(1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »
/ 2776
(1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Mademoiselle de Condé

Lettres intimes de Mademoiselle de Condé à Monsieur de La Gervaisais.

I

On hésite à écrire le mot de « littérature » devant un pareil livre, car, réunies en livre, ces lettres, au fond, n’en sont pas un. Rien de l’art d’écrire, rien du sentiment de l’écrivain n’est dans cette adorable chose pour laquelle on cherche un nom, difficile à trouver… Quoi qu’il en soit, un tel recueil n’en est pas moins bon à opposer aux livres actuels. Si, déjà, au commencement de ce siècle et dans la Préface de la première édition de ces Lettres, Ballanche, qui avait eu l’heureuse fortune de les sauver de l’oubli, écrivait : « qu’elles étaient destinées à former un parfait contraste avec tant de productions plus ou moins empreintes d’un funeste délire, de désolantes préoccupations, d’irrémédiables douleurs… », que dirait-il maintenant du moment où M. Paul Viollet les republie avec une admiration presque pieuse ?…

Nous n’en sommes plus au temps de Ballanche et aux productions littéraires caractérisées par Ballanche. En fait de productions littéraires, nous n’en sommes ni aux « irrémédiables douleurs, ni aux désolantes préoccupations, ni au funeste délire… », car tout cela avait sa vie et sa poésie encore, et nous ne sommes plus, nous, ni poétiques, ni même vivants ! Nous ne sommes que plats et pourris. Sous prétexte de « naturalisme », nous en sommes arrivés à l’amour désintéressé (encore s’il n’était pas désintéressé !) du laid, du bas, de l’ignoble, du honteux… Nous en sommes arrivés à cette phase, inconnue jusqu’ici en littérature, et qu’on peut appeler « le goujatisme littéraire ». Le goujat, en effet, est tout l’intérêt et l’importance de ce temps. On fait sur le goujat des livres… de goujat… et la société, qui porte à présent la tête en bas, comme le porc, boit cette boue comme du lait ! Les femmes elles-mêmes, qui devraient rester distinguées sur les ruines du monde, se goujatent, avec délices, à ces lectures… Le xviiie  siècle, vers la fin, eut sa littérature crapuleuse. Mais sous cette crapule, la passion — la passion hideuse, il est vrai, mais au moins la passion, — existait, tandis que nous ne sommes plus — nous et nos livres — que de la pourriture puant dans de la glace. Nous en sommes tombés à ce degré de crapulosité que nous faisons des livres crapuleux même sans intention d’immoralité. Nous ne voulons mettre à feu ni à sang personne. Nous en serions, d’ailleurs, parfaitement incapables ! Nous avons donc l’amour de la crapule pour la crapule, comme on disait l’amour de l’art pour l’art, dans les temps bêtes… Publiées par Ballanche pour faire contraste aux romans infects du Directoire, les Lettres intimes de Mademoiselle de Condé republiées par M. Paul Viollet font contraste à l’Assommoir, à la Fille Élisa et aux Sœurs Vatard. Seulement, compréhensible et senti au temps de Ballanche, le contraste a grande chance, maintenant, de n’être ni senti ni compris…

Et qu’importe, du reste ! M. Paul Viollet vient après Ballanche, et il doit avoir moins d’illusions que lui. Ce rêveur de Ballanche, qui avait tout à la fois du Platon et du Jocrisse dans sa personne, s’imaginait (écrit-il encore dans la même Préface) qu’il y avait de son temps, dans la Belle France, dix mille fois les dix justes qu’il fallait pour sauver Sodome. Le croirait-il aujourd’hui ?… Et, du reste, encore une fois, qu’importe ! Qu’importe que ces chastes lettres, dans lesquelles expirent les premiers et les derniers soupirs d’une âme céleste, ne puissent plus être comprises d’une société figée et conglutinée dans le matérialisme le plus épais ! Il n’était pas moins instant de les publier. N’y aurait-il qu’une âme — une seule âme — qui sentît la beauté de ces lettres et le charme de leur pureté, qu’il faudrait les publier pour cette seule âme ! Et n’y en aurait-il plus — tout serait-il fini dans le cœur humain — qu’il faudrait les publier encore, comme on élève un autel dans la solitude, pour l’honneur de Dieu !

