XX. M. de Montalembert22
I
M. le comte de Montalembert a publié les deux premiers volumes d’un livre qu’on n’attendait pas, à la place d’un livre qu’on n’attendait plus, Les Moines d’Occident se sont dégagés, peu à peu, de la pensée de leur auteur. Ils n’étaient point sa pensée première. La pensée première de M. de Montalembert, c’était Saint Bernard. Tout d’abord, et dès sa jeunesse, M. de Montalembert, qui avait commencé, avec tant de hasard, sa réputation par Sainte Élisabeth de Hongrie, ce vitrail de chapelle, sans couleur et sans naïveté, s’était promis d’écrire plus tard la vie de saint Bernard. Ce devait être l’œuvre et la couronne de son âge mûr. L’âge mûr est venu, mais n’a pas apporté sa couronne. Le Saint Bernard de M. de Montalembert est resté dans les mêmes limbes, peut-être prudentes, où le Grégoire VII de M. Villemain est resté. Oserai-je dire que je le conçois et que je l’explique ? Saint Grégoire VII et saint Bernard sont deux grands et difficiles sujets qui demandent plus, pour les traiter dignement, que de l’art oratoire, et MM. Villemain et de Montalembert sont particulièrement ce qu’on appelle des orateurs. Ils le sont de talent, de goût et même de prétention, je crois.
Probablement ce furent les émotions et les applaudissements sur place de la tribune qui empêchèrent, pendant vingt années, M. de Montalembert de publier son Saint Bernard et de prétendre à une gloire moins instantanée et plus sévère. La misère de tout est que rien ne dure. La misère de la gloire qui vient par la parole, c’est que de toutes les gloires qui s’altèrent et qui passent, elle est celle-là qui passe et qui s’altère le plus. M. de Montalembert l’a-t-il compris, dans le veuvage de la tribune dont il est l’Arthémise et qu’on ne se rappelle guères maintenant que parce qu’il l’a pleuré ? L’ennui des loisirs que lui a faits le gouvernement de l’Action, substitué aux vaines parades de la parole, lui a-t-il fait comprendre qu’il faut revenir au livre, si l’on veut vivre plus de deux jours dans la mémoire des hommes, puisqu’enfin l’y voilà revenu ?
Mais malheureusement le livre auquel il revient n’est pas Saint Bernard. L’auteur a manqué à la promesse de sa jeunesse et au rêve de sa vie. Cela doit être triste pour lui. Cela doit être triste pour nous, car ce qu’il publie ne vaut pas ce qu’il eût publié, s’il avait écrit sur saint Bernard, et voici pourquoi. Par cela même qu’un sujet a moins d’étendue, tout homme intelligent qui y touche le creuse davantage. Il fait comme Napoléon à la guerre. Il concentre ses forces sur un point donné. Cela est d’autant plus vrai, que tout le monde, même intelligent, n’est pas taillé pour se permettre la grande histoire à la Tite-Live et à la Gibbon. Aux historiens d’haleine courte il reste la biographie ! M. de Montalembert, qui nous donne aujourd’hui Les Moines d’Occident, nous eût plus donné en nous donnant moins. Au lieu de tous les moines, nous en aurions mieux aimé un seul, mais frappé comme il eût pu l’être !
M. de Montalembert a eu l’ambition plus grande ou peut-être l’a-t-il eue plus petite… Qui sait ? Après avoir tâté ce fier sujet de saint Bernard, qui n’est pas un aérolithe tombé dans l’histoire, mais qui a des racines dans le passé, qu’il faut découvrir, et d’autres racines dans l’avenir, qu’il faut suivre encore, M. de Montalembert, à qui les habitudes oratoires ont ôté le degré d’attention nécessaire pour approfondir un sujet, a laissé là le sien, mais du moins a voulu utiliser les lectures qu’il avait faites pour le traiter. Les Moines d’Occident pourraient bien n’être que les documents et les notes dont le Saint Bernard devait sortir. Au lieu de la statue, nous avons… quoi ? la glaise avec laquelle on la prépare ! De cette glaise seulement, le sculpteur a moulé, d’un pouce plus modeste que hardi, une foule de petites statuettes à la file les unes des autres, bonnes tout au plus pour la planchette d’un oratoire. Mais la statue, la grande statue, — de marbre ou de bronze, — nous ne l’avons pas !
