Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique
I. Introduction au chapitre. — II. L’idée générale comme moyen du Bovarysme des collectivités. — III. Bovarysme du modèle étranger : l’idée chrétienne et ses dérivés. — IV. L’idée déformée par la physiologie du groupe. — V. La physiologie du groupe déformée par l’idée : L’idée humanitaire — L’idée cosmopolite. — VI. Bovarysme de l’ancêtre. — La crainte du modèle ancien :
et les revenants — Un exemple emprunté à la Cité antique : les Grecs et les Romains régis par des lois faites en vue d’une croyance ancienne et disparue, la croyance en une vie posthume et souterraine.I
Avec la Renaissance, la race française du xvie siècle, en même temps qu’elle grandit prodigieusement, se conçoit, comme on vient de le voir ; de quelques façons ; autres qu’elle n’est : elle se conçoit destinée à des modes d’activité différents, par certaines nuances, de ceux que ses antécédents lui fixaient. Mais cette fausse conception d’elle-même ne porte que sur quelques parts de son activité de luxe, sur quelques parts de cette activité surabondante où se manifestent, avec les lettres et les arts, les derniers effets d’une civilisation.
Il est pour les collectivités sociales d’autres modes de Bovarysme qui les contraignent de se concevoir différentes d’elles-mêmes dans leur activité la plus profonde et qui comportent des conséquences d’une tout autre gravité : car la plante sociale modifiée jusque dans ses racines se voit imposer aussi et par là même une floraison différente. Dans une étude publiée dans Le Mercure de France 9, on a envisagé, à la suite de , le danger qu’il y a pour un groupe d’hommes à se concevoir, dans les parties essentielles de son énergie, à l’image d’un modèle élaboré par un groupe différent. Avec Les Déracinés, avec Le Voyage dans la vallée de la Moselle, qui forme un des chapitres les plus importants de L’Appel au soldat, avec son dernier livre10, , comme il l’avait fait déjà sous une forme symbolique avec Le Jardin de Bérénice, a traité des modes de formation et de dissolution d’une collectivité. Toute cette part de son œuvre est merveilleusement propre à mettre en relief, sous son jour le plus néfaste la menace que comporte pour une société ancienne et déjà constituée la fascination du modèle étranger.
La question générale que l’on traite ici exige que l’on considère sous tous ses aspects ce fait de fascination : car il joue dans la vie des collectivités un rôle prépondérant et, sinon plus important, du moins plus aisément vérifiable, qu’il ne l’est dans la vie des individus. Au regard historique, il n’est point de société dans la formation de laquelle il n’entre à quelque degré, et dans nombre de cas, loin qu’il entraîne des conséquences défavorables, on va voir qu’il est un des éléments constitutifs de la réalité sociale ou l’un des artifices grâce auxquels elle s’est fortifiée. On va donc faire sa part dès à présent à ce bénéfice, qui résulte parfois de ce phénomène de suggestion, au risque de détruire quelque peu l’ordonnance de cette étude, selon laquelle on ne devrait traiter ici strictement que de la pathologie du Bovarysme. Il a semblé qu’un intérêt de symétrie devait être sacrifié à un souci d’exactitude et qu’il était préférable d’endommager le cadre plutôt que de dénaturer les objets que l’on s’était proposé d’y faire tenir.
On va montrer tout d’abord avec insistance que le moyen selon lequel les collectivités sociales se conçoivent à la ressemblance d’une activité différente est l’idée générale et ce fait mis en lumière devra à son tour éclairer et dominer tous les développements qui suivront et où l’on s’efforcera de faire voir sous quelles conditions et dans quelles proportions l’idée générale doit être acceptée par une société pour y être la cause d’une plus-value, dans quelles circonstances elle y détermine au contraire un affaiblissement et y constitue un péril. On fera voir également, et cette distinction commandera les deux subdivisions qui vont marquer la suite de ce chapitre, qu’un groupe social peut se concevoir autre qu’il n’est, sollicité par l’un ou l’autre de ces deux foyers différents de fascination : le modèle étranger et le modèle ancestral.
II
Le moyen le plus apparent suivant lequel un groupe social est contraint de renoncer à ses propres manières d’être pour se soumettre à celles d’un groupe étranger, c’est la force armée. À la suite d’une invasion le vaincu subit la loi du vainqueur. Mais cette obligation ne constitue pas à vrai dire un fait de Bovarysme : le Bovarysme est un phénomène psychologique ; il n’apparaît qu’avec l’adhésion du vaincu aux manières d’être du vainqueur, qu’avec l’admiration pour le vainqueur ; c’est alors seulement que, de son plein gré, le vaincu, dédaignant sa coutume héréditaire, se conçoit selon le modèle de la coutume étrangère ; c’est alors seulement que le groupe auquel il appartient, s’étant conçu différent de lui-même, disparaît comme entité sociale distincte pour se fondre dans le groupe victorieux. L’artifice par lequel le vainqueur persuade le vaincu de se concevoir différent de lui-même c’est celui qui a été désigné comme le moyen ordinaire de tout Bovarysme : c’est l’éducation qui distribue la notion. Mais la notion, en tant qu’elle a pour mission d’agir sur la moralité, prend l’aspect de l’idée générale. Sous cette forme l’influence étrangère parvient à s’imposer à une société, sans qu’un fait d’armes victorieux ait nécessairement précédé ce nouveau mode de la conquête, dont on voit par là même que le champ d’action est beaucoup plus vaste.
Il faut donc se rendre un compte exact de ce qu’est en réalité une idée générale pour comprendre quel en est le mode d’action, quelle en est la force persuasive. Il faut se rendre compte du mensonge et de l’équivoque que comporte cette dénomination même ; car l’idée générale ne possède le caractère d’universalité auquel elle prétend que par rapport à un groupe d’hommes déterminé, celui-là seul qui la résuma à son usage, comme le résultat d’une série d’expériences concrètes et particulières. C’est dans ces expériences particulières uniquement que réside la réalité de l’idée, en sorte qu’elle n’est elle-même une réalité que pour le groupe d’hommes déterminé à qui ces expériences réussirent, ou pour un groupe pareil. Une idée générale est toujours une idée abstraite, et il n’existe pas d’idée abstraite qui ne soit abstraite d’une série d’expériences humaines. Aucune idée, religieuse, morale ou rationnelle, n’échappe à cette généalogie précise. Aucune de ces idées n’aurait pu être formulée, si elle ne s’était exprimée tout d’abord en des actes et en des croyances, comme l’effet de la sensibilité de quelque collectivité humaine particulière.
Toute idée générale a donc été à l’origine façonnée en vue d’un être déterminé. Pour cet être ― c’est ici d’un groupe social qu’il s’agit — pour cet être aux formes duquel l’idée fut adaptée, ce résumé de l’expérience, enfermé dans l’énoncé d’une notion transmissible, est proprement une attitude d’utilité, c’est-à-dire un moyen de créer sa propre réalité par la discipline d’un commandement qui se répète, puis de conserver ou d’augmenter sa santé et sa force. Et c’est pourquoi afin d’accroître l’autorité de l’idée, et en considération de son utilité, l’instinct du groupe lui attribue bientôt, avec une origine divine ou rationnelle, une valeur universelle.
