(1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181
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(1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Chapitre VI.
La critique de Boileau (Fin).
La querelle des anciens et des modernes

La théorie de Boileau est l’expression la plus complète qui ait été donnée de la littérature classique. Elle en implique ou en explique à la fois les lacunes et les défauts, la puissance et la beauté. Son caractère naturaliste, et la condition de la vraisemblance imposée aux écrivains, rendent compte de ce qu’ont parfois les œuvres d’un peu sévère et sec, et de médiocrement flatteur pour l’imagination. Le même naturalisme, et la condition de chercher un objet d’imitation universel et permanent, nous font comprendre pourquoi le xviie  siècle n’a pas eu de poésie lyrique — ou si peu — et pas d’histoire. Par la recherche de l’expression ornée et de l’agrément, par l’amour du régulier et du fini, s’explique que nous trouvions souvent les ouvrages classiques trop beaux et trop parfaits, du moins trop faits : il nous fâche que l’auteur ait mis tant d’art et de complaisance à nous plaire, et nous avons peur qu’il ne nous cache de l’objet pour nous éviter de la fatigue. Mais aussi, si jamais œuvres ne furent plus robustes, plus pleines, plus solidement édifiées sur le fond humain qui ne change pas, si jamais art ne fut plus sincère, plus probe et plus sûr, si jamais plus de grandeur ne fut unie à plus de clarté, et plus proportionnée à la capacité moyenne des esprits, en sorte que chacun peut trouver à comprendre et de quoi jouir même dans ce qui le dépasse infiniment, et qu’on ne saurait en épuiser la suggestivité ni en limiter la réceptivité, Boileau nous dit ou nous fait deviner comment cela s’est fait : sa doctrine met en lumière et ramène à son principe ce qui fait la beauté propre de la littérature classique et en assure la durée.

Cette doctrine ne repose pas sur une profonde métaphysique : ce n’est à proprement parler qu’un positivisme littéraire. Des faits sensibles et facilement vérifiables sont à la base de tous les raisonnements. Un seul axiome : rien n’est beau que le vrai ; axiome tout positiviste et qui fonde le caractère expérimental de la théorie. Je n’ai qu’à comparer ma connaissance avec les ouvrages des anciens, pour dégager la nature universelle qui est l’objet de l’art. Je n’ai qu’à regarder si tout le monde a du plaisir, pour contrôler mon sentiment, et savoir si j’ai bien jugé. L’expérience individuelle et le consentement universel, voilà tout ce dont Boileau a besoin, une fois posée l’identité du vrai et du beau, pour donner des lois à la poésie. Et selon ces lois, les œuvres se classent d’après leur degré d’universalité et d’intelligibilité : la littérature se construit sur le même plan que la science.

On a bien des fois signalé le rapport étroit qui unit le classicisme de Boileau au rationalisme cartésien : et l’on a eu raison, si l’on retranche du cartésianisme les conceptions aventureuses de sa métaphysique et si on le réduit à un rationalisme scientifique, menaçant de sa rigoureuse méthode tout le surnaturel et tout l’indémontrable. La réduction de la beauté et de l’idéal littéraire à la vérité et à la nature, et du plaisir à la raison, c’est-à-dire au général, le sentiment de l’inaltérable identité de l’esprit humain correspondant à la confiance du savant en sa raison, la condition d’universalité objective et formelle imposée à la poésie, correspondant au principe de la permanence des lois de la nature, l’indépendance de la raison universelle maintenue sous l’autorité du consentement universel, la notion enfin de la vraisemblance, équivalent littéraire de l’évidence mathématique : tout cela est bien conforme à l’esprit de Descartes, et l’Art poétique fait l’effet de n’être qu’une transposition des idées cartésiennes. Il ne faut pas oublier cependant que l’Art poétique est le terme d’une évolution commencée avant Descartes, et par conséquent hors de son influence : il est l’expression complète de l’esprit classique, qui n’a point son origine et sa cause dans l’esprit cartésien ; mais l’esprit classique et l’esprit cartésien sont deux effets parallèles et deux manifestations formellement différentes d’une même cause, d’un certain esprit général qui s’est trouvé formé au commencement du xviie  siècle d’une association d’éléments et par un concours d’influences dont je n’ai pas ici à tenter l’analyse. Néanmoins nous avons à tenir compte de ce que Boileau fut en effet cartésien, comme son Arrêt burlesque suffit à le montrer, et son cartésianisme, manifestement, n’a pas été étranger à la forme définitive qu’il a donnée à la doctrine classique.

