(1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »
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(1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

VIII

Bernardin de Saint-Pierre exécuté, — Les crititiques récusés. — Le cas de Fénelon, — Un défenseur grincheux de Fénelon. — Un mot de Louis Veuillot. — Les œuvres banales peuvent-elles réussir ? — D’accord avec Bossuet. — Télémaque et M. E. Faguet.‌

Nous ne rappellerons que pour mémoire certaines opinions fantaisistes sur lesquelles il est inutile d’insister. C’est ainsi qu’on voudrait faire passer pour un sot doux Bernardin de Saint-Pierre, qui fut un peintre de grand talent. L’auteur des Etudes et des Harmonies a peut-être dit beaucoup de sottises, et nous ne les défendrons pas ; mais on avouera qu’il faut être un sot d’une rare espèce pour écrire Paul et Virginie que Flaubert avouait ne pouvoir lire sans fondre en larmes et que Maupassant déclarait un chef-d’œuvre, invincible témoignage de deux auteurs peu suspects qui tranche décidément la question. Rassurons-nous, d’ailleurs ; ces ironies n’obscurciront pas plus la renommée de Bernardin qu’elles ne diminueront Homère. Il faut en prendre son parti : l’auteur de Paul et Virginie est un grand peintre. C’est le prédécesseur, sinon le maître, de Chateaubriand, qui le lisait sans cesse. « Chateaubriand, avons-nous dit, s’est formé par l’assimilation de Bernardin de Saint-Pierre, en étendant, en repétrissant, en poussant la description de Paul et Virginie des Etudes et des Voyages. Cette filiation est reconnue par tous les critiques » — « Tous les critiques, réplique-t-on, cela veut dire un critique copié par un autre. » J’admire ce dédain, M. de Gourmont pense-t-il qu’une opinion soit moins bonne parce que des gens compétents la partagent, et qu’on a plus de chance d’avoir raison lorsqu’on n’est d’accord avec personne ? L’unanimité ne prouve rien, c’est possible ; mais la singularité non plus ne prouve pas grand chose. Seul, on peut n’avoir pas tort ; on peut également avoir raison quand on est plusieurs. Il est toujours facile de contredire, et c’est vraiment abuser du paradoxe que de suspecter la sincérité d’un critique sous prétexte qu’il pense ce que pensent d’autres critiques. Pour mon compte, mon opinion sur Bernardin est bien mienne. J’ai lu de près ce que ce prosateur a laissé d’excellent, et je m’offre à prouver quand on voudra qu’il y a dans Bernardin tout le vocabulaire descriptif de Chateaubriand, non pas même sa langue, mais son style, ses plus belles épithètes, ses procédés de peinture écrite, ce qui ne m’empêche pas de distinguer aussi bien qu’un autre en quoi ces deux écrivains diffèrent et combien Chateaubriand dépasse son modèle par le génie de son style et la supériorité de ses images. « Il ne faut, dit M. de Gourmont, s’en laisser imposer ni par l’unanimité ni par la singularité. » Je suis de cet avis, et c’est pourquoi, m’étant fait une opinion personnelle, M. de Gourmont ne trouvera pas mauvais que sa « singularité » ne m’en « impose pas ».‌

Il ne me persuadera point surtout que j’aie tort par cela seul que tout le monde me donne raison.‌

Les pages les plus amusantes de ce singulier chicaneur sont celles où il entreprend la réhabilitation de Télémaque. Le lecteur ne nous pardonnerait pas de rouvrir ce débat, Je crois avoir suffisamment réfuté ces objections dans mon dernier volume le Travail du style, et j’avoue qu’il y a peu de choses qui m’aient donné autant de plaisir à écrire. Je pourrais y ajouter d’autres raisons, mais cela n’irait pas sans ennui pour le lecteur, et je ne veux fatiguer ni mes contradicteurs, ni ceux qui ont le droit de compter sur des considérations plus utiles. Historique ou littéraire, je ne pense pas avoir laissé, sur ce sujet, une seule affirmation de nos adversaires sans réponse, et je suis persuadé que les conclusions que nous avons dégagées resteront acquises. De bons juges me rassurent à cet égard :‌