Depuis qu’il y a des sociétés humaines, un certain nombre de ces attitudes d’utilité, présentant entre elles des ressemblances ou des différences plus ou moins fortes, ont été détachées de la tige expérimentale sur laquelle elles avaient fleuri. Transformées en vérités universelles, elles se sont réclamées, selon la maturité de l’esprit humain, de Dieu ou de la raison. Or, cette origine fictive, où disparaît leur caractère humain, leur donne accès dans l’esprit de tous les hommes. Il arrive ainsi que des hommes d’un groupe déterminé acceptent, sous le couvert et sous le commandement de l’idée générale, un ensemble d’attitudes et de manières d’être différentes de celles que leur eût suggérées leur hérédité sociale, et dont ils eussent souffert impatiemment qu’on leur imposât directement l’obligation. Ceci nous donne la formule d’un Bovarysme idéologique dont on peut dire qu’il consiste pour un groupe social, à adopter par la vertu persuasive d’une idée générale, peu importe qu’elle se réclame du dogme, du lieu commun ou de la vérité rationnelle, une attitude d’utilité propre à une physiologie sociale différente.
Ce Bovarysme idéologique entre de quelque façon dans la formation de toute moralité collective. Mais il s’y comporte de manière différente selon que l’énergie sociale qui vient aux prises avec l’idée est forte ou faible, selon qu’elle est pourvue d’un pouvoir de déformation, c’est-à-dire d’un pouvoir de réduction des forces extérieures à la loi de son propre mécanisme, ou selon qu’elle est flexible et malléable, sujette à subir des déviations du fait des impulsions étrangères. Dans le premier cas, le groupe social n’admet l’idée que partiellement et n’accepte ses conséquences que jusqu’à une certaine limite au-delà de laquelle il ne lui rend plus qu’un culte nominal, se bornant à inscrire son nom sur des phénomènes différents engendrés par son activité propre. Il exploite ainsi le prestige de l’idée à son profit, et, pour la faire coïncider avec ses besoins, la déforme, la conçoit autre qu’elle n’est. Dans le second cas, dominé par l’idée, il se conforme aux attitudes qu’elle prescrit et qui ont été inventées pour les besoins d’une autre activité, il s’astreint à des gestes auxquels il n’est point adapté. Ainsi, d’un soldat qui revêtirai une armure faite pour un autre et qui paralyserait ses mouvements. Dupe de la fausse conception qu’il prend de lui-même le groupe s’affaiblit en usant de sentiments, d’idées et de croyances qui ne sont point pour son usage.
III
L’idée chrétienne avec les multiples emprunts que lui ont faits pour se constituer divers groupes sociaux, offre, avec mille nuances, des exemples de l’une et de l’autre aventure. Mais elle montre tout d’abord un cas singulièrement typique d’une attitude d’utilité qui, propre à une physiologie collective déterminée, se propose, détachée de sa racine, sous le déguisement de l’idée générale, comme une vérité, religieuse d’abord, puis rationnelle.
Il convient de noter à cette occasion que les nations ne sont pas les seules collectivités qui existent. Un désir commun réunit en ira groupe homogène des hommes animés des mêmes besoins et qui appartiennent à des nationalités différentes. C’est ainsi, qu’à l’heure actuelle, le prolétariat de tous les pays tend à solidariser ses intérêts, indépendamment et au-dessus parfois des distinctions nationales qui classent ses membres parmi des groupes nationaux différents. À vrai dire le fait que la plupart des hommes appartiennent à la fois à deux collectivités tout au moins, dont l’une est d’origine nationale et l’autre d’origine économique, est la cause qui jette tant de trouble et de complexité dans les rapports sociaux à presque toutes les périodes de l’humanité. Or l’idée chrétienne préparée par la réflexion philosophique, réalisée dans les évangiles comme fait de sensibilité, traduit une de ces attitudes, autres que nationales, et qui sont communes pourtant à un grand nombre d’êtres entre lesquels cette communauté établit un lien. L’idée chrétienne fut, à l’époque de sa formation, une attitude d’utilité pour tous ceux qui ressentaient la vie comme une souffrance, pour tous ceux que
a appelés, avec quelque raison, les faibles, les malades ou les déshérités, le troupeau des esclaves.Le monde antique s’était constitué sur le sentiment de la différence et de l’inégalité entre les hommes : il avait ainsi développé une civilisation où s’était manifesté Un écart extraordinaire entre une minorité de privilégiés et une immense majorité de serviteurs et d’opprimés. Contre un tel état de choses le stoïcisme qui réclamait à la fois une rare culture intellectuelle et une vertu d’orgueil exceptionnelle, ne put être une ressource que pour une élite. Le christianisme au contraire, fondé sur le fait même de la faiblesse fut accessible, au plus grand nombre, en un temps où la lutte ne pouvait être que disproportionnée entre les individus et les maîtres du pouvoir. Le christianisme, en son essence, n’est rien d’autre, ainsi que le boudhisme, qu’une attitude pour se résigner et, au besoin, pour mourir : les faibles, convaincus de leur faiblesse, renoncent à la lutte pour la puissance, ils renoncent à jouer une partie qui n’offre pas même d’aléa et où ils savent qu’ils ne peuvent gagner. Ils se groupent donc autour de l’idée chrétienne du renoncement. Mais par le seul fait qu’ils se groupent, l’idée commence déjà de se contredire elle-même, car ce troupeau de faibles, réuni en un organisme, devient une force avec laquelle bientôt il faudra compter. De même que le monde antique s’était constitué sur la base du principe d’inégalité, le monde chrétien se constitue sur la base du principe d’égalité. Les faibles de naguère tendent à devenir les forts d’aujourd’hui et déjà l’on peut redouter que cette force nouvelle, devenue tyrannique, ne détermine une forme nouvelle de l’oppression et ne supprime la liberté individuelle qui aura pu fleurir durant peut-être un bref laps de temps grâce à l’incertitude d’une lutte encore inégale entre deux principes contraires.
IV
Entre temps l’idée chrétienne, admise dans le monde occidental, d’abord comme une vérité divine, plus tard comme une vérité de raison, y a joué, y joue encore un rôle où il faut distinguer bien des nuances et jusqu’à des contrastes. D’une façon générale, il apparaît que l’idée qui, dans sa pureté, allait à renier le monde, concluait au renoncement des biens terrestres, proclamait la fraternité humaine, l’égalité de tous et la vanité des différences, tenait en mépris l’effort intellectuel et la recherche scientifique, condamnait l’attachement à la beauté des formes, des mots et des sons, a donné naissance, avec le monde moderne qu’elle a créé, à l’organisation de la propriété, au développement de la richesse, à la constitution des hiérarchies, à un labeur inouï de l’humanité occidentale pour s’emparer des forces de la nature, à un accroissement des besoins, à une culture scientifique, dont le monde antique n’a pas approché, ainsi qu’à des formes d’art nouvelles et d’une égale beauté. Selon un Bovarysme essentiel, l’idée s’est donc réalisée d’une façon imprévue, l’effet contredisant la cause qui l’engendre.
