(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495
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(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

II. (Fin.)

Je parlerai de quelques autres amitiés de Frédéric qui ont laissé un vivant témoignage d’elles-mêmes dans sa correspondance, à commencer par son étroite et tendre liaison avec Jordan.

Qu’était-ce que Jordan pour s’être ainsi concilié l’estime et l’amitié du roi ? Un pur homme de lettres, fils d’un réfugié français. Jordan, né à Berlin en 1700, avait douze ans de plus que le roi ; sa grande passion était pour les livres et pour les miscellanées littéraires, pour ce genre d’érudition ou de critique qui était une continuation et comme un débris du xvie  siècle, et qui, remplacé chez nous par une culture plus brillante au début du règne de Louis XIV, ne subsistait plus dans tout son honneur que hors de France, en Hollande, à Genève, à Berlin. Jordan, que sa famille avait engagé malgré son inclination dans le ministère et dans la profession théologique, avait un bon esprit, de la sagesse, du jugement : au loin, cela faisait l’effet d’être du goût. D’une santé délicate, d’un cœur aimant, ayant perdu une épouse qui lui était chère, et au retour d’un voyage de consolation et d’étude qu’il avait fait en France, en Angleterre et en Hollande, il attira l’attention de Frédéric, alors prince royal, qui se l’attacha. Il fut, dès 1736, un des fidèles de ce petit monde de Remusberg, où l’on regrettait tant que M. de Suhm ne pût être plus souvent ; où l’on espérait Gresset ; où l’on possédait Algarotti pendant huit jours ; où Voltaire ne fit qu’une première et rapide apparition au début du règne. L’abbé Jordan, comme l’appelait Frédéric, était là avec Keyserlingk, Fouqué et le major Stille. C’était un ami de fondation ; Frédéric le consultait sur ses écrits et l’avait constitué son critique, son homme de lettres. Nous ne sommes plus ici à la hauteur où M. de Suhm nous a portés ; nous n’avons plus affaire à un métaphysicien, homme du monde, homme d’affaires, et à la fois resté plein d’enthousiasme, de l’esprit le plus vif uni avec l’ingénuité du sentiment. Pourtant, vu dans son jour et à sa mesure, Jordan a son prix ; c’est un disciple de La Mothe Le Vayer, de Gabriel Naudé et de ces honnêtes gens qui mêlent des pensées assez libres et nullement pédantesques à des études innocentes. Sous son français un peu lourd et déjà dépaysé, Jordan a un coin de la philosophie d’Horace :

Ma bibliothèque, écrivait-il au roi, fait mes délices, parce que, en la feuilletant, je me persuade de plus en plus que tout est frivole dans le monde littéraire. La seule étude salutaire aux hommes est celle qui nous apprend à vivre avec eux, à les connaître, et celle qui contribue à notre conservation et à notre plaisir : je regarde les autres comme des jouets qui amusent les enfants.

On voit que Jordan était de ceux qui apportaient dans le monde l’érudition de leur bibliothèque, sans en apporter pour cela la poussière ; c’est l’éloge qu’on lui a donné. L’amitié de Frédéric pour ce pur littérateur et cet honnête homme simple a quelque chose qui rentre tout à fait dans l’ordre des amitiés vraies entre particuliers.

À la mort de M. de Suhm, Frédéric avait eu un cri plein de douleur. Sa lettre à Algarotti au moment où il recevait cette nouvelle, nous l’a montré dans la première vivacité de sa plaie toute saignante. Mais l’impression peu à peu se déroba et s’ensevelit. Pour Jordan, quand le roi l’eut perdu, il y eut toujours un regret plus constant, plus avoué. D’Argens, dans je ne sais quel de ses ouvrages, avait fait des réflexions critiques sur l’amitié, et avait voulu prouver qu’on peut s’en passer et être heureux :

Je ne suis malheureusement point de votre sentiment sur l’amitié, lui répond Frédéric (31 août 1745) : je pense qu’un véritable ami est un don du ciel. Hélas ! j’en ai perdu deux (Jordan et Keyserlingk) que je regretterai toute ma vie et dont le souvenir ne finira qu’avec ma durée… Selon ma façon de penser, l’amitié est indispensable à notre bonheur. Que l’on pense de la même manière ou différemment, que l’un soit vif, l’autre mélancolique, tout cela ne fait rien à l’amitié ; mais l’honnête homme, c’est la première qualité qui unit les âmes et sans laquelle il n’y a point de société intime.

Pour mieux consacrer son tribut de regrets à ce mérite modeste et à cette chère habitude à laquelle il avait dû, pendant dix années, des jouissances d’esprit et de cœur et des utilités morales de tout genre, Frédéric composa lui-même l’éloge de Jordan, pour être lu dans son Académie de Berlin.