II

Quand Ballanche les publia, ces lettres, pour la première fois, non seulement il donnait à ce qui restait de cœurs purs en France, après les impuretés du xviiie  siècle, une sensation divine bien au-dessus de toutes les sensations que le Génie lui-même peut donner, mais en plus il préservait Mademoiselle de Condé des derniers outrages de ce xviiie  siècle expirant… L’amour de Mademoiselle Louise de Condé pour La Gervaisais, d’une princesse du sang de France pour un petit officier des carabiniers de Monsieur, cet admirable et chaste amour, discret, englouti dans deux âmes d’élite qui eurent également leur renoncement dans l’amour, cette chose rare qui achève l’amour dans ce qu’il a de plus sublime, avait transpiré comme un parfum qu’on percevrait mieux dans une atmosphère empestée, et cette transpiration d’un sentiment ineffablement pur au milieu d’une société corrompue, cette société avait dû en faire ce qu’elle faisait de tout. Elle l’avait sali. En 1790, un roman grossier, intitulé : Les Amours et les Malheurs de Louise, avait (dit M. Paul Viollet) évidemment pour base l’amour de Mademoiselle de Condé pour La Gervaisais. Sans ces lettres intimes, ce flot de fange pouvait rester sur sa mémoire. Alors, on ne savait pas qu’elle pût devenir jamais une Religieuse et une Sainte. Mais on savait qu’elle était princesse, — de sang royal, — et virginale… à n’y pas croire ! C’était bien assez ! Si on avait prévu la Sainte, on aurait été plus insolent encore…

La Sainteté, en effet, c’est par là que devait finir cet incomparable amour, qui passa, sans s’éteindre, de la terre au ciel. Mademoiselle de Condé ne donna que Dieu pour rival à l’homme qu’elle aimait, mais elle emporta son amour pour cet homme jusque dans le sein de Dieu même… Sa vie, quand elle prit le parti héroïque de ne plus voir l’homme trop aimé qu’elle ne pouvait pas épouser, devint aussi héroïque que le parti qu’elle avait pris. La religion ne la saisit pas tout de suite dans ses bras maternels. Il y eut pour elle le moment terrible où l’on ne se pend pas encore à la croix ! La Révolution qui commençait allait, avec le sang qu’elle devait verser, faire un cadre rouge à cette vie douloureuse qui fut une Odyssée digne d’être racontée par un Homère comme Bossuet. Lui seul, qui a dit si grandement celle d’Henriette d’Angleterre cherchant par toute l’Europe des poitrines et des canons qu’elle pût envoyer à son mari, Charles Ier, combattant pour sa couronne et pour sa race, serait digne de raconter cette autre Odyssée de Mademoiselle de Condé, errante aussi par toute l’Europe pour trouver un monastère dans lequel elle pût rester agenouillée devant Dieu et attendre ainsi son éternité… S’être immolée dans son amour lui avait donné la soif de toutes les immolations. C’est dans l’église de Fribourg — dit M. Paul Viollet — que Dieu frappa le coup suprême… Mademoiselle de Condé entra aux capucines de Turin, — mais là comme ailleurs, ni nulle part, elle ne trouva ce qu’elle cherchait. Le reptile révolutionnaire s’était glissé jusque sous la porte des couvents. Les grandes observances n’étaient plus… De Turin elle alla à Vienne, où elle fit ses trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, et elle fut admise aux trappistines de Suisse. Pendant ce temps-là, on lui tuait son neveu, le duc d’Enghien. Le fossé de Vincennes avait remplacé l’échafaud de la place de la Révolution, sur laquelle on lui avait tué son cousin, le Roi Louis XVI. La Trappe de la Sainte-Volonté de Dieu, en Valais, fut dispersée par les armées françaises. Il fallut recommencer tous les pèlerinages de l’exil, et son chemin de croix à travers les nations. Mademoiselle de Condé se retira en Lithuanie ; mais, avec la permission de ses supérieures, elle rejoignit en Angleterre son père et son frère, après neuf années de séparation… Seulement, toujours religieuse, plus religieuse encore que fille et sœur, elle entra, là, dans un couvent de Bénédictines, qu’elle ne quitta que pour revenir en France, où elle fut nommée Supérieure de l’Ordre du Temple sous le nom de Marie-Joseph de la Miséricorde. Elle méritait un pareil nom. Elle avait fait miséricorde à tout le monde, jusqu’au. malheureux homme qui lui avait tué le duc d’Enghien. Depuis ce moment-là, elle ne l’appela jamais que « ce malheureux homme », et elle fit dire pour lui une messe à Rome, quand le malheureux homme mourut à Sainte-Hélène. Elle se souvenait, sans doute, des magnifiques paroles de sa cousine, Clotilde de France, Reine de Sardaigne, qui disait : « que la plus belle place pour une chrétienne dans le Paradis, serait celle où l’on verrait à côté de soi un ennemi pour lequel on aurait prié ».