C’est là un premier cas d’un Bovarysme nominal : l’idée se montre ici déformée, conçue autre qu’elle n’est par toute la part de l’humanité qui a constitué le monde occidental moderne. On a l’explication de ce phénomène ironique, si l’on remarque que le pessimisme chrétien, négateur de la vie, a collaboré pour fonder cette société moderne avec un faisceau de forces beaucoup plus puissantes et qui le contredisaient, avec toutes les forces de la vie : l’égoïsme individuel, l’amour des biens immédiats, la passion de dominer, de posséder les meilleures choses, toute la frénésie qui fixe des buts à l’activité et développe l’énergie par la concurrence. L’idée chrétienne qui concluait à renoncer et aspirait à mourir n’est donc intervenue parmi ces ferments d’énergie forcenée que comme un poison propre à les engourdir et à les atténuer, et il s’est trouvé qu’à l’égard de cette énergie du monde barbare, trop sauvage et trop ardente, ce poison fut utile. Il fut un calmant qui maîtrisa une fièvre. En abaissant la température du milieu, il permit à ces énergies trop fortes individuellement de se hiérarchiser. L’idée chrétienne fut à l’origine, pour tous les groupes indistinctement de cette société en formation, une attitude d’utilité, sous la condition de ne réaliser qu’en partie ses conséquences : dans cette limite, elle abaissa l’égoïsme individuel jusqu’au degré qui permet la vie sociale.
Il est à remarquer, en effet, qu’à l’époque que l’on vient de considérer et où les sociétés occidentales se forment, chacune d’elles a le pouvoir de distinguer dans quelle mesure le poison chrétien lui est utile. Les formes catholique, arienne, nestorienne, grecque et protestante témoignent de l’action secrète de physiologies sociales distinctes s’assimilant l’idée selon des procédés différents, selon des quantités variables et appropriées à leurs besoins particuliers. Dans tous ces cas, chaque physiologie sociale semble bien vouloir se modeler sur une idée générale, détachée d’une attitude d’utilité autre que la sienne propre ; chacune de ces sociétés en se concevant chrétienne, se conçoit bien autre qu’elle n’est, mais elle ne parvient à réaliser cette fausse conception d’elle-même que dans la mesure où elle en tire un bénéfice. Par-delà cette limite elle fait plier l’idée. Celle-ci, qui se donne comme but absolu, est reléguée à n’être qu’un moyen. À vrai dire elle participe au triomphe de son contraire. Cette forme de Bovarysme cache donc une utilité essentiellement vitale.
Voici parmi les multiples avatars de l’idée chrétienne un exemple d’un Bovarysme de cette sorte. Au xvie siècle, tandis que les nations du sud de l’Europe, assagies et civilisées naguère par la culture romaine, se contentaient du frein catholique dont la puissance était déjà amoindrie, les races du nord plus proches de la sauvagerie barbare et qui avaient besoin pour se maîtriser de contraintes majeures, composèrent avec le protestantisme une religion nouvelle : celle-ci plus proche du christianisme des origines, exigeant un exercice constant de la conscience individuelle, leur donna un frein d’une puissance d’inhibition plus grande et mieux appropriée à leur violence. La nation anglaise fut de celles qui eurent recours à cet expédient. Or elle offre, entre toutes les autres, un exemple admirable du parti qu’un groupe social peut tirer de l’idée religieuse, soit ici de l’idée chrétienne, comme instrument de règne.
Une religion est par excellence le moyen selon lequel les hommes d’un même groupe sont amenés à se concevoir, malgré les distinctions individuelles, à la ressemblance les uns des autres. Jointe au facteur ethnique et à l’habitat, elle contribue puissamment à former entre ces hommes un état de cohésion. Lorsque l’empire de cette religion est passé ou s’est affaibli, il fait place à la coutume morale, à un ensemble de manières d’être, de conceptions, de préjugés où se marque avec plus de force encore que dans la religion elle-même le caractère distinctif du groupe : car cette coutume morale est un compromis entre le dogme religieux et le caractère que telle ou telle collectivité humaine tient de sa physiologie, de son habitat et des circonstances historiques.
Plus qu’aucune autre race, la nation anglaise a emprunté, à la forme religieuse qu’elle s’est choisie, le frein qui lui était utile pour modérer les égoïsmes individuels. La coutume morale sort ici directement de la religion protestante, de la tradition biblique et de la doctrine évangélique accommodée et sanctionnée, selon la prétention de la Réforme, par les apparences du raisonnement philosophique. Elle s’exprime en l’idéal humanitaire, succédané de la fraternité chrétienne et qui se donne pour une vérité d’ordre général. Or, on va voir que sous le masque de l’idée générale, l’idée humanitaire telle qu’elle est conçue par la nation anglaise, cache une attitude d’utilité purement anglaise, qui, appliquée en d’autres pays à la manière d’une vérité absolue, est pour ceux-ci une cause d’affaiblissement, alors qu’elle n’est ici rien d’autre qu’un expédient utile. L’idée humanitaire est en effet le frein qui, en modérant les égoïsmes anglo-saxons, leur a permis de s’unir et de se concerter pour la plus grande force de la nation. Elle ne va pas au-delà de ce but précis. Construit par la collectivité à l’époque où son instinct de conservation et de puissance était le plus lucide et le plus florissant, le frein humanitaire a été proportionné à la force d’impulsion de l’énergie du groupe. Ayant rempli l’office de la modérer autant qu’il était nécessaire pour qu’elle ne se blessât pas elle-même, sa puissance d’inhibition s’est trouvée épuisée tout entière. Il ne lui est plus resté aucun pouvoir pour entraver la violence de la collectivité à l’égard de ceux qui n’en font pas partie, à l’égard de l’étranger.
En même temps en effet qu’il façonnait, avec l’idée humanitaire, ce frein destiné à faciliter les rapports des nationaux dans l’intérieur de la nation, l’anglo-saxon, parce que cette invention lui était personnelle et n’avait d’autre but que son utilité, inventait aussi d’autres attitudes d’utilité, où il savait, à l’égard du dehors, exploiter à son profit et asservir à ses fins intéressées, cette même idée humanitaire. La principale et la plus avisée de ces attitudes est cet orgueil démesuré et tutélaire par lequel il se persuade que la plus haute forme de civilisation, la plus humaine et la plus morale a été réalisée par lui. Imbu et muni de cette idée, il en fait une arme : la logique exige désormais qu’il impose à l’univers cette civilisation, et cette fin va le justifier à ses yeux des pires agressions. Les chargements de bibles voisinant dans les entre-ponts avec les Winchester et les ballots de coton leur vont faire contre-poids. L’armée des pasteurs va précéder, avec des cantiques et des psaumes, une autre armée qui, par le truchement des Maxim et des Hotchskiss va propager, non sans profit, la civilisation supérieure.
Par la vertu de son orgueil, le génie anglo-saxon s’est donc immunisé contre les exagérations dangereuses de l’idée chrétienne, et contre sa moderne incarnation humanitaire, dont il s’est pourtant arrogé le monopole. L’idée, sous cette forme humanitaire, est réellement pour le peuple anglais une attitude d’utilité, parce qu’il a conservé le pouvoir de la déformer, de la concevoir autre qu’elle n’est, dès qu’elle cesse de le servir. Une attitude d’utilité, elle l’est même pour lui doublement : dans l’intérieur du groupe, en tant qu’elle y atténue les égoïsmes individuels entre nationaux, hors du groupe, en ce que, propagée parmi les autres nations sous son déguisement de vérité universelle, elle tend à les affaiblir, à les désarmer et à en faire des proies.