La correspondance de Frédéric et de Jordan commence en mai 1738, avant que Frédéric soit devenu roi ; ce sont des vers que le prince lui envoie à corriger et à raturer, des plaisanteries de société, des riens. Du moment que Frédéric monte sur le trône, ces riens prennent de l’importance et du caractère : ainsi, dès les premiers jours du règne, à la fin d’un billet insignifiant : « Adieu, lui écrit Frédéric ; je vais écrire au roi de France, composer un solo, faire des vers à Voltaire, changer les règlements de l’armée, et faire encore cent autres choses de cette espèce. » Dans un court voyage au pays de Liège, Frédéric voit pour la première fois Voltaire qui vient le saluer au château de Meurs sur la Meuse ; le roi, avant d’arriver en Belgique, avait fait une pointe sur Strasbourg où le maréchal de Broglie l’avait reçu, l’avait reconnu à travers son incognito, et lui avait fait les honneurs de la place. À peine revenu à Potsdam, Frédéric écrit à Jordan : « Tu me trouveras bien bavard à mon retour ; mais souviens-toi que j’ai vu deux choses qui m’ont toujours beaucoup tenu à cœur, savoir : Voltaire et des troupes françaises. » Voilà, en effet, les deux passions de Frédéric, et qui se disputeront toute la première moitié de sa carrière de roi : la guerre et l’esprit ; être un grand poète, devenir un grand capitaine !

Ce côté de poète qui se dissimulait dans la correspondance avec M. de Suhm, et qui disparaissait dans le philosophe amateur de la vérité, se déclare tout à fait et en toute naïveté dans les lettres à Jordan. La guerre elle-même ne vient qu’en second lieu, et être capitaine paraît à Frédéric quelque chose de plus étranger à sa nature que d’être poète. Après la victoire de Chotusitz (17 mai 1742), Frédéric écrit à Jordan :

Voilà ton ami vainqueur pour la seconde fois dans l’espace de treize mois. Qui aurait dit, il y a quelques années, que ton écolier en philosophie, celui de Cicéron en rhétorique et de Bayle en raison, jouerait un rôle militaire dans le monde ? Qui aurait dit que la Providence eût choisi un poète pour bouleverser le système de l’Europe et changer en entier les combinaisons politiques des rois qui y gouvernent ?

Il ne se trompe que sur un point, sur la qualité de poète qu’il s’attribue ; mais il y a dans ce premier étonnement d’être devenu capitaine quelque chose d’imprévu et de piquant, et qui jette de la lumière sur le procédé de formation et sur la nature intérieure de Frédéric.

On voit poindre sa première pensée d’invasion en Silésie et son désir tout d’abord « de gagner la confiance du public par quelque entreprise hardie et heureuse ». À peine entré en campagne, Frédéric tient Jordan au courant de tout. Habitué à le voir chaque jour et à causer avec lui à chaque heure, il continue ce commerce de loin par de petits billets charmants d’intention et presque de bonhomie. Ce n’est pas la guerre pour la guerre qu’aime Frédéric, ce n’est pas même la guerre pour la conquête : « J’aime la guerre pour la gloire, dit-il ; mais si je n’étais pas prince, je ne serais que philosophe. Enfin il faut dans ce monde que chacun fasse son métier, et j’ai la fantaisie de ne vouloir rien faire à demi. » Jamais on n’a mieux vu le parti pris à l’avance d’être un grand prince, et le ferme propos de faire supérieurement tout ce qui concerne ce métier de roi. Il y a du novice dans ces premières confidences belliqueuses de Frédéric à Jordan ; ce n’est pas, comme pour Napoléon, dès le premier jour, le grand géomètre militaire embrassant du haut des Alpes son échiquier et développant, avec une perfection inventive, des combinaisons profondes et savantes que l’héroïsme exécutera comme la foudre : Frédéric se forme lentement ; il s’essaye, il entame, il échoue, il revient à la charge, il s’y prend et reprend maintes fois. Cela est sensible dans les deux premières guerres de Silésie ; cela le sera jusqu’à la fin et au milieu des plus belles combinaisons de la guerre de Sept Ans : « Je ne mérite pas, écrivait-il à Algarotti (4 janvier 1759), toutes les louanges que vous me donnez : nous nous sommes tirés d’affaire par des à-peu-près. » Ainsi en pleine guerre, et si habilement qu’il la fasse, Frédéric n’est pas tout à fait dans son élément. Je sais que, tout en donnant, comme il dit, « ce métier à tous les diables », il convient cependant qu’il le fait volontiers ; mais, d’un autre côté, il est sincère, il n’est pas dans le faux quand il ajoute : « Si j’avais le choix, j’avoue que je préférerais d’être le spectateur de ces scènes dont je suis acteur bien malgré moi. » Pendant ces premières guerres de Silésie, ce n’est pas malgré lui qu’il est acteur, il ne l’est que parce qu’il l’a voulu. Pourtant les lettres à Jordan nous montrent qu’il ne l’a voulu que par point d’honneur, par amour pour un fantôme de réputation qu’il ne sait comment définir :

Tu me trouveras plus philosophe que tu ne l’as cru. Je l’ai toujours été, un peu plus, un peu moins. Mon âge, le feu des passions, le désir de la gloire, la curiosité même (pour ne te rien cacher), enfin un instinct secret m’ont arraché à la douceur du repos que je goûtais, et la satisfaction de voir mon nom dans les gazettes et ensuite dans l’histoire m’a séduit.

