Chapitre XXII.
La comtesse Guiccioli25
I
Il y a déjà quelques années, — et plusieurs, avant le livre sur Byron de l’auteur de Robert Emmet 26, — que parut, en 1868, je crois, un livre intitulé : Byron jugé par des témoins de sa vie. Or ces témoins de la vie de Byron n’étaient qu’un. C’était Celle qui avait été sa vie dans le sens le plus intime et le plus poétique du mot. C’était celle-là qui avait été dans sa jeunesse la comtesse Guiccioli, et qui devint la marquise de Boissy, dans le déclin de son automne, comme aurait dit Lamartine. Elle ne se nomma pas autrement alors. Mais dans ces mœurs de cristal, — non par la pureté, mais par la transparence, qui font à présent une espèce d’aquarium de Paris, — personne n’ignora que la main, — beaucoup trop et vainement gantée, — qui avait écrit ce livre sur Byron, était, puisque la main de Byron est glacée, celle de toutes les mains qui avait le plus le droit de récrire, pour être restée dans la sienne… Si les femmes que nous avons aimées deviennent une part de nous-mêmes, c’était une part de Byron, — encore vivante ici-bas, — qui allait continuer les Mémoires et dire leur vérité dernière. Intérêt réveillé, inattendu et prodigieux ! Admettez un moment que Laure eût aimé Pétrarque, — et qui sait si elle ne l’aima pas ? — ou que la Portinari ne fût pas morte à douze ans, mais qu’elle eût vécu sur le cœur du Dante, — et supposez qu’on vînt vous dire, tout à coup, ce matin, que toutes les deux ont écrit, — l’une sur Pétrarque, l’autre sur Dante, — avec quelle violence d’intérêt ne vous jetteriez-vous pas sur le livre qu’elles auraient laissé !… Quel jour inouï ne vous attendriez-vous pas à voir jaillir de ces deux cœurs sur ces deux poëtes ! Eh bien, c’est un jour tout pareil, c’est ce torrent d’azur, qui pouvait tomber aujourd’hui sur Byron et l’éclairer jusqu’aux abîmes !… Il y a de la sottise et du mensonge dans toute gloire faite par les hommes ; mais quelles plus charmantes et plus touchantes rectifications que celles de l’amour ?… Voilà ce que je pensais, en ouvrant avec les frémissements de la curiosité la plus excitée, ce livre sur Byron, qui paraissait après quarante ans de silence, simplement, comme un livre ordinaire, et qui, s’il avait été ce qu’il eût dû être, aurait éclaté !… Je pensais alors à ce qu’aurait dû être un livre sur Byron, écrit par la seule personne qui, dans l’univers du présent, comme dans l’univers de l’avenir, eût pu l’écrire, si elle avait osé !… Je me disais qu’un pareil livre, intime, celui-là ! profond, à fond d’âme, qui nous vengerait des étouffements de l’étouffeur Moore, ne serait pas, ne pourrait pas être, sous un titre fallacieux, ce vieux procès de lord Byron, jugé par tous les témoins de sa vie, ces témoins que nous connaissons tous, — que nous avons rapprochés et comparés tous, et dont nous avons épuisé tous les témoignages ! Je me disais que quand il s’agit de Byron et qu’on eut l’honneur d’en être aimée, il fallait quelque chose de plus… Je m’étais persuadé qu’une femme, au moins d’esprit, qui s’aviserait d’avoir du courage, après avoir si longtemps pensé au danger d’en avoir et qui prenait, au dernier moment de sa vie, le parti de dire le mot de la fin sur Byron, ne voudrait pas, uniquement, nous précipiter dans d’anciennes lectures déjà faites, et nous faire reprendre un bain déjà pris dans la même baignoire et dans la même eau. Et cependant que Dieu me pardonne et le lui pardonne ! Je me suis trompé. Ce que je croyais impossible est