(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre X » pp. 83-88
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre X » pp. 83-88

Chapitre X

Suite de 1629 à 1640 (4e période) — Naissance de l’Académie française. — Le Cid de Corneille. — Critique du Cid par l’Académie française. — Opinion de l’hôtel de Rambouillet sur Le Cid. — Grands ouvrages, mis au jour par Corneille dans cette période.

De la conversation de l’hôtel de Rambouillet, de l’émulation de bien penser et de bien dire qu’elle avait excitée, est née l’Académie française.

Antoine Godeau, depuis évêque de Vence, Jean Ogier, sieur de Gombault, Jean Chapelain, Claude de Malleville, Valentin Conrart, tous habitués de l’hôtel de Rambouillet, firent partie des neuf hommes de lettres qui, en 1625, se réunirent chez Conrart, opulent financier, le moins docte, mais le mieux logé d’entre eux, pour discourir sur la langue et sur la littérature.

Boisrobert, qui veillait aux intérêts du cardinal dont il était secrétaire, eut l’adresse de se faire admettre à quelques séances de cette société ; il proposa au cardinal de lui donner une forme légale, de l’augmenter, et de s’en établir le protecteur. Le cardinal goûta cette idée. Boisrobert la présenta de sa part aux neuf amis, qui la reçurent avec déplaisir, voyant dans l’érection légale de l’Académie la perte de la liberté et de l’intimité qui faisaient le charme de leur réunion. Boisrobert insista, manœuvra, intrigua ; le cardinal se mit en avant. Pendant ce temps-là, la société s’accrut de dix-neuf membres, et s’éleva à vingt-huit, y compris Boisrobert. Alors la proposition du cardinal obtint sans difficulté la majorité. Du nombre de ces nouveaux académiciens, étaient. Jean Desmarets, sieur de Saint-Sorlin, Guillaume Bautru, comte de Serran, le marquis de Racan, Guillaume Colletet, qui étaient aussi des amis de l’hôtel de Rambouillet, puisque leurs noms se trouvent avec les cinq premiers, au nombre des dix-huit auteurs qui firent chacun un madrigal pour la Guirlande de Julie, en 1641.

En 1634, se fit le règlement de la nouvelle compagnie. Balzac, Vaugelas et Voiture y entrèrent cette année.

En 1635, furent données des lettres patentes pour la fondation légale de rétablissement, et Henri Louis Hubert de Montmor, autre auteur de la guirlande, y fut aussi compris.

À peine l’Académie était-elle formée quand Corneille donna Le Cid. Georges de Scudéry en fit une critique offensante et provoqua celle de l’Académie naissante dont Corneille n’était pas membre. Le cardinal, jaloux du poète qui lui échappait, et envieux en même temps de sa gloire, imposa à l’Académie la critique du Cid. L’Académie s’honora par la sagesse de ses remarques et par une équitable distribution d’éloges et de critique. Voltaire a rapporté cet écrit dans son édition de Corneille. Je ne parle ici d’un fait si connu que pour faire observer quel hôtel de Rambouillet prit chaudement le parti de Corneille, et contre Scudéry, et contre l’Académie elle-même ; ce qui était se déclarer en même temps contre le cardinal, qui aurait voulu voir Corneille humilié.

Lorsque Le Cid parut, Julie avait vingt-neuf ans. C’était l’époque la plus brillante de l’hôtel de Rambouillet ; c’était aussi l’époque où commença la gloire du grand Corneille. Scudéry lui reprochait d’avoir imité dans Le Cid un ouvrage du théâtre espagnol ; il ne voyait en lui qu’un traducteur de Guilain de Castro ; il prononçait que Corneille était tout à fait dénué du mérite de l’invention. Corneille répondit à ce reproche en 1639, par Les Horaces et Cinna ; en 1640, par Polyeucte ; en 1641, par La Mort de Pompée ; en 1642, par Le Menteur ; en 1645, par Rodogune.