Mais lorsque, amenant la littérature au but qu’elle poursuivait depuis un siècle, il édifia son système, il y fit entrer deux pièces, qui ne lui étaient point fournies d’ailleurs : et ces deux pièces sont ce qu’il y a d’essentiel et de caractéristique dans le système. Elles en font la grandeur et la valeur. L’une, c’est le naturalisme, et l’autre, son idée de la forme artistique. Personne, en France, avant Boileau, n’avait nettement conçu ni formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, et tous les mots dont on se servait : vérité, bon sens, avaient en soi un air d’abstraction ou un sens subjectif, qui faisaient glisser la littérature dans la sèche logique, ou l’abandonnaient à la tyrannie du goût individuel et de la mode. Ce grand mot de nature une fois prononcé, l’objectivité, l’impersonnalité, la réalité s’imposaient à l’œuvre d’art. Et c’est en le prononçant qu’il s’acquit d’abord la confiance et le respect de quelques hommes, qui venaient précisément en ce temps-là réaliser la perfection dont il donnait la première formule.

Mais, de plus, Boileau et Racine, et La Fontaine, et Molière étaient des artistes : ce que n’étaient ni les Chapelain, ni les Scudéry, ni les Desmarets, ni les Cotin, ni tous les prétentieux rédacteurs d’emphatiques épopées, ni tous les ingénieux rimeurs de petits vers, ni tous les pédants qui estimaient que l’usage des règles, par une vertu secrète, suffit sans la matière et sans le génie à la perfection des œuvres, ni enfin tous les inspirés qui écrivaient en courant, sans réflexion et sans retouches, au hasard de leur fantaisie. Au contraire Racine, Molière, La Fontaine ont tous dans l’esprit un idéal d’art, un type formel où la nature s’exprime dans son énergie et son caractère, mais de plus se revêt d’une absolue beauté. Ils prennent les lois et les règles comme des conditions données à leur activité, comme une sorte de cahier des charges imposé à l’artiste qui entreprend de faire une œuvre, tout au plus comme une méthode qui permet d’obtenir économiquement et sûrement la plus grande somme de perfection. Et pour Boileau, les règles ne sont pas autre chose : des moyens, non le but. Par là encore, sa critique est adéquate à l’inspiration des grands écrivains.

D’où donc a-t-il tiré cette théorie originale et féconde ? Qui lui enseigna que la poésie était un art, non pas au sens où la rhétorique aussi est un art, ni comme les arts mécaniques, mais un des beaux-arts ? Et qui lui fit croire que cet art devait être naturaliste ? Ce furent assurément les anciens. Aristote et Horace d’abord, et Quintilien et Longin, tous ceux qui, en grec ou en latin, avaient donné les règles de la poésie ou de l’art d’écrire : Boileau les avait lus, médités, s’en était nourri ; Quintilien et Longin l’avaient aidé à se former un idéal de style et d’élocution. Horace lui avait montré dans le bon sens, qui n’est en somme que le sens précis de la réalité, la qualité maîtresse du poète dramatique : mais surtout il lui avait fait concevoir quel art délicat, assortissant toutes les pièces d’une tragédie, donne à l’ouvrage une perfection charmante, dont l’agrément est infini. Chez Aristote, Boileau trouvait formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, base commune de tous les arts, qui ne diffèrent que par le choix des objets, des moyens, et par le caractère de leur imitation : il est vrai que, ce principe posé, Aristote exposait surtout comment l’art transforme la nature, en vue de nous procurer le plaisir qui lui est propre. Mais Boileau ne s’en tenait pas aux théoriciens ; il s’instruisait directement aux œuvres, d’après lesquelles les théories ont été dressées, et sa sincérité d’admiration, la perpétuelle direction de sa pensée qui y va toujours spontanément chercher sa règle, nous témoignent évidemment qu’en dépit de certaines timidités de goût et de quelques gaucheries d’expression, Boileau comprenait et sentait les anciens comme il faut. Car les poètes anciens sont bien en effet avant tout des naturalistes inconscients, qui, dans leurs plus libres créations, ne s’emportent jamais hors de la nature, et ce sont non moins essentiellement des artistes scrupuleux dont l’art n’est jamais vulgaire ni la facture lâchée. Toute cette exquise partie de la Lettre à l’Académie, où Fénelon traite de la poésie, aboutit là : les anciens respectent plus la nature et se font une plus haute idée de l’art que les modernes. Ils ont la vérité et la beauté : nous sommes romanesques et spirituels, nous cherchons le rare et le joli. Fénelon n’était pas tout à fait juste : il ne voyait pas que nos grands poètes, avec notre grand critique, sortaient précisément de leur siècle et s’élevaient au-dessus de lui par le caractère nettement naturaliste et artistique de leurs œuvres et de leur doctrine. Sur ce xviie  siècle essentiellement précieux et galant, très noble et très raffiné, très ingénieux et plus sensible à l’extraordinaire qu’au simple beau, capable de donner Scarron et Quinault, Voiture et Benserade, et tout au plus peut-être la moitié de Corneille, sur ce xviie  siècle qui laissé à lui-même eût produit sans intervalle et sans arrêt Fontenelle après Balzac, l’étude de l’antiquité, retardant l’éclosion de l’art mièvre tout prêt à succéder à l’art pompeux, fit fleurir des poètes capables de la perfection qui n’étonne pas, de cette perfection qui, semblant d’abord de plain-pied avec nos esprits, se révèle plus haute et inaccessible à mesure qu’elle nous devient plus familière, et nous donne des jouissances infinies que nous n’arrivons pas à épuiser : des artistes enfin tels que Racine et La Fontaine. Joignons-y Molière, quoiqu’il semble devoir plus à sa droiture d’instinct et de génie qu’à l’imitation des anciens : il les connaissait pourtant, il les étudiait, il les aimait, même ce robuste Plaute qui répugnait à la délicatesse de son temps. Et il recevait aussi, comme La Fontaine et comme Racine, l’influence de l’art antique par la conversation et la critique de son ami Despréaux, qui écartant résolument tous les Italiens et tous les Espagnols, comme trop brillants et trop « pailletés », détruisant l’autorité que l’illusion ou la complaisance de la génération précédente leur avait accordée aux dépens de la nature et de la pure beauté, proposait partout et toujours pour modèles les Grecs et les Latins, dont les œuvres contenaient toute la vérité, rendue avec toute la perfection que l’esprit humain était susceptible d’atteindre.