« Il faut bien le reconnaître, dit aimablement M. Charles Ballot, M. Albalat, en ce qui concerne Fénelon, a cette fois le dernier mot, car, s’il est exact, comme l’a dit M. de Gourmont, que Télémaque fut une réaction salutaire contre la carnavalesque antiquité des romans galants de la Fronde, et si l’on ne peut nier que plus tard l’archevêque de Cambrai fit ses preuves d’écrivain, par contre, les corrections de son manuscrit trahissent une recherche vraiment dépravée des lieux communs les plus stériles et des plus pitoyables fleurs de rhétorique.26 »‌

Vaincu par l’évidence, M. de Gourmont lui-même finit par écrire ceci : « Fénelon serait plus grand écrivain, s’il avait osé davantage. Il a trop souvent renvoyé les images nouvelles qui venaient à lui, pour faire accueil à de vieilles connaissances ». C’est tout ce que nous soutenons, et ce n’était pas la peine de tant nous contredire.‌

En revanche, il s’est encore trouvé deux ou trois apologistes impénitents de Fénelon, qui ont eu le courage de prendre la défense intégrale de Télémaque, un certain M. Dumont, entre autres, a publié contre moi un long article vaticinatoire et violent, qui prouve que son auteur non seulement manque de courtoisie, mais ne comprend pas grand’chose à la littérature et au style27. Il commence par déclarer que j’ai « bravement crié, comme le personnage de La Fontaine, et ce n’était pas le lion » (c’était l’âne).‌

Voilà le ton que prennent ces messieurs, quand ils daignent répondre, non pas même à ceux qui les attaquent personnellement, mais à ceux qui osent discuter certains auteurs du dix-septième siècle. On leur pardonnerait ces boutades de mauvais goût, s’ils étaient bons critiques : le talent excuse tout ; mais il suffit de les lire pour voir qu’ils sont sans excuse.‌

Un homme qui s’exprime de la sorte ne fait évidemment ni concession ni réserves. Fénelon est donc, d’après lui, un grand écrivain, et la prose de Télémaque est sans restriction admirable. Que Fénelon soit parfait écrivain dans beaucoup de ses ouvrages, c’est une chose que nous avons reconnue nous-même. Quant au style de Télémaque, nous croyons en avoir surabondamment montré la banalité, par le témoignage même de ses corrections manuscrites.‌

On a protesté contre cette audace, et voici comme on s’y prend pour nous réfuter. Les corrections manuscrites de Télémaque que je trouve banales, on les juge excellentes. On prétend que je ne prouve rien quand j’affirme que ces corrections sont mauvaises, et on s’imagine prouver quelque chose quand on affirme qu’elles sont bonnes. Si Fénelon, par simple désir d’orner son style, ajoute délibérément une expression banale ou une épithète insignifiante, on nous affirme qu’il a eu ses raisons.‌

En disant par exemple : « Ce vieillard noble et majestueux, son teint frais et vermeil, … sa démarche douce et légère, les prés fleuris, ses fougueux désirs, la sombre demeure de Pluton, … les mains glacées de la mort », etc., Fénelon aurait expressément voulu signifier ceci : Ce vieillard était noble et majestueux et non pas sordide et vulgaire ; ce teint était frais et vermeil, et non pas fané et pâle ; la demeure de Pluton est sombre, et non pas claire ; sa démarche est douce et légère, et non pas insolente et lourde, Quand il dit : « Ce secret s’échappa du fond de son cœur », ce serait pour donner plus de force que s’il eût dit : « Ce secret s’échappa de son cœur », Quand il remplace « troupeaux » par « tendres agneaux », c’est pour mieux accentuer l’innocence des victimes ; quand il dit : « Comme un serpent sous les fleurs », c’est pour peindre l’astuce et le danger, et lorsqu’il répète six fois par page (voir nos citations) le mot doux, c’est probablement encore pour souligner l’idée de douceur.‌

Voilà la méthode. On peut ainsi justifier tous les clichés et tous les styles. Il est évident, en effet, que les pires auteurs ont toujours l’intention de signifier quelque chose, quand ils ajoutent une épithète qui ne signifie rien, et il est non moins évident que même les mots qui ne signifient rien signifient au fond toujours quelque chose. On arriverait, avec cette explication, à trouver que d’Arlincourt lui-même n’écrivait point mal. Voilà ce qu’on appelle « mettre à néant mes critiques ». Cela prouve tout au plus que nous n’avons ni le même cerveau ni la même conception du style. Vous opposez votre goût au mien. Vous voyez noir où je vois blanc. On peut nous renvoyer dos à dos, et tout article est inutile.