Les lettres de l’ami qui guerroie à l’ami casanier qui est resté dans sa bibliothèque sont pleines de ces piquants et humains aveux.

Quant à Jordan, il demeure fidèle à son rôle de savant, d’homme paisible et de philosophe ami de l’humanité. L’esprit est un peu masqué dans ces lettres de Jordan ; en lisant bien, on le retrouve néanmoins, et l’on comprend quelques-unes de ces qualités réelles qui lui attachaient Frédéric :

M. de Brackel, écrit Jordan au roi (11 mars 1741), offre de parier contre qui voudra la somme de cent louis que la paix sera faite en trois mois de temps. Si je pouvais l’accélérer en sacrifiant toute ma bibliothèque, j’y mettrais le feu avec autant de zèle qu’Érostrate le mit au temple d’Éphèse. Mon Horace, mon bel Horace y passerait, je le jure.

Pour sentir le prix de ce vœu de Jordan, il faut savoir de quelle importance est à ses yeux sa chère bibliothèque, la seule rivale qu’ait le roi dans son cœur.

La veille de la première bataille de Frédéric, de la victoire de Mollwitz (10 avril 1741), qui tint à si peu de chose, Frédéric écrit à Jordan :

Mon cher Jordan, nous allons nous battre demain. Tu connais le sort des armes ; la vie des rois n’est pas plus respectée que celle des particuliers. Je ne sais ce que je deviendrai. Si ma destinée est finie, souviens-toi d’un ami qui t’aime toujours tendrement ; si le ciel prolonge mes jours, je t’écrirai dès demain et tu apprendras notre victoire. — Adieu, cher ami, je t’aimerai jusqu’à la mort.

De même il fera l’année suivante à la bataille de Chotusitz ; cette fois le roi écrit à son ami du champ de bataille même, le soir de la victoire (17 mai 1742) :

Cher Jordan, je te dirai gaiement que nous avons bien battu l’ennemi. Nous nous portons tous bien. Le pauvre Rottenbourg est blessé à la poitrine et au bras, mais sans danger, à ce que l’on croit. — Adieu ; tu seras bien aise, je crois, de la bonne nouvelle que je t’apprends. Mes compliments à Césarion (Keyserlingk).

Ce jeune roi victorieux, et malgré tout, à cette date, plus philosophe et plus homme de lettres encore qu’autre chose, écrivant ses billets soigneux et attentifs, sa première pensée après la victoire, à un bon et digne bibliophile son ami, qui n’a rien de brillant et qui ne lui est utile que dans l’ordre de l’esprit et des jouissances morales, c’est touchant, c’est honorable pour la nature humaine et pour la nature même des héros.

Il y a tout à côté, dira-t-on, des railleries et des sarcasmes appelés jeux de prince, des coups de griffe du lion qui compensent bien des douceurs. Frédéric, dans les intervalles des combats, a essayé de faire venir Jordan à l’armée, au camp de Mollwitz, à celui de Strehlen ; Jordan y est venu, mais, peu belliqueux de sa nature, il a eu quelque faiblesse et s’en est vite retourné. Frédéric le plaisante fort là-dessus et y mêle toutes sortes de contes où il fait intervenir les médecins de Breslau et les apothicaires. Jordan, qui a de la dignité et qui veut être respecté, lui répond :

Je n’ai quitté le camp que lorsque Votre Majesté m’a ordonné de le quitter ; si j’ai fait connaître quelque sentiment de crainte, c’est une preuve que j’ai été plus naturel que prudent… L’histoire du médecin de Breslau, débitée à Votre Majesté, serait fort jolie, si elle ne regardait pas un homme qui n’a de maladie que celle d’aimer trop le genre humain et de penser tristement.