arrivé. Je suis sorti d’un bain que j’avais déjà pris. Je me suis replongé dans les premières sensations intellectuelles et les premières admirations de ma vie ; mais ces sensations retrouvées, je ne les ai pas dues à celle de qui j’en attendais de plus vives et de plus complètes. Il n’y a point ici — quel désastre ! — en ce livre de tant de promesses, — un seul fait, une seule réalité, un seul détail, qui ne soit connu, — qui ne soit presque devenu un lieu commun de l’histoire de Byron. Et ce n’est rien que cela encore ! Dans ce livre écrit par une femme qui doit tout savoir de l’homme dont elle parle, puisqu’elle l’aima et en fut aimée, il n’y a pas même une vue, une pensée, une observation sur cet homme qui puisse ajouter à ce que nous en savons. Le livre que voici donne une opinion de plus sur Byron, mais ne change pas, par un fait nouveau, mais ne modifie pas d’un iota, d’un atome, d’un atome d’atome, l’opinion faite de longue main sur Byron, Historiquement, biographiquement, littérairement, tout ce qui est dit ici a été dit ailleurs sur le grand poëte anglais, dont la vie ressemble à ces fragments sublimes interrompus du Giaour, plaques de lumière et d’ombre ; et sa destinée est peut-être de rester mystérieuse, comme celle de ces Sphinx de l’Action, — Lara et le Corsaire, — ces Mystères vivants qu’il a chantés !
II
Eh bien ! la cause de ce déchet d’un livre médiocre, sur un homme de génie, par l’être qui devait trouver, pour en parler, des accents de génie dans le fond de son propre cœur, — oui, la cause de ce triste phénomène d’un livre, écrit et pensé comme l’eût écrit et l’eût pensé le premier bas-bleu venu, c’est uniquement le bas-bleuisme. Et quand je dis le premier bas-bleu venu, je dis trop, cependant… Mme Guiccioli ne l’était pas ; elle n’avait ni la morgue, ni l’insolence, ni la pose des bas-bleus vulgaires… Mais quand elle songea à nous donner son livre sur lord Byron, elle n’était déjà plus la suave Italienne à robe blanche et à esprit ingénu, que l’auteur de Childe-Harold avait aimée… Les années avaient pâli ses cheveux d’or… Dans d’autres temps, elle fût probablement devenue dévote. Après Byron, il semble qu’il n’y ait plus que Dieu ! Mais elle était de ce temps d’indifférence religieuse où les femmes préfèrent à l’eau bénite du grand Pascal l’encre vaniteuse de leur écritoire ; et tout doucement, elle se fit bas-bleu, d’une nuance très douce, il est vrai, et peu appuyée… Elle glissa dans l’azur… Elle avait attendu. Les bas-bleus qui faisaient partie de la société qu’elle voyait, en France, mirent du temps à lui donner sa teinte… Que lui dirent-ils pour qu’elle la prit ?… Lui dirent-ils qu’elle se devait à elle-même de prouver au monde qu’une femme aimée de lord Byron, n’était pas simplement la rose et la pêche, préférées dans les femmes par le sensuel et insolent Rivarol ?… Toujours est-il que la femme la moins née pour écrire, écrivit. Toujours est-il que cette substance de femme grasse et blonde faite pour la sieste et l’amour turc, que cette espèce d’indolente houri qui a peut-être posé pour la Dudu du Don Juan, de sa main languissante, lança un livre, qui n’était ni un éclair, ni une foudre… Il ne pouvait l’être, d’ailleurs, qu’à la condition de fouler aux pieds toutes les mesquines considérations de la femme et du bas-bleu et il ne les y foulait pas… Le bas-bleuisme, cette affectation enragée de la personnalité des femmes tue, en elles, plus ou moins l’amour, comme il tue plus ou moins le génie.
