(1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »
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(1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Balzac

La Correspondance de Balzac.

I

C’est au moment où l’on publia les Mémoires de Philarète Chasles, auquel je reprochais d’avoir écourté le portrait de Balzac, qui, pour être ressemblant, aurait dû être colossal, que parut la Correspondance de ce grand homme de lettres, comme une immense réplique à Philarète Chasles et à tous ceux qui se sont permis de parler, avec plus ou moins de renseignements ou de fatuité étourdie, de l’auteur de la Comédie humaine. La Correspondance de Balzac est même infiniment mieux qu’un portrait, fût-il fait par un Michel-Ange ou un Raphaël de la plume. C’est la chair et le sang, le cerveau et le cœur, l’âme et la vie d’un homme qui, dans l’art littéraire le plus éclatant et le plus profond, fut à la fois un Raphaël et un Michel-Ange.

Balzac, en effet, Balzac est tout entier, de pied en cap, de fond et de surface, dans cette Correspondance, publiée, avec raison, comme le dernier volume de ses Œuvres, — les éclairant par sa personne, — les closant par l’homme, — et démontrant la chose la plus oubliée dans ce temps où le talent voile si souvent la personne de son rayon et lui fait malheureusement tout pardonner, c’est que l’homme égalant l’artiste le rend plus grand et en explique mieux la grandeur. Pour ma part, je suis de ceux qui pensent (l’ai-je assez répété ici et ailleurs ?) que la force de la moralité dans un homme doublait la puissance de son esthétique. Pour ma part, je n’ai jamais cru que sous le bénéfice du plus inquiet et du plus terrible des inventaires, au grand talent sans moralité. À mes yeux, le talent — surtout dans l’art que pratiquait Balzac — est une question d’âme tout autant que d’intelligence… Byron, tout coupable qu’il fut parfois, était une âme magnanime, faite pour la vérité, même quand il la méconnaissait ; car il l’a souvent méconnue… Balzac, lui, est aussi grand par l’âme que par l’esprit, et c’est la grandeur absolue ! Franchement, je m’en doutais bien un peu, à l’accent de ses admirables livres. Mais en voici la preuve : c’est cette Correspondance ! Une preuve de plus de cette vérité qu’en tout temps j’ai infatigablement proclamée : c’est que s’il est possible encore qu’une âme basse ait quelque talent, il est impossible qu’elle ait du génie !

Or, Balzac en avait, du génie, et du plus créateur. Ce n’est plus ni discutable, ni discuté. Cela l’a été assez longtemps, mais c’est fini : Balzac est sur son socle, et personne ne l’en fera descendre ! Je n’ai point à m’occuper ici de ses Œuvres, que tout le monde dévore parce que tout le monde a ôté dévoré par elles… Quel serait l’académicien, n’ayant pas voulu voter pour Balzac quand il fut question de le mettre à l’Académie, qui oserait présentement nier son génie ? Qui oserait toucher irrespectueusement à cette arche de la Comédie humaine et à Balzac, ce Balzac presque insulté, il y a vingt ans, jusque par ce pauvre petit Doudan, qui n’était pas méchant, mais qui eut le tort, toute sa vie, de pondre les jolis œufs qu’on a dénichés depuis, dans un nid d’oies académiques qui les a gâtés ! La Gloire est venue pour Balzac, cette pied-bot, qui arrive enfin ! et elle a jeté sur la tête de tout le monde le poids d’un génie écrasant, qui a écrasé ceux qui le niaient ou qui voulaient le diminuer. Le dix-huit Brumaire de Balzac n’a eu lieu qu’après sa mort. En cela, il a été plus malheureux que Napoléon, qui, du moins, toucha à pleine main sa gloire, et fit des ennemis envieux de tout pouvoir d’un seul les très humbles et très obéissants valets du sien ! Seulement, le dix-huit Brumaire de Balzac, qui a fini par cette merveille des Parents pauvres, n’a pas été suivi d’un Waterloo !