V
La nation anglaise offre donc un exemple très typique de ce Bovarysme à rebours, où l’idée générale, aux prises avec un égoïsme puissant, est ravalée à n’être qu’un moyen et se voit par-delà son utilité, dénaturée et bafouée. Le cas inverse se réalise lorsque l’idée générale parvient à s’implanter dans un milieu social moins fortement égoïste, ou dont le pouvoir de réaction s’est affaibli. Ainsi lorsqu’un groupe national, enclin naturellement à quelque douceur de mœurs ou dont la violence native fut atténuée déjà par une civilisation antérieure, adopte telle forme de la morale chrétienne élaborée par un groupe plus violent, et qui eût besoin, à l’époque où il emprunta sa discipline au christianisme, d’un frein plus fort. Ce frein, trop fort pour la société déjà policée qui se laisse persuader d’en faire usage, va paralyser son énergie au lieu de la régler et va la placer dans une situation d’infériorité, vis-à-vis des autres groupes. La méconnaissance de soi-même et de ses vrais besoins entraîne ici ses conséquences funestes : la collectivité est menacée de payer de sa ruine le défaut de jugement qui lui fait prendre pour une vérité d’application universelle, ce qui fut une attitude d’utilité pour un groupe déterminé, différent d’elle et d’un degré plus intense de brutalité.
À vrai dire, pour faire saisir, le danger qu’il y a pour un peuple à être dupe d’une idée générale, il n’est pas même besoin de faire entrer en ligne de compte coefficient d’égoïsme. L’idée de différence suffit à expliquer la menace de dissociation que comporte, à l’égard de tout groupe, social organisé et anciennement constitué, l’acceptation d’une idée générale façonnée par un autre groupe. Ce groupe ancien, par le fait même qu’il est parvenu à se constituer et à vivre, témoigne qu’il a su, au moyen de sa religion, puis de sa coutume morale, inventer les freins nécessaires pour coordonner son énergie. Le fait de son ancienneté témoigne également que ces freins, qui furent autrefois des dogmes, des textes de lois, des châtiments, consistent surtout maintenant en une disposition instinctive à faire ou à ne pas faire, en une inclination naturelle, commune à tous ceux du groupe et qui les met au point de la vie sociale. Les formules impératives édictées à l’origine pour faire face aux premiers besoins de moralité ont perdu le pouvoir de contraindre par la terreur et il est bon qu’il en soit ainsi puisque les individus normaux de cette société se comportent instinctivement de la façon qu’exige l’intérêt de la collectivité. Que va-t-il donc se passer si ce groupe ancien adopte, sous couleur d’idée générale, les freins fabriqués par un groupe étranger ? Le principe de modération qui, émanant de ses anciens impératifs, a pénétré dans sa physiologie et l’a mis au point de la vie sociale, ne pouvant plus être retranché, le nouveau principe de modération imposé par la vérité étrangère va accroître la force d’inhibition qui contraignait l’énergie du groupe : cette énergie va se trouver abaissée au-dessous du degré qui permet à un groupe social de maintenir son intégrité et son existence parmi les autres groupes.
Un exemple concret fera mieux saisir ces développements, On va l’emprunter au temps présent et à la collectivité sociale que constitue notre groupe français. Nombre d’esprits jugent en effet que la collectivité française est actuellement en proie à ce Bovarysme qui consiste à prendre pour une vérité universelle, indiscutable et dogmatique une attitude d’utilité préparée par une autre nation en vue de ses propres besoins. De fait il semble que, sous couleur d’anticléricalisme, une forme nouvelle de la moralité, cette religion humanitaire qui fut élaborée par la nation anglaise, travaille à s’insinuer dans les consciences françaises et à s’y substituer à la croyance des uns et au scepticisme des autres. Ce n’est point le protestantisme sous son aspect confessionnel qui se propose ainsi en modèle à l’énergie française, ce n’est pas même la morale protestante, mais c’est un apparent rationalisme qui ne trouve en réalité son point d’appui que sur cette morale et sur cette forme religieuse.
Empruntée directement à l’idée chrétienne, élément commun à toute civilisation occidentale, l’idée humanitaire, d’origine anglaise, importée eu France par les philosophes du xviiie siècle, ainsi que l’a bien vu Nietzsche, présente en ce pays ce danger évident : elle est une dilution du poison chrétien préparée en vue d’une physiologie qui n’est pas la nôtre, et qui a des réactions différentes. Cette dilution s’ajoute chez nous à celle que nous avons naguère préparée à notre usage et qui déjà a pénétré dans notre sang. Elle risque ainsi d’y introduire, au-delà de son degré bienfaisant, ce poison chrétien qui, en son état de pureté, est mortel. À l’appui du développement précédent il importe de noter ici, qu’à la différence du groupe anglo-saxon, le peuple français a peu emprunté à sa religion pour constituer sa coutume morale, et pour tempérer son énergie : une générosité naturelle et le sentiment de l’honneur sont ici les freins qui s’opposent à l’exagération de l’égoïsme individuel ou national et ces vertus ont leur source, plutôt que dans le catholicisme, dans l’orgueil d’une énergie avide de se démontrer et qui se veut somptueuse. Il faut donc penser qu’un peuple qui, avec le sentiment de l’honneur et le sens de la générosité, possède les freins qu’il faut pour comprimer l’excès de son énergie, risque de voir cette énergie brisée s’il lui oppose encore, avec l’idée humanitaire, un frein nouveau.
Amalgame du renoncement évangélique et des modes d’activité où le génie anglo-saxon excelle, l’idéal humanitaire tel qu’il nous est offert sournoisement, sous le masque d’une vérité de raison, ne peut exercer sur nous que son action évangélique et déprimante. Tandis qu’il déprécie les mobiles qui sont propres à susciter notre énergie, il ne procure pas, en compensation aux mobiles nouveaux qu’il nous propose, le pouvoir de la stimuler. L’idéal humanitaire, attitude d’utilité anglo-saxonne, s’efforce d’établir la supériorité des buts économiques et commerciaux sur les visées de suprématie guerrière, sur le goût abstrait de prévaloir, excitant naturel de l’énergie française. Ainsi il développe chez nous un idéal pacifique et risque de nous rendre impropres à la guerre, tandis qu’il ne parvient pas à augmenter notre avidité commerciale. On a montré déjà qu’au contraire cette avidité commerciale demeure si forte chez l’anglo-saxon qu’elle étouffe chez lui les conséquences logiques et déprimantes de l’idéal humanitaire et soulève sa combativité dès qu’il s’agit d’assurer, fût-ce par la guerre, le succès des desseins économiques. Ainsi la même idée qui nous désarme le laisse armé. Au moyen de l’idée générale, on nous suggère de diriger nos efforts vers des buts qui ne nous stimulent que faiblement, on nous contraint d’engager la lutte pour la puissance sur un terrain qui ne nous est pas favorable. Au moyen de la même idée, on nous a tout d’abord sevrés des mobiles qui ont le pouvoir de nous exalter et qui, suscitant toute notre force nous permettraient de soutenir la concurrence avec les autres nations en même temps que de développer des formes de civilisation personnelles.
