Les Femmes de la Révolution
Michelet, Les Femmes de la Révolution.
C’est toujours une bonne idée, pour qui tient à être lu et à faire son petit bruit immédiat, que d’écrire un livre sur les femmes… les femmes quelconques. Que ce soient les femmes de telle société, de telle époque ou de telle autre, dont on s’occupe et dont on jase ; que ce soient les femmes de l’Antiquité ou du Moyen Âge, de la Renaissance ou des temps modernes, de la Régence ou de la Révolution, peu importe ! mais que ce mot de femmes miroite dans le titre du livre qu’on publie, et les hommes s’y jetteront… quittes à être attrapés. Par tout pays, c’est un prestige. Mais en France, c’est un talisman.
Michelet l’a pensé comme nous ; Michelet n’a pas toujours feuilleté l’Histoire pour y porter le trouble ou pour l’y trouver… Celle du passé a dû lui apprendre que la France, selon l’heureuse expression d’un moraliste anglais, n’a jamais eu de salique que sa monarchie, et l’histoire du présent a dû ajouter à cette notion vraie que, sur cette vieille terre du Vaudeville et de la Galanterie, la femme continue d’être pour les hommes, malgré l’épaisseur de leurs manières et la gravité de leurs cravates, la première et la plus chère de toutes les préoccupations. Michelet sait donc à merveille de combien de bonnets de femmes se compose, en France, l’opinion publique. À son cours, quand il pérorait en public, il avait l’art de grouper beaucoup de ces bonnets-là autour de sa chaire. C’est sans nul doute à ces reines de l’opinion, à ces belles affligées, veuves de sa parole, qu’il a dédié l’ouvrage intitulé : Les Femmes de la Révolution 9.
Mais pourquoi les femmes de la Révolution ? Quand on s’appelle Michelet, et quand on a fait un livre dans lequel on a poussé le panthéisme historique jusqu’à dépouiller de leur personnalité les chefs de la Révolution française au profit du peuple anonyme et de la chose révolutionnaire, pourquoi l’inconséquence d’un livre intitulé : Les Femmes de la Révolution ? Pourquoi les femmes, quand on ne croit pas même aux hommes de la Révolution ? À quoi bon ces biographies
individuelles ? Dans quel but cette aristocratie féminine ? Pourquoi ce Livre d’Or d’une noblesse recherchée et retrouvée dans cette foule, que le poète Barbier appelle une sainte canaille, et qui est bien au-dessus de tous les blasons du génie, de la gloire et du caractère, privilèges insolents de toutes les grandes personnalités de l’Histoire ? Selon Michelet, c’est la masse acéphale, c’est le peuple obscur, qui l’emporte sur tous les états-majors de la Révolution, en instincts, en vertus, en dévouements, et, qu’on nous passe le mot ! en spiritualité révolutionnaire ; c’est le peuple qui est le vrai chef dans cette terrible campagne contre les principes éternels des sociétés et contre Dieu ; c’est le peuple qui est le grand, et, de fait, l’unique acteur de ce vaste drame, le bourreau masqué de sa masse même, comme le bourreau de Whitehall l’est de son voile noir ! Voilà l’opinion de Michelet, et c’est aussi la nôtre. Nous la partageons, mais en l’expliquant. Oui ! pour nous aussi, le peuple est tout dans ce renversement d’une société. Les plus forts, les plus gigantesques de ses chefs apparents, qu’il poussait devant lui sous le coup de fourche de son inflexible volonté, ne furent, entre ses mains de Briarée, que d’énormes pantins qu’il fit jouer et qu’il brisa. Ni Danton, ni Robespierre, ni Marat, ni celui qui devait se mettre en travers du boulet qui l’eût coupé en deux si la mort — venue à temps — ne lui eût épargné cette leçon cruelle, ni Mirabeau, ce Pitt manqué de
la Monarchie française qui a ressuscité sans lui, ni aucun de ceux qui se sont taillé un bout de renommée dans la colossale famosité de la Révolution, ne furent des personnalités libres, puissantes par elles-mêmes, possédant ce qui investit les vrais chefs, les vraies têtes de gouvernement, c’est-à-dire : l’autorité incontestée d’un commandement, plus forte que les passions, qui frémissent de subir le commandement mais qui le subissent ! Tous, sans exception, agirent sous la pression de cette tassée d’hommes qui venaient derrière eux, et en qui, millions de poitrines haletantes de haine et d’envie, soufflait l’Esprit qui avait poussé Alaric à brûler Rome. Excité par la Providence, seul ce terrible souffle mit à flot tous ces chétifs brûlots humains, porte-noms, porte-enseignes et porte-flammes d’une révolution signée : Dieu ! et ce fut ainsi que se réalisa une fois de plus le beau mot de Balzac l’ancien sur la France : « La France est un vaisseau qui a pour pilote la tempête. »
Évidemment, en présence de ces événements et de ces immensités, l’écrivain peut se tenir dispensé du maigre travail des biographies, ou, s’il lui plaît d’en faire encore, ce ne doit pas être pour mesurer la grandeur des hommes, mais pour montrer leur petitesse, et la montrer avec l’implacable exactitude d’un niveau.