Si c’était donc aux anciens que Boileau devait les parties les plus originales et les plus hautes de sa théorie, et si à une sincère admiration pour leurs ouvrages s’ajoutait le sentiment qu’en eux, et en eux seuls, sa doctrine trouvait une confirmation éclatante et complète, on concevra sans peine l’indignation qu’il ressentit quand il vit contester l’autorité et le mérite de la grande antiquité. Je n’ai pas à raconter ici la querelle des anciens et des modernes : on en trouvera le détail dans l’ouvrage bien connu de Rigault, comme l’Histoire de la Critique de M. Brunetière fera connaître l’importance et les conséquences générales de ce débat dans l’évolution de la littérature et du goût français. On sait comment s’ouvrit la querelle des anciens et des modernes, qui se greffa sur les discussions auxquelles donnèrent lieu les épopées chrétiennes, et sur celles aussi qui s’engagèrent à l’occasion de l’inscription d’un arc de triomphe en l’honneur du roi, et firent mettre en parallèle les avantages et la beauté du latin et du français. En ce temps-là avait paru l’Art poétique, direct et rude coup pour les contempteurs de l’antiquité. Desmarets riposte et meurt, léguant à Perrault le soin de venger les modernes.

Perrault était l’homme de confiance de Colbert, auprès de qui il avait remplacé Chapelain : esprit ouvert, inventif, un peu trop assuré et présomptueux, comme sont souvent les gens qui se sont formés eux-mêmes, incapable de douter de son savoir, comme de se douter de ses ignorances, ayant plutôt la curiosité d’un amateur et l’intelligence d’un directeur des beaux-arts que les dons d’un écrivain ou d’un critique, faisant une forte cabale avec ses deux frères, le receveur des finances et le médecin, fort appliqués comme lui aux sciences et aux arts, et fort répandus aussi dans le monde. Charles Perrault ne sembla pas d’abord pressé d’accepter l’héritage de Desmarets, et la chose se passa d’abord en escarmouches entre ses deux frères et Despréaux ou Racine, jusqu’à ce que, rendu par la disgrâce à la littérature, il donna son Saint Paulin, orné d’une Préface où l’Art poétique était saisi par son côté faible, je veux dire par son insoutenable théorie du merveilleux païen. Puis vint la fameuse séance du 27 janvier 1687, où l’Académie entendit jusqu’au bout la lecture du Poème sur le Siècle de Louis le Grand : grande fut l’indignation de Boileau qui s’épancha en injurieuses épigrammes contre l’Académie des Topinamboux. La lutte s’anima : chaque parti mettait toutes ses forces en ligne ; si La Fontaine vengeait négligemment les anciens dans son exquise Épître à Huet, Fontenelle apportait au secours de Perrault sa finesse charmante et ses airs séduisants d’homme impartial et détaché, dans son Discours sur l’Églogue et sa Digression sur les anciens et les modernes. L’Académie avait des séances orageuses : c’était un jour de triomphe pour les modernes, quand on recevait Fontenelle ; mais les anciens avaient leur revanche, quand ils faisaient entrer La Bruyère : tous ces incidents du débat sont connus, et il suffit de les rappeler.