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Après avoir montré dans l’idéal humanitaire, tel qu’en fait il s’exerce, une attitude d’utilité particulière engendrée par l’instinct de puissance des races anglo-saxonnes, on peut pousser plus loin la démonstration et faire voir comment ce même idéal, succédané du christianisme, est encore, sous son déguisement religieux et philosophique, et coloré d’une nuance nouvelle, une attitude combative, d’attaque et de défense, au profit de certains groupes, au détriment de ceux qui se laissent prendre au déguisement d’un intérêt particulier en idée générale.
La France actuelle offre encore ici un exemple d’une clarté saisissante. Par suite de diverses circonstances parmi lesquelles il faut mettre au premier rang sa richesse, la douceur de ses mœurs, et la décroissance de sa population, la France, parmi toutes les nations pourvues depuis très longtemps d’une personnalité sociale, est celle qui est le plus largement ouverte à l’immigration étrangère. Cet état de choses a donné lieu, à la suite du nombre croissant des naturalisations, à la formation d’un groupe important de nouveau-venus qui apportent de leurs pays d’origine une hérédité, des traditions, des coutumes et des idées morales, différentes de celles qui ont été élaborées chez nous au cours des siècles. On ne saurait douter d’ailleurs que ces nouveau-venus n’aient été attirés, dans la patrie nouvelle qu’ils ont choisie, par des considérations d’intérêt personnel et parce qu’ils prévoyaient y rencontrer des facilités pour améliorer leur état. Un but déterminé les stimule et accroît leur énergie. Venus souvent de pays moins riches, ils apportent des exigences moindres : ouvriers, commerçants, industriels, banquiers, ils rendent plus ardue la concurrence pour le gain, et sont un élément qui s’ajoute aux complications de la question économique. Leur éducation les a-t-elle préparés aux carrières libérales, le même stimulant leur fait convoiter, avec une ardeur précise, les meilleurs emplois dans la politique, dans l’administration, dans l’enseignement. Ils apportent dans ces carrières une activité qui peut être un gain pour la collectivité ; mais s’ils viennent à prévaloir dans les divers domaines qui touchent à la haute direction, du pays, le pays de ce fait va courir un risque : celui de se voir appliqué, d’une, façon plus ou moins sensible, un ensemble de mesures où se trahira une conception morale et politique empruntée à une autre hérédité sociale, où se trahira tout au moins l’ignorance de la coutume nationale. Cette conception étrangère fût-elle supérieure à la coutume héréditaire, le groupe n’en subira pas moins le dommage de se voir imposer des manières d’être auxquelles il n’est point adapté. Prenant conscience de lui-même dans le cerveau des nouveau-venus, il va se concevoir autre qu’il n’est, s’essayer à des gestes auxquels il est inhabile et qui ne sont pas appropriés à son anatomie.
Le fait de l’immigration étrangère peut donc être pour la France un bénéfice : il est aussi un danger ; que ce danger soit plus ou moins menaçant, plus ou moins réel, c’est là une question d’appréciation sur laquelle il n’importe d’insister ici : il suffit de constater qu’il a été ressenti et qu’il a engendré en même temps, parmi une fraction importante de la nation, une attitude de défiance et de suspicion à l’égard des nouveau-venus et de la part de ceux-ci une attitude de défense. Or, cette attitude de défense s’est dissimulée sous le masque de cette même idée générale dont on vient de montrer l’origine dans le principe chrétien accommodé au goût du protestantisme anglo-saxon, l’idée humanitaire qui, sous l’influence d’un besoin plus complexe, s’est enrichie d’une inflexion nouvelle et est devenue ici l’idée cosmopolite.
Il apparaît bien d’une part, que tous ces nouveau-venus, qui ont quitté leur patrie pour une autre, ont une inclination naturelle à attacher peu d’importance au fait national. Il est évident, d’autre part, qu’ils ont un avantage décidé à propager cette indifférence, à nier entre les bonnes les distinctions ethniques, celles qui proviennent du long habitat en commun dans un même lieu de l’espace, d’une même tradition historique et morale, d’une commune nécessité de réagir contre un ensemble déterminé de circonstances selon des modes appropriés. Il est trop évident qu’ils ont un intérêt majeur à nier ces différences, afin de jouir immédiatement et d’une manière intégrale d’une civilisation qui n’a pourtant été créée, à travers le cours des siècles, que par un long effort commun. L’idéal humanitaire et cosmopolite est donc bien une attitude d’utilité propre au groupe des nouveau-venus dans tout état organisé : c’est bien dans cet intérêt positif et particulier qu’il puise sa réalité, qu’il cache et nourrit ses racines pour ne montrer que sa fleur idéologique.
À désigner d’une façon plus précise et plus concrète le groupe particulier pour lequel cette idée, générale est, en tout temps et en tout lieu, une altitude utile, en antagonisme avec l’attitude d’utilité spéciale à tout groupe national, on est amené, d’un point de vue d’observation positive, à nommer le peuple juif, nouveau-venu dans tous les pays du monde.
Il va de soi qu’une telle constatation n’est point faite en cette étude dans un but de polémique. Mais il n’a pas semblé qu’un exemple aussi saisissant dût être écarté, parce qu’il touche à un sujet actuel et qui passionne les esprits. Il a paru, au contraire, qu’à la faveur de la sensibilité diversement intéressée en cette matière, l’idée que l’on expose ici se montrerait avec plus d’évidence.
, dans son Antéchrist, a signalé le christianisme comme la manœuvre suprême de la race juive, vaincue en tant qu’état politique et dispersée désormais, pour garantir sa sécurité parmi les différents pays à la vie desquels son destin l’appelait à se mêler, Il s’agit dans cette hypothèse, est-il besoin de le noter, d’un calcul de l’inconscient, dicté par l’instinct de conservation le plus sûr de la race. Or cette vue du philosophe paraît bien profonde si l’on considère que le juif, dont le lien national est purement ethnique et religieux et n’est fixé autour d’aucun lieu de l’espace, a tout à gagner et rien à perdre avec une doctrine qui fait de tous les hommes, des citoyens de l’univers égaux entre eux, et, des nationalités diverses, des faits d’une importance secondaire ou périmée. La force des choses et la logique de l’instinct contraignent donc tous les hommes de race israélite à se rallier en toute circonstance autour d’une idée générale qui est pour eux profitable. C’est ainsi que d’une part, la doctrine kantienne de l’impératif catégorique, adaptation du christianisme à la philosophie, promulgation d’un dogme moral tiré de la raison, universel et sans nuances, n’a pas trouvé de plus fervents adeptes que les universitaires juifs. C’est ainsi que les formes politiques qui sont le plus voisines de la doctrine égalitaire de l’évangile ont eu pour promoteurs et pour théoriciens, avec , avec , des Israélites.Il est naturel qu’il en soit ainsi, et en se faisant les protagonistes d’une religion cosmopolite les nouveau-venus, juifs ou étrangers, usent, sciemment ou non, d’une idée générale comme il en faut user c’est-à-dire en la déformant pour son usage. Mais il suit de là également que la collectivité nationale va pâtir si elle est dupé du déguisement idéologique sous lequel un intérêt étranger tente de s’imposer à sa conscience. Croyant obéir aux lois d’une raison universelle, à laquelle, dans le domaine de la pratique morale, aucune réalité ne répond, elle ne va faire que se soumettre à la volonté de puissance d’une autre collectivité. Fascinée par l’idée, elle va perdre le sens de ses nécessités vitales et adopter des attitudes qui lui sont défavorables. Tout ce qu’une collectivité entreprend au nom d’une idée générale qu’elle n’a pas composée elle-même en vue de son service et qui n’est pas le travestissement idéologique de l’un de ses intérêts, elle l’entreprend contre elle, car cette idée générale ne peut être autre chose que le travestissement d’un intérêt étranger qu’elle va favoriser dans des proportions inappréciables.