Malheureusement, ce n’est point ainsi que Michelet a compris ses biographies. Il n’est point un Pascal de l’Histoire, un rabaisseur de l’orgueil humain devant
la grandeur de la Providence. Lui, qui a essayé d’écrire l’histoire de la Révolution française, l’histoire prise dans son esprit et dans son idée, a bientôt perdu la tête à cette hauteur d’abstraction, et il est retombé dans les habitudes de l’idolâtrie personnelle. Pour lui, la Révolution, qu’il disait — et avec raison — ne s’incarner dans aucun homme, se fait femme aujourd’hui, et tout aussitôt, avec la piété d’un enlumineur de fétiches, le voilà qui se met à nous peindre ce multiple visage de femme sous lequel l’idée révolutionnaire lui apparaît, peut-être d’autant plus puissante… Il est vrai qu’un remords le prend vers la fin de son travail : « Le défaut essentiel de ce livre — dit-il — c’est de ne pas remplir son titre. Il ne donne pas les femmes de la Révolution, mais quelques héroïnes, quelques femmes plus ou moins célèbres… Il dit telles vertus éclatantes, et il tait un monde de sacrifices obscurs d’autant plus méritants que la gloire ne les soutint pas. »
Mais pourquoi ce remords tardif ? Le livre est fait quand Michelet nous dit cela, et s’étale fastueusement sous le pavillon de son titre. Tel qu’il est, du reste, inconséquent ou fallacieux, ce livre, qu’on nous permette de l’examiner.
Et d’abord, littérairement, c’est peu de chose. La plupart des portraits qu’il contient et qui passent sous nos yeux, nous les avons vus déjà dans d’autres panneaux, et il est aisé de les reconnaître. Vous les retrouveriez, trait pour trait et presque mot pour mot, dans cette Histoire de la Révolution française maintenant terminée, si vous vouliez les y chercher… et telle est la première sensation désagréable que nous cause ce livre, fait avec un autre livre, dans lequel la pensée, devenue inféconde, se reprend à couver la coquille vidée d’un œuf éclos. En effet, puisqu’un écrivain comme Michelet revenait à l’histoire personnelle et à la défroque biographique, puisqu’il abordait un sujet (les femmes) si cher aux imaginations françaises, on pouvait croire, n’est-il pas vrai ? que les portraits tracés par lui accuseraient sinon l’éclat d’un talent… bien fatigué maintenant, au moins l’effort d’une œuvre nouvelle. Or, même cela eût été une déception. Michelet, malgré sa dévotion pour les Saintes révolutionnaires dont il écrit la légende, a mieux aimé (peut-être n’était-il pas libre dans ce choix) se répéter et se recopier que de penser et d’écrire à neuf. On dirait que son enthousiasme n’a qu’un certain nombre de phrases clichées et de moules, et que ces phrases une fois écrites, et que ces moules une fois remplis, il est obligé de recommencer mécaniquement un tel travail. Triste procédé, qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre, et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir.