Mme de Staël, qui, même sans amour, aurait mieux parlé de Byron que Mme Guiccioli, n’arracha jamais entièrement son génie au bas-bleuisme quelle tenait de la race pédante (les Necker, père et mère) à laquelle elle appartenait… Mais le cœur de Mme Guiccioli était moins vaillant que le génie de Mme de Staël… C’était un genre de cœur qui ressemblait à son genre d’esprit. Un jour, elle avait voulu atténuer Don Juan. Elle allait atténuer Byron et elle-même. Elle avait pu condescendre avec son nom de Guiccioli, immortalisé par Byron, à épouser le marquis de Boissy, ce personnage de comédie politique dont, en ce temps-là, toute la France riait ; et la marquise de Boissy ne devait pas oser, avec la décence comme le monde comprend la décence, tout dire de l’intimité de la comtesse Guiccioli avec lord Byron, L’embarras qu’elle éprouvait fut si grand, qu’il résista aux picotements de l’amour-propre du bas-bleu, du bas-bleu qui l’excitait à profiter de cette position, unique pour le succès d’un livre, d’avoir été la maîtresse de lord Byron !… Aussi, au lieu de faire son livre à elle, elle refit les livres des autres, n’y ajoutant que le sentiment d’une femme qui se fait à elle-même de petites chapelles, en faisant de Byron un Dieu.
Mais ce fut là tout !… Dans le livre qui devait nous venger de Moore, je ne vois que Moore… Je ne vois d’intéressant, de clair, de vrai et de vraisemblable que ce qu’elle y transcrit de Moore. Elle n’y change rien nulle part, et elle le cite partout. Elle le délaye, en y mêlant tout le sucre d’un cœur qui ressemble à une canne à sucre, et des vanités de femme flattée de ce qu’autrefois elle inspira ; lesquelles, par exemple, je ne trouve ni accusées, ni assez grandes, ces inoffensives vanités !
III
Car enfin, disons-le, et pourquoi ne le dirions-nous pas ? il n’y a que deux positions pour une femme que Byron, en l’aimant, a faite immortelle : c’est d’accepter fièrement et fastueusement cette immortalité — ou c’est d’en souffrir pudiquement en silence, puisque rien ne saurait jamais éteindre cette étoile, allumée sur un front qui peut en rougir… Dans le premier cas, ce livre ne serait pas assez et dans le second il serait trop… Mais la femme, la femme, hélas ! plus éternelle en ses instincts que Byron, avec tout son amour et tout son génie, ne pouvait la faire immortelle, s’est épouvantée de ces deux situations si nettes et n’a pas voulu de leur lumière. Ici la femme s’ajoute au bas-bleu. Les albinos n’aiment pas le jour. Ce qu’il faut à la femme, ce sont des pénombres. C’est l’anonyme, mais trahi à l’oreille, dans les intérêts du bas-bleu…, — le bénéfice du voile, cette invention la plus digne de la femme, qui la révèle, en la cachant. Ce qu’il lui faut, c’est qu’on sache qu’elle a fait ce livre, — ce misérable livre où jusqu’à la personnalité du souvenir a été effacée, — et de pouvoir dire cependant, si cela lui plaît, qu’elle ne l’a pas fait. Certes, voilà qui est prudent, adroit, mystérieux et piquant… peut-être ! Mais avec cela, en fait de bravoure de cœur, on n’est jamais Mlle de l’Espinasse ! On n’est pas même Mme Denis ; et en fait de livres, on pond celui-ci !
Du reste, en y réfléchissant, il n’était pas facile à faire, ce livre sur Byron, que voilà manqué ! Il n’était pas facile, même pour la femme aimée, quand elle aurait eu l’âme que, d’abord, je lui rêvais. L’histoire est là pour nous instruire. Vous pouvez chercher dans l’histoire, cette grange d’observations accumulées par les siècles, si les femmes aimées des plus grands hommes ont compris quelque chose aux âmes égarées jusqu’à elles !
Vous savez combien il y en a.
