Livre deuxième.
Fable IV.
V. 10. Il ne régnera plus, etc. Voici encore un exemple de l’artifice et du naturel avec lequel La Fontaine passe du ton le plus simple à celui de la haute poésie. Avec quelle grâce il revient au style familier, dans les vers suivans :
V. 13…. Il faudra qu’on pâtisseDu combat qu’a causé madame la génisse.
Madame : mot qui donne de l’importance à la génisse. Ce vers rappelle
celui de Virgile (Géorg. liv. 3) :
Pascitur in magnâ
silvâ formosa juvenca
.
Fable V.
Cette fable est très-jolie : on ne peut en blâmer que la morale.
V. 33. Le sage dit, selon les gens,Vive le roi ! vive la ligue !
Ce n’est point le sage qui dit cela : c’est le fourbe, et même le fourbe impudent. Quel parti devait donc prendre La Fontaine ? Celui de ne pas donner de morale du tout.
Solon décerna des peines contre les citoyens qui, dans un temps de troubles, ne se déclareraient pas ouvertement pour un des partis : son objet était de tirer l’homme de bien d’une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux, et de sauver la république par l’ascendant de la vertu.
Il paraît bien dur de blâmer la chauve-souris de s’être tirée d’affaire par un trait d’esprit et d’habileté, qui même ne fait point de mal à son ennemie la belette ; mais La Fontaine a tort d’en tirer la conclusion qu’il en tire.
Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. C’est ce que l’Aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et embarrassante dont le jugement lui fut renvoyé. Le tribunal ordonna, sans rien prononcer, que les deux parties eussent à comparaître de nouveau dans cent ans.
Fable VI.
V. 1. Flèche empennée. Le mot empennée n’est point resté dans la langue ; c’est que nous avons celui d’emplumée, que l’auteur aurait aussi bien fait d’employer.
V. 9. Des enfans de Japet, etc. La Fontaine se contente d’indiquer d’un seul mot le point d’où sont partis tous les maux de l’humanité.
Fable VII.
Cette fable, très-remarquable par la leçon qu’elle donne, ne l’est, dans son exécution, que par son élégante simplicité.
La morale de cet Apologue est si évidente, que le goût ordonnait peut-être de ne pas y joindre d’affabulation ; c’est le nom qu’on donne à l’explication que l’auteur fait de sa fable
Fable VIII.
Cette fable est une des plus heureuses et des mieux tournées.
V. 19. Ses œufs, ses tendres œufs, etc. Il semble que l’âme de La Fontaine n’attend que les occasions de s’ouvrir à tout ce qui peut être intéressant. Ce vers est d’une sensibilité si douce, qu’il fait plaindre l’aigle, malgré le rôle odieux qu’il joue dans cette fable.
Fable IX.
V. 36. J’en vois deux, etc. Tant pis ; une bonne fable ne doit offrir qu’une seule moralité, et la mettre dans toute son évidence. Au reste, ce qui peut justifier La Fontaine, c’est que ces deux vérités sont si près l’une de l’autre, que l’esprit les réduit aisément à une moralité seule et unique.
Fable X.
V. 1. Un ânier, son sceptre à la main,Menait en empereur romainDeux coursiers à longues oreilles.
Il y a bien de l’esprit et du goût à savoir tout anoblir sans donner aux petites choses une importance ridicule. C’est ce que fait La Fontaine en mêlant la plaisanterie à ses périphrases les plus poétiques ou à ses descriptions les plus pompeuses.
V. 21. Camarade épongier.
Épongier. Mot créé par La Fontaine, mais employé si heureusement, qu’on croirait qu’il existait avant lui.
Fables XI et XII.
Ces deux fables ne comportent aucune espèce de notes, n’étant remarquables ni par de grandes beautés, ni par aucun défaut. C’est la simplicité et la pureté de Phèdre, avec un peu plus d’élégance.
Fable XIII.