Frédéric gronde son ami de s’être formalisé et d’avoir pris au sérieux un badinage ; il continue quelque temps encore ces plaisanteries qui, si elles ne sont pas de très bon goût, ne sont point du tout d’un mauvais cœur ; il essaye, tandis que la guerre se prolonge, de calmer les inquiétudes de son ami, d’adoucir son humeur noire et de lui insinuer de cette philosophie qui se sent déjà du voisinage de la politique :

Je vous prie, mettez-vous l’esprit en repos sur l’Europe. Si l’on voulait prendre à cœur toutes les infortunes des particuliers, la vie humaine entière ne serait qu’un tissu d’afflictions. Laissez à chacun le soin de démêler sa fusée comme il pourra, et bornez-vous à partager le sort de vos amis, c’est-à-dire d’un petit nombre de personnes. C’est, en honneur, tout ce que la nature a droit de demander d’un bon citoyen…

Jordan, tout en convenant que ce serait plus sage d’en agir ainsi, continue de s’affliger des maux qui frappent l’espèce en général, par la raison, dit-il, que « la société ne fait qu’un corps », et que tous les membres sont solidaires.

Il ne faudrait pourtant pas s’imaginer, d’après ce que j’ai dit, que le grand guerrier ne se dénote point déjà en Frédéric. Il y a des éclairs d’Annibal qui percent à travers ce fatras de rimes et dans ces confidences presque toutes littéraires entre amis. Dès l’entrée en campagne, le roi a confiance en ses troupes ; il a su les animer de sa passion de gloire : « Mes troupes en ont le cœur enflé, et je te réponds du succès. » Au camp de la Neisse (15 septembre 1741), au moment où il espère encore amener M. de Neipperg à une bataille, le roi écrit : « Nous avons le plus beau camp du monde, et ces deux armées qu’on aperçoit d’un coup d’œil semblent deux furieux lions couchés tranquillement chacun dans leur repaire. » Un jour, trois ou quatre mille hommes de la garnison de Brünn, dans une sortie, attaquent un régiment de quatre cents Prussiens logés dans un village ; le village est brûlé, mais les ennemis sont repoussés et chassés sans avoir gagné le moindre avantage :

Truchsess (le colonel), Varenne et quelques officiers, écrit le roi, ont été légèrement blessés ; mais rien ne peut égaler la gloire que cette journée leur vaut. Jamais Spartiates n’ont surpassé mes troupes, ce qui me donne une telle confiance en elles, que je me crois dix fois plus puissant que je n’ai cru l’être par le passé. Nous avons fait de plus six cents prisonniers hongrois, et nos braves soldats, qui ne savent que vaincre ou mourir, ne me font rien redouter pour ma gloire.

L’orgueil du guerrier patriote perce dans tout cet endroit. En général, on voit nettement se dessiner les premiers élans de la valeur guerrière de Frédéric dans cette correspondance avec Jordan.

Plus habituellement, il s’entretient avec lui de leurs goûts communs ; dans les intervalles de loisir, le roi continue d’étudier sous sa tente et d’appliquer son esprit à tous les sujets ; mieux vaut, pense-t-il, dans cette courte vie, user soi-même de ses ressorts, « car ils s’usent sans cela inutilement et par le temps, sans que l’on en profite ». Il lit donc, il compose, il pense beaucoup, tout comme dans les journées de Ruppin et de Remusberg. Il essaie sa plume à des descriptions où l’on retrouve l’écrivain de talent. De Znaïm, par exemple, il écrira : « Les maisons ont toutes ici des toits plats à l’italienne ; les rues sont fort malpropres, les montagnes âpres, les vignes fréquentes, les hommes sots, les femmes laides, et les ânons très communs. C’est la Moravie en épigramme. » Dans ces répits que lui laisse l’ennemi, il demande à Jordan des nouvelles de Berlin, et de le tenir au courant de tous les propos et les raisonnements politiques du public, qui lui semblent, la plupart du temps, fort saugrenus. Jordan lui envoie donc le bulletin très véridique des conversations et des commérages de Berlin, et dès le premier jour il en donne idée dans cet aperçu fidèle :

Le goût de la politique commence à s’introduire à Berlin. On commence toutes les conversations par se demander : Que font les armées ? où sont elles ? Les gens de lettres quittent leurs livres pour lire les gazettes, qui mentent, et qui ne nous sont jamais favorables, je ne sais pourquoi.

L’orgueil national pourtant finira par se décider à l’admiration, et la joie générale éclatera à la seconde victoire.

Un jour, en attendant cette seconde bataille qui tarde et qui doit bientôt se livrer, Frédéric écrit à Jordan : « Envoyez-moi un Boileau, que vous achèterez en ville ; envoyez-moi encore les Lettres de Cicéron, depuis le tome III jusqu’à la fin de l’ouvrage, que vous achèterez de même ; il vous plaira de plus d’y joindre les Tusculanes, les Philippiques, et les Commentaires de César. » Cette bibliothèque de campagne, envoyée par Jordan, et qui ne quitta plus le roi, fut pillée avec tous ses bagages dans la seconde guerre de Silésie, à la bataille de Soor (30 septembre 1745) ; Frédéric alors écrivit à son autre ami et ancien précepteur Duhan, pour qu’il eût à lui racheter ces mêmes ouvrages et quelques autres. Jordan venait de mourir ; on vendait sa bibliothèque ; Frédéric indiquait à Duhan ce moyen de se procurer les ouvrages qu’il désirait et qui devaient se trouver parmi les livres du défunt. Duhan s’empressa de faire la commission, et envoya les volumes au roi. Frédéric, en les recevant, en y reconnaissant cette inscription que Jordan mettait en tête de tous ses livres : « Jordani et amicorum », se sentit tout ému :

