Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853.
La reine de Navarre, sœur de François Ier, a fort occupé depuis quelques années les littérateurs et les érudits. On a publié ses Lettres avec beaucoup de soin52 ; dans l’édition qu’on a donnée des Poésies de François Ier 53, elle s’est trouvée mêlée presqu’autant que son frère, et elle a contribué pour sa bonne part au volume. Aujourd’hui, la Société des bibliophiles, considérant qu’il n’y avait jusqu’à présent aucune édition exacte des contes et nouvelles de cette princesse, que dès l’origine les premiers éditeurs en avaient usé avec le royal auteur très librement, et qu’on ne savait où trouver le vrai texte de ce curieux ouvrage beaucoup plus célébré que lu, a pris à tâche de remplir cette lacune littéraire : elle a chargé un de ses membres les plus consciencieux, M. Le Roux de Lincy, d’en exécuter une édition d’après les manuscrits mêmes ; voulant donner, de plus, à cette publication ce cachet de solidité, ce coin de bon et vieil aloi qui plaît aux amateurs, la Société a recherché d’anciens types d’imprimerie, et, s’en étant procuré qui viennent de Nuremberg et qui datent de la première moitié du xviiie siècle, elle a fait fondre exprès les caractères qui ont servi à imprimer le présent ouvrage et qui serviront désormais aux autres publications de la Société. Enfin, les Nouvelles de la reine de Navarre se présentent avec un portrait de l’auteur et un fac-similé de miniature, le tout d’un style grave, net, élégant. Remercions donc cette Société, composée d’amateurs de beaux livres, d’appliquer si bien son goût et sa munificence : et venons-en à l’étude du personnage même qu’elle nous aide à mieux connaître.
Marguerite de Valois, la première des trois Marguerites du xvie
siècle, ne ressemble pas tout à fait à la réputation qu’on
lui a faite de loin. Née au château d’Angoulême le 11 avril 1492, deux ans avant
son frère qui sera François Ier, elle reçut auprès de sa
mère Louise de Savoie, devenue veuve de bonne heure, une éducation vertueuse et
sévère. Elle apprit l’espagnol et l’italien, le latin, plus tard de l’hébreu, du
grec. Toutes ces études ne se firent point à la fois et dans sa première
jeunesse. Contemporaine du grand mouvement de la Renaissance, elle y participa
graduellement ; elle s’efforça d’en tout comprendre et de le suivre dans toutes
ses branches, ainsi qu’il seyait à une personne de haut et sérieux esprit,
d’entendement plein et facile, et de plus de loisir que si elle fût née sur le
trône. Brantôme nous la représente comme « une princesse de très grand
esprit et fort habile tant de son naturel que de son acquisitif »
. Elle continua d’acquérir tant
qu’elle vécut ; elle protégea de tout son cœur et de tout son
crédit les savants et les hommes de lettres de tout ordre et de tout genre,
profitant d’eux et de leur commerce pour son propre usage, femme à tenir tête à
Marot dans le jeu des vers comme à répondre à Érasme sur les plus nobles
études.
Il ne faut rien exagérer pourtant, et les écrits de Marguerite sont assez
nombreux pour permettre d’apprécier en elle avec justesse la part de
l’originalité et celle de la simple intelligence. Comme poète et comme écrivain,
son originalité est peu de chose, ou, pour parler plus nettement, elle n’en a
aucune : son intelligence, au contraire, est grande, active, avide, généreuse.
Il y eut de son temps un immense mouvement dans l’esprit humain, une cause
proprement littéraire et libérale, qui passionna les esprits et les cœurs, comme
fit plus tard la politique. Marguerite jeune, ouverte à tous les bons et beaux
sentiments, à la vertu sous toutes les formes, s’éprit de
cette cause ; et, quand son frère fut arrivé au trône, elle se dit que c’était à
elle d’en être auprès de lui le bon génie et l’interprète, de se montrer la
patronne et la protectrice de tous ces hommes qui excitaient contre eux, par
leurs doctes innovations, bien des rancunes pédantesques et des colères. C’est
même ainsi qu’elle se laissa prendre et gagner insensiblement aux doctrines des
réformés qui se présentèrent d’abord à elle sous la forme savante et
littéraire : traducteurs des Écritures, ils ne voulaient, ce semble, qu’en
propager l’esprit et en faire mieux entendre le sens aux âmes pieuses ; elle les
goûtait et les favorisait à titre de savants, les accueillait comme hommes
aimant à la fois « les bonnes lettres et le Christ »
, ne voulait
croire chez eux à aucune arrière-pensée factieuse ; et, lors même qu’elle parut
détrompée sur l’ensemble, elle continua jusqu’à la fin de plaider pour les
individus avec zèle et humanité auprès du roi son
frère.