II
Et cette file de statuettes-pygmées va continuer. Les deux volumes de M. de Montalembert se terminent avant l’an 800. Or l’ouvrage, pour remplir son titre, doit aller jusqu’à la Révolution française, pour le moins, car après la mort des moines dans l’Occident, il y a (heureusement !) leur renaissance. Nous aurons donc, — agréable avenir ! — pendant dix volumes, de cinq cents pages chacun, une histoire faite avec des légendes de vingt lignes, — et je ne me plains pas des légendes, je ne me plains que de leur brièveté, — des légendes qui ne sont pas dorées, celles-là, car, vous le verrez tout à l’heure, elles sont écrites avec une main lourde et une encre opaque. Au lieu d’une histoire qui se tienne, comme une fresque, dans une unité brillante ou profonde, nous aurons une histoire, morcelée en panneaux étroits, avec un semis de petits médaillons, grands comme le fond de la main, et uniformément petits, quoique déjà il y ait, parmi tous ces moines oubliés de l’histoire, parmi toute cette masse immense de violettes de sainteté humble qui trouvent, elles ! leur naturelle encadrure dans la simple vignette d’un missel, deux à trois figures, comme celles de saint Benoît, de saint Grégoire, de saint Colomban, lesquelles, de grandeur, répugnent à entrer dans le cercle étranglant d’un médaillon, et qui, si on ose les y mettre, le font éclater !
Et ce n’est pas tout le mal encore. Le mal n’est pas d’avoir écrit une Histoire des moines d’Occident pour les besoins du microscope, ce qui est la faute de M. de Montalembert. Il y en a un autre qui est la faute du sujet, si faute on peut dire, mais que M. de Montalembert n’a pas diminuée. Cette faute, c’est que tous ces médaillons multipliés outre mesure, tous ces profils fuyants de moines, qui ne fuient pas assez, manquent de variété, et je prie qu’on soit attentif à la raison que j’en vais donner. Ils manquent de variété, parce que ces moines, qui furent des Saints, se ressemblent de la ressemblance absolue de leur perfection. Grands, tous ! devant Dieu par la foi, par l’abnégation, par l’œuvre collective, ils ont comme l’identité de la même vertu, de la même sagesse, de la même sainteté, et on pourrait tous les prendre les uns pour les autres, si Dieu n’avait pas donné à quelques-uns d’entre eux la différence qui compte devant l’Histoire, la différence ou d’un de ces caractères ou d’un de ces génies qui, en attendant l’égalité du Ciel, font la gloire et l’originalité parmi nous !
Oui, tout de même qu’en mer, en plaine ou sur le sommet d’une montagne, une implacable lumière éblouit et finit par produire au regard une monotonie douloureuse, de même ici cette implacable perfection des saints nous fatigue à contempler dans son invariabilité éternelle. Je l’ai dit, c’est la faute du sujet, mais rien chez celui qui nous le montre n’irise le rayon de cette perfection, sans tache et sans nuance, comme la lumière pure, pour nous le faire supporter ! M. de Montalembert, dans la conception et la construction de son livre, s’est donc brisé à deux écueils. Il l’a détaillé et rapetissé, croyant, bien à tort, qu’en rapetissant et en détaillant un sujet, on le fait mieux voir et mieux tenir, et il n’a pas su éviter la monotonie, la monotonie qui vient parfois de la beauté et de la profondeur des choses, mais que cette misérable petite créature éphémère, qui s’appelle l’homme, ne peut pas longtemps supporter !