Je vous avoue que j’ai eu les larmes aux yeux lorsque j’ai ouvert les livres de mon pauvre défunt Jordan, et que cela m’a fait une véritable peine de penser que cet homme que j’ai tant aimé n’est plus. Je crains Berlin pour cette raison, et j’aurai bien de la peine à me sevrer des agréments que me procuraient autrefois dans cette ville l’amitié et la société de deux personnes que je regretterai toute ma vie (Jordan et Keyserlingk).

À Berlin, lorsque Jordan n’était pas malade, il voyait le roi tous les jours, de sorte que celui-ci pouvait dire avec regret, après l’avoir perdu : « Nous avons vécu sans cesse ensemble. » La première guerre de Silésie terminée (juin 1742), Frédéric n’a plus qu’un désir, revenir administrer en bon et sage roi ses peuples :

J’ai fait ce que j’ai cru devoir à la gloire de ma nation ; je fais à présent ce que je dois à son bonheur. Le sang de mes troupes m’est précieux, j’arrête tous les canaux d’une plus grande effusion…, et je vais me livrer de nouveau à la volupté du corps et à la philosophie de l’esprit.

Telle était sa disposition sincère après sa première conquête, après ce premier beau morceau d’histoire ; il aspirait à en rester là, et, l’épisode terminé, à rentrer dans ses propres voies, c’est-à-dire une bonne administration, une libre et gaie philosophie, l’amitié et les beaux-arts. Il explique assez au long à Jordan les raisons qu’il a eues de faire sa paix séparément de la France, et il lui donne la clef de sa morale de souverain : chez un souverain, c’est l’avantage de la nation qui fait la règle et qui constitue le devoir : « pour y parvenir, il doit se sacrifier lui-même, à plus forte raison ses engagements, lorsqu’ils commencent à devenir contraires au bien-être de ses peuples ». Les années qui suivirent ne firent que resserrer l’intimité de Jordan et du roi. Frédéric était engagé dans sa seconde guerre, lorsque la maladie de poitrine de son ami s’aggrava au point de ne laisser aucun espoir. Jordan écrivit au roi une lettre dernière, dans laquelle, au milieu de l’expression d’une tendre reconnaissance, il touchait un mot de religion ; c’était comme une demi-rétractation de certaines plaisanteries qui avaient eu cours entre eux à ce sujet :

Sire, mon mal augmente d’une façon à me faire croire que je n’ai plus lieu d’espérer ma guérison. Je sens bien, dans la situation où je me trouve, la nécessité d’une religion éclairée et réfléchie. Sans elle, nous sommes les êtres de l’univers les plus à plaindre… Comme on ne connaît la nécessité de la valeur que dans le péril, on ne peut connaître l’avantage consolant qu’on retire de la religion que dans l’état de souffrance.

Frédéric répondit à son ami avec tendresse par deux billets consécutifs, dont voici le dernier :

Mon cher Jordan, ne me chagrine pas par ta maladie. Tu me rends mélancolique, car je t’aime de tout mon cœur. Ménage-toi, et ne t’embarrasse pas de moi ; je me porte bien. Tu apprendras par les nouvelles publiques que les affaires de l’État prospèrent. — Adieu ; aime-moi un peu, et guéris-toi, s’il y a moyen, pour ma consolation.

Frédéric arriva lui-même à Berlin ; il vit son ami au lit de mort (23 mai 1745). Quand le frère de Jordan vint, le lendemain matin, lui annoncer la triste nouvelle, la première chose qui frappa ses yeux, en entrant dans le cabinet du roi, fut le portrait de celui qu’ils avaient perdu. Pendant le récit des derniers moments, frère et roi ne purent, ni l’un ni l’autre, contenir la vive affliction qu’ils éprouvaient, et les derniers détails furent comme étouffés dans leurs sanglots.

