(1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236
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(1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet.

François Hédelin, abbé d’Aubignac & de Meimac, étoit Parisien. Il fut d’abord avocat. L’espérance de s’avancer plutôt lui fit embrasser l’état ecclésiastique. Son mérite parvint à la connoissance du cardinal de Richelieu, qui lui confia l’éducation de son neveu, le duc de Fronsac. Ce cardinal, dont la grande ame étoit flattée de faire la fortune de tous ceux qui s’attachoient à lui, n’oublia pas l’abbé d’Aubignac, qui sçut lui faire assidument sa cour, & plaire à son élève. Le précepteur, homme d’esprit & d’érudition, fut, en très-peu de temps, pourvu de deux abbayes. Il prit le nom de celle de d’Aubignac, diocèse de Bourges. Non content de cette récompense, le jeune duc eut à peine atteint l’âge de vingt-cinq ans, que le premier acte de majorité qu’il fit fut de donner à son précepteur une pension de quatre mille livres à prendre sur tous ses biens. La protection déclarée d’un grand ministre, & son propre mérite, procurèrent à l’abbé d’Aubignac l’entrée des meilleures maisons de Paris. Il joua, dans le monde, une forte de rôle, mais principalement dans le monde sçavant. Point de genre de littérature qu’il n’ait embrassé. Il fut tour à tour grammairien, humaniste, poëte, antiquaire, prédicateur & romancier. Il avoit beaucoup de feu dans l’imagination, mais plus encore dans le caractère. Malheur à quiconque n’adoptoit pas ses idées, & refusoit de reconnoître les loix qu’il vouloit établir sur le parnasse. L’abbé d’Aubignac se croyoit fait pour y règner seul. Jamais homme de lettres ne fut d’une humeur plus altière, d’une vanité plus ridicule, d’un commerce plus difficile & plus insupportable.

Il se brouilla d’abord avec Ménage. C’étoit à propos de Térence, ce comique d’un si bon goût, heureux imitateur de Ménandre & supérieur à Plaute, du moins pour la vérité des caractères & des mœurs, pour les graces de la diction. Celle de Térence est toujours pure, toujours élégante, & sent l’homme du monde ; ce qui fait dire à Cicéron que toute la politesse Romaine est renfermée dans cet écrivain. L’abbé d’Aubignac & Ménage, après avoir discuté, dans une conversation qu’ils eurent ensemble au jardin du Luxembourg, les beautés de détail des comédies de Térence, passèrent à la contexture de ses pièces. Ils agitèrent, avec beaucoup de vivacité, laquelle est la plus conforme aux règles du théâtre ?

Ce point de discussion étoit principalement du ressort de l’abbé d’Aubignac. La nécessité de faire sa cour au cardinal de Richelieu, passionné pour le théâtre, l’avoit obligé d’étudier à fond les loix du dramatique. Ménage, au contraire, entendoit peu cette matière. Il se connoissoit mieux en petits vers Italiens & François, en élégies, en épîtres, en épigrammes*.

L’envie de se donner pour connoisseur en tout lui fit dire que l’Hécyre de Térence étoit sa pièce la plus régulière. D’Aubignac se récrie là-dessus. Ménage soutient son opinion. Ils s’animent, ils s’aigrissent. La promenade finie, Ménage vient chez lui relire Térence. Il repasse sur toutes les pièces de cet excellent comique. Après en avoir analysé les beautés & les défauts, il trouve que l’Heautontimoruménos n’étoit pas dans les règles du théâtre. C’en fut assez pour lui faire croire qu’il n’avoit rien avancé que de juste. Il abandonne l’Hécyre, & fier de sa nouvelle découverte il la mande à l’abbé d’Aubignac.

Cet abbé veut que Térence soit parfait, & qu’aucune de ses comédies ne pêche par le plan & l’ordonnance. Il donne un discours sous ce titre : Térence justifié, ou discours sur la troisième comédie de Térence, adressé à M. Ménage. Le discours fit effet. Il mortifia celui qui l’avoit occasionné. Ménage en témoigna son ressentiment par une réponse à l’abbé d’Aubignac, qui ne jugea plus à propos d’envoyer d’autres écrits à l’adresse de son adversaire. On crut alors la dispute tombée. Mais elle devint plus vive.