La passion que Marguerite avait pour ce frère dominait tout. Elle était son aînée d’environ deux ans et demi. Louise de Savoie, cette jeune veuve, n’avait que quinze ou seize ans de plus que sa fille. Ces deux femmes avaient, l’une pour son fils, l’autre pour son frère, une tendresse qui allait au culte ; elles voyaient en lui celui qui devait être l’honneur et la couronne de leur maison, un Dauphin qui bientôt, lorsqu’il aura inauguré à Marignan son règne, sera un César glorieux et triomphant :
Le jour de la conversion de saint Paul (26 janvier 1515), dit Madame Louise en son Journal, mon fils fut oint et sacré en l’église de Reims. Pour ce suis-je bien tenue et obligée à la divine Miséricorde, par laquelle j’ai été amplement récompensée de toutes les adversités et inconvénients qui m’étaient advenus dans mes premiers ans et en la fleur de ma jeunesse. Humilité m’a tenu compagnie, et Patience ne m’a jamais abandonnée.
Et quelques mois après, marquant avec orgueil le jour de Marignani, elle écrit dans le transport de son cœur :
Le 13 de septembre, qui fut jeudi, 1515, mon fils vainquit et défit les Suisses auprès de Milan ; et commença le combat à cinq heures après midi, et dura toute la nuit, et le lendemain jusques à onze heures avant midi ; et, ce jour propre, je partis d’Amboise pour aller à pied à Notre-Dame-de-Fontaines, lui recommander ce que j’aime plus que moi-même, c’est mon fils, glorieux et triomphant César, subjugateur des Helvétiens.
Item, ce jour même 13 septembre 1515, entre sept et huit heures du soir, fut vu en plusieurs lieux en Flandres un flambeau de feu de la longueur d’une lance, et semblait qu’il dût tomber sur les maisons ; mais il était si clair que cent torches n’eussent rendu si grande lumière.
Marguerite, toute savante et éclairée qu’elle était, a dû croire au
même présage, et eût écrit les mêmes paroles que sa mère. Mariée à dix-sept ans
au duc d’Alençon,
prince insignifiant, elle gardait
tout son dévouement et toute son âme pour son frère ; aussi, lorsqu’à la dixième
année du règne arriva le désastre de Pavie (25 février 1525), et que Marguerite
et sa mère apprirent la destruction de l’armée française et la captivité de leur
roi, on conçoit le coup qu’elles reçurent. Pendant que Madame Louise, nommée
régente du royaume, montrait de la force et du courage, on peut suivre les
pensées de Marguerite dans la série des Lettres qu’elle écrit
à son frère, et que M. Génin a publiées. Son premier mot est pour consoler le
captif, pour le rassurer : « Madame (Louise de Savoie) a senti si grand
redoublement de forces que, tant que le jour et soir dure, il n’y a minute
perdue pour vos affaires ; en sorte que de votre royaume et enfants ne devez
avoir peine ou souci. »
Elle se félicite de le savoir aux mains d’un
aussi bon et généreux vainqueur que le vice-roi de Naples Charles de Lannoy ;
elle le supplie, au nom de sa mère, de songer à sa santé :
Elle a entendu que voulez entreprendre de faire ce carême sans manger chair ni œufs, et quelquefois jeûner pour l’honneur de Dieu. Monseigneur, autant que très humble sœur vous peut supplier, je vous supplie ne le faire et considérer combien le poisson vous est contraire ; et croyez que, si vous le faites, elle a juré qu’elle le fera ; et, s’il est ainsi, je vous vois tous deux défaillir.
Marguerite, vers ce temps, voit mourir à Lyon son mari, l’un des
fuyards de Pavie ; elle le pleure, mais après les deux premiers jours où elle
n’a pu surmonter sa douleur, elle prend sur elle de la dissimuler devant la
régente ; car, ne pouvant rendre de services par elle-même, elle se tiendrait
trop malheureuse, dit-elle, d’empêcher et d’ébranler l’esprit de celle qui en
rend de si grands. Lorsque Marguerite est désignée pour aller trouver son frère
en Espagne (septembre 1525) et pour travailler à
sa
délivrance, sa joie est grande. Enfin elle peut être utile à ce frère qu’elle
considère « comme celui seul que Dieu lui a laissé en ce monde, père,
frère et mari »
. Elle mêle et varie mainte fois tous ces noms de
maître, de frère et de roi, qu’elle accumule en lui, et qui ne suffisent qu’à
peine à exprimer son affection si pleine et si sincère : « Quoi que ce
puisse être, jusques à mettre au vent la cendre de mes os pour
vous faire service, rien ne me sera ni étrange, ni difficile, ni
pénible, mais consolation, repos et honneur. »
Ces expressions, qui
seraient exagérées chez d’autres, ne sont que vraies dans la bouche de
Marguerite. Elle réussit peu dans sa mission d’Espagne : là où elle cherche à
émouvoir des cœurs généreux et à faire vibrer une fibre d’honneur, elle ne
rencontre que dissimulation et politique. Il ne lui est accordé de voir son
frère que peu de temps ; lui-même exige qu’elle abrège son séjour et qu’elle
s’éloigne, la croyant plus utile à ses intérêts en France. Elle s’arrache
d’auprès de lui avec douleur, surtout le voyant malade et aussi bas de santé que
possible. Oh ! combien elle ambitionnerait de revenir, de rester près de lui, et
qu’il ne lui refusât point « place de laquais auprès de sa
litière »
! Elle est d’avis qu’il achète sa liberté à tout prix,
qu’il revienne à n’importe quelles conditions ; car le marché ne peut être
mauvais, pourvu qu’on le revoie en France, et ne peut être bon, lui étant à
Madrid. Dès qu’elle a pied en terre de France, elle est reçue comme un
précurseur, « comme le Baptiste de Jésus-Christ »
. Arrivée à
Béziers, elle est entourée de tous, « vous assurant, Monseigneur,
écrit-elle à son frère, que quand je cuide (je crois)
parler de vous à deux ou trois, sitôt que je nomme le roi, tout le monde
s’approche pour m’écouter ; en sorte que je suis contrainte leur dire de vos
nouvelles, dont je ne ferme le propos qu’il ne soit accompagné de larmes des
gens de tous états »
.