Aussitôt après l’éclat du Siècle de Louis le Grand, Perrault avait annoncé son intention de développer sa théorie dans un ouvrage méthodique : ce furent les Parallèles des anciens et des modernes, dont le premier volume parut à la fin de 1688 et le quatrième seulement en 1697. Dès la préface du premier volume, Perrault prenait position comme un homme du monde engagé contre des pédants et des cuistres : il se représente bataillant contre « un certain peuple tumultueux de savants qui, entêtés de l’antiquité, n’estiment que le talent d’entendre bien les vieux auteurs ». Ailleurs il se moquait de l’Université et affectait de ne voir en ses adversaires que des hommes de collège, « payés et gagés » pour s’enthousiasmer aux heures des leçons sur n’importe quels vers grecs ou latins. Et comme ces régents en robes noires et à bonnets carrés avaient du moins sur lui l’avantage de savoir le grec et le latin, il s’évertuait à démontrer que pour bien juger d’un écrivain, il faut le prendre dans une traduction. Car, disait-il, on voit mieux le sens ; et puis le traducteur a arrangé, amélioré son auteur : le texte est toujours plus défectueux. Supprimer la forme dans l’éloquence et dans la poésie, c’était hardi pour un homme qui prétendait se connaître aux arts.

Non moins habilement, Perrault choisit la forme du dialogue : c’est la plus commode, quand il faut plaire à un public léger ; elle a de plus cet avantage, qu’elle permet à l’auteur aussi d’être léger et superficiel, et que le décousu, le paradoxe, l’affirmation téméraire et sans preuves, tout ce qui invaliderait une exposition dogmatique, se tourne ici facilement en grâces. Perrault donc imagina trois personnages : un Président, savant homme, dit-il, et idolâtre des anciens, à qui il ne put prêter toutefois plus de science qu’il n’en avait lui-même, ni plus d’attachement à l’antiquité, qu’il ne croyait qu’on pût raisonnablement en avoir ; un abbé, savant aussi, mais « plus riche de ses propres pensées que de celles des autres », vraie image de l’auteur qui s’y mire complaisamment, sans se douter que cet autre lui-même a plus d’ignorance que d’esprit, et parmi l’abondance de ses idées une totale absence de sentiment esthétique ; enfin un chevalier, sorte de Turlupin de la critique, plus sot que spirituel, n’en déplaise à Perrault, qui l’a chargé d’avancer toutes les énormités qu’il n’osait faire endosser à son abbé.

Perrault, en fervent cartésien, prétendait maintenir les droits de la raison, indépendante en chacun, précisément parce qu’elle est commune à tous. Il annonçait l’intention de passer en revue tous les arts, toutes les sciences et tous les genres littéraires : architecture, sculpture, peinture, astronomie, géographie, navigation, physique, chimie, mécanique, éloquence, poésie ; et dresser le bilan des progrès de l’esprit humain. Il y avait là en germe l’idée d’une histoire générale de la civilisation, et d’une histoire particulière de chaque ordre de connaissances. Perrault n’était pas de taille à la réaliser. Il n’y songea même pas ; il se contenta d’effleurer tout, en amateur, et de jeter en avant sur tout sujet ses vues personnelles, plus content d’en avoir à montrer que soucieux d’en vérifier la justesse. Il fit parler spirituellement et même raisonnablement son abbé sur la technique des beaux-arts ; il y distingua des beautés universelles et des beautés relatives ; il fit voir que les formes, le style et le goût sont choses infiniment variables, qui enveloppent et déguisent certaines conditions générales et permanentes. Mais en ne regardant que la technique, il ne s’apercevait pas que ni l’évolution d’un art ne coïncide toujours avec le progrès de la technique, ni le génie d’un artiste et la valeur d’une œuvre ne sont constamment proportionnés à la perfection des moyens mécaniques et de procédés matériels que l’artiste emploie à réaliser sa pensée. Puis, pour le besoin de sa thèse, il n’hésitait pas à régler ses préférences sur la chronologie, à mettre Lebrun au-dessus de Raphaël, à donner la colonnade du Louvre comme plus belle que le Panthéon ; ignorant l’art gothique, il ne voyait guère hors de la France ni de son siècle ; il ne produisait guère, sans y penser, que des imitations modernes de l’antiquité pour preuve de l’infériorité des anciens.

