(1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »
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(1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

XVIII

Confession personnelle. — Résumé de notre enseignement. — Son utilité pratique.

Nul ne peut se flatter de produire des œuvres sans défauts. Ma seule ambition a été d’écrire quelque chose qui fût pratique. Par l’étude des procédés et du métier, par l’anatomie et la décomposition du style, j’ai essayé de renouveler un enseignement qui s’épuisait dans la banalité et la routine. Si l’on veut être juste, on conviendra qu’il n’était pas tout à fait facile de donner un peu de solidité à des matières susceptibles de tant de nuances et qui se prêtent à des interprétations si diverses. Que certains chapitres de mes ouvrages soient exagérés ; qu’il y ait de l’intransigeance dans quelques exemples ; que j’aie parfois outré les principes et les conséquences, je le confesse volontiers. On n’est pas toujours maître de se modérer quand on rompt avec les idées reçues. Mon premier livre étant une réfutation des Cours de littérature ordinaires, ne suis-je pas un peu excusable d’avoir poussé trop en avant ceux qui voulaient nous tirer trop en arrière ? On peut me blâmer notamment d’avoir voulu corriger certaines phrases d’écrivains célèbres. Ces sortes d’exercice ne choquent point quand ils s’appliquent à de la prose anonyme ; ils sont peut-être messéants quand il s’agit des grands écrivains. En revanche, si je reconnais avoir été trop sévère pour les clichés et les phrases toutes faites, je persiste néanmoins à penser qu’un style où il n’y aurait que cela ne serait pas un bon style.‌

Sauf quelques oublis de peu d’importance, dont je demande qu’on me fasse crédit, je ne crois pas, en conscience, avoir d’autre reproche à me faire. Si mes trois premiers livres ont provoqué d’ardentes ripostes, je garde, du moins, la satisfaction de n’avoir moi-même jamais attaqué personne. C’est volontairement que j’ai poussé l’indifférence jusqu’à laisser sans réponse les pires réfutations. Je me décide aujourd’hui à rompre ce silence, mais c’est tout à fait sans rancune et après avoir donné à mes adversaires le temps de réfléchir et de se calmer. Encore n’ai-je pris la plume que pour me défendre. Il était essentiel pour moi de ne pas laisser croire à mes lecteurs que je me trouvais à court de raisons. Après tout, ce sont encore des enseignements de style que j’ai dégagés de ce conflit, et l’on daignera remarquer que je soutiens ici la cause de mes lecteurs bien plus que ma propre cause. Je pense très sincèrement avoir rendu service, dans une modeste mesure, non seulement aux lettrés et aux artistes, mais à tous ceux qui désirent simplement voir un peu clair et mettre un peu d’ordre dans ces matières. Si mes ouvrages n’apprennent pas à écrire, ils apprennent certainement à lire, et, s’ils ne donnent pas du talent, ils montrent, du moins, en quoi il consiste. C’est un résultat dont on m’a remercié unanimement.

M. de Gourmont lui-même reconnaît que ma tentative a du bon. Mon analyse « est mauvaise, dit-il. Cependant M. Albalat en a tiré une méthode pratique dont on peut dire que, si elle ne formera aucun écrivain original, il le sait bien lui-même (?), elle pourrait atténuer, non la médiocrité, mais l’incohérence des discours et des écritures auxquels l’usage nous contraint de prêter quelque attention. Ce Manuel serait inutile plus encore que je ne le crois que tel et tel de ses chapitres garderaient leur intérêt de documentation et d’exposition52. » Les pires adversaires de nos théories nous rendent justice : « Ce livre, dit M. Joran, est un guide moins pour les élèves, en dépit du titre, que pour les maîtres, pour ceux enfin dont la personnalité s’est déjà dégagée et qui n’ont plus qu’à fortifier en eux l’originalité par des lectures et des méditations appropriées53. »

Après avoir bien réfléchi, bien pesé les raisons pour et contre, je garde donc la conviction non seulement que ma méthode n’est point mauvaise, mais qu’il n’y en a pas d’autre à proposer. Ou il faut renoncer à enseigner le style, ou il faut se décider à étudier les procédés et le métier. C’est dans cette voie qu’on devra marcher, sous peine de retomber dans l’idéologie et les errements dont les anciens Manuels ont épuisé toute l’illustration. Le mouvement est donné, on le suivra, on le suit déjà. Les meilleurs ouvrages de critique qui aient été publiés, ces dernières années, ont pris pour méthode l’étude des manuscrits et des ratures. L’avenir, non seulement de la critique d’enseignement, mais de la critique d’appréciation, est là, et il n’est que là. C’était la conclusion de nos précédents ouvrages. Ce sera la conclusion de celui-ci.‌