Telle était alors
la douleur vraie de la France pour la perte de son roi. À mesure qu’elle avance
dans le pays, elle s’aperçoit pourtant de l’absence du maître ; ce royaume est
« comme un corps sans chef, vivant pour vous recouvrer, et mourant
pour vous sentir loin »
. Et en ce qui est d’elle, voyant cela, il
lui semblait que le travail des grandes journées d’Espagne lui était plus
supportable que le repos de France, « où la fantaisie, dit-elle, me
tourmente plus que la peine »
. En général, toutes ces lettres de
Marguerite font le plus grand honneur à son âme, à ses qualités généreuses,
solides, pleines d’affection et de cordialité. Le roman et le drame se sont
mainte fois exercés, comme c’était leur droit, sur cette captivité de Madrid et
sur ces entrevues de François Ier et de sa sœur qui
prêtaient à l’imagination ; mais la lecture de ces simples lettres si dévouées
montre les sentiments à nu et en dit plus que tout. Voici un joli passage dans
lequel elle sourit et essaie, au retour, d’égayer le captif en lui envoyant des
nouvelles de ses enfants. François Ier, à cette date, en
avait cinq, qui, à l’exception d’un seul, venaient tous d’avoir la
rougeole :
Et maintenant, dit Marguerite, sont tous entièrement guéris et bien sains : et fait merveille M. le Dauphin d’étudier, mêlant avec l’école cent mille autres métiers (exercices) ; et n’est plus question de colère, mais de toutes vertus. M. d’Orléans est cloué sur son livre et dit qu’il veut être sage ; mais M. d’Angoulême sait plus que les autres et fait des choses qui sont autant à estimer prophéties que enfances, dont, Monseigneur, vous seriez ébahi de les entendre. La petite Margot me ressemble, qui ne veut être malade ; mais ici, m’a-t-on assurée qu’elle a fort bonne grâce et devient plus belle que n’a été Mlle d’Angoulême.
Mlle d’Angoulême, c’est elle ; cette petite Marguerite qui promet d’être plus jolie que sa tante et marraine, c’est la seconde des Marguerites, qui sera duchesse de Savoie.
Puisqu’un mot vient d’être dit de la beauté de
Marguerite de Navarre, qu’en faut-il penser ? Le portrait qui est en tête du
présent volume rabattra de l’idée exagérée qu’on s’en pourrait faire si l’on
prenait à la lettre les éloges du temps. Marguerite ressemble beaucoup à son
frère. Elle a le nez légèrement aquilin et très long, l’œil long, doux et fin,
la bouche également longue, fine et souriante. L’expression de sa physionomie,
c’est la finesse sur un fond de bonté. Sa mise est simple : sa cotte ou robe
monte assez haut, à plat, sans rien de galant, et s’accompagne de fourrures ; sa
cornette, basse sur sa tête, encadre le front et le haut du visage, et laisse à
peine passer quelques cheveux. Elle tient un petit chien entre ses bras. La
dernière des Marguerites, cette autre reine de Navarre, première femme de
Henri IV, fut dans sa jeunesse la reine de la mode et des élégances : elle
donnait le ton. Notre Marguerite ne fit rien de tel ; elle laissait de son temps
ce rôle aux duchesses d’Étampes. Marot lui-même, en la louant, insiste
particulièrement sur son caractère de douceur qui efface la
beauté des plus belles, sur son regard chaste, et ce rond parler,
sans fard, sans artifice. Elle était sincère, « joyeuse et qui
riait volontiers »
, amie d’une gaieté honnête, et, quand elle
voulait dire un mot plaisant trop risqué en français, elle s’aidait au besoin de
l’italien ou de l’espagnol. Hors de là, pleine de religion, de moralité et de
bons enseignements, et justifiant l’éloge magnifique que lui a donné Érasme. Ce
sage monarque de la littérature, ce véritable empereur de la latinité à son
époque, choisissant pour consoler Marguerite le moment où elle était sous le
coup du désastre de Pavie, lui écrivait :
Il y a longtemps que j’ai admiré et aimé en vous tant de dons éminents de Dieu, une prudence digne même d’un philosophe, la chasteté, la modération, la piété, une force d’âme invincible, et un merveilleux mépris de toutes les choses périssables. Et qui ne considérerait avec admiration dans la sœur d’un si grand roi des qualités qu’on a peine à trouver même chez les prêtres et chez les moines ?