Et, cela étant reconnu et irréfragablement certain, la Critique n’a point ici à s’occuper du génie de Balzac, incontestable comme la lumière, ni de ses Œuvres, pour lesquelles, s’il était nécessaire de les analyser et de les juger, il faudrait l’étendue d’un Cours de littérature, mais elle va s’occuper de son âme, de sa personne morale, à Balzac, aperçue, soupçonnée à travers son génie, mais vue — et pour la première fois — dans le plein jour d’une Correspondance qui montre la plus magnifique nature dans sa complète réalité !

II

Que grâces lui soient rendues, à cette Correspondance qui balaie, du coup, les anecdotes et les anecdotiers sur Balzac, les anecdotes et les anecdotiers qui s’attachent à toute célébrité et sont la vermine de toute gloire. Balzac a souffert plus que personne, en raison de son omnipotente supériorité et de la vie qu’il s’était créée, de ces insectes littéraires. Lorsque même cette Correspondance fut publiée, ne sont-ils pas revenus à la charge, comme mouches qu’on chasse, et n’ont-ils pas essayé de prendre une dernière sucée dans la célébrité de l’illustre romancier, — qui va leur échapper ?… La Correspondance rendra désormais impossible ces petits régals des commères, à bec vide et à ventre vide, de la littérature, à même la substance d’un grand homme. Que n’a-t-on pas dit de Balzac ? Que n’a-t-on pas dit du matérialisme ardent de sa nature, de son amour effréné, de son amour d’alchimiste pour l’or, de son besoin furieux de luxe, de richesse, de millions ; et, pour en acquérir, de ses entreprises insensées et… avortées ; de ses illusions, de ses dettes, qui n’étaient pas des illusions, de ses manies, de ses vices, de sa vie cachée, qui impatientait la curiosité et dans laquelle il se retranchait, ce grand travailleur comme il n’en exista peut-être jamais, contre les importunités de toute sorte qui l’assiégeaient et surtout contre cet affreux coup de sonnette du créancier, qui a bien, après tout, le droit de sonner, mais qui n’en rend pas moins fou le débiteur de génie, qui a besoin de toute sa tête, même pour le payer ?… Oui ! que n’a-t-on pas dit ?… « Toute personnalité grandiose est odieuse, quand elle n’a pas le pouvoir », — a écrit Balzac, dans sa Correspondance, et il entendait certainement le pouvoir matériel, politique, absolu ; le pouvoir qui a les six laquais de Pascal, multipliés par une nation, et qui empêche toute contestation insolente ; le pouvoir qui crée des chambellans ! car les hommes n’ont pas assez de générosité intellectuelle pour s’incliner devant l’Esprit pur, réduit à sa seule force. Moins intéressants que l’Intimé, qui avait quatre enfants à nourrir, il leur faut, même sans enfants, des coups de bâton ! Autant, à chaque œuvre nouvelle de Balzac, — de ce prodigieux producteur,  — il était impossible de ne pas convenir du prodige de sa production, autant on cherchait à diminuer, dans sa vie morale et pratique, l’être si souverainement supérieur dans l’ordre de l’esprit et de l’idéal ; — et c’est ainsi qu’on était parvenu à faire de la toute-puissance de Balzac quelque chose d’énorme, il est vrai, mais d’anormal, d’étrange, de mystérieux, d’absorbant, dans lequel l’homme moral n’était plus pour rien, quelque chose enfin comme une mécanique de génie, comme une splendide et énigmatique monstruosité !

