Cochin, [Henri] Avocat au Parlement de Paris, sa Patrie, mort en 1747, âgé de 60 ans.
Il effaça la réputation des Patru & des le Maître, qui n’avoient eu de célébrité que pour s’être écartés du mauvais goût qui régnoit de leur temps dans la Plaidoirie. C’est à lui seul qu’il étoit réservé d’être le plus grand Orateur, & le modèle le plus accompli de l’éloquence du Barreau.
Si, comme l’a dit Ciceron, le parfait Orateur est un homme de probité qui sait bien parler, Vir bonus dicendi peritus, on peut assurer que cette définition ne convint jamais mieux qu’au célebre M. Cochin. Ses vertus égaloient ses talens, & il se vit en possession de l’estime & de la confiance publique, dans un âge où les autres commencent à peine à en sentir le prix.
Dans ses Plaidoyers, qui forment la partie principale de ses Œuvres, on trouve tantôt une éloquence mâle & vigoureuse, qui rejette les vains ornemens ; tantôt une éloquence touchante & persuasive, où les fleurs sont répandues avec choix, selon que les matieres en sont susceptibles. Personne n’a plus que lui réuni l’abondance des idées & des raisonnemens, la plénitude du savoir & de la raison, aux richesses de l’expression à la variété des tours, & sur-tout à ce sentiment intime qui sait mettre la justice & la vérité dans tout leur jour, les faire aimer même de ceux qu’il combat. Par-tout le naturel, la force, l’érudition, la solidité, s’adaptent & se fondent, pour ainsi dire, dans les sujets qu’il traite. On croit y voir la probité s’exprimer par la bouche de Cicéron, & combattre l’injustice avec les armes de Démosthene. Les événemens les plus compliqués, les incidens les plus accumulés, les difficultés les plus épineuses, se simplifient sous sa plume, & offrent un plan net & précis, qui met à portée de suivre l’Orateur sans fatigue & sans contention. De l’affaire la plus embrouillée, il sait tirer une proposition unique, qu’il développe avec une supériorité qui intéresse par la maniere, autant qu’elle instruit par le fond.
Il est sur-tout admirable dans sa marche. Un ton noble & mesuré dans l’exorde, des gradations bien amenées dans le cours du discours, une chaleur qui naît de la force des raisons, des réflexions vives & pénétrantes, un pathétique qui acheve, dans la péroraison, de subjuguer le cœur, après avoir captivé l’esprit, sont des ressorts qu’il manie toujours avec un succès, fruit du génie, de l’art de le modérer & de lui donner l’essor à propos.
Veut-on savoir comment il parvint à se rendre maître de ses talens & à les perfectionner ? Il est aisé de sentir qu’à l’exemple des Grands Hommes qui se sont distingués, chacun dans leur genre, ce fut par une étude constante & réfléchie des Anciens. S’appliquer de bonne heure à la lecture des Historiens & des Philosophes, pour apprendre des premiers l’origine & l’usage des loix, des seconds, la maniere de penser & de raisonner ; tels furent les moyens qu’il jugea propres à le mettre en état de fournir une carriere où l’esprit ne sauroit se soutenir lui seul.
Ce n’est, en effet, que par le secours de ces Auteurs consacrés par l’admiration constante de tous les siecles, qu’un Ecrivain, quelque génie naturel qu’il ait d’ailleurs, peut se former le goût & développer sa raison.
D’après cela, que penser de cette éloquence prétendue légere, qui semble être l’unique but de nos Orateurs modernes, & principalement de ceux du Barreau ? L’esprit frivole de notre siecle y regne comme par-tout ailleurs. Après avoir étouffé le goût des beautés vraies & solides, il ouvre une libre carriere aux prétentions les plus bizarres. De là naissent ces réputations acquises à si bon marché, qui dégradent la dignité de cette partie des Belles-Lettres. Est-ce par des phrases philosophiques, par des ironies indécentes, par un style épigrammatique, par un ton & par des manieres conformes aux mœurs énervées de notre temps, qu’on prétendroit nous retracer, dans la plus noble des fonctions, cette élévation, cette force, cette vive sensibilité, & sur-tout cette décence qui caractérisoit chez les Romains les Défenseurs des Loix & les fléaux de l’iniquité ?
Les Œuvres de M. Cochin sont le meilleur préservatif qu’on puisse opposer à ces abus ; & en faisant sa gloire, elles seront la condamnation de quiconque s’écartera des routes qu’il a suivies. Aussi doit-on regarder l’estime & l’admiration de ses Contemporains, comme un gage des sentimens de la Postérité. M. Rollin disoit, que cette maxime qui ne donne des bornes à la science de l’Orateur que celles de l’Univers, lui avoit semblé fastueuse, jusqu’à ce qu’il eût connu le grand Cochin.
Cet Orateur méritoit cet éloge, autant par sa modestie que par ses talens. Les louanges qu’on lui donnoit, étoient toujours payées par des réponses qui annonçoient que l’orgueil n’affoiblissoit point en lui les sentimens de la Religion.
Un de ses confreres, M. le Normand lui dit, après sa premiere cause, qu’il n’avoit jamais rien entendu de si éloquent. On voit bien, lui répondit M. Cochin, que vous n’êtes pas de ceux qui s’écoutent.
Vous êtes, Monsieur, si supérieur aux autres hommes, lui dit une autre fois une femme de qualité, pour qui il venoit de plaider, que si c’étoit le temps du Paganisme, je vous adorerois comme le Dieu de l’Eloquence. — Dans la vérité du Christianisme, Madame, lui répondit le sage Orateur, l’homme n’a rien dont il puisse s’approprier la gloire. Ce n’est pas certainement ainsi qu’auroient répondu nos petits esprits si pleins d’eux-mêmes, eux qui croient tout tenir de leur propre fonds, & qui ne peuvent réellement s’approprier que le ridicule de leurs prétentions.
Les Magistrats partageoient à l’égard de M. Cochin l’estime publique, ou, pour mieux dire, ils en étoient encore plus profondément pénétrés, parce qu’ils savoient mieux apprécier son mérite M. le premier Président Portail, s’appercevant qu’il commençoit un Plaidoyer d’une voix presque éteinte, l’interrompit pour lui demander ce qu’il avoit. Rien, Monsieur, répondit l’Orateur, ce n’est qu’un rhume qui ne m’empêchera pas d’avoir l’honneur de plaider. Alors le premier Président, du consentement de la Compagnie, ajouta : La Cour a trop d’intérêt à vous ménager, pour souffrir que vous plaidiez dans l’ètat où vous êtes.
On rappelle avec complaisance ces anecdotes, parce qu’il est doux de pouvoir joindre à l’admiration pour les grands talens, l’hommage qu’on doit aux grandes vertus.