Car là est le danger du livre en question. S’il n’y avait de dangereux que les chefs-d’œuvre, la Critique pourrait devenir sans inconvénient une bonne fille et le nouveau livre de Michelet rester bien tranquille dans sa primitive innocence. Mais, hélas ! il n’en est point ainsi pour lui et pour nous. Le livre qu’il publie aujourd’hui comme pourraient être publiés les plus mauvais et les plus chétifs par le talent et par la forme, n’en est pas moins relativement dangereux. S’il ne s’adressait qu’à cette race de Vésuviennes… licenciées, qui, depuis le coup de foudre épurateur du deux décembre, se sont remises à rêver… en attendant leur émancipation définitive, nous l’aurions laissé aller peut-être à son adresse sans l’intercepter ; car nous sommes de ceux-là qui croient à l’endurcissement des idées fausses et à l’impénitence finale de certains partis. Mais Les Femmes de la Révolution n’ont pas été destinées seulement à ces Nina humanitaires qui disent chaque jour : « Ce sera pour demain. » C’est un livre arrangé, combiné et écrit pour tout le monde. Ce n’est pas uniquement une consolation pour quelques-unes, c’est aussi pour toutes un exemple. Les héroïnes-modèles de Michelet, transportées de l’ensemble d’événements auxquels elles appartiennent, et mises à part dans des cadres et des fonds qui repoussent vigoureusement ce que Michelet croit leurs beautés, peuvent produire sur la moralité de celles qui les lisent un effet de jettatura funeste. Est-ce que l’Admiration et la Séduction ne sont pas sœurs ?… Et voilà pourquoi, ici, — comme toujours et partout, — la question morale domine la question littéraire. Voilà pourquoi toute critique qui va plus loin que l’œuvre d’art et l’édifice de la composition, ne doit pas laisser circuler, sans avertir et sans y attacher une étiquette, ce sachet de graines vénéneuses, ce haschich préparé pour les têtes ardentes, ce petit poison de Java dans lequel les Tricoteuses des temps futurs peuvent tremper la pointe de leurs aiguilles, et qu’on nous débite, en ce moment, avec des airs vertueux et sensibles dignes de la femme de l’apothicaire de Roméo !
Sans doute, il faut le reconnaître, tout n’est pas dans le livre de Michelet de la même pureté de poison. À côté de l’aconit, il s’y trouve des laitues assez fades ; mais l’impression générale de cette olla podrida de venin distillé et d’herbes à tisane est une impression dont le cœur ou l’esprit, quand il l’a reçue, doit se ressentir bien longtemps. Michelet distingue entre les drogues de son bocal, mais quoique les unes ne puissent jamais neutraliser les autres, celles qu’il préfère et qu’il recommande sont précisément celles-là que nous voudrions lui voir rejeter. Les femmes qu’il expose… et propose à nos admirations, n’ont pas pour lui (et on le comprend bien, du reste !) la même valeur, la même grandeur, le même héroïsme. Égalitaire battu par les lois mêmes de sa pensée, il ne peut pas les trouver égales devant la loi de son esprit. Ici, les hiérarchies impossibles à abolir reviennent, et, ne riez pas !… Michelet se rencontre avec l’opinion de saint Paul. Pour Michelet, pour cet hagiographe de la Révolution française, les saintes de la Révolution ne sont pas toutes à la même place dans le ciel, et les très grandes saintes, comme sainte Olympe de Gouges, sainte Rose Lacombe, sainte Théroigne de Méricourt, sainte Roland, sainte Duplay, y sont bien au-dessus, par exemple, de sainte Condorcet et de sainte de Staël.
