et littéraires (1er septembre ).]

Anonyme

Le vénérable M. de Banville a cru devoir réunir en un volume ses hebdomadaires vaticinations de l’Écho de Paris (journal des poètes, dit-on, ce qu’on ne croirait guère, vu la copieuse quantité de mauvais vers qui s’y publient). En quelques mots bénins, l’auteur prévient qu’il sied parfois de répandre de riches rimes pour trois sous ; et partant il avoue les avoir accrochées à de vulgaires et très compréhensibles sujets. Banville s’imagine donc avoir fait parfois autre chose ?

[Entretiens politiques et littéraires (1er novembre ).]

Bernard Lazare

En somme, c’est (Théodore de Banville) une pauvre cervelle d’oiseau, pitoyable plutôt que détestable.

[Entretiens politiques et littéraires (1er décembre ).]

Marcel Fouquier

Avec Laprade et M. Arsène Houssaye, M. Théodore de Banville a été un des premiers poètes de ce temps qui aient suivi les traces de Chénier aux pentes fleuries de l’Hymette où Béranger n’éveilla pas les abeilles, un des premiers à faire sur des sujets antiques des vers nouveaux, ce qui fut la gloire vraie de Chénier. M. Théodore de Banville a été ébloui et séduit par la splendeur de la ligne dans l’art grec, dans la statuaire comme dans la pensée. Seulement s’il a connu, jeune, l’adoration mystique de la ligne, il a eu aussi la folle passion de la couleur.

[Profits et portraits ().]

Anonyme

Il nous revient de tous côtés que le nom de Chevillard, qui figurait sur un récent programme des concerts Lamoureux, abriterait de son pseudonyme transparent un des vétérans des lettres françaises, M. Théodore de Banville, le sympathique auteur de Sonnailles et clochettes .

[Entretiens politiques et littéraires (1er décembre ).]

Émile Besnus

C’est la Joie lyrique, immense, ivre encore, on dirait, du vin des rêves. Voyageur des contrées qui sont par-delà l’histoire, soudain transporté ici et qui, à peine dépaysé, exempt d’étonnements, continue d’apercevoir, à travers les choses présentes, l’enchantement de la patrie primitive, toujours ouverte à son souvenir…

Venu comme pour clore une époque, alors qu’on s’imaginait assister à la disparition progressive du romantisme, il en concentra les suprêmes lueurs défaillantes, plus intenses de leur sûre agonie, et nous laissa ce spectacle imprévu d’un trophée d’artifice merveilleux. Par lui, le cycle s’achevait en apothéose : Banville avait innové le romantisme flamboyant.

Par lui fut rallié Henri Heine à Ronsard.

La fable et la fantaisie ; toute l’irréalité magnifique, la Muse et la Bacchante, les mains unies ; une fête prolongée, travestie et nuptiale, sans l’amertume des lendemains, ni la lie des regrets, ni la cruauté des revers, — ainsi la vie ; l’Olympe et la Comédie italienne fraternisant parmi des plasticités somptueuses et les Dieux souriants, doux au bonheur des hommes, — ainsi la destinée… Ainsi se manifestait à ses yeux la splendeur des formes, une enfance du monde….

[L’Idée libre ().]

Camille Mauclair

Le génie féerique et fantaisiste de ce prince de lettres a de secrètes affinités avec celui de Villiers, le dédain paradoxal du réel et de l’utile les faisait fraternels, et l’on reviendra un jour sur cette parité de deux grands esprits.

[Mercure de France (janvier ).]

Emmanuel Signoret

Théodore de Banville exprima un peu de cette jeunesse des choses que regrettait si amèrement Baudelaire et vers qui s’élança toujours son cœur pesant, ulcéré et gonflé de tendresse. Mais le beau poète des Exilés eut des émerveillements d’enfant barbare. Bien souvent, il substitua la restauration de vieilles formes émotionnelles à la simple ivresse de créer. Néanmoins l’humanité retiendra le nom du divin poète qui chanta dans un jardin de joie, Erynna, le Festin des Dieux et l’Âme de Coelio, et qui écrivit aussi le Forgeron.

[Mercure de France (janvier ).]

Joachim Gasquet

Mieux que Hugo, Théodore de Banville a senti le rôle orphique du porte-lyre. Il a l’innocence du style. Son œuvre est d’un enseignement profond. Il faut lire les Exilés d’un cœur pieux et les relire en prenant conscience de la valeur métaphysique de nombreux mots splendides. L’art poétique, universel, idéal, qu’il grava sur les tables de marbre de son temple à Théophile Gautier, peut être considéré comme une manifestation essentielle du génie de Banville. Il mit tout son orgueil à devenir savant, à comprendre le murmure des choses. Le laurier de la Turbie le couronne. Il a contemplé les Muses vivantes. Voilà le maître intérieur auquel la jeune génération devrait dresser des autels secrets. Son esprit y descendrait tout entier. Mais peu l’aiment. On l’ignore. Il est temps qu’on le comprenne.

Ô poésie, ô ma mère mourante, chantait le pauvre cher maître, car il ne voyait plus, autour de lui, s’échapper des touffes prophétiques la gloire vivante comme au temps de Ronsard ; les larmes amoureuses que recueillait Racine ne brillaient plus sur la face de la Patrie ; on ne songeait pas à Vigny ; Lamartine venait de s’endormir dans son cercueil d’ivoire.

[L’Effort (15 janvier ).]

Edmond Pilon

Ô toi dont la geôle est pareille à la source
Qui coule nue et vive entre les cailloux clairs,
Banville, jeune dieu des époques de lumière,
Poète dont la voix tour à tour grave et douce
Disperse le sourire, la joie et la lumière,
Banville, sois béni entre les dieux du vers…
Ta statue est bâtie au palais des oiseaux,
Auprès des massifs frais de buis et d’anémones,
Le socle dans la mousse et le front aux couronnes
Que tressent les branchages et que mêlent les rameaux ;
D’antiques marbres blancs se cachent sous les saules’
Où rêve ton sourire, où de sur ton épaule
Chante le rossignol, face à face à tes eaux,
Banville, dieu des strophes, du rire et des oiseaux !

Le printanier soleil, dieu d’argent des beaux rythmes
Père des anémones, des jacinthes et des lis,
Inspirateur des odes et donneur des cadences.
Enlace ses rayons à ton socle où tu ris,
Monte — vif et radieux, — retombe, monte et danse,
Tel un elfe sur la pelouse Médicis.
Et toi, contemplateur des éphèbes, des naïades
Banville, fils d’Éros, fils des dieux, fils de Diane,
Comme un pasteur paisible qui rit à son troupeau.
Tu rêves, blanc et pur, à la source, aux oiseaux,’
Au vent qui passe en murmurant des voix anciennes,
Aux princesses de marbre éveillées au soleil,
À la belle Galathée, à l’immortel Acis,
Au sombre Polyphème penché sur la fontaine,
À la Grèce, au Parnasse, aux flûtes, aux abeilles.
Au furtif baiser des amants sous les treilles,
À l’admiration des jeunes gens — ô Maître
Qui viennent quelquefois songer, devant ton ombre,
À la gloire, à l’amour, aux danses, aux cadences
D’une poésie pure et radieuse comme toi-même.
[La Vogue (juillet ).]