Tel est le double défaut capital de l’histoire de M. de Montalembert. Il en a du reste senti la moitié. Il a senti le défaut qui ne venait pas de lui : la monotonie. Mais s’il convenait de celle-là, c’était une raison pour ne pas y ajouter la sienne. Dans une très longue introduction qui finit humblement, mais dont l’humilité se prolonge un peu trop et a l’air trop fanfare (je m’arrête à ce mot, qu’on pourrait allonger), M. de Montalembert a conscience de son œuvre. Le père est inquiet pour l’enfant. Il ne tremble pas pour son livre, oh ! je ne le crois pas si pusillanime que cela ! Mais il est visiblement embarrassé de ce qu’il deviendra et surtout de ce qu’il vaut. Embarras qui me touche, que j’épouse et que je partage, mais non tout entier, et à la manière paternelle. En effet, je ne sais guère, — pas plus que M. de Montalembert, — ce que deviendra son histoire ici présente, mais je crois savoir ce qu’elle vaut, et je veux même essayer, s’il veut bien me le permettre, de le lui montrer. Exalter l’œuvre éternellement glorieuse de l’Église, un livre enfin dont la doctrine est pure et le sentiment très droit. Mais, le fond orthodoxe du livre mis de côté, il reste aux yeux de la Critique littéraire… tout le livre, et le livre ne satisfait ni le critique ni même le chrétien, qui sait ce que peut être la prédication d’un livre bien fait. Le livre de M. de Montalembert a un tort suprême. Il répète ce qui a été dit mieux… C’est l’apologie des Ordres Religieux qu’on ne pourra jamais trop faire, quand on la fera bien ; mais cette apologie nouvelle est sans nouveauté. Elle est sans éclat, sans poésie, sans manière de tourner les choses ou de les retourner, car on les a vues dans ce sens-là bien des fois, — malheureusement bien des fois ! Après M. de Chateaubriand, ce n’est pas le Génie du christianisme, mais c’est le christianisme sans génie.
Assurément, si nous faisons de ce livre, tel quel, le catéchisme de l’ignorance, il sera intéressant encore. Les faits qu’il évoque sont si beaux ! Mais il s’agit de livre et non de catéchisme, de lettrés et non d’ignorants. Or, pour peu qu’on ait rafraîchi ou brûlé son front aux sublimes choses que le christianisme a fait jaillir de l’âme humaine, en y débordant, pour peu qu’on ait lu la Vie des Saints, les Pères du Désert, la Chronique des monastères, devenue en ces derniers temps de l’histoire sans laquelle il n’y a plus d’histoire d’aucune espèce, dans l’Europe désorientée, l’histoire des Moines d’Occident, de M. de Montalembert, ne paraîtra plus que ce qu’elle est, c’est-à-dire : plusieurs grands et puissants livres, diminués en un seul. Ne voilà-t-il pas un magnifique résultat !
Laissons pour le moment la composition même du livre, qui ne sait pas faire profondément et magistralement l’histoire d’une influence, sans se perdre dans les feux de file des faits, ou qui, faisant l’histoire des faits, s’y perd encore, car il ne peut les donner tous, et il n’y a pas de raisons pour qu’il choisisse plus les uns que les autres ; laissons cette maladroite succession de légendes qui ne fait pas l’unité d’un livre, car se suivre n’est pas s’enchaîner, et dans l’exécution de l’histoire de M. de Montalembert, demandons-nous ce qu’il y a de plus que des traductions assez fidèles et des transcriptions très honnêtes, car les notes du bas des pages, malgré leur place, sont supérieures à l’en-haut, et l’auteur n’a pas craint la comparaison !
Traductions et transcriptions ! rien de plus ! Mais à ces traductions fragmentées, nous aurions préféré une traduction intégrale des livres dont ces fragments sont tirés, et pour les transcriptions, c’est de même. Nous aimerions mieux lire chez eux qu’ici les auteurs que M. de Montalembert cite, parce que chez eux ils sont complets et qu’ici ils ne le sont pas. Parfois, cependant, il est vrai, M. de Montalembert ajoute quelque chose de son cru aux alluvions qu’il fait des autres. Je n’ai point oublié, par exemple, l’idée heureuse qui ouvre aux Moines la succession de ces deux grands Trépassés historiques, dont l’un est touchant et l’autre sublime, les Esclaves et les Martyrs. Je n’ai pas oublié non plus beaucoup de pages judicieuses, mais judicieuses dans tout ce que la signification de ce mot a de plus pédestre.