Dans ce dernier trait sur les moines, on saisit la pointe légèrement railleuse du Voltaire d’alors. Remarquez que dans cette lettre adressée à Marguerite en 1525, et dans une autre lettre qui suivit d’assez près, Érasme la remerciait et la félicitait pour les services qu’elle ne cessait de rendre à la cause commune de la littérature et de la tolérance.
Ces services rendus par Marguerite furent réels ; mais ce qui est un sujet
d’éloges de la part des uns lui devient une source de reproches de la part des
autres. Son frère l’ayant mariée en secondes noces, en 1527, à Henri d’Albret,
roi de Navarre, elle eut à Pau sa petite cour, qui fut le lieu de refuge et le
port de salut des persécutés et des novateurs : « Elle favorisa le
calvinisme, qu’elle abandonna dans la suite, dit le président Hénault, et
fut cause des progrès rapides de cette secte naissante. »
Ces
paroles du président Hénault me paraissent trop absolues. Il est très vrai que
Marguerite, ouverte à tous les sentiments littéraires et généreux de son temps,
se comporta comme une personne qui, aux abords de 89, aurait favorisé de toutes
ses forces la liberté, sans vouloir ni prévoir la Révolution. Elle fit, à cette
époque, comme toute la cour de France, qui, à certain jour, et en n’obéissant
qu’à la mode, au progrès des lettres et au plaisir de comprendre la Sainte
Écriture ou de chanter les Psaumes en français, faillit se trouver luthérienne
ou calviniste sans le savoir. Le premier éveil fut lorsqu’un matin
(19 octobre 1534) on lut affichés à tous les coins de Paris de sanglants
placards contre la foi catholique. Les imprudents du parti avaient mis le feu
aux poudres avant l’heure. La bonne et loyale Marguerite, qui ne connaissait
rien aux partis,
et qui n’en jugeait que par les
honnêtes gens, par les hommes de lettres de sa connaissance, penchait à croire
que ces vilains placards étaient du fait, non des protestants, mais de ceux qui
cherchaient prétexte à les compromettre et à les persécuter. Charitable et
humaine, elle ne cessa d’agir auprès de son frère dans le sens de la clémence.
C’est ainsi qu’à deux ou trois reprises elle essaya de sauver le malheureux
Berquin, gentilhomme artésien, qui se mêlait de dogmatiser, et qui, malgré tous
les efforts de la princesse auprès du roi son frère, finit par être brûlé en
Grève, le 24 avril 1529. À voir les passages des lettres dans lesquelles elle
recommande Berquin, on dirait qu’elle épouse toutes ses opinions et sa créance ;
mais il ne faut point demander à Marguerite tant de rigueur dans les idées et
dans l’expression. Il est des moments, sans doute, où, en lisant de ses vers ou
de sa prose, on croirait qu’elle a complètement accepté la Réforme ; elle en
reproduit le langage, et même le jargon. Puis, tout à côté, vous la voyez
redevenir, ou plutôt rester croyante à la manière des meilleurs catholiques de
son âge, donner dans les moindres pratiques, et ne craindre même pas d’y
associer des inconséquences. Montaigne, qui d’ailleurs fait grand cas d’elle,
n’a pu s’empêcher de noter, par exemple, sa singulière réflexion au sujet d’un
jeune et grand prince dont elle raconte l’histoire en ses Nouvelles, et qui a tout l’air d’être François Ier. Elle montre ce prince allant à un rendez-vous très peu édifiant, et,
pour abréger le chemin, ayant obtenu du portier d’un monastère qu’il le
laisserait passer à travers l’enclos. Au retour, et n’étant plus si pressé, le
prince ne manquait pas de s’arrêter en oraison dans l’église du cloître : Car,
dit-elle, « néanmoins qu’il menât la vie que je vous dis, si était-il
prince craignant et aimant Dieu »
. Montaigne relève ce propos et se
demande à quoi pouvait servir,
en un tel moment,
cette idée de protection et de faveur divine : « Ce n’est pas par cette
preuve seulement, ajoute-t-il, qu’on pourrait vérifier que les femmes ne
sont guère propres à traiter les matières de la théologie. »