Est-ce à dire que la tolérance qui semble découler de la conception humanitaire et cosmopolite, doive être condamnée et qu’il lui faille substituer un exclusivisme intransigeant ? Non pas, mais que les mesures destinées à régler ces questions vitales doivent être débattues, non sous le jour d’une idée abstraite dont on a dit l’artifice, mais au nom même des intérêts du groupe.
L’essentiel, en pareille matière, est de n’être pas dupe ; en un temps où les nations existent et sont constituées plus fortement qu’elles ne le furent jamais, il y a place pour des conventions internationales où le droit des gens, défini avec une précision plus grande et constamment amélioré, peut, au moyen de clauses réciproques, assurer aux hommes des différentes nations une sauvegarde, une protection, une liberté et des commodités croissantes dans tous les pays du monde. Mais tout ce qui est proposé sous le masque d’une idée cosmopolite à quoi rien ne répond dans la réalité est entrepris en fait au nom de l’utilité d’un groupe déterminé, de ce groupe des nouveau-venus qui, en tout état organisé, a des intérêts à débattre et à régler avec le groupe national.
Le Bovarysme idéologique avec ses conséquences néfastes consiste donc pour une collectivité donnée à prendre pour une vérité d’application universelle une attitude d’utilité propre à une autre collectivité déterminée. C’est parce détour qu’un groupe social, se concevant à l’image d’un modèle étranger, s’affaiblit et se ruine.
La fable même peut être mise utilement à contribution afin de souligner d’un exemple ce Bovarysme de l’Idée. Que l’on imagine, sur le thème de l’apologue de
, un peuple de cigognes se laissant persuader par la prédication d’une horde de renards, que la moralité commande de se nourrir de brouet clair dans des assiettes plates, voici le peuple des cigognes au bec pointu, au long cou, voué à la famine au grand profit des renards qui, du revers de la langue, laperont vite et sans peine les meilleures pitances. Il en sera ainsi jusqu’à ce que les cigognes aient compris que l’assiette plate et le brouet clair ne sont pas des idées pures, tirées selon la doctrine kantienne de quelque catégorie de la Raison. Alors seulement elles recommenceront à façonner, au lieu de ses plats commodes pour les seuls renards, des amphores profondes, au col étroit, adaptées à la forme de leur cou et qui garderont pour elles quelques bons morceaux.VI
On vient de considérer différents cas, où une collectivité humaine se conçoit différente d’elle-même pour avoir subi la suggestion d’une idée générale inventée par un groupe étranger. Il convient de se demander si la fascination du passé n’est pas de nature à causer un danger analogue. Le temps différent, comme l’espace différent, est une cause de changement : il semble donc qu’une réalité modifiée par le temps soit exposée à se concevoir autre qu’elle n’est devenue si elle persiste à se concevoir selon l’image exacte de ce qu’elle fut naguère.
Le Bovarysme du passé a été observé à notre époque avec une vue singulièrement perspicace. Il semble même que le danger qu’il présenté ait été dénoncé avec trop de force, que l’on se soit mis en garde contre lui avec une crainte exagérée,
Cette attitude doit être attribuée sans doute à la prodigieuse accélération qui s’est produite dans la marche de l’évolution, depuis, quelque cent ans, durant lesquels le progrès de l’invention scientifique a métamorphosé le décor du monde plus fortement que ne l’avaient fait de longues périodes antérieures. La science ayant expliqué par une causalité naturelle nombre de phénomènes qui avaient trouvé jusque-là dans la croyance une interprétation fabuleuse, l’autorité de la croyance s’en est trouvée amoindrie. Il a semblé qu’il était désormais impossible d’accorder la croyance ancienne avec les conceptions nouvelles. Le lien qui rattache le passé au présent et forme avec ces deux fragments de la durée une même réalité avait été jusque-là allongé par les hommes à mesure que les temps nouveaux, s’éloignant des périodes anciennes, en différaient insensiblement. Il a semblé tout à coup, en présence du brusque élan de notre époque, que l’avenir s’éloignât désormais du passé d’une fuite trop prompte pour qu’il fût possible encore d’allonger le lien ; il a semblé qu’il le fallût briser. C’est cette crainte du passé et du modèle ancien qu’Mme Alving : « Ce n’est pas seulement le sang de nos père et mère qui coule en nous, c’est encore une sorte d’idée détruite, de croyance morte, et tout ce qui en résulte. Cela ne vit pas, mais ce n’en est pas moins là, au fond de nous-mêmes, et jamais nous ne parvenons à nous en délivrer. » Cette croyance morte, en effet, a laissé son empreinte dans la loi religieuse et civile, dans la coutume, dans les prescriptions écrites, dans l’ordre établi. Traduisant avec violence la tendance contemporaine que l’on vient de noter, Mme Alving s’écrie : « Ah ! cet ordre et ces prescriptions ! Il me semble parfois que ce sont eux qui causent tous les malheurs du monde. »
a mise en scène dans Les Revenants et qu’il exprime en cette phrase deAinsi en réglant avec rigueur sa conduite et sa moralité sur celle de l’ancêtre, l’homme du temps présent s’identifierait à tort avec un être différent de lui-même, il se concevrait autre qu’il n’est et cette fausse conception serait pour lui une cause de souffrance, d’affaiblissement et de trouble : car il userait toute sa force à accomplir des gestes auxquels son anatomie ne serait plus adaptée, ou qui ne seraient plus propres à le servir dans un milieu modifié.