Ne vous y trompez pas ! Si la vue de l’auteur des Moines d’Occident s’élève ou si son style s’avise de briller, c’est qu’un autre que lui regarde par son œil et écrit par sa main ! Ainsi, quand il dégage (page 54, 2e vol.) le rapport saisissant de la règle de saint Benoît et de la Féodalité qui va naître, il est frappant, mais il exprime, de son aveu, une idée du P. Pitra, un moine de nos jours, un Mabillon moderne aussi savant que le Mabillon ancien, mais avec la poésie en sus ! Ainsi encore, lorsqu’il rapporte quelque miracle et qu’il le raconte avec une expression imposante, c’est que l’expression est de saint Grégoire le Grand, dont les lettres en cette histoire des Moines d’Occident font tout pâlir !
Ce n’est pas tout. Si un mot étincelant ou pénétrant y caractérise avec éclat ou profondeur une institution ou un homme, c’est que ce mot est de Bossuet, de Bossuet, qui fait rentrer du coup dans l’ombre toute la page où il est cité ! Si des erreurs y sont signalées comme celles-là que MM. Michelet et Alexis de Saint-Priest soufflèrent sur la mémoire de saint Colomban de leurs bouches puériles, accoutumées à faire des bulles de savon, c’est le doigt béni de cet adorable abbé Gorini, dont nous sommes tous en deuil, qui les indique et qui les crève ! S’il y a un de ces traits de peintre qui restent, vivants et tenaces, sur la toile de nos esprits, comme, par exemple, celui de ces « loups affamés qui, de leurs flancs amaigris, faisaient ceinture aux monastères, et, de leurs hurlements, répons aux psaumes chantés par les moines, aux offices de nuit »
, allez ! il n’est pas de M. de Montalembert, ce trait pittoresque ! mais d’un écrivain farouchement énergique, d’un peintre de pirates convertis, d’Orderic Vital !
Enfin si le récit de l’auteur des Moines d’Occident roule, comme une perle, quelque légende, prise à cette fontaine de larmes qui filtre l’image d’un ciel renversé entre toutes les ruines de l’Histoire, la légende a été trouvée déjà par quelque pécheur aux légendes et aux perles, comme M. de la Villemarqué. Légendes, peintures, réfutations, miracles racontés de manière à couper l’insolent sifflet des rieurs, aperçus, domination petite ou grande de l’histoire de quelque côté que ce soit, rien n’appartient en propre et en premier à M. de Montalembert, si ce n’est ce qui appartient toujours à tout homme dans tout livre, — le style qu’il y met. Or, le style de M. de Montalembert ne fut jamais très littéraire. C’est un style d’orateur doué pour principale qualité de cette espèce de force dans l’idée et l’expression vulgaires, qui explique, du reste, tout l’ascendant de l’orateur.
III
C’est un orateur, en effet, et un orateur dépaysé dans la littérature que M. de Montalembert. Polémiste, antiquaire, pair de France, député, il n’a jamais été autre chose qu’un orateur à toutes les époques de sa vie. La forme sine qua non de son esprit, c’est le discours. J’ai parlé plus haut de M. Villemain, qui n’est point certainement un barbare, comme le Cimbre qui n’osa tuer Marius, mais qui n’a pas osé non plus tuer Grégoire VII, mais M. Villemain est, dans l’ordre des orateurs, un parleur très arrangé, qui épile des phrases, sceptique à tout, si ce n’est à la rhétorique et à l’orthographe, tandis que M. de Montalembert est un homme convaincu toujours, souvent passionné, lourd habituellement, mais brusque et vrai en somme, quoique de temps en temps déclamateur.
Une seule fois dans sa vie pourtant, M. de Montalembert oublia qu’il était orateur et se crut poëte. Ce fut quand il écrivit cette Sainte Élisabeth de Hongrie, sincère à peu près comme les poésies de Clotilde de Surville sont françaises. Mais cette distraction ne dura pas, et aujourd’hui, jusque dans cette Histoire des moines d’Occident, l’orateur qu’il n’a jamais cessé d’être se montre plus que jamais, et il y va même jusqu’à la faiblesse des prosopopées. « Et maintenant accourez, ô Barbares ! » s’écrie-t-il, et ce qui accourt, ce n’est pas le talent et le talent d’un historien à coup sûr. Mais qui s’en étonnerait ne connaîtrait pas l’essence oratoire.