Quant à sainte Condorcet, il fait ce qu’il peut pour la placer très haut dans le paradis jacobin et philosophique entr’ouvert à ses mystiques regards au-dessus de la tête de la déesse de la Raison, et ce n’est pas sa faute, à lui, si elle n’y a pas une des plus splendides auréoles : « Elle ressemblait — dit-il — à l’ange de la métaphysique. »
Apparemment, un des anges du paradis en question ! Un historien célèbre nous avait déjà donné l’ange de l’assassinat, en parlant de Charlotte Corday10. Nous aimons encore mieux l’ange de la métaphysique, quand même il devrait assassiner le bon sens. Seulement, n’est-il pas singulier que des écrivains qui ne croient pas au Dieu personnel du
Christianisme viennent, dans leur indigence de métaphores, prostituer cette pure et spirituelle notion d’anges aux actrices, plus ou moins jeunes-premières, de leurs révolutions ?… « Madame de Condorcet — dit Michelet — avait la mélancolie d’un jeune cœur auquel quelque chose a manqué… L’enfant, le seul enfant qu’elle eut, naquit neuf mois après la prise de la Bastille… Ce fut elle qui donna à Condorcet le sublime conseil de… terminer l’Esquisse des progrès de l’esprit humain. »
Tels sont les seuls et singuliers mérites de Sophie Condorcet que Michelet a pu trier dans toute sa vie, et c’est sur ce triple mérite que l’hagiographe exécute l’assomption de cette glorieuse sainte. Mais, pour sainte de Staël, c’est bien différent ; on voit l’instant où la canonisation va se trouver impossible. Michelet a des rancunes contre madame de Staël. Sensible, inconséquente, entraînée, vraie femme au fond sous ses airs grenadiers de virago, amazone de la pensée qui n’eut jamais le sein coupé, madame de Staël se prit d’horreur pour la Révolution qu’elle avait aimée. Elle l’a flétrie dans ses plus belles pages, elle l’a foulée sous ce pied que Rivarol, toujours magnifique, même quand il s’abaissait jusqu’au calembour, appelait avec flatterie : un piédestal. Pour la punir, Michelet lui a refusé net le génie : « La naïveté profonde — dit-il — et la grande invention (qu’appelle-t-il la grande invention ?), ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. »
C’était « une bourgeoise enrichie »
, le fait est vrai ; mais Michelet veut dire qu’elle était restée bourgeoise d’esprit et de cœur, — ce qui est faux ! Rien de moins bourgeois que madame de Staël ! Elle avait bien des défauts et nous les reconnaissons… Pédante si l’on veut, quelquefois sans grâce et précieuse, esprit faux en philosophie, bas-bleu à ravir l’Angleterre de l’éclat enragé de son indigo, madame de Staël, par la distinction de sa pensée, par la subtilité de son observation sociale, par son style brillant d’aperçus, par ses goûts, ses préoccupations, ses passions même, tendait vers la plus haute aristocratie, vers la civilisation la plus raffinée. Bourgeoise, elle ! C’est Rousseau, devant lequel Michelet s’incline comme devant son calife, qui est un bourgeois. C’est madame Roland qui est une bourgeoise. Tout est, en elle, bourgeois : ménage, vertu, talent, quand elle en a ; déclamation, quand elle déclame. Scribe comme Robespierre, trop scribe même (l’observation est de Michelet), et comme lui, eût-il pu ajouter, une pharisienne, un sépulcre blanchi… — mais blanchi ! — elle a, dans sa robe blanche, quelque chose de la prosaïque propreté de l’habit bleu de Robespierre, et, s’il est un nom qui lui convienne et qu’on ne lui a pas donné encore, c’est : la bourgeoise de la liberté !