Tous ces chefs-d’œuvre parurent en dix ans. Corneille lisait toutes ses pièces à l’hôtel de Rambouillet, avant de les mettre au théâtre. Voltaire rapporte, d’après un écrit du temps, que mesdames de Rambouillet trouvaient le christianisme trop exalté dans Polyeucte ; et Voltaire approuve ce jugement. Il attribue le succès de la pièce aux rôles admirables de Sévère et de Pauline.

Quelle prévention que cette qui fait voir un bureau de fade bel esprit dans cette maison, ou le poète le plus mâle de notre littérature et le plus élevé, à qui il n’est arrivé qu’une seule fois de mettre une passion amoureuse sur la scène, allait chercher des conseils et des encouragements, échauffer et exalter son énergique talent, et où il trouvait l’inexprimable bonheur délie goûté, senti, admiré dans son élévation et dans sa profondeur, par des femmes qui s’étaient passionnées dans la noble conversation de Balzac pour la grandeur romaine !

Je me trompe en accusant ici la prévention ; non : c’est simplement le besoin d’écrire qui fait adopter sans examen et sans conviction un texte de déclamations reçues et en fait exagérer l’expression, pour ne pas reproduire les mêmes idées précisément sous les mêmes paroles. On se persuade qu’on peul suppléer à la nouveauté des assertions ou racheter ce qu’elles oui de suranné parle mérite d’une rédaction plus énergique, et qu’on est plus énergique quand on est plus absolu et plus outré.

Quelques écrivains ont fait honneur à l’influence d’Anne d’Autriche et à l’esprit espagnol apporté par elle en France, du premier essor de Corneille. Corneille n’était point reçu à la cour d’Anne d’Autriche ; il suivait celle du cardinal, qui était alors tout opposée. Ce fut à Rouen, sa ville natale, qu’un secrétaire de Catherine de Médicis (nommé Chalons) l’engagea à apprendre l’espagnol et à étudier le théâtre écrit en cette langue.

C’est du reste un tic commun à beaucoup d’écrivains, d’indiquer dans nos vieilles cours l’origine du génie en tout genre, comme s’ils étaient aussi sûrs de la trouver cette source qu’ils le sont d’y trouver l’origine des plus grands vices. Nous aurons occasion de revenir sur cette maxime, quand nous serons au temps de Molière, de Racine et des grands hommes qui ont illustré le siècle de Louis XIV. Ici il suffit d’observer qu’il y eut à la cour d’Anne d’Autriche plus de galanterie que de bel esprit, et plus d’intrigues d’amour que d’intrigues littéraires ; et enfin qu’à l’époque dont nous parions, la galanterie des Amadis, qu’on appela très improprement chevaleresque, était fort en désarroi depuis le Don Quichotte qui avait paru au commencement du siècle.

En résumé, durant cette période de 1620 à 1634, quels personnages figurent à l’hôtel de Rambouillet ? Nous y voyons Malherbe, honoré, fêté, chéri, y finir sa carrière ; le grand Corneille, distingué, encouragé, soutenu, y commencer la sienne ; et le sage, le vertueux, le sévère Montausier y fixer les vœux de la mère pour sa fille, et devenir maître de l’esprit et du cœur de Julie. Aucun de ces personnages ne peut donner lieu à l’imputation de préciosité et d’affectation, qu’on a tant répétée contre l’hôtel de Rambouillet.

J’observe, en finissant ce chapitre, que vers la fin de la période dont il traite (en 1637) parut le premier ouvrage de Descartes, celui qui l’ait son plus incontestable titre de gloire ; je parle de son Discours sur la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Cet ouvrage écrit en français est d’un style pur et d’une limpidité parfaite. Rien ne m’a appris si Descartes était alors de la société de la marquise. Mais on voit dans les lettres de Mad. de Sévigné et dans d’autres documents que les femmes les plus illustres qui brillaient à l’hôtel de Rambouillet lorsqu’il a fini, étaient disciples et admiratrices passionnées de Descartes.