Mais le principal objet de Perrault, c’était la littérature ; et les sciences et les arts lui servaient surtout à fonder cette induction assez téméraire : puisqu’il y a progrès dans les arts « dont les secrets se peuvent calculer et mesurer », il faut donc aussi qu’il y en ait dans l’éloquence et dans la poésie, dont les éléments ne se laissent pas mesurer ni même, souvent, atteindre par le raisonnement. Ce qui intéressait le public contemporain, et ce qui nous intéresse encore aujourd’hui le plus dans les Parallèles, c’est de voir la façon dont Perrault s’y prend pour établir qu’en matière de belles-lettres comme en tout, les anciens étaient des enfants, tandis que les modernes représentent la maturité de l’esprit humain ; et que là aussi il suffit de venir le dernier pour être le plus grand. Le premier volume contenait déjà quelques indications précieuses : Pindare et Platon, n’ayant pas l’heur de plaire aux dames et d’en être compris, étaient vivement bousculés ; mais le troisième volume ne laissa plus rien à désirer, et par la bouche de son abbé, Perrault fit un bel abatis des gloires de l’antiquité. Les anciens sont inférieurs dans l’histoire : ils y mettent des harangues qui ne sont pas vraies, ils feraient mieux de dater les événements. Les modernes ont une exacte chronologie, et Mézeray ne narre-t-il pas aussi bien que Thucydide ? Pascal ne vaut-il pas bien Platon, et La Bruyère Théophraste ? L’antiquité a-t-elle des romans à opposer à Cyrus et à Clélie ? Sénèque et Cicéron ont-ils plus de finesse et d’ampleur que Voiture et Balzac ? Pour Démosthène, il manque de pompe et de magnificence, et l’on en trouve dans les harangues de M. Le Maistre. Puis les anciens n’entendaient rien à la galanterie. En somme, il y a six causes, décidément, qui les font inférieurs aux modernes : nous avons pour nous le temps, une psychologie plus exacte, une meilleure méthode de raisonnement, l’imprimerie, le christianisme, qui ouvre une voie nouvelle à l’éloquence, et enfin la protection de Louis XIV.

Quant à la poésie, après avoir condamné la mythologie dans les sujets chrétiens, l’abbé charge à fond sur Homère. Il le trouve grossier, prolixe, n’ayant nul sens des bienséances, ignorant des sciences, dépourvu à l’occasion de sens commun : Homère avait du génie, mais qu’en pouvait-il faire en son temps ? « Il y a dix fois plus d’invention dans Cyrus que dans l’Iliade. » Horace, les lyriques, la tragédie avec ses absurdes chœurs recevaient leur compte en passant : mais de Pindare surtout, il ne subsistait rien ; il n’y avait rien de plus ridicule que cet inintelligible poète, sinon ses forcenés adorateurs. L’éloge des modernes était la contrepartie obligée de l’exécution des anciens : avec une malice de bon goût, Despréaux était mis au-dessus d’Horace et de Juvénal. Seulement, il y a un seulement, un honnête homme ne se permet pas d’attaquer les personnes comme fait l’auteur des Satires. Et de là Perrault part pour réhabiliter Quinault, et Cotin, et Chapelain, et tous ces méchants auteurs, qu’il n’avait pas tort de se croire obligé à défendre : car il en était l’héritier direct.

Pendant que Perrault se donnait ainsi carrière, Boileau grognait en a parte, lâchant de temps à autre une épigramme lourdement indignée, dont son adversaire souriait, ou cette fâcheuse ode sur la prise de Namur, qui pouvait faire douter s’il entendait rien à Pindare, et qui donna aux modernes la joie de le battre avec ses propres armes, ou bien ce Discours indigné sur l’ode, qui n’est qu’une diatribe personnelle contre la « bizarrerie » d’un homme insensible aux beautés dont tout le monde convient. Tout cela n’était pas très dangereux, ni décisif : Boileau le sentit, et donna en 1694 ses neuf premières Réflexions sur Longin. Il y a d’excellentes choses dans cet ouvrage, mais pour les voir il faut se représenter toute la doctrine de Boileau, et les y rapporter sans cesse pièce par pièce. Prises en elles-mêmes, à leur place et à leur date dans la polémique, les Réflexions sur Longin prouvent une fois de plus combien Boileau est incapable de composer un ouvrage lié et suivi, de saisir franchement et fortement un sujet, et d’en faire une exposition directe et méthodique : son manque de souffle et de talent oratoire, ici encore, le trahit. C’est maladroit, pesant et brutal. Singulière idée, d’abord, quand on veut se faire lire des femmes, d’aller donner pour titre à son ouvrage : Réflexions critiques sur quelques passages du rhéteur Longin ! C’était pour donner raison à Perrault, qui disait n’avoir affaire qu’à des cuistres. Et le ton ne donnait pas une idée plus avantageuse de l’auteur et de sa cause. On loue Boileau, pour les Satires, d’avoir substitué la critique judicieuse des œuvres à la diffamation aigre des personnes. Vraiment, ici, il se dément, et nous fait rétrograder au temps des Garasse et des Costar. Nous entendons traiter Perrault d’ignorant à chaque page : nous lisons qu’il a commis, ici, « une grossière faute de français », là « une ineptie ridicule », là « cinq énormes bévues ». Le voici qualifié de pédant, au moyen d’un passage de Régnier, et voué au châtiment de Zoïle, par deux passages d’Élien et de Vitruve. Pour décider sur le mérite des anciens, apprenez que M. Perrault n’a jamais fait donner de bénéfice à un frère de M. Despréaux, et que l’autre M. Perrault, le médecin, qui n’a jamais soigné M. Despréaux, n’a pas fait, comme on croit, la colonnade du Louvre.