Après cela, est-il besoin d’ajouter que ces messieurs ne sont pas partisans des ratures ? On cite même victorieusement, à ce propos, ces lignes de Louis Veuillot : « La page raturée, refaite, recopiée, est la bonne ; la page tracée d’un seul jet, sans point ni virgule, sans rature, est l’excellente. » Ceci est peut-être vrai d’un article de journal, où l’excès du travail risque parfois d’atténuer la force d’un premier jet ; mais Louis Veuillot connaissait bien la valeur de la retouche et l’importance du travail, lui qui écrivait aussi ces lignes, que je recommande également à mes adversaires bruxellois :

« Aujourd’hui, on est écrivain pour vivre. Il ne s’agit plus de réfléchir, de méditer, de corriger. La littérature périra par la facilité de produire sans labeur. Le plaisir d’écrire est perdu. Le plaisir d’écrire, c’était de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle … Autrefois, on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience 28. » Quoi qu’on dise, Louis Veuillot n’eût donc pas désapprouvé une méthode comme la nôtre, qui enseigne, comme il en exprimait le désir, à méditer, à corriger, à produire avec labeur, avec diligence, avec patience. ‌

Revenons à Télémaque. ‌

Nous avons dit que, si ce livre obtint du succès au dix-huitième siècle, ce fut précisément à cause de ses défauts. « La banalité, ajoutions-nous, est toujours applaudie. » Mais voici qu’on nous conteste qu’un ouvrage banal ait jamais eu de succès. « Tout de bon, nous dit-on, on croit rêver en lisant des choses pareilles. Ainsi donc les Provinciales, les tragédies de Racine, les Sermons de Bourdaloue sont des œuvres banales et vantées surtout par leurs défauts. On ne trouve rien à répondre, et la plume vous tombe des mains. » Ce dédain voudrait avoir grand air ; il n’est que puéril. Nous n’avons jamais prétendu que des chefs-d’œuvre comme les Provinciales, Sermons ou Tragédies n’ont pas eu de succès ; nous disons simplement que « la banalité est toujours applaudie ». Qu’on ne nous fasse pas dire autre chose, nous n’avons dit que cela. Qu’importe ! on nous montre le poing. « Non, affirme-t-on en propres termes, quoi qu’en pense notre critique, les œuvres banales n’ont pas de succès. » Il faut ignorer bien des choses ou être plus distrait que Ménalque, pour mettre en doute une vérité si authentique, qui est tout simplement un fait d’histoire. Après l’énorme succès des Bergeries, au commencement du dix-septième siècle, après la vogue de l’Astrée, quelles sont les œuvres qui furent le plus lues et dont la popularité exaspérait Boileau ? Le Polexandre, de Gomberville, la Clélie et le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, le Pharamond et la Cléopâtre de la Calprenède. L’engouement était tel, qu’on en tirait des pièces. Au dix-huitième siècle, Pradon fut porté aux nues, et Campistron plaisait autant que Racine. Au siècle dernier, d’Arlincourt eut une telle réputation, que la mode féminine lui empruntait le titre de ses œuvres, et, de nos jours, la vogue de M. Georges Ohnet demeure encore légendaire. On multiplierait les exemples, et la liste serait longue de toutes les œuvres banales qui ont réussi. Qu’un critique ne sache rien de tout cela, c’est ce qui me confond, et j’avoue, en effet, « qu’on croit rêver en lisant de pareilles choses » et que « la plume vous tombe des mains ».‌

Tout en reconnaissant le succès de Télémaque, nous faisions cependant remarquer que « ce triomphe n’alla pas sans protestations », et que « les plus célèbres sont celles de Gueudeville et de Faydit ». — « Quant aux protestations de Gueudeville, M. Albalat avoue qu’elles sont insignifiantes et que celles de Faydit sont plus oubliées encore. Donc, forcément, les célèbres protestations sont insignifiantes, comme vous trouvez si judicieusement, sans remarquer toutefois la contradiction des deux adjectifs. »‌

J’ai beau écarquiller les yeux, je ne vois point là de contradiction. Quoi de plus naturel que certaines protestations aient été appréciées et célèbres à une certaine époque, et qu’elles nous paraissent aujourd’hui oubliées et insignifiantes ?