IV
Et d’ailleurs, je l’ai dit déjà, dans ce volume27, de tous les grands hommes dont la grandeur embarrassa leur siècle, et put, du même coup, embarrasser leurs maîtresses, lord Byron est évidemment le plus difficile à comprendre et à pénétrer… Qui sait si pour lui, sans l’amour, ce n’a pas été comme dans la vie ? Dans la vie, lord Byron sur lequel on a tant parlé et tant écrit, — tant entassé de versions ineptement brillantes ou absurdement contradictoires, lord Byron, malgré tout cela, et peut-être à cause de cela, n’est pas lumineusement et intégralement connu encore. On ne le possède pas. Il n’a été traversé par personne de ce rayon tout-puissant qui fixe à jamais ce qui remue et illumine ce qui est obscur. Comme la plupart des grands hommes — et des grands hommes dans l’ordre de l’imagination qui, semblables à l’univers, ont été livrés aux disputes des sages, — lord Byron attend toujours son historien complet, définitif, irrévocable, qui ferait finir la discussion. Il a eu son marbre à Westminster avant cela ! Il a eu sa statue taillée par l’Opinion dans un à peu près sublime ; mais la médaille qu’on regarde de près, la médaille précise, nette et profondément fouillée, qui donne profondément le génie d’un homme, je ne la vois dans aucune main. Byron, qui fut non seulement le plus grand poëte des temps modernes, mais la poésie elle-même dans sa réalité, c’est-à-dire, un mystère, est resté un mystère comme la poésie. Ceux qui n’ont pas compris Byron l’ont traité de bizarre. Manière ordinaire de juger ! Ce génie qui vous échappe déjà par en haut, de cela seul qu’il est un génie, vous échappe encore par tous les autres côtés, en raison de cette ondoyance de facultés, qui va du Childe-Harold au Don Juan. Multiface, multicolore et multiforme, Byron a été pour l’imagination de ses contemporains un inépuisable kaléidoscope qui tournait toujours. Le caractère de ce singulier génie, c’est d’être profond et mobile tout à la fois, — quelque chose comme un arc-en-ciel sur un gouffre… Or ce n’est pas le gouffre à sonder qui est difficile. C’est l’arc-en-ciel à fixer qui est sur le gouffre ; l’arc-en-ciel qui attire la main après l’œil ; qui s’en joue et qui la désespère ! quand ce serait même la main de l’amour.
Et celle-ci n’a pas été plus heureuse que les autres… La mobilité dans la profondeur qui est la caractéristique, géniale et humaine, de Byron, et qui pourrait, d’un seul trait, nous éclairer toute sa vie, n’a pas été saisie par la femme qui nous a donné ce Byron jugé… et qui ne l’est pas ! Elle n’a rien compris à ce pensif et capricieux, qui eut le caprice au même degré que la pensée… Je parlais d’arc-en-ciel. Mais il y a plus charmant et plus changeant encore que l’arc-en-ciel, pour exprimer toutes les nuances de la fantaisie, et c’est l’enfance ; c’est l’impatientante et adorable enfance ! Or qui sait si ce sombre et moqueur Byron, avec tout son génie, ne fut pas toujours, au fond, un enfant ?… Et, si ce ne fut pas sa manière, à lui, sa plus claire manière d’être un grand homme ?… Et, certes ! je ne dis pas ceci pour diminuer Byron. Les enfants sont plus beaux que les hommes. Jamais un homme, si beau qu’il puisse être, n’est beau comme un enfant est beau. Né depuis moins de temps et sorti fraîchement des mains de Dieu, il semble radieusement imprégné des baisers que Dieu lui donnait encore, ce matin… Il semble qu’il y ait sur les roses de son front un reflet des portes du ciel, et de la première aurore de la création… Eh bien ! Byron, dans son génie, est un enfant de cette beauté-là.