Tout cela est misérable : et que devient le sujet, au milieu de ces violences ? Le sujet, à vrai dire, n’est pas traité. Il y avait au moins dans les Parallèles une thèse développée d’un bout à l’autre de l’ouvrage : rien de pareil dans les Réflexions sur Longin. L’idée générale du respect que méritent les anciens, s’y affirme violemment ; jamais Boileau n’essaye de l’établir par un raisonnement décisif.

Il réduit même le débat à une dispute sur Homère et Pindare, les deux auteurs peut-être que le xviie  siècle pouvait le moins goûter dans leur particulière originalité, et ceux assurément dont Boileau, qui les sentait grands, pouvait le moins dire par où ils étaient grands. Et, sans même invoquer les principes excellents qu’il avait ailleurs énoncés, il se rabattit sur de puériles contestations et des chicanes ridicules. Il parut plus occupé de contredire Perrault et d’opposer une négation absolue à chacune de ses affirmations légères, que de mettre en évidence la vraie beauté d’Homère et de Pindare. Il s’acharna sur le détail, et sur tous les exemples dont Perrault avait illustré sa thèse. Il réussit à mettre, au début de la Première Olympique, une banalité plate à la place du parfait galimatias que Mme la présidente Morisset y avait trouvé. Il tint à démontrer qu’Homère parlait congrûment de l’anatomie et du battage de l’or, qu’il savait la géographie et la durée ordinaire de la vie des chiens, et qu’il ne faisait pas tenir aux princesses des propos de corps de garde. Il s’épuisa à défendre ici une épithète, et là, une hyperbole, et surtout à laver ces deux sublimes poètes du reproche d’avoir employé des termes bas. Il y a un sentiment fin et juste de la couleur, si l’on peut dire, des expressions et des langues dans la démonstration que Boileau entreprend ; mais la gaucherie de la forme est plus sensible que la vérité du fond, et l’on ne peut s’empêcher de sourire, quand on voit Boileau alléguer Thalès, Empédocle et Lucrèce, pour faire valoir la dignité de l’eau dans l’antiquité, quand il ne veut pas qu’Homère ait parlé du « boudin » : un « ventre de truie », à la bonne heure, voilà qui est noble ; ou quand enfin il aime mieux mettre aux pieds de Télémaque une « magnifique chaussure » que de «  beaux souliers », et maintient obstinément qu’il ne faut pas appeler «  cochons » ou « pourceaux » les animaux de nom « fort noble », en grec, dont avait soin le « sage vieillard » Eumée, qui n’était pas un « porcher ».

On s’explique du reste la mauvaise humeur et la polémique chicanière de Boileau. Il était dans une situation fausse, et toute sa colère venait d’un embarras dont il avait le sentiment plus ou moins obscur. D’abord, pour défendre l’antiquité, il n’était pas un érudit : à un tel point que les érudits lui déniaient même le droit de se faire l’avocat des anciens, et qu’il se trouva pris à un moment entre deux feux, et obligé d’écrire sa Dixième Réflexion contre le docte Huet. Puis, en dépit de tout, il ne pouvait faire qu’il ne fût Français, et Français du grand siècle, épris de politesse et de décence, homme de réflexion et de raison. On n’échappe jamais à son temps, et nos défenseurs des anciens étaient au fond « modernes » jusqu’à la moelle. Jugez-en par Racine, un des deux ou trois écrivains du siècle à l’âme desquels la Grèce a vraiment parlé : qui s’attendrait que Racine voulût retrancher du Banquet de Platon, comme inutile et scandaleux, tout le discours d’Alcibiade, ce portrait de Socrate, ce pur chef-d’œuvre où l’enthousiasme et la moquerie se mêlent avec une grâce subtile ? Qu’eût fait de pis Perrault ? Et Boileau, voyez-le tailler, rogner, changer, abréger son Longin, sans autre loi que son goût et le désir d’éviter de la peine à son lecteur, écartant les « antiquailles » (entendez ce qui suppose une teinture d’histoire ou d’archéologie), supprimant ce qui est « entièrement attaché à la langue grecque » (entendez ce qui suppose la connaissance du grec), substituant, dans une citation de Sapho, un « frisson » à une « sueur froide », parce que « le mot de sueur en français ne peut jamais être agréable, et laisse une vilaine idée à l’esprit ». En un mot, il se fait à chaque moment juge du sens et des mots de son auteur, il le « rectifie » sans scrupules, « à la française ». Et voilà comment Perrault trouvait Longin plus beau dans Despréaux que dans Longin même ! Rappelez-vous encore ce « Vous n’avez pas failli, Messieurs », que Boileau lisait dans son Démosthène, au fameux endroit du serment par les morts de Marathon. On conçoit dès lors combien il était difficile à Boileau de tout repousser dans la thèse que soutenait Perrault ; à quelles chicanes, à quelles subtilités, ou à quelles contradictions brutales et sans preuves il était réduit, pour justifier les anciens et condamner Perrault sans réserve et sans nuances. Il eût fallu à l’honnête Despréaux plus d’agilité et de souplesse d’esprit, plus de légèreté de main qu’il n’en avait, pour sortir à son honneur de cette polémique. Il sentait bien qu’en dépit de tout les anciens étaient beaux : mais il s’obstinait à démontrer qu’ils avaient la noblesse, la politesse, de bons principes, de bonnes façons, tout l’extérieur enfin et le fond des « honnêtes gens », et il ne se rendait pas compte que de les défendre ainsi et se montrer incapable de se déprendre des mœurs et du goût de son siècle en ces matières, c’était une autre façon d’être « moderne », mais c’était être aussi « moderne » que les plus acharnés détracteurs de l’antiquité.