Si
a exprimé la crainte qu’inspire à quelques esprits contemporains cette fausse conception que les hommes du temps présent risquent de prendre d’eux-mêmes en subissant la fascination du passé, le beau livre de , La Cité Antique, nous montre avec des documents précis comment et sous quelles formes ce Bovarysme s’est produit dans l’histoire.Considérant la Grèce et Rome au début de l’époque historique,
a fait voir en effet, et c’est là l’argument même de son livre, que ces cités sont gouvernées par des institutions et par des lois que rien n’explique si l’on n’en recherche l’origine dans une croyance disparue. Parvient-on, par une induction dont les textes anciens confirmeront bientôt la valeur positive, à reconstituer cette croyance éteinte, aussitôt ces institutions et ces lois qui n’étaient que des faits épars et inexplicables se montrent unies entre elles par un lien étroit. Les voici une conséquence logique et une dépendance nécessaire de la croyance qui, au temps de sa vitalité, les décréta en vue de se satisfaire.Si l’on considère que la croyance est pour l’homme sa réalité la plus immédiate, il apparaît que les formes générales et impératives — dogme religieux, loi écrite, et coutume, — où la croyance s’exprime, sont pour les peuples animés de cette croyance des attitudes de première utilité. Si d’autre part on observe, qu’à quelque moment de l’histoire et par une suite de lentes transformations, il arrive toujours que la croyance ancienne s’efface et disparaisse, on constate que la collectivité nouvelle, qui a dépouillé cette croyance, continue pourtant à être régie par elle, parce que cette croyance s’est survécu à elle-même dans la coutume et dans la loi où elle s’est durcie. Cette collectivité est ainsi contrainte de se plier à des attitudes conçues en vue de satisfaire une réalité qui n’est plus la sienne. La force de la coutume et de la loi l’oblige à se concevoir autre qu’elle n’est et une partie de son énergie est employée à accomplir, des actes dont les mobiles ne sont pas en elle-même. Telle est déjà, selon la version du maître historien, la situation des Grecs et des Romains, vis-à-vis de leurs coutumes et de leurs lois, dès qu’il nous est donné de les connaître.
Alors que les groupes humains qui deviendront par la suite les sociétés distinctes de l’Inde, de la Grèce et de Rome vivaient sur un territoire commun, quelle fut donc la croyance, également accréditée auprès de tous, qui se pétrifia par la suite dans la lettre des formules hiératiques et dans le texte de la loi, contraignant par des liens immobiles et fixes l’esprit mobile des hommes ? Ce fut, nous dit « Pour que l’âme fût fixée dans cette demeure souterraine qui lui convenait pour sa seconde vie, il fallait que le corps auquel elle restait attachée fut recouvert de terre. L’âme qui n’avait pas son tombeau n’avait pas de demeure. Elle était errante. Malheureuse, elle devenait bientôt malfaisante… Toute l’antiquité a été persuadée que, sans la sépulture, l’âme était misérable et que par la sépulture elle devenait à jamais heureuse11. »
Ce fut une nécessité, pour des hommes dominés par cette croyance, de réglementer le culte des morts, de fixer les rites de la sépulture. Il leur fallut pourvoir au besoin de cette vie souterraine qui devait être la leur durant un temps beaucoup plus long que celui de leur existence à la surface de la terre. Sous l’empire de cette croyance, un souci tout égoïste et un instinct de prévoyance les contraignirent d’organiser leur vie sociale en vue des nécessités de leur vie posthume. Le puissant intérêt qui était ici en jeu engendra le moyen d’intimidation coutumier, une religion fut inventée, les morts furent divinisés ; les tombeaux furent leurs temples et leur culte fut réglé suivant des rites. C’est cette religion qui à son tour fixa la forme des institutions sociales et voici les premiers actes par lesquels la croyance ancienne, retirée du terreau physiologique où elle avait germé, abstraite et détachée du souci humain dont elle était la servante, devint une idée dogmatique à qui il appartint de gouverner des consciences sans justifier de son droit.
Cette religion des Grecs et des Romains fut à son origine essentiellement particulariste. Chaque famille ayant un ancêtre distinct, c’est aux seuls descendants de cet ancêtre qu’il incomba d’apporter au mort le repas funèbre, d’entretenir la flamme du foyer, qui, enfermé dans l’intérieur de la maison, à l’abri des regards de l’étranger, avait été sans doute, aux premiers temps élevé, au-dessus de la première tombe familiale. On voit de suite de quelle importance fut la perpétuité de la famille au regard d’une telle croyance. Privés de descendants les ancêtres étaient privés du culte, ils étaient voués à la souffrance et voici pourquoi le célibat, dont l’idée dut être à l’origine repoussée avec horreur partout homme raisonnable, devint par la suite l’objet d’une interdiction religieuse, puis légale, qui longtemps fut maintenue en Grèce et à Rome.
L’adultère de la femme eut du même fait des conséquences d’une extraordinaire gravité : par la substitution possible d’un étranger à l’enfant légitime, les ancêtres se voyaient en effet privés des bénéfices du culte qu’ils ne pouvaient recevoir que de leurs descendants. On conçoit dès lors la rigueur de la peine édictée contre la coupable et la défense faite au mari d’accorder le pardon. On jugeait, en effet, qu’il n’était pas seul offensé par un crime qui mettait en péril le bonheur et la sécurité de tous les ascendants.
Parmi beaucoup d’autres, on ne mentionnera ici que deux des conséquences législatives que sanctionna la religion fondée sur la croyance primitive. D’une part la propriété fut inaliénable : on ne put ni la vendre ni la transmettre par testament. De l’autre, les femmes furent écartées de l’héritage paternel et furent considérées comme impropres à fonder en droit un lien de parenté, en sorte que la famille reconnue par la loi ancienne différa de la famille telle que l’établissent les liens du sang.
La propriété fut inaliénable, parce qu’elle n’était à l’origine autre chose que la terre même où était le tombeau ou celle qui l’entourait. La nécessité religieuse de célébrer le culte et d’apporter le repas funèbre au-dessus du tombeau s’opposa à ce qu’on aliénât le sol où il se trouvait. Le foyer et le tombeau furent à vrai dire les véritables possesseurs de la terre. Le culte dont ils devaient être honorés exigeait que la terre dont ils avaient pris possession fût transmise indéfiniment à toute la série des descendants chargés successivement d’accomplir les rites. « L’individu, dit Fustel de Coulanges, ne l’a qu’en dépôt, elle appartient à ceux qui sont morts et à ceux qui sont à naître. »12
Si la femme est exclue de l’héritage, c’est pour un motif de même ordre, c’est parce qu’en se mariant elle déserté le foyer et s’éloigne du tombeau des ancêtres. Bien plus elle va rendre le culte à d’autres dieux, à d’autres morts, à ceux qui sont les ancêtres de son mari. Or, « on ne peut appartenir ni à deux familles, ni à deux religions domestiques. »
13 Aussi, la cérémonie du mariage consistait-elle essentiellement en l’acte par lequel le père dégageait sa fille des liens religieux qui l’attachaient au foyer, et en cet autre acte par lequel l’épouse introduite dans la maison de l’époux était mise en présence du dieu domestique et touchait le feu sacré. Le mariage était pour elle une nouvelle naissance, elle devenait la fille de son mari, filiӕ loco. Ainsi tout lien était rompu entre elle et la famille où elle était née. Comment eût-elle hérité de son père selon le sang puisqu’il n’y avait plus entre elle et lui de lien familial ? Il en était de même du fils de cette femme qui reconnaissait pour aïeul, le père ce son père, mais non pas le père de sa mère. Ce n’était pas l’acte matériel de la naissance qui faisait la parenté : c’était la communauté par le culte. Deux hommes pouvaient se dire parents lorsqu’ils avaient les « mêmes dieux, le même foyer, le même repas funèbre »14. Il suivit de là que la parenté par les femmes n’exista pas. Or c’est cette législation que l’on retrouve chez les Romains à une époque déjà avancée. Leur agnation n’était autre chose que la parenté primitive telle que la fixait le culte au lieu du sang. « Deux hommes ne pouvaient être agnats entre eux que si, en remontant toujours de mâle en mâle, ils se trouvaient ont avoir des ancêtres communs »
.