Aussi n’était-ce pas une théologienne que Marguerite : c’était une personne de piété réelle et de cœur, de science et d’humanité, et qui mêlait à une vie grave un heureux enjouement d’humeur, faisant de tout cela un ensemble très sincère et qui nous étonne un peu aujourd’hui. Brantôme a raconté d’elle une histoire qui nous la peint très bien dans ce composé et dans cette mesure. Un frère de Brantôme, le capitaine Bourdeilles, avait connu à Ferrare, chez la duchesse du pays (fille de Louis XII), une dame française, Mlle de La Roche, dont il s’était fait aimer ; il l’avait ramenée en France, et elle était allée en la cour de la reine de Navarre, où elle était morte : il n’y pensait plus. Un jour, trois mois après cette mort, le capitaine Bourdeilles passant à Pau, et étant allé saluer la reine de Navarre comme elle revenait de vêpres, reçut d’elle un excellent accueil, et, de propos en propos, tout en se promenant, la princesse l’emmena doucement dans l’église, du côté où était la tombe de cette dame qu’il avait aimée :
Mon cousin, lui dit-elle, ne sentez-vous rien mouvoir sous vous et sous vos pieds ? — Non, madame, répondit-il. — Mais songez-y bien, mon cousin, lui répliqua-t-elle. — Madame, j’y ai bien songé, mais je ne sens rien mouvoir, car je marche sur une pierre bien ferme. — Or je vous advise, dit alors la reine sans le tenir plus en suspens, que vous êtes sur la tombe et le corps de la pauvre Mlle de La Roche, qui est ici dessous vous enterrée, que vous avez tant aimée, et, puisque les âmes ont du sentiment après notre mort, il ne faut pas douter que cette honnête créature, morte de frais, ne se soit émue aussitôt que vous avez été sur elle ; et, si vous ne l’avez senti à cause de l’épaisseur de la tombe, ne faut douter qu’en soi ne se soit émue et ressentie ; et, d’autant que c’est un pieux office d’avoir souvenance des trépassés, et même de ceux que l’on a aimés, je vous prie lui donner un Pater noster et un Ave Maria, et un De profundis, et l’arroser d’eau bénite ; et vous acquerrez le nom de très fidèle amant et d’un bon chrétien.
Elle le laissa donc et partit, pour qu’il pût accomplir en tout recueillement ces pieuses cérémonies dues aux morts. Je ne sais pourquoi Brantôme ajoute qu’à son avis la princesse avait tenu tout ce propos plus par bonne grâce et par manière de conversation que par créance : il me semble, au contraire, qu’il y a ici croyance à la fois et bonne grâce, convenance de la femme délicate et de l’âme pieuse, et que tout y est concilié.
Du temps de Marguerite, il ne manqua point de gens qui l’accusèrent pour la
protection qu’elle accordait aux lettrés amis de la Réforme ; elle trouva des
dénonciateurs en Sorbonne ; elle en trouva également à la Cour. Le connétable de
Montmorency, parlant au roi de la nécessité de purger d’hérétiques le royaume,
ajouta qu’il lui faudrait commencer à la Cour même et par ses proches, et il
nommait la reine de Navarre. « Ne parlons point de celle-là, dit le roi,
elle m’aime trop : elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne
prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. »
Ce mot
résume le vrai : Marguerite ne pouvait être d’une autre religion que son frère,
et Bayle a très bien remarque, dans une très belle page, que plus on refuse à
Marguerite d’être unie de doctrine avec les protestants, plus on est forcé
d’accorder à sa générosité, à son élévation d’âme et à son humanité pure. Par
son instinct de femme, elle comprit à l’avance la tolérance comme L’Hôpital,
comme
Henri IV, comme Bayle lui-même. Au point de vue
de l’État, il peut y avoir quelquefois danger dans le sens de cette tolérance
trop confiante et trop absolue : cela parut bien, du temps de Marguerite, à
cette heure critique où la religion de l’État, et, partant, la constitution
d’alors, faillit être renversée. Et pourtant il est bon qu’il y ait de telles
âmes éprises avant tout de l’humanité, et qui insinuent à la longue la douceur
dans les mœurs publiques et dans des lois restées jusque-là cruelles : car plus
tard, aux époques même de sévérité recommençante, la répression, quand elle est
commandée par des raisons supérieures de politique, se voit forcée de tenir
compte de cette humanité introduite dans les mœurs, et de la tolérance acquise.
Ces rigueurs des âges suivants, ainsi adoucies et tempérées comme elles le sont
par les mœurs générales, eussent été les bienfaits des siècles passés : il y a
des points gagnés au civil qui ne se perdent plus.