Eh bien, c’est là que fut l’erreur de l’imagination et de l’opinion contemporaines ! Balzac n’est point cette chimère. Il n’est pas si incompréhensible que cela. Il n’est pas, qu’on me permette le mot, si hypertrophiquement intellectuel. Il était, au contraire, un organisme très équilibré et très accompli. Il était composé d’un cerveau et d’un cœur comme les autres hommes. Seulement, ce cerveau et ce cœur étaient également grands et formaient la plus opulente harmonie. Ce Gaulois et ce Rabelaisien, qui a écrit les Contes drolatiques avec la gaieté de Rabelais, le Titan-Satyre, et qui y a mêlé les choses les plus inconnues à Rabelais, — l’attendrissement et la mélancolie, — était romanesque pour son propre compte, dans la plus noble acception de ce mot charmant : romanesque ! Les livres que nous écrivons, moulent toujours un peu notre vie. Vous vous rappelez ce pur et idéal Daniel Darthès, si chevaleresquement amoureux de la princesse de Cadignan, dans les Scènes de la Vie parisienne ? Balzac fut réellement ce Darthès. Il fut encore l’Albert Savarus d’un autre roman, cet Albert Savarus qui veut acheter, par le travail et par la gloire, le bonheur qui doit venir du mariage avec une femme aimée. La ressemblance dans le sentiment et dans la position saute aux yeux… Balzac, cet inventeur, qui inventa à propos de tout et qui eut même le défaut sublime de trop d’invention, car il inventa jusque dans la Critique et dans l’Histoire, — et il les faussa, quelquefois, toutes les deux, mais comme il n’y avait que lui qui pût les fausser ! — Balzac qui, un jour, s’inventa, dans sa pensée et dans son désir, l’homme politique qu’heureusement il ne fut jamais, n’avait pas besoin de s’inventer romanesque. Naturellement il l’était, — et peut-être le plus romanesque de tous les héros de roman qu’il avait inventés !

III

Sa vie fut héroïque, en effet, dans les deux choses qui l’ont dévorée, dans le travail et dans l’amour d’une femme, aimée pendant quinze ans, et qu’enfin il a épousée. Il eut dans le cœur, et sans défaillance, pendant ces longues années, l’enthousiasme, le courage, la pureté dans la passion, qui en est la vertu, la fidélité dans le souvenir et toutes les transcendances morales de l’amour le plus exalté et le plus délicat dans son dévouement et dans son expression. Né avec les manières de sentir du génie, Balzac voulut de bonne heure mettre à l’abri des froissements d’une condition médiocre ces manières de sentir qui le faisaient ce qu’il était, — et une spéculation de librairie, qu’il avait rêvée comme il rêvait ses livres, n’ayant pas réussi, il fut obligé toute sa vie de traîner l’horrible boulet de la dette, dont il se jura de briser la chaîne, à force de volonté, et avec cette plume qui, dans sa main, fut la massue d’Hercule. Rapport douloureux avec un autre homme de génie, avec un grand romancier comme lui ! Le calme et serein Walter Scott eut aussi cette destinée de connaître la cruauté des dettes qu’il faut payer avec son cerveau… Mais, jusque-là, sa vie avait été libre et heureuse, et le malheur qui le frappa ne l’atteignit que dans sa vieillesse, tandis que Balzac l’eut, dès sa jeunesse, sur sa vie toujours !… Walter Scott s’acquitta en quelques années et racheta son honneur de l’esclavage d’une obligation contractée par dévouement à une amitié. Il était d’un pays où l’on bat monnaie facilement avec du talent et de la gloire. Mais Balzac mourut à la peine, à cinquante ans, sur le seuil du bonheur domestique qu’il avait conquis, et après une éruption volcanique de travaux bien supérieurs à ceux de Walter Scott lui-même. Il avait écrit à jet continu plus de quatre-vingts volumes, parmi lesquels cette Comédie humaine dont il a dit, avec le légitime orgueil qui nous venge de tous nos désespoirs : « Jamais œuvre plus majestueuse et plus terrible n’a commandé le cerveau humain. »

La persévérance enflammée de Balzac fut inextinguible… et dans l’ordre moral elle est tout aussi étonnante que sa force de production dans l’ordre intellectuel.