Ce que l’on veut montrer ici, avec ces deux conceptions du droit de propriété et du lien familial, c’est d’une part, qu’elles admettent une construction parfaitement logique, qu’elles sont explicables par les mobiles les plus ordinaires de l’âme humaine, du point de vue de la croyance particulière que l’on a exposée sur le destin de l’homme, après la mort. C’est d’autre part que cette croyance ainsi qu’on l’avait annoncé, se survit à elle-même, dans les textes religieux et législatifs où ses prescriptions conservent un caractère impératif et une autorité réelle, alors que depuis longtemps déjà, elles ont cessé de répondre à une utilité. Il est arrivé ceci : les prohibitions, les règles et les contraintes qui se sont perpétuées dans le dogme et, dans la loi, n’étaient pour les hommes animés de la croyance ancienne, que des attitudes d’utilité raisonnées, Mais leur importance et leur utilité même eurent bientôt transformé ces attitudes naturelles en dogmes, dont la généalogie utilitaire peu à peu fut perdue. C’est sous cette forme détachée de la mentalité qui les avait produites et qui ne permettait plus d’en vérifier les titres qu’elles purent être proposées à des mentalités nouvelles, à des hommes en proie à des besoins différents.
Le beau livre de Fustel de Coulanges nous montre en effet les Grecs et les Romains dominés sur les deux points que l’on vient de dire par la croyance ancienne, alors que cette croyance n’est plus pour eux qu’un argument poétique. Dans cet état de faiblesse apparente, cette croyance entre encore en lutte avec la réalité nouvelle et les besoins nouveaux qu’elle contrarie. Elle conserve longtemps l’avantage, et, c’est seulement peu à peu, par de lentes et sournoises modifications, qu’une croyance nouvelle parvient à s’exprimer et à organiser à son profit la vie sociale : et de celle-ci, le triomphe est si tardif qu’il marque peut-être le moment où elle entre déjà en contradiction avec la croyance du lendemain. C’est ainsi qu’en Grèce, la défense de vendre la propriété demeure écrite dans la loi jusqu’à Solon. Des textes précis en font foi en ce qui touche à Sparte, aux villes de Locres et de Leucade. Phidon de Corinthe, au ixe siècle, exigeait que le nombre des familles et des propriétés ne pût être changé, ce qui expliquait jusqu’à la prohibition pour chaque famille de partager sa terre. D’ailleurs, si les lois de Solon lèvent les défenses antérieures, le caractère sacré de l’ancienne prohibition montre encore le pouvoir qu’il exerce sur les esprits à ceci : que le vendeur perd, par le fait de la vente, ses droits de citoyen. Il fallut qu’un long laps de temps s’écoulât encore avant que toute restriction au droit d’aliéner disparût.
À Rome de même : la loi des Douze tables, en permettant au citoyen de vendre le champ, lui interdit d’aliéner le tombeau qui s’y trouve inclus. Lorsque, plus tard, la vente de la totalité du domaine est enfin autorisée, elle doit être accompagnée d’une cérémonie religieuse analogue à la mancipation, et qui, sans doute, transmettait au nouveau propriétaire le culte, dont le droit de propriété n’était à l’origine qu’une conséquence.
À Rome comme en Grèce, en raison de la même considération religieuse, le droit de tester n’existe pas dans la législation primitive et le changement de cette prohibition en un régime nouveau ne se fait pas brusquement. En Grèce, Solon permit de tester à celui-là seul qui n’avait pas d’enfant. À Rome, lorsque la loi apporte quelque tolérance à sa première rigueur, elle exige du moins que le testateur rende sa décision publique. La disposition par laquelle il changeait quelque chose à la coutume héréditaire, devait être approuvée par un vote du peuple assemblé par curies sous la présidence du pontife. Il ne fallait rien moins qu’une loi pour modifier un ordre de choses que la religion et la loi ; interprètes d’une croyance abolie, avaient décrété.
Et ce n’est également que d’une façon détournée que la parenté établie par le sang parvint à se faire reconnaître et à se faire accorder en droit les mêmes effets que la parenté par le culte. « La législation athénienne, dit Fustel de Coulanges, visait manifestement à ce que la fille, faute d’être héritière, épousât du moins l’héritier. Si par exemple, le défunt avait laissé un fils et une fille, la loi autorisait le mariage entre le frère et la sœur, pourvu qu’ils ne fussent pas nés de la même mère. Le frère, seul héritier, pouvait à son choix épouser sa sœur ou la doter.
Si un père n’avait qu’une fille, il pouvait adopter un fils et lui donner sa fille en mariage. Il pouvait encore instituer par testament un héritier qui épousait sa fille.
Si le père d’une fille unique mourait sans avoir adopté ni testé, l’ancien droit voulait que son plus proche parent fût son héritier ; mais cet héritier avait l’obligation d’épouser la fille. C’est en vertu de ce principe que le mariage de l’oncle, avec la nièce était autorisé, et même exigé par la loi. Il y a plus : si cette fille se trouvait déjà mariée, elle devait quitter son mari pour épouser l’héritier de son père. L’héritier pouvait être déjà marié lui-même, il devait divorcer pour épouser sa parente. Nous voyons ici combien le droit antique, pour s’être conformé à la religion, a méconnu la nature. »15
On a cru devoir citer textuellement ce passage parce qu’il montre d’une façon frappante les compromis singuliers auxquels se voit entraînée une collectivité sociale pour concilier sa croyance actuelle avec les prescriptions d’une croyance morte qui a continué d’exercer son autorité dans l’idée abstraite et dans la loi. La croyance nouvelle tendait à fonder le droit successoral sur la parenté par le sang dont elle reconnaissait déjà l’importance jusque-là sacrifiée. Substituant une nouvelle évaluation à l’ancienne, elle allait bientôt décréter à son tour certaines prohibitions et parmi celles-ci l’interdiction du mariage entre proches. Or, contrainte de se méconnaître par l’ascendant qu’exerçait encore la croyance ancienne, elle ne parvenait à faire accepter quelques-unes de ses conséquences que par des moyens détournés, en se blessant elle-même de la façon la plus grave et en usant de fictions qui étaient encore un hommage rendu à l’ordre de choses ancien.
On voit donc par ces deux exemples, à côté desquels on en pourrait citer beaucoup d’autres que les Grecs et les Romains des premières périodes historiques appliquèrent à leur propre gouvernement des règles et des maximes instituées naguère en vue de satisfaire une croyance qui n’existait, plus dans leur âme et des intérêts qui n’étaient plus les leurs. Ainsi, à l’instigation d’une idée abstraite qui les dominait et qui puisait encore son autorité dans la loi, les Grecs et les Romains se conçurent, durant une longue période, autres qu’ils n’étaient. Les révolutions survinrent : elles furent précisément la lutte entre une attitude d’utilité nouvelle, exprimant des besoins immédiats, et la croyance idéologique qui, sous une apparence sacrée, n’exprimait rien de plus que des besoins anciens. C’est cette lutte dont
a magistralement exposé les phases dans la deuxième partie de son livre, où il nous montre les efforts de deux grands peuples pour mettre leurs lois en harmonie avec leurs besoins.