Ménage, en 1652, donna une édition de ses œuvres. Il y avoit mis sa réponse au discours de d’Aubignac, précédée de ce même discours. Cet abbé regarda cela comme un outrage. Il se remit à critiquer, à chercher quelque moyen de vengeance contre l’éditeur qui l’avoit offensé. La haine l’inspira si bien que plusieurs de ses amis, voyant cette nouvelle critique avant l’impression, lui conseillèrent de retrancher des choses qui ne pouvoient tourner qu’à sa honte. Il y consentit, mais à cette condition que Ménage ôteroit également de sa réponse les personnalités dont elle étoit remplie. On va trouver Ménage, on l’exhorte à se rendre à des propositions de paix, à ne laisser subsister, dans ses ouvrages, aucune marque de ressentiment. Il est inflexible ; il ne veut rien ôter. Il s’écrie : Quod scripsi, scripsi  : ce qui est écrit est écrit ! En conséquence, l’ouvrage de l’abbé d’Aubignac parut sans aucun changement. Il le fit imprimer avec son premier discours sur Térence. Le tout fut donné sous ce titre : Térence justifié, ou deux dissertations sur la troisième comédie de Térence intitulée Heautontimorumenos, contre les erreurs de M.e Gilles Ménage, avocat en parlement.

On s’attendoit à voir Ménage soutenir sa fermeté, & se livrer à la plus grande violence. Mais tout son feu s’éteignit. Des remords de conscience le prirent. Il dit qu’il avoit juré de ne jamais écrire ni lire des libèles ; qu’il ne vouloit point manquer à sa parole, quoiqu’il eût été traité de scrupuleux par les plus célèbres casuistes de la maison de Sorbonne, & du collège des jésuites. Ce changement de langage cet air de modération fut mal interprêté. On plaisanta sur sa dévotion & sur le goût qu’il conservoit pour les femmes. Il rendit des soins à mesdames de la Fayette & de Sévigné. Il aima sur-tout madame de la Fayette, lorsqu’elle s’appelloit mademoiselle de la Vergne. Il l’a célébrée sous le nom de Laverna. L’équivoque de ce mot avec le mot latin Laverna, déesse des voleurs, occasionna l’épigramme* suivante, dont le sel tombe sur la réputation de frippier de vers que s’étoit faite Ménage.

        Est-ce Corinne, est-ce Lesbie,
        Est-ce Phyllis, est-ce Cynthie,
        Dont le nom est par toi chanté ?
Tu ne la nommes pas, écrivain plagiaire,
        Sur le Parnasse vrai corsaire ;
        Laverne est ta divinité.

La haine capitale que se portoient d’Aubignac & Ménage avoit moins son origine dans leur amour pour la vérité & dans la connoissance qu’ils avoient des loix théâtrales, que dans leur rivalité. Chacun vouloit que ses jugemens fussent des oracles. Leur maison étoit le rendez-vous de la plupart des gens de lettres. Il se tenoit toutes les semaines, chez l’un & chez l’autre, une assemblée où l’on se communiquoit ses lumières. Celle qui se faisoit chez l’abbé d’Aubignac portoit son nom, & l’autre s’appelloit Mercuriale *.

Ménage approchoit en quelque chose de Vaugelas & de Bouhours. Sa Requête des dictionnaires lui ferma l’entrée de l’académie françoise. Il fut de celle de la Crusca. Cet écrivain est mort en 1692, dans la soixante dix-neuvième année de son âge. Il fut poursuivi jusques dans le tombeau par les partisans de d’Aubignac. Ils imaginèrent de faire expier à la cendre de Ménage toutes les fautes de bon sens & de goût renfermées dans ses écrits. Ils chargèrent de cette occupation le célèbre la Monnoye, qui leur répondit :

Laissons en paix monsieur Ménage ;
C’étoit un trop bon personnage
Pour n’être pas de ses amis.
Souffrez qu’à son tour il repose,
Lui dont les vers & dont la prose
Nous ont si souvent endormis.