Ses lettres vous font assister à cette incroyable vie de luttes et de travaux sortis de cette tête inépuisablement féconde, dont on peut dire que, positivement, elle vomissait des chefs-d’œuvre comme la Terre vomit ses fleuves ! Je ne sache que Lope de Vega, qui, avec ses dix-huit cents pièces de théâtre, ait plus écrit que Balzac, mais Lope de Vega est plus un nom qu’on prononce qu’une chose intégrale qui se lit, et il n’a pas fait, dans ses œuvres, vingt volumes qui puissent égaler les vingt volumes de la Comédie humaine, qui sont immortels, et qui, si le vieux monde ne tombe pas en enfance, resteront, comme l’Iliade, sous les yeux et dans les préoccupations de l’humanité. On comprend mieux les travaux de Balzac par sa Correspondance. Jamais la probité exaltée, l’honneur, le génie, toutes les poésies du cœur et de l’esprit, n’ont donné un plus beau spectacle que celui qu’on trouve en ces lettres, et cependant je n’ai pas encore dit ce qu’on y trouve de plus touchant et de plus beau !

Non ! le plus touchant et le plus beau, l’intérêt majeur de ce volume de lettres, c’est particulièrement celles-là que Balzac a écrites à la femme qu’il a épousée, et qui fut, jusqu’à sa mort, son inspiration, son idée fixe, et comme il disait : « son étoile polaire ». Balzac a aimé Madame de Hanska comme Michel-Ange dut aimer la marquise de Pescaire. Il la préférait même à la gloire, qu’il aimait pourtant avec une passion presque égale en intensité aux facultés que Dieu lui avait données pour devenir l’un des premiers hommes de son siècle. Je trouve, à la page 382 de la Correspondance, ces paroles d’une superbe si superbement justifiée : « En somme, voici le jeu que je joue ! Quatre hommes auront eu, en ce demi-siècle, une influence immense : Napoléon, Cuvier, O’Connell. Je voudrais être le quatrième. Le premier a vécu du sang de l’Europe ; il s’est inoculé des armées. Le second a épousé le globe. Le troisième s’est incarné un peuple. Moi, j’aurai porté toute une société dans ma tête… Autant vivre ainsi que de dire tous les soirs : pique, atout, cœur, ou de chercher pourquoi madame une telle a fait telle ou telle chose. » Et cette fière ambition de Balzac n’a pas été une rêverie vaine. Il a été, il est, en effet, le quatrième de ce whist de grands hommes. Seulement, après cette aspiration prophétique de son immortalité, il ajoute, car c’est à Madame de Hanska qu’il écrit : « Mais il y aura en moi un être bien plus grand que l’écrivain et plus heureux que lui, c’est votre esclave. Mon sentiment est plus beau, plus grand, plus complet que toutes les satisfactions de la vanité et de la gloire. Sans cette plénitude de cœur, je n’aurais pas accompli la dixième partie de mon œuvre. Je n’aurais pas eu ce courage féroce. Dites-vous le souvent dans vos moments de mélancolie et vous devinerez par l’effet-travail la grandeur de la cause… » Ah ! je crois bien qu’elle se l’est dit, Madame de Hanska, dans le gonflement d’orgueil de son âme d’être le but suprême de la vie d’un homme comme Balzac ! Madame de Hanska est entrée dans le génie et dans la gloire de Balzac, comme elle était entrée dans son cœur… C’est elle qui a, sans doute, autorisé l’impression et la publication des lettres du grand homme qui avait mis, avec une si docile tendresse, sa tête de lion sous sa main. Il y aura peut-être des esprits d’une délicatesse outrée, qui trouveront qu’il ne fallait pas livrer ces intimités au public… Cette haute pruderie n’est pas la mienne. Quand on est un homme de la portée de Balzac, on appartient à l’humanité tout entière. L’homme n’existe dans ses mérites divins que par le cœur et par l’esprit, et les lettres d’amour de Balzac devaient être publiées, parce qu’elles importent au Cœur humain comme le système de la gravitation importe à l’Esprit humain, et devrait être publié si, Newton mort, il était resté inédit.