Ces messieurs ont le droit de faire bon marché de nos opinions, bien qu’il ne soit pas en leur pouvoir d’en déprécier la valeur ; mais il faut voir comme ils sont penauds d’entendre Bossuet lui-même appeler le style de Télémaque « plat, efféminé, poétique et outré dans les peintures ». On nous déclare ne pas comprendre que « si ce style est outré dans les peintures, il soit aussi incolore, et que, s’il est poétique, il puisse être en même temps plat ». Il n’est pas besoin cependant d’être grand clerc pour voir qu’en voulant outrer l’éclat on n’atteint souvent que la pâleur, qu’on est incolore pour vouloir être coloré et qu’on rencontre la platitude quand on recherche le style poétique, c’est-à-dire, comme l’entend ici Bossuet, quand on écrit une prose qui singe la poésie. D’Arlincourt, par exemple, a visiblement outré le ton et la couleur poétique de Chateaubriand. Quoi de plus banal cependant, de plus plat, de plus incolore que la prose de d’Arlincourt ? Il y a décidément beaucoup de choses que ce monsieur ne comprend pas.‌

« Ce jugement de Bossuet, dit-il, est inacceptable. » On peut le déclarer inacceptable tant qu’on voudra ; on n’empêchera jamais de bons critiques de le trouver parfaitement acceptable. Mais on préfère attribuer cette opinion à la rancune de Bossuet. « Le grand évêque, dit-on, a saisi l’occasion de faire expier à son illustre collègue la très éloquente Réponse à la Relation de M. de Meaux. » Ceci est une calomnie gratuite contre Bossuet. Pour juger ainsi Télémaque, Bossuet n’avait pas besoin d’être injuste : il lui suffisait d’avoir du goût. Sa façon seule d’écrire expliquerait cette répulsion. Un tel magicien de la prose eût-il supporté la fadeur de Télémaque ? A cette époque, l’évêque de Meaux n’avait, d’ailleurs, plus de raisons d’en vouloir à Fénelon, Quand Télémaque parut, les Maximes des saints étaient déjà condamnées à Rome. Pourquoi Bossuet eût-il nié le mérite d’un ouvrage indifférent comme Télémaque, lui qui, en pleine polémique du Quiétisme, disait impartialement de Fénelon : « Il brille d’esprit, il est tout esprit, il en a plus que moi. » L’accusation ne tient pas debout.‌

On nous raille, parce que nous avons dit que Fénelon était « un écrivain agréable, correct et incurablement banal…, qui a voulu mettre dans son style trop de bon goût, de discrétion, d’élégance fleurie ». On nous demande encore comment « le bon goût et l’élégance peuvent caractériser un ouvrage incurablement banal ». Il est pourtant très compréhensible que, pour vouloir être trop élégant, trop fleuri, trop de bon goût, on n’arrive parfois qu’à être banal. Mais cela passe l’entendement de nos contradicteurs.‌

Pour finir de réhabiliter Télémaque, on prétend que Fénelon a écrit comme on écrivait de son temps. « En prose et en vers, dit-on, les écrivains du dix-septième siècle évitaient soigneusement l’éclat, la violence, tout excès d’imagination. » Ceci est peut-être vrai en général, et encore pourrait-on discuter ; mais la preuve que tous les écrivains de son époque n’écrivaient pas comme Fénelon, c’est qu’il y a eu des gens comme Bossuet, qui incarne précisément la violence, l’éclat, l’imagination, qui ne recule devant aucune audace, crée son style et donne à sa langue l’originalité de la Bible et des meilleurs Pères de l’Eglise. Il y avait aussi, du temps de Fénelon, des prosateurs comme Pascal. Celui-là employait une langue qui n’appartient qu’à lui et écrivait avec la seule force de l’idée toute nue. Si Fénelon n’a pas écrit comme eux, c’est tout simplement parce qu’il n’était, comme on l’a dit, qu’un écrivain de second ordre. On me persifle, parce que je trouve Télémaque « une pâle imitation des Anciens », et on affecte de croire que je suis seul de cet avis. « On doit croire naturellement M. Albalat sur parole. Magister dixit. » (Que Télémaque soit une pâle imitation des Anciens, il faut être à peu près aveugle pour ne point le voir, et la preuve que je ne suis pas seul de cet avis, c’est que j’ai cité l’opinion toute semblable de MM. Brunetière, Genay, l’helléniste Egger, etc.)‌