V
Tous les poëtes et tous les grands poëtes ne sont pas de rigueur, ainsi. On a dit, je le sais bien que, tous les poëtes étaient, plus ou moins, des enfants sublimes ; mais pour être déjà ancien, le mot n’est pas plus vrai. Dante et Shakspeare, qui sont de grands poëtes, ne sont certes, jamais des enfants… Ce sont toujours des hommes sublimes, si on veut, mais parfaitement des hommes ; tandis que Byron, pour qui sait voir, n’est ni un poëte ni un homme comme Shakspeare et Dante l’ont été, L’enfance, avec sa grâce et ses mille choses divines, et aussi avec ses enfantillages, puisqu’elle est l’enfance, se mêle à la grandeur de Byron, — de ce Byron le plus grand des poëtes de notre âge, et dont un des enfantillages, par exemple, et parmi tant d’autres, fut de vouloir être un dandy…
Un jour, il écrivait, en 1821, à Ravenne : « Un des plus accablants et mortels sentiments de ma vie, c’est de sentir que je n’étais plus un enfant. »
Mais quand il écrivait cela, comme il se trompait ! Il n’avait jamais cessé de l’être et il le fut toujours. Ce beau front de jeune homme qu’il emporta comme Achille si prématurément dans la tombe, il ne put jamais entièrement ressuyer des teintes d’aurore de l’enfance. Elles y étaient encore à l’heure de mourir, quand mêlant l’enfantillage à l’héroïsme, il se fit faire, avant de partir pour la Grèce, ce beau casque d’or, de forme homérique, dont il aimait à parer son front devant le miroir de la Guiccioli, avec des coquetteries et des fatuités de Sardanapale… Ce fut peut-être la conscience obscure de ce qu’il était, qui lui inspira d’intituler Childe-Harold le poëme qui commença sa gloire. Childe Harold, c’est-à-dire, l’enfant Harold ! comme plus tard, il fut l’enfant Juan, un autre enfant encore ! Comme les enfants, du reste, Byron, partout, autant dans sa vie que dans ses œuvres, a été l’être vrai de tous les contrastes, et il n’y eut jamais d’autre explication à donner de son génie et de ses œuvres que cette vérité. Oui, l’être vrai de tous les contrastes ! Car il était violent et doux, indolent et passionné, efféminé et héroïque, magnanime et mesquin, enthousiaste et moqueur, moral et immoral, sceptique et religieux ; il était tout cela en même temps et tour à tour, — comme les enfants sont ce qu’ils sont — et comme eux, en l’étant, il obéissait à sa nature. Et parce qu’il était tout cela également, parce que sa nature était toutes les natures, ceux qui l’ont haï et ceux qui l’ont aimé ont pu choisir en lui ce qu’ils ont voulu de ces contrastes pour l’accuser ou pour le défendre, pour le faire adorer ou maudire ! Il a été leur Musée d’armes, à tous ! pour lui ou contre lui ; et ils ont pu prendre ce qu’ils ont voulu dans le tas !
Et elle aussi, elle y a pris, dans le tas, la femme du Byron jugé ; et pourtant, de tous, elle était celle qui devait le moins y prendre ! Avec son passé, avec ce qu’elle fut et ce qu’elle est devenue, avec ce que le monde tout entier sait d’elle, elle était — pour l’honneur de son livre, — tenue d’apporter sur Byron des notions que n’avait encore données personne. Elle devait éclairer jusqu’aux racines ce cœur qu’elle a eu dans les mains. Et qui la forçait en effet à sortir d’un silence de plus de trente années pour venir toucher à cette retentissante mémoire, si elle n’avait pas à ajouter quelque grand accord à cet immense retentissement ?…
VI
Elle a cru y ajouter, cependant.