IV

Car le Cœur humain — ne vous y méprenez pas ! — est aussi exigeant que l’Esprit humain, et peut-être l’est-il davantage… Qui sait s’il n’en a pas le droit ? Si, comme le disent nos Saints Livres, à nous autres chrétiens, Dieu nous a faits à son image, il semble qu’il ait mis plus de lui dans le cœur de l’homme que dans son intelligence, — et c’est pour cela que la Correspondance de Balzac touche, surtout, par les lettres du cœur qui y sont écrites. Nous avions déjà, dans la littérature, des lettres d’amour célèbres et d’un intérêt irrésistible, de cela seul qu’elles sont des lettres d’amour ; mais, j’ose le dire, pas un seul de ces recueils de lettres n’a la valeur de celui-ci… Au siècle dernier, on eut les lettres de Rousseau, de Mirabeau, de Mademoiselle de l’Espinasse, mais Rousseau et Mirabeau tachent d’une sensualité, quelquefois grossière, l’amour qu’ils expriment ; Mirabeau surtout, ce porc à longue crinière qu’on prit trop facilement pour un lion, et qui avait roulé son âme dans la fange de toutes les impuretés de son siècle ! Quant à Mademoiselle de l’Espinasse, nature plus ardente que profonde, on sait qu’elle manqua de ce qui fait la gloire de l’amour : la fidélité. Elle aima deux fois… et peut-être trois (lisez le Rêve de d’Alembert, dans Diderot !). Elle ne fut point la Vestale de ce feu sacré du cœur, qui ne doit brûler qu’une fois dans la poitrine des femmes et ne pas s’éteindre, — dût-il se rallumer ! L’amour de Balzac a une autre noblesse, une autre élévation, une autre profondeur que ces passions plus ou moins coupables, dont l’expression nous trouble encore… Son amour, à lui, n’est ni violemment orageux, ni sensuel, ni morbide. Il n’est pas la crise d’un moment délicieux ou terrible… C’est un sentiment d’une vigueur infinie. Il ne bouleverse pas la vie : il l’exalte et il la soutient. Il ne la désarticule pas ; il s’infuse, au contraire, dans tout l’ensemble de l’existence, et il y répand la lumière, la force et la chaleur. Il en double et triple toutes les facultés. Il est sagace et non aveugle, comme la plupart de nos amours, qui sont d’épouvantables ou de ridicules égarements ; et c’est de la perfection morale, dans la personne aimée, qu’il est épris.

« Vous avez, — (dit Balzac à la femme qu’il aime) — vous avez la sorcellerie à froid. Tout de vous a passé par les examens les plus raisonnés, par les comparaisons les plus étendues et les plus minutieuses, et tout vous a été favorable. » Ah ! le génie qui voit et qui juge se retrouve toujours dans l’amoureux ! Les Aigles n’ont pas de serres pour se crever les yeux avec… Tout aigle qu’il fût, Balzac était plus délicat et plus femme que Mademoiselle de l’Espinasse. Il n’a pas laissé éteindre le feu sacré… Chevaleresque, en ces temps modernes et corrompus, ce chevalier de l’amour dans le mariage a, comme les Chevaliers du Moyen-âge, fait une veillée d’armes, mais la sienne a duré toute sa vie… Cœur aussi mâle qu’il était un esprit robuste, il a aimé comme il a pensé. Il fut, d’intellect et de cœur, une équation sublime… Pour avoir la femme qu’il aimait, pour se dégager des dettes qui auraient pu peser sur elle, pour lui offrir une main rachetée, une main royale de pureté, il travailla deux fois plus de temps que Jacob pour avoir Rachel. Il travailla avec cette furie que peu connaîtront au même degré, et qui s’appellera désormais la furie Balzacienne. Il paya de ses veilles et de son sang, qu’il brûla dans une inspiration dont il entretint l’incendie, le petit pavillon d’or qu’il voulait étendre sur la tête adorée… Mais c’est toujours l’histoire de Chanaan ! On n’entre pas dans la terre promise. « Quand la maison est bâtie, — disent les Turcs, — la mort entre. » C’est pour cela, ajoutait Gautier, qu’ils ont toujours un palais en construction quelque part. — Mais ce n’était pas un palais que Balzac, le constructeur des palais de la Comédie humaine interrompue, avait en construction : c’était cent palais ; et ce n’est pas ces cent palais en construction qui ont empêché la mort d’entrer !