Une autre amitié d’une autre nuance, mais également sincère et fidèle, est celle que Frédéric voua jusqu’à la fin à son vieux compagnon d’armes et général le baron de La Motte-Fouqué. De quatorze ans plus âgé que Frédéric, Fouqué était, comme Jordan, fils d’un réfugié français ; il avait de bonne heure témoigné au prince royal beaucoup d’affection et de dévouement, avait obtenu la permission de l’aller visiter pendant sa détention au fort de Custrin, avait été de la société intime de Remusberg, et était devenu l’un des plus habiles lieutenants de Frédéric dans ses guerres de Silésie et dans celle de Sept Ans. Dangereusement blessé dans la victoire de Prague, blessé et pris par les Autrichiens dans la funeste mais honorable défaite de Landeshut (23 juin 1760), il fut, au retour de sa captivité, l’objet des soins constants et de l’amitié toute fraternelle du roi. On a comparé la série de billets que celui-ci adresse à son vieux général à la correspondance de Trajan et de Pline ; j’aime mieux ne comparer cette correspondance gracieuse et unique en son genre qu’à elle-même. Il n’est sorte de présents, de faveurs, de coquetteries aimables, que Frédéric n’invente pour complaire à ce vieux militaire brisé de blessures, pour prolonger ses jours et lui réjouir le cœur. La prévôté de l’église cathédrale de Brandebourg se trouve vacante ; il la lui donne et le fait bénéficier ecclésiastique malgré lui. Quand il passe à Brandebourg, il s’invite à dîner et à coucher sans façon sous son toit. Quand il le sait malade, il lui envoie son médecin Cothenius pour lui indiquer les vrais remèdes. Un jour, c’est un service d’argent, un autre jour, un service de porcelaine, ou bien un grand verre qu’il a trouvé à Berlin dans la succession de son père, tantôt c’est du quinquina, tantôt du chocolat qu’il lui envoie ; vin du Rhin, vin de Hongrie, du café turc dont on vient de lui faire présent, que sais-je encore ? mais toujours il lui envoie quelque chose. Primeurs et friandises ne cessent de pleuvoir de Sans-Souci à Brandebourg. Quand Frédéric a adopté quelqu’un, il est ingénieux à le combler ; il y met une malice aimable. Il veut que, pour ce vieux général réduit à l’inaction, et en dédommagement des fatigues et privations de sa vie passée, la vie de chanoine désormais soit complète. Fouqué, à chaque présent dont il sent l’intention, est attendri ; il ne sait comment reconnaître cette amitié qui, depuis plus de trente ans, le cherche et l’honore, mais qui se multiplie surtout depuis que lui n’est plus bon à rien et n’est plus propre à y répondre que par ses sentiments : « Ce qui vous distingue, Sire, des autres princes, c’est que vous faites tant de bien à un homme qui ne peut, par le moindre service, vous en témoigner sa reconnaissance. » Quand il le voit étonné d’être l’objet de tant de soins, Frédéric le rassure simplement et par des mots naturels, puisés dans la meilleure et commune humanité : « Vous vous étonnez que je vous aime : vous devriez plutôt vous étonner si je n’aimais pas un officier de réputation, honnête homme, et de plus mon ancien ami. » Quoique Frédéric n’ait que cinquante-quatre ans lorsque Fouqué en a soixante-huit, il se fait exprès vieillard comme lui ; très brisé lui-même par les fatigues, il se suppose du même âge que son vieux compagnon :

J’attends ici tranquillement dans mon trou le retour du printemps (9 février 1766) ; cette saison-ci n’est pas faite pour notre âge. Nous autres vieillards ne ressuscitons qu’au printemps, et végétons en été ; mais l’hiver n’est bon que pour cette jeunesse bouillante et impétueuse qui se rafraîchit à des courses de traîneaux et à se peloter de neige.

Quelquefois il y a un retour vers les choses de guerre ; Frédéric, au fort de ses grandes manœuvres, ne peut retenir un cri de satisfaction militaire :

Nous exerçons à présent de corps et d’âme (avril 1764), pour remettre nos affaires en bon train. Cela commence à reprendre, et je vous avoue que j’ai du plaisir à voir reformer de nouveau cette armée que j’ai connue si bonne autrefois, que j’ai vu ruiner par des guerres sanglantes, et qui, comme un phénix, renaît de ses cendres.

Mais le plus souvent il craint de donner à son ami des regrets en lui parlant des choses auxquelles celui-ci ne peut plus participer. Il se borne donc à l’entourer de soins, de petits présents, d’étrennes à la Noël, au jour de l’an, à chaque anniversaire : « Le 6 mai (1770), jour de la bataille de Prague. — Je vous envoie, mon cher ami, du vieux vin de Hongrie pour vous en délecter, le même jour que vous fûtes, il y a treize ans, si cruellement blessé par nos ennemis. » Il traite évidemment ce digne survivant des grandes guerres comme un vieillard perclus avant le temps ; il veut lui donner des joies d’enfant jusqu’au dernier jour. En lisant ces détails auxquels on s’attendait si peu, on est heureux de sentir qu’on a affaire à des hommes, rien qu’à des hommes.

