Casanove
Reste, mon ami, pour m’acquitter de ma promesse à vous dire un mot des morceaux de Casanove ; mais que vous dirai-je de sa Bataille. Il faut la voir ; comment rendre le mouvement, la mêlée, le tumulte d’une foule d’hommes jetés confusément les uns à travers les autres ; comment peindre cet homme renversé qui a la tête fracassée et dont le sang s’échappe entre les doigts de la main qu’il porte à sa blessure ; et ce cavalier qui, monté sur un cheval blanc, foule les morts et les mourants. Il perdra la vie avant que de quitter son drapeau. Il le tient d’une main ; de l’autre il menace d’un revers de sabre celui qui lui appuie un coup de pistolet ; pendant qu’un autre lui saisit le bras ; comment sortira-t-il de danger. Un cheval tient le sien mordu par le col ; un fantassin est prêt à lui enfoncer sa pique dans le poitrail. Le feu, la poussière, et la fumée, éclairent d’un côté et couvrent de l’autre une multitude infinie d’actions qui remplissent un vaste champ de bataille. Quelle couleur ! quelle lumière ! quelle étendue de scène. Les cuirasses rouges, vertes ou bleues, selon les objets qui s’y peignent, sont toujours d’acier. C’est pour la machine, une des plus fortes compositions qu’il y ait au Salon. On reproche à Casanove d’avoir donné un peu trop de fraîcheur à ses vêtements. Cela se peut. On dit que son atmosphère n’est pas assez poudreuse. Cela se peut. Que les petites lumières partielles des sabres, des casques, des fusils et des cuirasses heurtées trop rudement, font, ce qu’on appelle, papilloter le tout, surtout quand on regarde ce tableau de près. Cela se peut encore. On dit que cet effet ressemble à celui du plafond d’une galerie éclairée par la surface d’une eau vacillante. Cela se peut encore. Avec tous ces défauts, c’est un grand et beau tableau. Moi qui aime à mettre les choses en place, je le transporte d’imagination dans un des appartements du château de Postdam.
Il y a du même de petits tableaux de bon goût. Ce sont des paysages, avec des soldats ; les figures sont simples ; et la couleur vigoureuse.
Il y a deux batailles en dessin qui ne sont pas déparées par celle qu’il a peinte.
Ce Casanove est dès à présent un homme à imagination, un grand coloriste ; une tête chaude et hardie ; un bon poète ; un grand peintre.