 

La seconde querelle de l’abbé d’Aubignac fut avec le grand Corneille, cet homme immortel, dont le nom seul imprime la vénération, & devoit être un rempart inaccessible à tous les traits satyriques. La contestation vint de ce que Corneille n’avoit pas cité la Pratique du théâtre dans ses trois Discours sur le dramatique.

On sçait que la Pratique du théâtre est le meilleur ouvrage de l’abbé d’Aubignac. Personne avant lui n’avoit même parlé de certaines matières importantes qu’il y traite à fond. Les anciens avoient envisagé le théâtre en général, mais ils n’étoient point descendus à des détails nécessaires à ceux qui veulent courir cette carrière dangereuse. On n’avoit jetté qu’un coup d’œil rapide sur le poëme dramatique. On avoit discuté son origine, sa définition, ses espèces. On avoit établi la règle des unités. La partie des mœurs & des sentimens avoit encore été traitée, ainsi que plusieurs autres points de la théorie du théâtre. Mais on n’avoit rien dit de l’art de préparer les incidens & de réunir les temps & les lieux. On n’avoit point touché la continuité de l’action, la liaison des scènes, les intervalles des actes, & toutes les particularités qui concourent à la perfection des drames, à l’exécution, & que l’abbé d’Aubignac appelle la pratique du théâtre. Le projet de son livre étoit beau.

L’auteur avoit en vue la gloire du théâtre François, l’espérance d’être utile aux jeunes poëtes, de développer le germe des talens dramatiques. Cette idée brillante ne pouvoit être mieux remplie qu’en consultant les maîtres de l’art. D’Aubignac s’adresse à Corneille. Ils ont ensemble de longues conversations ; ils suivent la marche de la tragédie. Corneille, tout législateur qu’il étoit de la scène Françoise, tira de ces conférences des lumières qu’il mit à profit pour donner à ses pièces un dégré de perfection qui manquoit aux premières ; & l’autre remporta de ces entretiens l’avantage de pouvoir raisonner, dans sa Pratique du théâtre, avec encore plus de connoissance de cause. D’Aubignac, enchanté de voir le grand Corneille docile à ses avis, s’accoutume à le regarder comme son disciple, l’encourage, le cite avec complaisance dans sa Pratique du théâtre

Cette attention marquée de d’Aubignac lui parut en devoir mériter une autre de la part de Corneille. L’abbé crut qu’il seroit, à son tour, cité par le père du théâtre françois. Mais Corneille ne jugea pas à propos de lui faire cet honneur. Il avoit l’ame indépendante & fière, & ne se croyoit redevable à personne de la moindre portion de sa gloire. Soit oubli, soit affectation dans l’examen de ses pièces, il ne dit pas un mot de d’Aubignac. Ce silence fut le signal d’une rupture, & l’occasion de plusieurs épigrammes.

Le grand Corneille en fit quelques-unes qui ne sont pas à sa gloire. Heureusement elles ne furent point imprimées. Il reconnut même bientôt que le plus sûr moyen de se venger de ses ennemis est de les mépriser, & de laisser un libre cours aux transports de leur haine. D’Aubignac conserva la sienne jusqu’au tombeau.

Il retoucha sa Pratique du théâtre, en ôta tous les endroits qui contenoient l’éloge d’un des plus grands ornemens de la France. Il fit encore la critique de plusieurs pièces de Corneille. Sophonisbe & Sertorius furent mis au-dessous de tout ce que le théâtre a de plus mauvais. Ces tragédies ayant trouvé des défenseurs, l’abbé redoubla de colère. Il mit le comble à ses emportemens par une réplique infâme. Elle est remplie d’atrocités contre les deux Corneilles. L’abbé Goujet n’a pas osé la mettre dans son ouvrage, « parce que, dit-il, je ne veux pas donner une nouvelle vie à des libèles diffamatoires ».