Au reste, si Perrault était imbu de l’esprit cartésien, Boileau ne l’était pas moins. La doctrine de Perrault, c’était la conséquence du rationalisme cartésien, non contenu et dirigé par l’étude de l’antiquité : mais celle de Boileau, c’était le même cartésianisme interprétant et classant les principes et les impressions que fournissait la pratique assidue des littératures antiques. Si, en effet, les anciens ont mené Boileau à définir l’art une imitation de la nature, on sent à chaque moment une conception nouvelle de la vérité, une conception presque scientifique, dans les formules que le critique français emploie : et c’est en cartésien, ou, si l’on veut, en classique, enfin en homme de sa race et de son temps, qu’il a substitué au naturel aisé des anciens son « naturalisme » rationnel et conscient.

On ne s’étonnera donc point que les meilleures pages que Boileau ait écrites sur la Querelle des anciens et des modernes, soient celles où il entre dans les vues de son adversaire : je veux parler de la lettre qu’il écrivit à Perrault en 1700, après que le grand Arnauld, leur ami commun, les eut réconciliés. S’élevant cette fois au-dessus des petites chicanes, et renonçant aux dénégations absolues, il prenait le sujet de haut et l’embrassait d’une vue large et pénétrante. Il montrait à Perrault que les vrais admirateurs de l’antiquité n’étaient pas les pédants en us, mais les honnêtes gens, les gens du monde même dont le goût est fin et exquis. Et il reprenait pour son compte la thèse des Parallèles : il refaisait le livre à son goût. Il s’engageait à faire voir que le siècle de Louis XIV était non pas plus grand à lui seul que tous les siècles passés, mais supérieur à n’importe quel siècle pris à part, même à celui d’Auguste. Il esquissait largement ce parallèle, donnant et reprenant l’avantage tour à tour aux anciens et aux modernes, avec un vif amour pour ceux-là, une large sympathie pour ceux-ci. Avec une netteté admirable de vues, il disait les écrivains qui devaient recommander leur siècle à la postérité. C’était là le point faible des argumentations de Desmarets et de Perrault, qui opposaient plus volontiers les Benserade et les Scudéry que les Racine et les La Fontaine aux anciens. Boileau, judicieusement, remettait chacun à sa place, et dressait la liste qui fait loi encore au bout de deux siècles.

Mais Boileau, en écrivant ces pages excellentes, abandonnait sa position. Il prétend que Perrault ne fut pas content de sa lettre : Perrault, vraiment, était difficile. Que pouvait-il souhaiter de plus que de voir son antagoniste se charger de lui gagner son procès ? Et que devait lui importer que ce fût par un autre plaidoyer que le sien ? Il est vrai qu’en cinq pages Boileau disait plus de vérités que Perrault en quatre volumes : mais enfin, avec toute la vénération possible pour l’antiquité, l’auteur de l’Art poétique et des Réflexions sur Longin confessait qu’il était réellement un « moderne ».