Du reste, ce n’est point sur le compte de madame Roland que l’auteur des Femmes de la Révolution augmente la somme des connaissances acquises et des
renseignements connus. Il se contente de nous dire une fois de plus ce que tout le monde en sait. Rien d’étonnant ! Madame Roland est un des grands lieux communs de la Révolution française. La vie de cette femme est percée à jour. On pourrait peut-être l’éclairer encore par l’aperçu, par l’originalité du jugement ; mais, pour cela, il faudrait une impartialité et une profondeur que depuis longtemps Michelet ne possède plus. Il en est de même pour Charlotte Corday. La biographie qu’il en fait est détachée intégralement de l’Histoire de la Révolution française (volume VI ou VII). Vous revoyez passer la figure déjà dessinée, les mêmes détails, entre lesquels il est bon de ne pas oublier la mort philosophique, sans confession, et le petit éloge de la femme de Marat, épousée devant le soleil et la nature, de cette femme dévouée dont l’Histoire n’aurait jamais parlé sans Michelet. À côté de ces figures d’une gloire officielle, l’historien des Femmes de la Révolution nous en montre d’autres entourées d’un nimbe moins éclatant et moins large. Ainsi Théroigne de Méricourt, Théroigne, à propos de laquelle Michelet ne craint pas de dire, page 113 : « Entourée d’amants en Angleterre, elle leur préférait un chanteur de chapelle italienne, laid et vieux, qui la pillait et vendait ses diamants, et en France… »
Nous ne pouvons achever la citation sur cette touchante Théroigne, la meurtrière de Suleau, et qu’on pourrait appeler aussi l’ange de l’assassinat, puisque
le mot est consacré ! Ainsi encore, après Théroigne de Méricourt, une figure moins terrible, une sainte plus douce, mademoiselle Kéralio, madame Robert, une fille noble, mal mariée, devenue ambitieuse, et tombée, à force d’abjection et de folie, dans le mépris de madame Roland, et si bas que Michelet, ému jusqu’aux entrailles dans la personne de cette petite madame Robert, se risque à protester contre le portrait déshonorant qu’en fait madame Roland dans ses Mémoires : « Ce qui prouve — ajoute-t-il mélancoliquement — que les plus grands caractères ont leurs misères et leurs faiblesses ! »
Ainsi, encore, ces intéressantes mesdemoiselles Duplay, dont la vie se passait « à dérider le front soucieux de Robespierre »
: les Vestales de ce feu sacré ! Tant qu’enfin, arrivé à n’avoir plus à copier des médaillons historiques, il est obligé de revenir à l’éloge et à la glorification en masse des Femmes de la Révolution, depuis les femmes du 6 octobre jusqu’aux dames jacobines (dames est joli !) de 1790. Tel est le livre de Michelet.
En avons-nous succinctement donné une idée ? Nous en avons nommé les héroïnes ; mais ce qui dépasse infiniment l’admiration et le culte que Michelet leur a voués, c’est le sentiment qui anime son livre de la première page à la dernière ; ce sont les détails à côté de ces quelques portraits épars, mis là pour attirer peut-être la curiosité sur autre chose que sur ces portraits. Qui ne connaît Michelet ? Qui ne sait l’outrance
de la pensée de l’écrivain qui a écrit Le Prêtre, la Femme et la Famille ? Cet homme peut-il foncer d’une nuance de plus cette pensée extrême ? Peut-il faire un seul pas de plus dans la route où le fanatisme de sa passion l’a placé ?… N’est-ce pas assez de se soutenir au niveau de soi-même, et de continuer l’auteur du Prêtre et de La Femme dans Les Femmes de la Révolution ? Michelet n’y a pas manqué ; par ce côté-là, du moins, il n’a pas vieilli. Dans ses Femmes de la Révolution, il a retrouvé tout entière son ancienne rage contre le prêtre, à propos des femmes près desquelles il le voit toujours, et qui furent hostiles à la confiscation des biens de l’Église, à la boucherie de l’échafaud ! Cette rage retrouvée l’aveugle au point que lui, l’historien, l’homme des faits, dans une note de la page 129 qu’il nous est impossible de transcrire, non par pudeur, mais par honte (que le lecteur la lise sans nous !), et qui commence ainsi : « Ne cherchez point le prêtre dans les sciences ou les lettres, etc., etc. »
, il écrit avec aplomb que le prêtre « peut garder les petites facultés d’intrigue et de manège, mais les grandes facultés viriles, surtout l’invention, ne se développent jamais dans cet état maladif… Depuis cent cinquante ans surtout, il s’est énervé et n’a plus rien produit »
.
Encore une fois, les phrases de Michelet, nous ne les citons pas. Est-ce que jamais plus insolente négation de la vérité avait échappé à un homme qui se dit historien encore ? Est-ce que, sans remonter les cent cinquante dernières années et en restant parmi les contemporains que nous avons coudoyés : Mezzofanti, Ventura, Lacordaire11, Gratry, Balmès, Rohrbacher, ne répondent pas, comme un tonnerre, à Michelet ? Et Lamennais ! Lamennais lui-même ! car c’est le Sacerdoce qui l’a fait, Lamennais, ce Lamennais qui a donné, par son apostasie, un grand athlète de plus au parti de la Révolution !