Les contes et nouvelles de la reine de Navarre n’ont rien, comme on le pourrait croire, qui soit tant en désaccord et en contradiction avec sa vie et avec la nature habituelle de ses pensées. M. Génin a déjà fait cette judicieuse remarque, et une lecture attentive ne peut que la justifier. Ce ne sont pas des gaietés ni des péchés de jeunesse que ces contes ; elle les fit dans un âge très mûr ; elle les écrivit la plupart dans sa litière, en voyage, et par manière de délassement ; mais le délassement avait du sérieux. La mort l’empêcha de les terminer : au lieu de sept journées qu’on a, elle en voulait réellement faire dix à l’exemple de Boccace ; elle voulait donner non un Heptaméron, mais bien un Décaméron français. Elle suppose, dans son prologue, que plusieurs personnes de condition, tant de France que d’Espagne, s’étant réunies au mois de septembre aux bains de Cauterets, dans les Pyrénées, se séparèrent après quelques semaines ; que ceux d’Espagne s’en retournèrent le mieux qu’ils purent par les montagnes, mais que les Français furent empêchés dans leur chemin par la crue des eaux qu’avaient causée de grandes pluies. Un certain nombre de ces voyageurs, hommes ou femmes, après diverses aventures plutôt extraordinaires qu’agréables, se retrouvent réunis de nouveau à l’abbaye de Notre-Dame-de-Sarrance, et là, comme la rivière du Gave n’était pas guéable, on décide d’établir un pont :
L’abbé, dit le conteur, fut bien aise qu’ils faisaient cette dépense, afin que le nombre des pèlerins et pèlerines augmentât, les fournit d’ouvriers, mais il n’y mit pas un denier, car son avarice ne le permettait. Et pour ce que les ouvriers dirent qu’ils ne sauraient avoir fait le pont de dix ou douze jours, la compagnie, tant d’hommes que de femmes, commença fort à s’ennuyer…
Il s’agit donc d’employer ces dix ou douze jours à quelque
occupation « plaisante et vertueuse »
, et l’on s’adresse pour
cela à une dame Oisille, la plus ancienne de la compagnie. Cette dame Oisille
répond de la manière la plus édifiante :
Mes enfants, vous me demandez une chose que je trouve fort difficile, de vous enseigner un passe-temps qui vous puisse délivrer de vos ennuis ; car, ayant cherché le remède toute ma vie, n’en ai jamais trouvé qu’un, qui est la lecture des Saintes Lettres, en laquelle se trouve la vraie et parfaite joie de l’esprit, dont procède le repos et la santé du corps.
Pourtant cette joyeuse compagnie ne peut s’en tenir absolument à un si austère régime, et il est convenu qu’on fera un partage du temps entre le sacré et le profane. Dès le matin, la compagnie se rassemblera dans la chambre de Mme Oisille pour assister à sa leçon morale, et de là ira entendre la messe ; puis on dînera à dix heures ; après quoi, s’étant retiré chacun en sa chambre pour ses affaires particulières, on se réunira sur le pré à midi :
Et s’il vous plaît que tous les jours, depuis midi jusques à quatre heures, nous allions dedans ce beau pré, le long de la rivière du Gave, où les arbres sont si feuillés que le soleil ne saurait percer l’ombre ni échauffer la fraîcheur ; là, assis, à nos aises, dira chacun quelque histoire qu’il aura vue ou bien ouï dire à quelque homme digne de foi.
Car il est bien entendu qu’on ne dira que des histoires vraies et non inventées à plaisir : on se contentera, quand il le faudra, de déguiser les noms des pays et des gens. La compagnie étant au nombre de dix, tant hommes que femmes, et chacun faisant par jour son histoire, il s’ensuivra qu’au bout de dix jours on aura achevé la centaine. Chaque après-midi, vers la fin de la joyeuse séance, à quatre heures, la cloche sonne, qui avertit qu’il est temps d’aller aux vêpres ; la compagnie s’y rend, non sans avoir fait attendre quelquefois les religieux qui s’y prêtent de bonne grâce. Ainsi s’écoule le temps sans que personne croie avoir passé la mesure de la gaieté permise ni avoir fait un péché.
