(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIII. L’Enfer chrétien. »
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(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIII. L’Enfer chrétien. »

Chapitre XIII.
L’Enfer chrétien.

Entre plusieurs différences qui distinguent l’enfer chrétien du Tartare, une surtout est remarquable : ce sont les tourments qu’éprouvent eux-mêmes les démons. Pluton, les Juges, les Parques et les Furies ne souffraient point avec les coupables. Les douleurs de nos puissances infernales sont donc un moyen de plus pour l’imagination, et conséquemment un avantage poétique de notre enfer sur l’enfer des anciens.

Dans les champs Cimmériens de l’Odyssée, le vague des lieux, les ténèbres, l’incohérence des objets, la fosse où les ombres viennent boire le sang, donnent au tableau quelque chose de formidable, et qui peut-être ressemble plus à l’enfer chrétien que le Ténare de Virgile. Dans celui-ci, l’on remarque les progrès des dogmes philosophiques de la Grèce. Les Parques, le Cocyte, le Styx, se retrouvent dans les ouvrages de Platon. Là commence une distribution de châtiments et de récompenses inconnue à Homère. Nous avons déjà fait remarquer83 que le malheur, l’indigence et la faiblesse étaient, après le trépas, relégués, par les païens, dans un monde aussi pénible que celui-ci. La religion de Jésus-Christ n’a point ainsi sevré nos âmes. Nous savons qu’au sortir de ce monde de tribulations, nous autres misérables, nous trouverons un lieu de repos, et si nous avons eu soif de la justice dans le temps, nous en serons rassasiés dans l’éternité. Sitiunt justitiam… ipsi saturabuntur 84.

Si la philosophie est satisfaite, il ne nous sera pas très difficile peut-être de convaincre les Muses. À la vérité, nous n’avons point d’enfer chrétien traité d’une manière irréprochable. Ni le Dante, ni le Tasse, ni Milton, ne sont parfaits dans la peinture des lieux de douleur. Cependant quelques morceaux excellents, échappés à ces grands maîtres, prouvent que si toutes les parties du tableau avaient été retouchées avec le même soin, nous posséderions des enfers aussi poétiques que ceux d’Homère et de Virgile.