(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130
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(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130

Hallé

Il n’y a pas un morceau de Mr le professeur Halle qui vaille.

De Halle. Dix pieds en carré.

Les Génies de la poésie, de l’histoire, de la physique et de l’astronomie, sujets de dessus de portes, dont on se propose de faire une tapisserie ; c’est un charivari d’enfants. Toile immense, et beaucoup de couleurs.

Je ne sais si Mr le professeur Halle est un grand dessinateur ; mais il est sans génie. Il ne connaît pas la nature. Il n’a rien dans la tête, et c’est un mauvais peintre. Encore une fois, je ne me connais points en dessin ; et c’est toujours le côté par lequel l’artiste se défend contre le littérateur. Les autres ne s’entendent pas plus en dessin que moi. Nous ne voyons jamais le nu. La religion et le climat s’y opposent. Il n’en est pas de nous ainsi que des Anciens qui avaient des bains, des gymnases, peu d’idées de la pudeur, des dieux et des déesses faits d’après des modèles humains, un climat chaud, un culte libertin ; nous ne savons ce que c’est que les belles proportions. Ce n’est pas sur une fille prostituée, sur un soldat aux gardes qu’on envoie chercher quatre fois par an que cette connaissance s’acquiert. Et puis nos ajustements corrompent les formes. Nos cuisses sont coupées par des jarretières, le corps de nos femmes étranglé par des corps, nos pieds défigurés par des chaussures étroites et dures. Nous avons deux jugements opposés de la beauté ; l’un de convention, l’autre d’étude. Ces jugements d’après [lesquels] nous appelons beau dans la rue ce que nous appellerons laid dans l’atelier, et alternativement ne nous permettent pas d’avoir une certaine sévérité de goût. Car il ne faut pas croire qu’on fasse, comme on veut, abstraction de ses préjugés.

Mais nous voilà bien loin du professeur Halle et de ses tableaux. Et il n’y a pas grand mal à cela. Je laisse là tous ses petits tableaux, ses deux pastorales où il y a la fausseté de Boucher, sans son imagination, sa facilité et son esprit, la Femme qui amuse son enfant avec un moulin à vent, sa Sainte Famille que je n’ai point aperçue ni moi ni personne, la Femme qui dessine à l’encre de la Chine, et j’en viens à sa grande composition. C’est un Saint Vincent de Paul qui prêche. Quel prédicateur ! et quel auditoire.

Tableau de 11 pieds de haut, sur six de large.

Le St est assis. Il a la main droite étendue ; il tient son bonnet carré de la droite, et il est penché vers son auditoire attentif, mais tranquille. Je voudrais bien que Mr le professeur [me dît] quel est le moment qu’il a choisi. Ce bonnet carré m’apprend que le sermon commence ou qu’il finit ; mais lequel des deux. Et puis ces deux instants sont également froids. Quand un artiste introduit dans une composition un saint embrasé de l’amour de Dieu et prêchant sa loi à des peuples et qu’il lui met un bonnet carré à la main, comme à un homme qui entre dans une compagnie et qui la salue poliment, je lui dirais volontiers, Vous vous mêlez d’un métier de génie et vous n’êtes qu’un butor. Faites autre chose. Il n’y a que deux mauvais moments, et c’est précisément l’un des deux que vous prenez. Il n’était pourtant trop difficile d’imaginer qu’au milieu de la péroraison, l’orateur eût été transporté, et que son auditoire eût partagé sa passion. Et puis croyez-vous qu’il fût indifférent de savoir, avant de prendre le crayon ou le pinceau, quel était le sujet du sermon ; si c’était ou l’effroi des jugements de Dieu, ou la confiance dans la miséricorde de Dieu, ou le respect pour les choses saintes, ou la vérité de la religion, ou la commisération pour les pauvres, ou un mystère, ou un point de morale, ou le danger des passions, ou les devoirs de l’état, ou la fuite du monde. Ignorez-vous ce que votre orateur dit ? Comment saurez-vous le visage qu’il doit avoir, et l’impression qui se doit mêler dans les visages de vos auditeurs, avec l’attention ? Ne sentez-vous pas que si le sermon est des jugements de Dieu, votre orateur aura l’air sombre et recueilli, et que votre auditoire prendra le même caractère ; que si le sermon est de l’amour de Dieu, votre orateur aura les yeux tournés vers le ciel, et qu’il sera dans une extase que les peuples qui l’écoutent partageront ; que s’il prêche la commisération pour les pauvres, il aura le regard attendri et touché, et qu’il en sera de même de ses auditeurs. Allez sous le cloître des Chartreux ; voyez le tableau de la Prédication, et dites-moi s’il y a le moindre doute que le sermon ne soit de la sévérité des jugements de Dieu. Et où vous avez-vous pris votre auditoire ? Des petites femmes, des jeunes garçons, des sœurs du pot, des enfants, pas un homme de poids. Comme cela est distribué, et peint ! c’est un des plus grands éventails que j’aie vus de ma vie ; j’en excepte deux figures qui sont à gauche sur le devant ; c’est une femme qui tient son enfant. Elle me paraît si bien peinte, si bien dessinée, de si bon goût ; l’enfant est si bien aussi, que si Mr le professeur voulait être sincère, il nous dirait où il a fait cet emprunt. Mais abandonnons ce pauvre Mr Halle à son sort et passons à un homme qui en vaut bien un autre. C’est Vien. Mais auparavant j’observerai qu’à parler à la rigueur un peintre quelquefois par un tour de tête particulier préférera un moment tranquille à un moment agité [.] Mais à quels efforts de génie ne s’engage-t-il pas alors ? quels caractères de tête ne faudra-t-il pas qu’il donne à son orateur, et à ses auditeurs ? par combien de beautés, les unes techniques, les autres d’invention et de détail ne faudra-t-il pas qu’il rachète le choix défavorable de l’instant [?] Alors point de milieu. Sa composition est plate ou sublime. Halle a choisi l’instant défavorable dans sa prédication de St Vincent de Paule ; mais sa composition n’est pas sublime.