Les contes de la reine de Navarre n’ont rien qui jure absolument avec ce cadre et
avec ce dessein. Chaque histoire est l’objet d’une moralité, d’un précepte bien
ou mal déduit ; chacune est racontée à l’appui d’une certaine maxime, de quelque
thèse en question sur la prééminence de l’un ou de l’autre sexe, sur la nature
et l’essence de l’amour, et comme exemple ou preuve (souvent très contestable)
de ce qu’on avance. Pruderie à part, dans ces histoires, il n’y en a pas
beaucoup de réellement jolies. Les sujets sont ceux du temps, et il y a un
moment où l’on s’écrie avec dame Oisille : « Mon Dieu ! ne serons-nous
jamais hors des contes de ces moines ? »
On sent que même les
honnêtes gens et les femmes comme il faut de ce temps-là sont, quoi qu’ils
fassent, des contemporains de Rabelais. D’ailleurs, tout
cela est à bonne fin. Il y a dans le détail de l’esprit, de
la subtilité dans les discussions qui servent d’épilogue ou de prologue à chaque
récit. La plupart des histoires, en tant que vraies, vont sans aucun art, sans
composition, sans dénouement. On a très peu imité la reine de Navarre dans les
contes en vers qui se sont faits depuis, et elle n’y prête en effet que
médiocrement. La Fontaine ne l’a mise à contribution qu’une fois et en ce
qu’elle a, je crois, de plus piquant, dans le conte de La Servante
justifiée. Il s’agit, chez Marguerite, d’un marchand, d’un tapissier de
Tours qui s’émancipe auprès d’une autre que sa femme, et qui est aperçu par une
voisine ; craignant que celle-ci ne jase, ce tapissier, « qui savait,
dit-on, donner couleur à toute tapisserie »
, s’arrange de manière à
ce que bientôt sa femme consente comme d’elle-même à faire une promenade au même
endroit ; si bien que, lorsque la voisine veut ensuite raconter à la femme ce
qu’elle a cru voir, celle-ci lui répond : « Hé ! ma commère, c’était moi ! »
Ce c’était moi, répété
plusieurs fois et sur plus d’un ton, devient comique comme un mot de la farce de
Patelin ou d’une scène de Regnard : mais il y a très peu
de ces mots-là dans les contes de Marguerite.
Une question qui s’élève à la lecture de ces contes, image et reproduction fidèle de la bonne compagnie d’alors, c’est combien il est singulier que le ton de la conversation ait tant varié aux différentes époques chez les honnêtes gens, avant de se fixer à la délicatesse véritable et à la décence. La conversation élégante date de plus loin qu’on ne suppose ; la société polie a commencé plus tôt qu’on ne croit. Le caractère de la conversation comme nous l’entendons en société, et ce qui la distingue chez les modernes, c’est que les femmes y ont été admises ; et c’est ce qui fait qu’au Moyen Âge, aux beaux moments, dans certaines cours du Midi, en Normandie, en France ou en Angleterre, il a dû y avoir de la conversation charmante. Dans ces châteaux du Midi, où s’égayaient les troubadours et d’où il nous est venu de si doux chants, lorsque l’on composait d’exquises et ravissantes histoires comme celle d’Aucassin et Nicolette, il dut y avoir aussi toutes les délicatesses et toutes les grâces qu’on peut désirer en causant. Mais, à prendre les choses telles qu’elles nous apparaissent en France à la fin du xve siècle, on remarque un mélange, une lutte très sensible entre le pédantisme et la licence, entre le raffinement et la grossièreté. Le joli petit roman de Jehan de Saintré, où l’idéal chevaleresque se peint encore au début dans ce qu’il a de plus mignon, et qui prétend offrir un petit code en action de la politesse, de la courtoisie, de la galanterie, en un mot de l’éducation complète d’un jeune écuyer du temps, ce joli roman est rempli aussi de préceptes pédantesques, d’articles d’un cérémonial minutieux, et, vers la fin, il tourne tout à coup à la grossièreté sensuelle et au triomphe du moine selon Rabelais. Cette veine de licence et de gaillardise qui n’avait cessé de courir dès l’origine, mais qui, aux heures brillantes et dans les belles compagnies, avait dû se recouvrir sous le chevaleresque, se démasqua au commencement du xvie siècle, et elle sembla emprunter de la Renaissance latine une audace de plus. C’est le temps où les honnêtes femmes disent et débitent hautement des contes à la Roquelaure. Tel est le ton de société que les nouvelles de Marguerite de Navarre nous rendent d’autant plus naïvement que le but n’en est nullement déshonnête. Il faudra près d’un siècle pour réformer complètement ce vice de goût ; il faudra que Mme de Rambouillet et sa fille viennent morigéner la Cour, que des professeurs de bon ton et de politesse, tels que Mlle de Scudéry ou le chevalier de Méré, s’appliquent pendant des années à prêcher le décorum : et encore trouverait-on bien des retours et des vestiges de grossièreté tout au travers de leur raffinement et de leur formalisme. Le beau moment est celui où, par une inclinaison soudaine de la saison, les lumières et l’esprit se répandant tout d’un coup d’une manière plus riche et plus égale sur toute une génération d’esprits vigoureux, l’on revient vivement au naturel et où l’on peut s’y abandonner sans contrainte. Ce beau moment date du milieu du xviie siècle, et l’on ne se figure rien de comparable aux conversations de la jeunesse des Condé, des La Rochefoucauld, des Retz, des Saint-Évremond, des Sévigné, des Turenne. Quelles heures parfaites que celles où Mme de La Fayette entretenait Madame Henriette couchée après le dîner sur des carreaux ! On arrive ainsi, à travers le plus grand siècle, à Mme de Caylus, la nièce aisée et souriante de Mme de Maintenon, à cette perfection légère où, sans y songer, l’esprit ne se retranche rien et observe tout.