Corneille tira de cette infamie une vengeance, & la vengeance la plus douce pour un auteur, celle de voir les ouvrages de son ennemi sifflés par le public. Jamais pièce n’ennuya plus méthodiquement que Zénobie, tragédie en prose, & composée suivant les règles prescrites dans le traité de la Pratique du théâtre. Cette triste expérience dut apprendre à l’abbé d’Aubignac que le génie fait tout, que du moins sans lui les règles ne sont rien. Il dut voir qu’il n’étoit pas plus initié dans le grand art d’exciter fortement les passions, que ne l’est, dans les secrets de l’architecture, un manœuvre servile & sans talent. Le prince de Condé disoit : « Je sçais bon gré à l’abbé d’Aubignac d’avoir si bien suivi les règles d’Aristote ; mais je ne pardonne point aux règles d’Aristote d’avoir fait faire à l’abbé d’Aubignac une si méchante tragédie. »

 

Outre Ménage & Corneille, mademoiselle de Scudéri trouva dans cet abbé un censeur impitoyable.

Cette demoiselle étoit de Provence. Elle avoit encore plus de célébrité que de mérite. Tout concouroit à faire parler d’elle ; les agrémens de son esprit, la difformité de son visage, l’amour excessif de l’étude dans une femme, la singularité de ses ouvrages, ses liaisons avec un bel-esprit* tout aussi laid qu’elle. Mademoiselle de Scudéri donna dans les romans. Mais, en suivant cette carrière, elle en fit d’une espèce toute nouvelle. Ceux de Gomberville, de la Calprenède, de Démarets & de tant d’autres romanciers, aussi ennuyeux que vantés alors, ne furent point de son goût. Persuadée que les romans ne sont au fond que des poëmes épiques en prose, elle imagina d’en composer qui contînssent des histoires véritables sous des noms déguisés. Son Artamène ou le grand Cyrus, & principalement sa Clélie, ne sont que le tableau de ce qui se passoit à la cour de France. La carte du pays de Tendre dans Clélie, parut d’une invention ingénieuse. Cette carte si célèbre est une allégorie pour marquer les différens genres de tendresse qui se réduisent à l’estime, la reconnoissance & l’inclination. Aussi la carte représente-t-elle trois rivières, qui portent ces trois noms, & sur lesquelles sont situées trois villes nommées Tendre ; Tendre sur Inclination, Tendre sur Estime, & Tendre sur Reconnoissance. Petits-Soins est un village assez riant. Mademoiselle de Scudéri s’applaudissoit d’avoir trouvé de si jolies choses. Elle n’eut pas vu tranquillement sa gloire partagée. Il ne fallut, pour lui donner de l’ombrage, qu’un livre de l’abbé d’Aubignac publié sous ce titre : Histoire du temps, ou relation du royaume de Coquetterie, extraite du dernier voyage des Hollandois aux Indes du Levant.

Elle croit qu’on l’a volée, qu’on veut lui ravir l’honneur de sa carte. La Relation du royaume de Coquetterie lui tombe des mains en la lisant. Elle crie au plagiat, au brigandage, fait tout retentir de ses clameurs, insulte au galant géographe qui ne décrit que d’après elle les lieux & les mœurs d’un pays qu’elle prétendoit mieux connoître que personne. Ces hauts cris sont bientôt entendus de l’abbé d’Aubignac. Il se défend d’être plagiaire. Il feint une lettre d’Ariste à Cléanthe, dans laquelle il soutient n’avoir rien pris à l’auteur de Clélie. Il dit que mademoiselle de Scudéri, lorsqu’ils étoient liés, lui avoit communiqué sa carte de Tendre ; & que, se trouvant en train de confidence, il lui avoit également fait celle qu’il avoit autrefois composé quelque chose sur un sujet semblable ; mais que l’habit d’ecclésiastique qu’il portoit l’empêchoit de laisser paroître cette bagatelle. Quelque excuse que d’Aubignac alléguât en sa faveur, il est certain que le royaume de Coquetterie n’est que le développement de la carte de Tendre. On fut étonné de voir un auteur grave abandonner le genre sérieux pour celui de la galanterie & de la frivolité.

