XXXVII
parade et comédie légitimistes. — chateaubriand vieux bonhomme. — serment des députés. — conférences du père lacordaire a notre-dame. — lacordaire et montalembert.— improvisations politiques de m. de lamartine.
Le nombre des légitimistes partis pour rendre hommage à leur prétendant est fort grossi par leurs amis d’ici. Aujourd’hui 3 décembre, il n’y avait en tout (soit à Paris, soit dans les départements) qu’un peu plus de trois cents passeports délivrés pour l’Angleterre depuis la présence du duc de Bordeaux. Mettez quatre cents en tout, et vous aurez le grand maximum de ce flot de royalisme.
Vous pourrez citer des Débats de ce matin la scène de M. de Chateaubriand, le good old man, comme disent les journaux anglais, c’est-à-dire en bon français le vieux bonhomme. Voilà donc où mène le comble de la gloire et du triomphe, à être traité avec révérence de vieux bonhomme. Oh ! que Chateaubriand aimerait mieux avoir vingt-cinq ans ou même cinquante, et souffleter les impertinents qui le loueraient ainsi. Mais il faut qu’il subisse l’éloge, et qu’il s’incline pour remercier… ô vieillesse ennemie ! Don Diègue ne devait pas être plus irrité.
The good old man ! ô vanité de la gloire humaine ! Cela s’appelle être à la fois couronné du chapeau de laurier et coiffé du bonnet de coton.
Ce dernier pèlerinage de Chateaubriand, ce sera après tout et pour tout résultat une belle page nouvelle des Mémoires. C'est encore de la littérature.
— Tout cela est une parade ; ils jouent à la royauté. Ce qui est moins noble, c’est qu’on joue à ce jeu-là chez la reine d’Angleterre et malgré elle. Ce qui est moins noble encore, c’est qu’il y a là des députés qui ont prêté à haute et intelligible voix serment de fidélité à Louis-Philippe et aux institutions de juillet. C'est une triste idée qu’ils donnent là de leurs serments.
M. de Chateaubriand, du moins, est une exception ; lui, il est, comme on le dit des rois, hors de page, il a ses licences, comme un enfant gâté de la France, comme le fils le plus brillant et le plus cher à la fantaisie de tous et à l’imagination nationale. La France est un peu amoureuse de lui, quoi qu’il fasse.
— Aujourd’hui dimanche, l’abbé Lacordaire a commencé à prêcher à Notre-Dame pour l’Avent ; il continuera les dimanches suivants. Ce sont des conférences. Il ne portait pas l’habit de dominicain (grave question), mais celui de chanoine de Notre-Dame. Il a parlé des morts anciennes opposées aux morts chrétiennes, Darius, Caton, Socrate, Alexandre, que sais-je ? Il ne paraît pas qu’il ait été très-chrétien, ni même éloquent. Lacordaire a d’ordinaire de l’éclat, de l’imagination, du talent, mais un esprit peu judicieux, des rapprochements historiques forcés qui seraient plutôt saint-simoniens que chrétiens, toute l’emphase du jour : sa parole lui échappe souvent, et il ne la gouverne pas.
Aujourd’hui, il ne paraît pas du tout avoir réussi ; on ne savait à ce début sur Darius, à quoi il en voulait venir. — Montalembert et lui sont bien de la même volée ; ils représentent l’école romantique catholique, le De Maistre après coup et, s’il est possible, exagéré ; rien qui puisse vivre et, le moins du monde, convaincre ou persuader. Avec du talent, ils manquent véritablement d’esprit, c’est-à-dire de quelque chose d’opportun, de mobile, d’approprié : ce qu’avait tant leur maître, lequel, heureusement pour lui, n’a connu aucun de ces néophytes exorbitants. Ils abondent comme à plaisir dans le tranchant, le choquant, le désobligeant. Ils heurtent le sens public.
Nous demandons bien pardon de la comparaison, mais ils sont un peu à De Maistre ce que Naigeon était à Diderot : avec plus de talent que Naigeon, mais avec autant d’absurdité, et aussi loin véritablement du maître.
Les vrais chefs savent au besoin varier, changer le front de bataille, accommoder les dispositions et l’assaut selon les difficultés du moment. Les disciples, une fois lancés, vont tout droit et ne s’arrêtent plus.
Lacordaire et Montalembert sont des restes de l’ancienne rédaction du journal l’Avenir qu’ils rédigeaient avec Lamennais (1832) ; ils sont allés faire explosion chacun de leur côté.
On peut dire explosion, car ce sont des esprits qui ressemblent à des boites d’un feu d’artifice.
La brochure de Montalembert intitulée : Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d’enseignement est datée de Madère, où l’auteur est allé depuis un an pour soigner la santé de sa jeune femme.
Ce n’est pas de vérité que manque cet exposé, mais de mesure, mais de prudence, mais d’acheminement à ce qu’il veut obtenir. Vous ne sauriez croire combien de telles duretés irritent et achèvent de séparer. Le catholicisme, par ces aveux, tend à se constituer en secte de plus en plus.
Montalembert étale des vérités excessives, repoussantes, et qui dès lors ne sont plus des vérités ; ce sont des plaies secrètes que tout le monde désire soigner et soulager, et que le grand air va irriter. Il y a dans sa brochure deux pages de personnalités injustes et amères contre Villemain, tout à fait inconvenantes de la part d’un collègue (à la Chambre des pairs) et presque d’un ami de la veille. Sa brochure fait le plus grand tort à la cause qu’il soutient, et semble le ranger définitivement parmi les esprits qui ne mûriront pas.
— M. de Lamartine continue tous les matins ses improvisations politiques : il n’y a pas de raison pour qu’il n’en paraisse pas une chaque jour ainsi durant des années. Ce sont des effusions sans travail, sans réflexion, de vagues crayons sur lesquels l’étude ne revient pas. C'est ainsi qu’il fait également désormais lorsqu’il écrit en vers ; et l’on conçoit que l’une de ces distractions remplace aisément l’autre pour lui. Même procédé, même idée inachevée, même ampleur et opulence de paroles qui ne se comptent plus. Dans son poëme de la Mort de Socrate, on a remarqué que lorsqu’il était embarrassé de transitions, il mettait des blancs et des pages de points. — Eh bien, il fait de même dans ses exposés politiques, et, quand il arrive à la portion positive, organique, à l’indication précise des voies et moyens, il met des points et passe outre. Les grands esprits ne s’attardent pas à si peu. Les déesses et les anges marchent à fleur de terre.