Il l’était si bien qu’il ne renversait la théorie moderne du « progrès » dont l’application à la littérature lui paraissait fort aventureuse, que par une théorie plus moderne encore, qui contient en germe les principes d’une critique toute « relativiste » et même « évolutionniste ». Lisez la Septième Réflexion sur Longin et la Lettre à Perrault, vous y verrez Boileau, pressé d’échapper à l’argumentation de Perrault, introduire dans sa doctrine une notion nouvelle et bien inattendue, celle du temps et du développement successif et continu des formes littéraires, et chercher s’il n’y a pas quelque explication rationnelle de la richesse des genres et de la beauté des œuvres, en dehors et à côté du génie individuel, imprévu, indéterminé, inexplicable. Il entrevit alors cette vérité importante : que le mouvement général de la littérature se compose d’un grand nombre de mouvements particuliers, de vitesses très inégales ; qu’il y a pour une langue, et qu’il y a pour chaque genre des points de perfection qui sont atteints à des moments très différents : le progrès commence à peine d’un côté, que la décadence se fait sentir de l’autre. Ainsi le français n’a point été toujours apte à tous les genres. Ronsard et ses imitateurs ont été bientôt décriés, parce qu’ils n’avaient point attrapé dans notre langue « le point de solidité et de perfection, qui est nécessaire pour faire durer et fixer à jamais des ouvrages ». Bertaut, Malherbe, Lingendes et Racan rencontrèrent « dans le genre sérieux le vrai génie de la langue française, qui, bien loin d’être en son point de maturité du temps de Ronsard, n’était même pas sortie de sa première enfance ». Ainsi Ronsard devait échouer dans l’ode et dans la grande poésie, non faute de génie, mais parce qu’il venait trop tôt. Au contraire, Marot, plus ancien que lui, a fixé, la langue s’y prêtant, « le vrai tour de l’épigramme, du rondeau et des épîtres naïves ». À Rome, Cicéron et Virgile ont marqué « le point de perfection de la langue » par leurs écrits : mais plus d’un siècle avant eux, la comédie avait trouvé assez de ressources dans cette langue encore imparfaite pour atteindre sa perfection propre, et depuis elle ne faisait que décroître, quoique l’idiome latin et la littérature générale fussent en progrès.

Même remarque, si l’on compare les langues entre elles ; certaines langues sont en quelque sorte de meilleurs terrains de culture pour certains genres. Ainsi ni l’épopée, ni l’éloquence, ni l’histoire, ni la satire, ni l’élégie n’ont atteint en France la même hauteur qu’à Rome. Mais « pour la tragédie, nous sommes bien supérieurs aux Latins » ; et aussi pour le vaudeville. Il y a même des genres de poésie que les Latins n’ont pas connus, comme « ces poèmes en prose que nous appelons romans ».

On voit combien Boileau améliorait la théorie de Perrault, en substituant à cette loi de fer du progrès constant, universel, qui fait violence aux faits par la régularité mécanique et monotone de son jeu hypothétique, un principe infiniment plus flexible, plus voisin de la réalité, et qui s’y adapte sans peine pour l’exprimer : distinguer dans le mouvement général du monde intellectuel une pluralité de petits mouvements, des séries partielles ascendantes ou descendantes, se succédant, s’enchevêtrant, s’ajoutant, se contrariant, se figurer la marche de la littérature, non plus comme offrant la rigidité d’une ligne droite, mais comme une quantité de lignes brisées ou courbes du dessin le plus capricieux, c’était prendre la notion du rythme ondoyant des choses, et ni plus ni moins qu’introduire dans la critique la doctrine de l’évolution. Mais si l’on songe que jusque-là, dans l’Art poétique et ailleurs, Boileau n’avait jamais regardé les œuvres littéraires que dans leur relation au genre, sorte de type analogue aux idées platoniciennes, seul élément d’estimation, et seul principe de classification, dont chaque ouvrage tirait et sa raison d’être et sa valeur, selon qu’il le réalisait plus ou moins complètement : si l’on songe qu’il n’avait jamais demandé que la connaissance des règles et le génie pour la création des chefs-d’œuvre poétiques, et ne croyait pas avoir besoin d’une autre considération pour expliquer que la Pucelle n’égale pas l’Iliade, on comprendra tout le chemin que Perrault fit faire à Boileau. Selon ses nouvelles vues, à vrai dire, toute son œuvre était à refaire : il y avait un autre Art poétique à écrire. Boileau ne le fit pas, et n’alla point au-delà des idées littéraires proprement dites : il ne regarda point les réalités psychologiques qui se cachent derrière ces abstractions, une langue, un genre : il n’y vit point les expressions de ces consciences collectives qu’on appelle des peuples, et ne se rendit pas compte que chaque nation façonne sa langue à son image, et que l’apparition et la disparition, la perfection et la décadence de ces formes organiques qui sont les genres, représentent la succession des états d’âme, la diversité des aptitudes intellectuelles et des aspirations morales des divers groupes de l’humanité. Quand Boileau eut mis les genres en relation avec les langues, il s’arrêta : là, en effet, il était sur le seuil même de la littérature ; la philologie, l’histoire, s’ouvraient devant lui. Eut-il peur de s’y lancer ? Ou plutôt ne se douta-t-il pas qu’il avait devant les yeux un monde nouveau ? Les mots dont il s’est servi nous offrent sans doute plus de sens qu’ils n’en avaient pour leur auteur. Ils tirent leur valeur à notre égard des pensées qui nous sont devenues familières, des doctrines où notre siècle a enfermé ses croyances et son génie : tandis que Boileau, en les écrivant, croyait seulement défendre ses chers anciens, et avec eux tout son Art poétique, aussi éloigné de soupçonner qu’il était « évolutionniste » que saint Augustin se doutait peu d’être cartésien le jour où il rencontrait la fameuse formule : Je pense, donc je suis.