(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — X. Service de nuit. »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — X. Service de nuit. »

X. Service de nuit.

(Ouolof)

En 1884, à Saint-Louis j’ai vu quelque chose d’extraordinaire.

C’est en remplissant une mission dont m’avait chargé mon officier : M. Baffart-Coquard, sur mon retour de N’Diago154 entre une heure et deux heures du matin. J’avais été envoyé pour faire revenir l’aide de camp du colonel, commandant supérieur des troupes de Saint-Louis. La cause de cette convocation c’est que l’aide de camp en question : M. le lieutenant Fametal rendait impossible le bal qui avait lieu à N’Diago ce soir là. Il était plus joli que tous les autres officiers qui dansaient là-bas.

Aussi ses camarades avaient-ils arrangé un bon tour pour l’obliger à rentrer à Saint-Louis.

J’avais accompagné mon lieutenant à N’Diago. Jusqu’à une heure du matin j’étais resté couché avec les soldats d’infanterie. A ce moment, mon lieutenant est venu me réveiller. Il m’a dit : « Ahmadou, il ne faut pas avoir peur. Un spahi n’a jamais peur ! Il y a un camarade à nous, un officier qui gâte tout le bal. Personne ne sait comment l’en empêcher. Aussi je te charge d’une mission — et le capitaine que tu vois t’en charge aussi. (Ce capitaine était de l’infanterie). Si tu fais ce qu’il faut, nous te donnerons 20 francs de bounia155 ».

Alors je dis :

La moitié de ceux qui étaient au bal se sauvent. On se demande : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » Moi je réponds : « C’est moi, spahi ! J’arrive directement de Saint-Louis. Je viens avec mission du colonel, commandant supérieur des troupes, appeler son secrétaire Monsieur le lieutenant Fametal ! Il est venu au bal sans permission. Et le colonel, commandant supérieur des troupes m’a chargé de lui dire de me suivre et de revenir en même temps que moi à Saint-Louis ». (Ce n’était pas vrai. Je l’ai dit, mais je mentais).

Je dis au lieutenant : « Mon lieutenant, je ne puis vous attendre car on m’a donné l’ordre de me dépêcher. »

Je m’en retourne. J’arrive à Saint-Louis à deux heures du matin. Les coqs commençaient à chanter. Je passe devant la maison de Michas… et tout à coup je vois quelque chose qui, partant du sol, montait si haut que mes yeux n’en pouvaient voir la fin.

C’était tout blanc !

Mon cheval s’est cabré par trois fois ! Il ne voulait pas suivre la rue où nous étions. Je lui donne une forte claque pour le forcer à passer. Il refuse de m’obéir !

Alors le guinné qui était devant moi devient comme un bâton qui brûle ! Qu’est-ce que c’est que cela ? me dis-je et un vent froid me passe dans le cou et sur le crâne ! Le cheval refusait d’avancer. Je le fais tourner pour prendre une autre rue, je passe enfin.

Le lendemain, j’ai demandé aux vieilles gens ce que cela signifiait. On m’a répondu : « C’est un guinné que tu as rencontré. Si tu n’avais pas été sur ton cheval tu serais devenu fou. Quand tu es à cheval, les guinné ne peuvent pas faire leurs sottises car ils sont amis des chevaux ». (— Toi, commandant, tu ne l’as jamais remarqué ? La nuit ils viennent blaguer avec eux, leur tresser les crins156… Non ? Tu ne me crois pas ? Vous autres blancs, vous ne voulez jamais rien croire ! Enfin bon ! —).

Le lendemain tout le monde est rentré à Saint-Louis. Le lieutenant, Monsieur Fametal, a quitté la maison du colonel, commandant supérieur des troupes. Il est venu me trouver chez mon officier, Monsieur Baffart-Coquard. Il m’a dit : « Spahi, tu as de la chance que ton supérieur soit là ! Chaque fois que je te rencontrerai sans lui, je te fais fusiller ».

Il était venu, à deux heures du matin, réveiller le colonel commandant supérieur des troupes. Il lui avait demandé : « Mon colonel, c’est vous qui m’avez fait appeler ? » Et le colonel avait répondu : « Parbleu ! ce sont vos camarades qui vous ont f….u dedans ! »

Comme il ne pouvait plus retourner à N’Diago, il avait été forcé d’aller se coucher.

Le lieutenant et le capitaine m’ont donné les 20 francs.

Tiens ! je suis fatigué ! J’ai chaud ! Donne-moi l’alcool de menthe que tu m’as promis pour cette histoire là.

Moi j’ai vu ça ! Ce ne sont pas des kalao-kalô !157

Conté par AHMADOU DIOP.