A bout d’arguments, on finit par m’accuser de n’avoir pas lu Télémaque, et on se demande même si j’ai lu les Dialogues sur l’éloquence. Ce procédé de discussion est toujours commode. Je le donne pour ce qu’il vaut. On jugera qui fait ici le magister.‌

Mes opinions n’embarrassent pas mes adversaires. Celles de M. Emile Faguet, on le comprend, les gênent un peu plus. M. Faguet, que nous avons cité, dit, en effet, que « l’expression chez Fénelon est brillante, fleurie, sans relief et un peu redondante, mais agréable et de ton frais ». Toujours perplexe et ne parvenant pas, dit-il, à comprendre comment une expression peut être à la fois redondante (outrée) et agréable, fleurie et sans relief, M. Dumont se retourne contre nous et nous accuse d’avoir fait dire à M. Faguet plus qu’il n’a dit ; il prétend que rien dans le langage de M. Faguet « n’indique qu’il a voulu dénoncer la banalité de Télémaque et il nous reproche de n’avoir pas cité tout le texte de M. Faguet.‌

C’est juste ; nous aurions dû compléter nos extraits et faire bonne mesure. Nous avons oublié de dire, par exemple, que M. Faguet blâme surtout les descriptions de Télémaque, qui, dit-il, sont trop générales », parce que Fénelon a « insuffisamment le sentiment de ce qui est caractéristique dans la nature ». M. Faguet cite, entre autres, la fameuse description de l’Egypte : « C’est, dit-il, l’Egypte ou la Touraine. Une plaine quelconque… Et il ajoute : « L’originalité, la forte empreinte d’un génie vigoureux manque à Fénelon. Son expression n’est point de source, ni sont tour d’allure personnelle. On ne peut pas dire : le style de Fénelon… Ses qualités sont de second ordre. » Pas de relief, pas d’originalité, pas de tour personnel, pas de style personnel, descriptions trop générales, aucun sentiment caractérisé de la nature… Talent de second ordre… Voilà ce que dit M. Faguet. Et tout récemment encore, M. Faguet concluait ceci : « Fénelon avait pour idéal le style uni, très simple, le style de tout le monde, ou, du moins, le style de la bonne compagnie, et il en résulte qu’en se corrigeant il tend au banal, à la phrase toute faite, et il y parvient… M. Albalat a raison : Fénelon aspire au banal, à la phrase toute faite. Il n’est satisfait que lorsqu’il l’a atteinte…29 » Plus crûment, avons-nous dit autre chose, et peut-on, en termes plus polis, mieux dénoncer la banalité de Télémaque ?‌

Pour la question des qui et des que, je me suis expliqué là-dessus, et on n’a qu’à lire certains chapitres du présent volume. On peut également relire dans notre Art d’écrire, à propos de l’emploi des qui et des que par les grands auteurs, une partie des constatations qu’on m’oppose naïvement. Pour les répétitions de mots, par exemple, on m’objecte triomphalement un passage de Pascal, qui les autorise quand la clarté l’exige. Or, ce passage, je l’ai précisément cité moi-même dans l’Art d’écrire, pour établir qu’il ne faut pas pousser les choses trop loin et qu’on ne doit jamais reculer devant certaines répétitions. C’est ce qu’on appelle enfoncer les portes ouvertes.‌

Mais en voilà assez sur la critique de la Revue belge. Nous ne l’avons prise un instant au sérieux que parce qu’elle nous a fourni l’occasion de dégager quelques leçons complémentaires sur l’art d’écrire.‌