Les sentiments d’amitié dont Frédéric était si capable se trouvent épars encore dans beaucoup de ses correspondances ; ce n’est pourtant ni dans celle avec Algarotti, ni dans celle avec d’Argens, qu’il les faut chercher. Le goût plus ou moins vif que Frédéric eut pour ces gens d’esprit ne trouva point à s’appuyer sur une estime assez solide de leur caractère. Il faut distinguer des moments très différents dans les amitiés et dans la société du grand Frédéric. Le premier moment, nous l’avons vu, tout idéal et pur, est celui de la société de Remusberg, qui s’étend jusqu’à l’avènement au trône. En 1740, un autre moment commence ; Frédéric s’était dit de bonne heure : « Ne prenons que la fleur du genre humain. » Une fois maître des choses, il essaya de réaliser ce vœu et de réunir ce qu’il y avait de plus piquant, de plus vif et de plus sociable en gens d’esprit de toutes nations. L’entreprise était délicate et audacieuse ; Frédéric sembla près d’y réussir ; mais, après quelques années d’essai et de jouissance, cette seconde société où les Maupertuis, les Algarotti, les d’Argens n’avaient fait que préparer les voies et qui atteignit tout son éclat en se couronnant de Voltaire, se brisa à l’instant le plus agréable et par le jeu même des amours-propres en présence. Il y eut explosion, comme cela était inévitable dans une combinaison où entraient tant d’éléments combustibles et mobiles. Les uns furibonds et blessés, les autres chagrins et malades, d’autres plus ou moins dégoûtés et inconstants, quittèrent la partie ; et, en 1754, Frédéric écrivant à Darget, l’un des absents, et lui parlant du mariage d’Algarotti à Venise, lui disait : « Voilà un grand dérangement dans la société, et vous autres me faites faire maison neuve malgré moi. » La guerre de Sept Ans survint alors, qui interrompit tout projet de reprise paisible et de réunion. Quand elle fut terminée, le roi, comme il dit, reconnut les murailles de la patrie , mais toutes les personnes de sa connaissance avaient disparu. Se tournant autour de lui et cherchant à qui parler, il trouvait à peine quelques débris fatigués de sa société première, ou des académiciens-grammairiens de Berlin qui pouvaient être de quelque utilité, mais de nul agrément. Dans cette disette réelle, ayant essayé vainement d’amener d’Alembert, il y eut un seul homme qui lui fut d’une cordiale ressource pendant de longues années encore, et qui continua de lui procurer le sentiment et l’exercice de cette amitié à laquelle il était destiné par la nature : je veux parler de Milord Maréchal, le noble Écossais, le frère du brave maréchal Keith, tué au service du roi, et le protecteur de Jean-Jacques dans la principauté de Neuchâtel.

Milord Maréchal était à la fois un caractère original, un cœur d’or et un esprit fin ; il avait le fonds d’esprit écossais, quelque chose de ce tour que Franklin a également porté dans le conte moral et dans l’apologue. La correspondance de Milord Maréchal et du roi est des plus intéressantes ; elle appartient aux années les plus terribles de la guerre de Sept Ans. Milord Maréchal était durant ce temps gouverneur de Neuchâtel au nom du roi de Prusse, et il s’employa de plus au service du roi dans un voyage de négociation en Espagne. Les lettres que Frédéric lui écrit sont admirables de gravité, de tristesse et de fermeté stoïque. Aussi souvent battu que victorieux ; seul, ayant la moitié de l’Europe sur les bras ; forcé de tenir tête avec cent vingt mille hommes (quand il est au complet) à trois cent mille ; calomnié par d’odieux libelles dont sa mémoire n’a triomphé encore aujourd’hui qu’imparfaitement, il a bien des paroles simples et magnanimes. Et sur les libelles d’abord :

Vous m’apprenez que mes ennemis me calomnient jusqu’à l’Escurial. J’y suis accoutumé : je n’entends que mensonges répandus sur mon sujet ; je ne suis presque nourri que d’infâmes satires et que d’impostures grossières que la haine et l’animosité ne cessent de publier en Europe. Mais on s’accoutume à tout ; Louis XIV devait être à la fin aussi dégoûté et rassasié des flatteries dont il avait sans cesse les oreilles pleines, que je le suis de tout le mal qu’on dit de moi. Ce sont des armes indignes que les grands princes ne devraient jamais employer contre leurs égaux : c’est se dégrader mutuellement.