Elle a eu cette naïveté et cette confiance. Elle a cru sérieusement qu’avec ses deux volumes d’échos, elle allait dissiper les dernières brumes qui sont peut-être un charme de plus pour nos rêves idolâtres sur l’adorable figure de lord Byron. Elle a cru qu’elle allait changer le Byron de l’opinion faite et en nous l’affirmant sans preuves et sans notions nouvelles à l’appui de son affirmation, nous faire son Byron, — à elle, — son Byron purifié et rectifié ; car le sens du livre qu’elle publie, c’est, ne vous y trompez pas, je vous prie, une délicate purification de Byron…… J’ai parlé plus haut de petites chapelles, élevées discrètement et chastement, tout le long du livre, à la mémoire de Byron ; j’ai dit même que je comprenais très bien qu’elles y fussent élevées… Mais je les crois trop en albâtre… Il y en a à la religion, à l’humanité, à la bienveillance, à la modestie, à toutes les vertus de l’âme de Byron (textuellement), à son amour de la vérité, mais c’est aussi par trop de chapelles… Les vertus de Byron font un drôle d’effet… Sont-ce les cardinales ?… ou les théologales ?… ou les astragales ?…
Le Byron vertueux qu’on trouve ici, le Byron éthéré, le Byron même anachorète — comme saint Antoine, — ce Byron enfin de perfection idéale, angélique et archangélique, m’inquiète légèrement, je l’avoue ; et quoique je n’aie jamais cru aux bêtises et aux calomnies du bégueulisme sur Byron, je ne crois pas pourtant qu’il fût si ange et si archange que cela… Il devait faire, très bien, ses sept petits, péchés mortels par jour, — comme on dit que les font les Justes…
L’auteur du Byron jugé, qui est une Italienne et une catholique, nous a enlevé un Byron de vitrail et de sainte chapelle, mais ce n’est pas plus le Byron vrai que le Henri de La Rochejacquelin de Hopwood — un ange aussi, — toujours les anges ! — n’est le La Rochejacquelin de la, réalité ; — que la Charlotte Corday d’Adam Salomon, traduite en marbre de l’Ange de l’assassinat de Lamartine, n’est physiquement la vraie Charlotte Corday, qui fut, comme le savent ceux qui ont vu ses portraits originaux, une figure piquante de trumeau, le minois chiffonné d’une soubrette du xviiie siècle ! Certes ! il était beau, Lord Byron, — cela n’est pas douteux, — et surtout il n’était pas si noir et si diable que les sots et les hypocrites protestants l’ont fait ; mais sous la plume de celle qui a pourtant un intérêt à le trouver irrésistible, il finit par être trop beau, et on lui voudrait, au moins une des verrues que Cromwell disait à son peintre de ne pas oublier.
VII
Et j’ai tout dit de ce livre sur Byron, qui a calomnié Byron en beau et en bon, comme d’autres l’ont calomnié en laid et en mauvais. Sorti d’un silence, ce livre est rentré dans le silence. Qui en parle maintenant que le salon bleuâtre de la marquise de Boissy a été fermé par la mort ?… Ce livre, qui aurait dû être d’un intérêt incomparablement supérieur, n’est que d’un intérêt vulgaire. Il est vain dans les deux sens du mot, et quoique plein, il est très vide… Le mot de la fin sur Byron ne sera jamais dit. Prenons-en notre parti, si nous pouvons. Pour le dire, il aurait fallu une âme passionnée, vaillante et fière qui eût regardé l’opinion de ses contemporains bien en face et qui eût dit : « Va te coucher ! » à cette opinion qui, dans quelques jours, ira se coucher dans la tombe. Or il n’y a ici qu’un bas-bleu sous lequel s’entrevoit la femme du monde, la femme comme il y en a tant, qui ne se doutent même pas de la nature de l’homme qu’elles ont pressé, avec une tendresse bête, dans leurs doux et faibles bras. C’est une de ces femmes-là, qui, seule, pouvait écrire le livre que voici, fade et myope, sur un aigle désaccouplé qui n’a rien trouvé qu’une pigeonne où il croyait peut-être trouver une femelle de son espèce et de sa race. Il n’y avait qu’un bas-bleu… tendre. C’est ainsi que lord Byron, l’ennemi des bas-bleus a toujours été leur victime. Orphée est toujours victime des Ménades. Les Ménades de lord Byron, ce sont les bas-bleus. Il a eu contre lui Caroline Lamb et lady Blessington. Il a eu contre lui lady Byron, sa femme, qui lui a brisé le cœur, et jusqu’à la comtesse Guiccioli, sa maîtresse, à qui il avait donné ce cœur brisé et qui le lui a si maladroitement embaumé !