III

Telle fut la Sainte dans Mademoiselle de Condé, mais ce n’est pas à moi de parler de la Sainte. Je n’ai à parler que de la femme qui a écrit ces Lettres intimes, republiées par M. Paul Viollet. Je n’ai à parler que de la sainte de cœur humain que fut cette délicieuse Condé, avant d’être la majestueuse Sainte qu’elle devint devant Dieu et devant l’Église. Certes ! je crois trop à la vérité surnaturelle du catholicisme pour m’étonner beaucoup de voir Mademoiselle de Condé, cette Vierge-martyre, entrée presque de plain-pied dans la Légion des Élus. Je crois trop aux miracles de la Grâce divine toute-puissante pour que la sainteté, la hauteur et la profondeur de la sainteté de Mademoiselle de Condé puissent m’étonner, mais c’est en elle la femme — la femme en dehors de Dieu — qui m’étonne ! D’un autre côté, je connais trop aussi l’argile dont est fait le cœur dans la nature humaine pour que, moi qui crois si absolument à l’amour de Dieu, je puisse croire aussi absolument à l’amour qui n’est pas pour lui. Une femme qui aime réellement dans ce misérable monde est aussi rare qu’un homme de génie, et, au fait, c’est la même chose, puisque le génie de la femme, c’est l’amour ! Mademoiselle de Condé fut une de ces raretés qui aiment, une de ces exceptions parmi les femmes, cette race frivole des femmes, qui singent l’amour sans l’éprouver avec des grâces que Dieu permet et qu’elles pervertissent ! Son amour pour La Gervaisais fut si beau qu’il n’y a pas plus beau dans l’ordre du Génie, et que, je n’hésite pas à le dire, elle est aussi étonnante, dans son siècle, comme cœur de femme, que, comme tête d’homme, Napoléon !