D’Aubignac appuya sa justification de beaucoup d’injures. Cette affaire alloit devenir considérable, lorsque mademoiselle de Scudéri changea de ton. Elle aima mieux dévorer sa douleur que d’être exposée à des insultes. On peut mettre cette femme illustre au premier rang des romanciers. Elle fit encore des vers agréables, & remporta le premier prix d’éloquence que l’académie françoise ait donné. Elle a vêcu jusqu’à quatre-vingt quinze ans, favorisée de plusieurs graces de la cour, reçue de toutes les académies dont son sexe ne l’excluoit point, considérée des plus beaux génies de l’Europe, avec lesquels elle étoit en commerce de lettres. On raconte une aventure singulière, qui lui arriva dans un voyage en Provence avec son frère George. On les plaça dans une chambre à deux lits. Avant que de se coucher, Scudéri demande ce qu’ils feroient du prince Masard, un des héros du roman de Cyrus. Après quelques contestations, il fut arrêté qu’on le feroit assassiner. Des marchands, logés dans une chambre voisine, ayant entendu la conversation, crurent que c’étoit la mort de quelque grand prince, appellé Masard, dont on complotoit la perte. La justice fut avertie, & les deux Scudéri mis en prison. Ils ne parvinrent qu’avec peine à se justifier. Le célèbre Nanteuil peignit en pastel mademoiselle de Scudéri. Elle a fait ces vers sur son portrait :

Nanteuil, en faisant mon image,
A de son art divin signalé le pouvoir.
Je hais mes traits dans mon miroir ;
Je les aime dans son ouvrage.

Enfin, l’abbé d’Aubignac, après avoir eu dispute avec tout le monde, trouve à qui parler. Il eut l’imprudence de se mesurer avec Richelet, un des plus méchans & des plus brouillons écrivains de son siècle. Richelet avoit commencé par être avocat. Ce ton cynique qu’il avoit en plaidant, il l’apporta dans la littérature. Il donna un Dictionnaire françois, mais un dictionnaire rempli d’exemples satyriques, & par cela même plus dangereux qu’utile. Ce qui brouilla ces deux caustiques écrivains, que la même humeur & le même caractère avoient unis, c’est l’insipide roman de Macarise, ou la Reine des isles fortunées, histoire allégorique contenant la philosophie morale des stoiques, sous le voile de plusieurs aventures agréables.

L’abbé d’Aubignac l’avoit fait pour l’instruction de son élève, le jeune duc de Fronsac. Mais le titre de l’ouvrage n’est pas rempli. L’auteur, au lieu d’y présenter la sagesse sous les traits de l’agrément & de la simplicité, donne dans une ridicule métaphysique de cœur & de sentimens. Il aspiroit à paroître un romancier du premier ordre : mais il n’avoit ni le goût, ni l’imagination nécessaires pour réussir en ces sortes d’ouvrages.

Cependant plusieurs de ses amis vantèrent le sien. On fit des vers à la louange de Macarise ; & ces vers, d’Aubignac les mit à la tête de son roman. Despréaux lui-même en composa comme les autres. Mais heureusement , dit-il dans une de ses lettres, je portai l’épigramme trop tard, & elle n’y fut point mise : dieu en soit loué . Richelet loua son ami, sans néanmoins trop se récrier sur son ouvrage. Cette conduite offensa d’Aubignac. Il en est des louanges médiocres qu’on donne, comme des confidences faites à demi. L’air de réserve blesse toujours. D’Aubignac s’en plaignit. Richelet s’en moqua, & lui fit cette réponse :

Hédelin, c’est à tort que tu te plains de moi ;
            N’ai-je pas loué ton ouvrage ?
            Pouvois-je plus faire pour toi
            Que de rendre un faux témoignage ?

Du caractère dont étoient ces deux écrivains, on ne doutoit point qu’ils ne se portassent à quelque action de violence. Mais, se connoissant & se craignant mutuellement, ils cessèrent toute hostilité. D’Aubignac est mort à Nemours en 1676, & Richelet à Paris, le 29 novembre 1698.