Après la bataille de Kolin, c’est à Milord Maréchal que Frédéric écrit ces paroles souvent citées (18 juin 1757) : « La fortune m’a tourné le dos. Je devais m’y attendre ; elle est femme, et je ne suis pas galant. » Après la mort d’un de ses frères, Auguste-Guillaume (20 juillet 1758) : « Mon cher Milord, je n’ai pas douté de la part que vous prendriez à la mort de mon pauvre frère. C’est un grand sujet d’affliction pour moi ; mais je n’ai pas seulement le temps de le pleurer. » Je ne fais qu’indiquer la lettre sur la mort du maréchal Keith, frère du Milord, tué d’un coup de feu à la bataille de Hochkirch. Au milieu de toutes ses pertes et de toutes ses défaites, Frédéric ne désespère jamais, il a le sang-froid et le caractère. Non pas qu’il ait, comme d’autres grands capitaines, espérance et foi dans son étoile ; son étoile, à lui, ne rayonne pas ; il compte simplement sur cette divinité obscure, le hasard :

J’ai trop d’ennemis ; cependant, avec un peu de fortune de notre côté et un peu de sottise du leur, on en peut venir à bout. Mais j’ai perdu tous mes amis, s’écrie-t-il, mes proches et mes plus intimes connaissances. À l’âge de cinquante ans, on forme difficilement de nouvelles liaisons ; et qu’est-ce que la vie sans les agréments de la société ?

À défaut de la religion ou de la poésie, dont on lui voudrait quelque lueur, tel est du moins le sentiment sociable et amical encore qui préoccupe Frédéric jusque dans les horreurs de cette lutte prolongée. Enfin la chance tourne et lui redevient favorable. L’impératrice de Russie meurt, et le nouvel empereur se déclare pour lui ; cela fait péripétie dans la situation : « Je me reviens, dit-il, comme un mauvais auteur qui, ayant fait une tragédie embrouillée, a recours à un dieu de machine pour trouver un dénouement… ; — trop heureux, après sept actes, de trouver la fin d’une mauvaise pièce dont j’ai été acteur malgré moi. » Une place pas la gloire plus haut ; il ne monte pas au Capitole plus fièrement que cela : — « Je soupire bien après la paix, mon cher Milord ; ballotté par la fortune, vieux et décrépit comme je le suis, il n’y a plus qu’à cultiver mon jardin. » — Jean-Jacques Rousseau, sur ces entrefaites, poursuivi en France pour l’Émile, s’était réfugié dans la principauté de Neuchâtel. Frédéric recommande à Milord Maréchal de lui ménager un asile et de lui faire tenir des secours :

Je vois que nous pensons de même ; il faut soulager ce pauvre malheureux, qui ne pèche que pour avoir des opinions singulières, mais qu’il croit bonnes. Je vous ferai remettre cent écus, dont vous aurez la bonté de lui faire donner ce qu’il lui faut pour ses besoins. Je crois, en lui donnant les choses en nature, qu’il les acceptera plutôt que de l’argent. Si nous n’avions pas la guerre, si nous n’étions pas ruinés, je lui ferais bâtir un ermitage avec un jardin, où il pourrait vivre comme il croit qu’ont vécu nos premiers pères.

C’est ainsi que Frédéric entend dans la pratique la tolérance. En retour du bienfait reçu, Rousseau lui adresse pour remerciement une lettre altière, pédantesque, dans laquelle il fait ses conditions : « Vous voulez me donner du pain ; n’y a-t-il aucun de vos sujets qui en manque ? Ôtez de devant mes yeux cette épée qui m’éblouit et me blesse. » Frédéric ne se choque point, et à l’étrange boutade du philosophe sauvage il n’oppose que ces mots : « Il veut que je fasse la paix ; le bonhomme ne sait pas la difficulté qu’il y a d’y parvenir, et, s’il connaissait les politiques avec lesquels j’ai affaire, il les trouverait bien autrement intraitables que les philosophes avec lesquels il s’est brouillé. » Aussitôt la paix conclue, Frédéric se fait une joie de revoir son ami le Milord Maréchal, et, quand celui-ci l’a quitté pour retourner en Écosse, il essaye de le rappeler à Postdam par ces paroles où perce cette fois un sourire et un vrai parfum de poésie : « Je finis ma lettre en vous apprenant, mon cher Milord, que mon chèvrefeuille est sorti, que mon sureau va débourgeonner, et que les oies sauvages sont déjà de retour. Si je savais quelque chose de plus capable de vous attirer, je le dirais également. » Milord Maréchal se rendit à ce cordial rappel et s’en revint habiter à Potsdam une maison bâtie exprès pour lui dans le faubourg. Le roi y arrivait par le jardin de Sans-Souci, et ne passait pas un jour sans le voir. Ce vieil et dernier ami, objet de ses respects et de ses soins, ne mourut qu’à l’âge de quatre-vingt-douze ans, le 25 mai 1778.

Je me suis attaché à démontrer un côté que je crois bien vrai et bien essentiel en Frédéric ; quiconque abordera sans prévention la lecture de ses lettres en sera frappé. À l’histoire seule appartient le devoir de l’apprécier dans son ensemble, de marquer avec impartialité les mérites, les grandeurs et les défauts du souverain, et de prendre toute sa mesure : c’est assez pour la critique littéraire, si elle a pu rendre sur un point un hommage et une justice bien dus au plus littéraire des rois.