Tout orateur a du déclamateur en lui. C’est vice de conformation et de nature ; mais alors qu’il ne déclame pas, alors qu’il est le plus heureusement et le plus purement orateur, il a, de nature et de conformation aussi, cette force d’expression et d’idée vulgaire dont je parlais tout à l’heure et qui l’empêchera toujours d’atteindre à la hauteur de pensée et à la concentration de forme du grand écrivain. Tout grand orateur ou plutôt tout orateur quelconque verrait s’interrompre tout à coup, et s’abolir le rapport qu’il y a entre lui et son public, s’il n’était pas un peu vulgaire comme ces foules auxquelles il a affaire, et avec lesquelles il doit s’entendre pour les entraîner. Prenez-les tous, si vous voulez, et cherchez s’ils n’avaient pas tous cette force dans la vulgarité qui est leur fond même ! Les plus grands, je le sais, commencent par Démosthène (mais Démosthène, quoi de plus que le bon sens d’une place publique ?) et finissent par O’Connell, un sublime bouffon de Shakespeare, qui a grimpé sur les hustings ! Quant à Bossuet, n’en parlons pas. Ce n’est pas un homme, c’est un miracle. Il s’est couché sur les Prophètes morts, comme Samuel sur la femme qu’il rappela à la vie, et ces grands morts ressuscitèrent dans son génie.
Bossuet, qui composait ses sermons à genoux comme saint Charles Borromée, n’est pas un orateur humain. C’est un inspiré. Je demande donc une exception pour Bossuet ! Lui n’a jamais besoin d’être vulgaire, et quand il l’est par l’expression, c’est pour relever d’autant sa pensée par le contraste. Mais ceux-là qui ne sont ni Bossuet que ne peut être personne, ni Démosthène, ni O’Connell, ni même Mirabeau, et qui descendent jusqu’à M. Ledru-Rollin, avec leur part de talent et d’influence, ceux-là ont besoin de la verve ou de la force dans les idées communes : or, du temps que M. de Montalembert parlait au lieu d’écrire, il les avait. On ne voyait pas briller sur sa lèvre le rayon qui n’est pas sous sa plume, mais il y avait parfois un mordant d’ironie qui brûlait sans éclair. Il avait le coup de gorge strident et le mouvement toujours prêt des fortes mâchoires oratoires. Seulement, on n’improvise pas avec cela du soir pour le matin un talent réel de littérature ou d’histoire ?
Et voilà pourquoi Les Moines d’Occident ne sont pas une histoire, mais une oraison, — oratio… pro monachis, et une oraison… jaculatoire, très souvent, car la foi, — une foi dont je ne souris pas, mais que je respecte au contraire, — y avive les élancements de l’orateur. Le seul talent que j’y reconnaisse, c’est ce talent sonore et épais de l’orateur qui n’a ni les finesses, ni les nuances, ni les mille fortunes savantes de l’art d’écrire. Sans le geste de la phrase, qui d’ailleurs ne varie pas et qui remue toutes ces idées assez communes, débitées partout sur la chute de l’empire romain, sur les Barbares, sur les premières grandeurs morales du christianisme, vous n’avez plus là, sous le nom de M. de Montalembert, que le style et les aperçus du Correspondant, c’est-à-dire de la Revue des Deux-Mondes, en soutane. Voilà tout ! Dans des notes combinées sans doute pour resserrer des liens déjà chers, M. de Montalembert n’a pas manqué de nous présenter tout le personnel du Correspondant, vivants et morts, et sa scrupuleuse exactitude à nommer tout le monde et à n’oublier personne du cénacle dont il est l’oracle est telle, qu’on finit par ne plus savoir si Les Moines d’Occident, cette suite de petites histoires, transcrites et traduites d’histoires plus longues et mieux racontées, sont, tels que les voilà, une besogne faite par un seul homme ou par sa petite société.