Encore une fable qui n’est point fable. Un trait que La Fontaine raconte en quatre vers, lui donne lieu de causer avec son lecteur, mais pour le jeter dans des questions métaphysiques auxquelles il n’entendait pas grand’chose. De là il fait une sortie contre l’astrologie judiciaire, qui, de son temps, n’était pas encore tombée tout-à-fait.
V. 21. Aurait-il imprimé ? etc.
Voilà deux vers qui ne dépareraient pas le poème écrit du style le plus haut et le plus soutenu.
V. 40. Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.
Les souffleurs, c’est-à-dire les alchymistes, dont la science est à la chymie ce que l’astrologie judiciaire est à l’astronomie.
Fable XIV.
V. 2. Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?
Ce vers est devenu proverbe à cause de son extrême naturel, sans qu’on puisse voir d’ailleurs ce qui a fait sa fortune.
V. 29. Et d’où me vient cette vaillance ?
Il se croit déjà brave, et son amour-propre devient son consolateur. Voilà ce me semble la pensée dont il fallait achever le développement ; et c’est ce que l’auteur ne fait pas. Au contraire, le lièvre qui vient de parler de sa vaillance, parle de sa poltronnerie dans les deux derniers vers. On pourrait, pour sauver cette faute et cette contradiction, supposer que le lièvre finit de parler après ce vers :
Je suis donc un foudre de guerre !
et que c’est La Fontaine qui dit en son propre nom les deux vers suivans ; mais cette conjecture n’est pas assez fondée.
Fable XV.
Il fallait ce me semble que le renard commençât par dire au coq : « Eh ! mon
ami, pourquoi n’étais-tu pas aux fêtes qu’on a données pour la paix qui vient de se
conclure ? »
Dans ces vers, nous ne sommes plus en querelle,
le renard n’a l’air que de proposer la paix.
V. 17. Que celleDe cette paix.
Ces deux petits vers inégaux ne sont qu’une pure négligence, et ne font nullement beauté.
V. 19. Et ce m’est une double joieDe la tenir de toi, etc…..
Les ressemblances de son déplaisent à l’oreille.
V. 32. Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
V. 29. Malcontent, etc. On dirait aujourd’hui mécontent.
Le coq ne trompe pas le renard, il le joue, il se moque de lui.
Fable XVI.
V. 8….. Pour la bouche des dieux.
Cette exposition montre la finesse d’esprit de La Fontaine. Les dieux étaient supposés respirer l’odeur des sacrifices, mais non pas manger les victimes. La Fontaine, par ce mot de la bouche des dieux, indique leurs représentans, qui avaient soin de choisir les victimes les plus belles et les plus grasses.
Les quatre derniers vers sont charmans ; le second et le quatrième sont devenus proverbes. Ce rapport de sons répété deux fois entre la rime de eure et celle de eurs, les gâte un peu à la lecture.
Fable XIX.
Cette fantaisie de chasser doit être trop fréquente chez le lion pour qu’il y ait de la justesse à employer cette expression, se mit en tête ; ce mot semble indiquer une fantaisie nouvelle ou du moins assez rare.
Sanglier était autrefois de deux syllabes, ce qui était assez dur à l’oreille.
V. 12. Leur troupe n’était pas encore accoutumée, etc.
Il fallait donc que ce fut au commencement du monde. Cette circonstance paraît bizarre… dit l’âne en se donnant tout l’honneur de la chasse. Il fallait ce me semble que l’âne se rendît tout-à-fait insupportable au lion par ses fanfaronnades ; cela eût rendu la moralité de la fable plus sensible et plus évidente.
Fable XX.
Ce n’est point là une fable ; c’est une anecdote dont il est assez difficile de tirer une moralité.
V. 5 Une histoire des plus gentilles.
Quoique ce soit d’Ésope que La Fontaine parle ici et non pas de lui-même, peut-être eût-il été mieux de ne pas promettre que l’histoire serait gentille : on le verra bien.
V. 22….. Chacune sœur. C’est le style de la pratique ; et ce mot de chacune, au lieu de chaque, fait très-bien en cet endroit.