Dans la seconde moitié du xviie siècle, il n’y avait plus que Mme Cornuel à qui l’on passât les grosses paroles à cause de l’esprit et du sel qu’elle y mettait. De tout temps, les honnêtes femmes ont dû écouter et entendre plus de choses qu’elles n’en disent ; mais le moment décisif et qui est à noter, c’est celui où elles ont cessé de dire elles-mêmes ces choses inconvenantes, et de les dire au point de les fixer ensuite par écrit sans songer qu’elles manquaient à une vertu.
C’est à ce point précis de la société, et pour ce monde devenu plus chatouilleux, que La Fontaine a donné le précepte encore plus sûrement que l’exemple, en d’agréables vers souvent cités :
Qui pense finement et s’exprime avec grâceFait tout passer, car tout passe ;Je l’ai cent fois éprouvé :Quand le mot est bien trouvé,Le sexe, en sa faveur, à la chose pardonne :Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.Vous ne faites rougir personne,Et tout le monde vous entend.
Voilà ce que la reine Marguerite, comme romancier et auteur de nouvelles, n’eut point l’art de deviner. Comme poète, elle n’a rien de remarquable que la facilité. Elle imite et reproduit les diverses formes de poèmes en usage à sa date. On raconte que bien souvent elle occupait à la fois deux secrétaires, l’un à écrire les vers français qu’elle composait impromptu, et l’autre à écrire des lettres. Il est peu de ses vers, en effet, qui n’aient pu être composés de cette façon. Ne lui demandez rien de ces éclairs de talent et de passion qu’on rencontre chez sa jeune contemporaine Louise Labé, la Belle Cordière. Voici pourtant d’elle un assez joli dizain inédit, que M. Le Roux de Lincy nous a donné ; elle veut dire qu’il vaut mieux ne rien accorder à un amant que de lui octroyer la moindre petite faveur dont il va se prévaloir à l’instant pour vous faire faire du chemin :
Baillez-lui tout ce qu’il veut maintenant,Soit le parler, soit l’œil, ou soit la main,Et vous verrez en lui incontinentAutre vouloir que de cousin germain.Voire s’il peut, sans attendre à demain,Il vous priera d’une grâce lui faire,Qu’une heure avant eût désiré de taire,Feignant de peu se vouloir contenter.À tels amis a toujours à refaire ;Le plus sûr est de ne point les hanter.
Ce dizain très moral pourrait trouver place aussi bien dans les contes de la reine de Navarre, et la dame Oisille ou la dame Parlamante pourraient le citer en réponse à quelqu’un des cavaliers trop entreprenants.
Marguerite mourut au château d’Odos en Bigorre, le 21 décembre 1549, dans sa cinquante-huitième année ; elle s’écria trois fois Jésus ! en rendant le dernier soupir. Elle fut la mère de Jeanne d’Albret.
Telle que je viens de la montrer dans l’ensemble, en fâchant de ne pas forcer les traits et en évitant toute exagération, elle a mérité ce nom de gentil esprit, qui lui a été si universellement accordé ; elle a été la digne sœur de François Ier, la digne patronne de la Renaissance, la digne aïeule de Henri IV par la clémence comme par l’enjouement, et, dans l’auréole qui l’entoure, on aime à lui adresser ce couplet que son souvenir appelle et qui se marie bien avec sa pensée :
Esprits charmants et légers qui fûtes de tout temps la grâce et l’honneur de la terre de France ; qui avez commencé de naître et de vous jouer dès les âges de fer, au sortir des horreurs sauvages ; qui passiez à côté des cloîtres et qu’on y accueillait quelquefois ; qui étiez l’âme joyeuse de la veillée bourgeoise, et la fête délicate des châteaux ; qui fleurissiez souvent tout auprès du trône ; qui dissipiez l’ennui dans les pompes, donniez de la politesse à la victoire, et qui rappreniez vite à sourire au lendemain des revers ; qui avez pris bien des formes badines, railleuses, élégantes ou tendres, faciles toujours, et qui n’avez jamais manqué de renaître au moment où l’on vous disait disparus ! les âges, pour nous, deviennent sévères ; le raisonner de plus en plus s’accrédite ; tout loisir a fui ; il y a, jusque dans nos plaisirs, un acharnement qui les fait ressembler à des affaires ; la paix elle-même est sans trêve, tant elle est occupée à l’utile ; jusque dans les journées sereines, les arrière-pensées et les soins sont en bien des âmes : c’est l’heure ou jamais du réveil, c’est l’heure encore une fois de surprendre le monde et de le réjouir ; vous en avez su de tout temps la manière, toujours nouvelle : n’abandonnez jamais la terre de France, Esprits charmants et légers54 !