Et ces lettres le disent et le prouvent. Il faut d’abord l’histoire de ces lettres. Cette goutte d’éther sera bien vite évaporée ! Mademoiselle de Condé, blessée au genou dans une chute, était allée aux Eaux de Bourbon-l’Archambaud et y avait rencontré le jeune marquis de La Gervaisais. Aux Eaux, on se dégrafe de l’étiquette. Il y a là un dénoué d’existence qui permit à ces deux êtres, si éloignés l’un de l’autre dans la vie, de se trouver un instant âme à âme, et ces deux âmes se fondirent. Ce fut un destin… et voilà tout ! Pas d’aventure. Un roman de cœur. Je l’ai dit, une goutte d’éther tombée dans les fétidités de cet affreux xviiie  siècle. À quelque temps de là, Mademoiselle de Condé alla reprendre à la cour son rang de princesse et La Gervaisais rentra dans les rangs de son régiment. Les lettres n’en disent pas davantage. L’intérêt de ces lettres n’est dans aucun fait, dans aucune chose intime passée entre eux et qu’elles rappellent… On n’en connaît point de pareilles parmi les chefs-d’œuvre épistolaires que nous devons même au sentiment de l’amour. Nous n’avons que celles de Mademoiselle de Condé, et c’est probablement heureux pour La Gervaisais, qu’on voit à travers elles, et certainement il est plus beau, d’être vu ainsi. Elles l’embellissent de l’amour qu’elles expriment. M. Paul Viollet, qui ne veut pas que cette ravissante Louise de Condé ait aimé au-dessous d’elle, comme si ce n’était pas la triste histoire de tous ceux qui ont immensément aimé, M. Paul Viollet fait tout ce qu’il peut pour nous arranger un La Gervaisais qui, de cœur, n’aurait pas été pour la princesse une mésalliance. Il nous cite dans son Introduction des fragments d’écrits politiques retrouvés à la Bibliothèque du Louvre et dans lesquels, à différentes époques, ce La Gervaisais aurait montré une sagacité politique d’une grande acuité. Ce n’est point de cela qu’il s’agit ! D’après les lettres seules de Mademoiselle de Condé, La Gervaisais, malgré l’auréole de son amour qu’elle lui met autour de la tête, fait l’effet d’un homme meilleur peut-être que les hommes de son temps, mais affecté pourtant des vices de son temps. Il ne croyait guères à Dieu, et il acceptait en libre penseur les espérances imbéciles de tous les premiers salueurs de la Révolution. C’était, au fond, une espèce de philosophe dans un amoureux pédantesque, mettant souvent les deux gros pieds de son pédantisme sur une âme charmante… qui prenait cela comme une caresse ! Le plus grand mérite de La Gervaisais, en fin de compte, fut d’être aimé de Mademoiselle de Condé et de lui obéir quand elle lui demanda, avec de si nobles larmes, de ne pas la revoir ; mais, franchement, je ne puis me faire à l’idée que l’homme à qui une telle femme avait pu donner le bonheur d’un pareil amour se soit prosaïquement marié et ne soit pas resté, comme le chevalier de Malte, d’une fidélité immortelle, avec sa croix, non pas sur le cœur, mais dedans !

IV

Quant aux lettres intimes qui expriment cet amour d’une âme angélique pour une autre âme, éprise aussi, mais inférieure, je l’ai déjà dit, il n’y en a certainement nulle part de cet accent, de ce caractère, de cet idéal de vérité, de simplicité et de candeur ! Dans toutes les lettres d’amour célèbres, dans celles-là qu’on admire davantage, il y a quelque chose qui n’est pas dans ces lettres-ci… et c’est la gloire de celles-ci que ce n’y soit pas. Il y a, en effet, dans les autres, dans toutes les autres, une éloquence, un style, une langue, une parure de mots quelconque, revêtue, cette parure, pour la gloire de l’amour et pour augmenter son bonheur. Mais dans les lettres de Mademoiselle de Condé, il n’y a ni éloquence, ni style, ni de parure de mots ni de langue presque ! La sienne, sa langue, sans aucune couleur, ressemble à une glace sans tain qui serait mise sur le cœur à nu pour qu’on le vît mieux palpiter, à travers le cristal des mots ! L’âme ingénue de Mademoiselle de Condé, cette âme suave comme l’enfance, l’innocence et l’aurore, a dans l’expression de l’amour la transparence absolue. Avant elle, où cela s’était-il vu ?… Mademoiselle de Condé ne phrase jamais, et les plus éprises parmi les femmes, si naturelles qu’elles soient, phrasent toujours un peu ; c’est là une coquetterie dont l’amour a été quelquefois assez bête pour être fier, mais Mademoiselle de Condé n’a en amour ni coquetterie, ni vanité. Elle est naïve, rien ne s’interpose entre son cœur et nous : à peine les mots ! Voilà ce qui appartient exclusivement à elle. Elle ne sait rien de rien, cette princesse ! mais elle aime pour la première fois, et c’est un enchantement imprévu, inconnu et d’autant plus profond qu’il n’a pas d’ivresse. Elle aime et elle est heureuse par cet amour, dont elle n’écrit pas même le nom et qu’elle appelle dans toutes ses lettres « de l’amitié ». Méprise d’une exquise pudeur ! Elle ne dit jamais que « mon ami » à l’homme qu’elle adore, et sous ce mot répété mille fois on sent une tendresse qui déborde et mouille et pénètre l’âme comme la rosée pénètre les fleurs, sans qu’on la voie tomber du ciel ! Elle finit même par idéaliser ce nom « d’ami », insupportable de femme à homme, dans l’amour, si la femme n’était pas elle. Quand je vous disais que nous étions bien loin de la littérature !… et du sentiment de la littérature, que toutes ont plus ou moins… Mademoiselle de Lespinasse, cette brûlée, l’avait. Eugénie de Guérin, l’ingénue du Cayla, l’avait, même quand elle pleurait le plus sincèrement sur son frère. Mais pour Mademoiselle de Condé, pour cette âme inouïe, que j’ai osé appeler céleste, il n’y a dans ses lettres rien de ce qui agite les lettres des autres femmes. Il n’y a ni coquetteries, ni vanité, ni troubles, ni désirs, ni regrets, ni jalousies, ni souvenirs de caresses, ni spectres de baisers coupables. Dans les siennes, il y a l’immanence du bonheur d’aimer, et puisqu’elle est céleste, le calme de son ciel dans la plus profonde des tendresses. Elle y est toujours noyée de délices, et ce qu’elle veut toujours, c’est d’en noyer l’homme qu’elle aime, dût-elle pour cela sacrifier les siennes, dût-elle pour cela être malheureuse, se reprenant à cette profondeur : qu’elle ne peut pas d’ailleurs être malheureuse, puisque son malheur, à elle, l’aurait fait heureux, lui !… On trouve sous cette pauvre petite plume qui s’ignore des choses égales aux paroles que met le génie de Shakespeare dans la bouche de Juliette à Roméo : « Pardonne-moi de t’aimer, beau Montague ! » qu’admirait tant Madame de Staël. Elle a les modesties et les soumissions de Juliette, avec une pureté bien supérieure à la pureté de Juliette. Oui ! elle était sainte déjà avant d’être une Sainte, cette femme qui a du sang altier des Condé dans les veines, de ces terribles sangliers sauvages des Condé, et qui aime « son ami », comme elle dit simplement, avec la crainte, l’humilité, l’abandon et tous les caractères de l’amour de Dieu, transportés dans l’amour d’un homme !…

Ces Lettres intimes embrassent un temps bien court et forment un bien petit volume. Mademoiselle de Condé cessa de les écrire, mais cessa-t-elle d’aimer La Gervaisais ?… Les bonheurs complets ne peuvent pas durer, et le sien le fut… quelques minutes. La fibre humaine ne peut pas supporter longtemps, sans se briser, les sons tuants de l’harmonica, qui sont pourtant la plus délicieuse des mélodies ! Le cri d’une femme qui aimait, comme elle, dans la splendeur d’une pureté et d’une sécurité terribles, et qui subitement cria à elle, se sentant entraînée, perdue, fut le coup de tonnerre qui tira Mademoiselle de Condé de l’abîme de son bonheur et qui fit cabrer cette âme de race. Elle sentit cette peur sublime qui est l’héroïsme contre soi… Elle arracha son cœur à l’homme qu’elle aimait comme on arrache son cœur à l’être qui l’a pris, en lui en laissant tous les lambeaux déchirés ! Elle ne voulut plus le revoir. C’en fut fait à jamais pour les yeux… Mais pour la pensée ?… Après vingt-huit ans (vingt-huit ans !), La Gervaisais lui écrivit un jour, seulement pour la prévenir d’un danger dont il la croyait menacée : c’était, je crois, quand le « malheureux homme » pour lequel elle priait tous les jours, depuis la mort du duc d’Enghien tomba de l’île d’Elbe sur Paris, où elle était Supérieure de l’Ordre du Temple, comme la foudre ! Mais à l’adresse elle reconnut l’écriture, et elle laissa la lettre sans l’ouvrir…

Et c’est encore plus beau peut-être que d’avoir écrit toutes les siennes, — d’avoir laissé cachetée celle-là.