I
Le génie est revêtu d’une sorte d’inviolabilité qui commande le respect, même dans ses écarts et ses chutes ; il serait quelquefois cruel et presque impie de lui appliquer à la rigueur les sentences d’une critique trop austère. En s’élevant à une immense hauteur, il prend d’avance le droit de faiblir, et, après avoir ravi l’enthousiasme, il peut à son tour réclamer l’indulgence comme une justice. Si nous avions eu l’honneur d’être contemporains des derniers jours du grand Corneille, si nous avions eu à parler de ces productions malheureuses dans lesquelles sa vieillesse se complaisait avec une candeur si naïve, il nous semble que nous n’eussions pas dit toute notre pensée, et que nous n’eussions pas dû la dire. L’Agésilas et l’Attila, se seraient offerts à nous escortés et protégés des souvenirs du Cid, de Pompée, des Horace. Si un hélas ! nous fût tout bas échappé, nous eussions retenu du moins ce holà ! si dur et si mortel au cœur du vieil athlète. Quand l’auteur octogénaire de Tancrède et de Zaïre recevait en plein théâtre une couronne et un triomphe, qui songeait à censurer Irène ? qui songeait à l’écouter ? Et qu’une critique même équitable et modérée de cette triste pièce, si elle eût paru le lendemain de la représentation, eût à bon droit été jugée chétive, misérable, et digne à peine d’un Fréron ou d’un Clément ! Sans remonter si haut, si de nos jours le vénérable Goethe, dérogeant une fois à cet esprit de sagesse et d’à-propos qu’il sait porter en toutes choses, s’avisait sur la fin de sa carrière d’un effort malencontreux, qui de nous aurait le courage ou plutôt la lâcheté de relever sans pitié l’illusion du grand poëte, et de rompre par de rudes et inutiles vérités le calme religieux dans lequel il jouit de sa gloire ? Tout en admirant chez Walter Scott un génie rare que nous avons assez exalté, nous ne prétendons pas le placer encore parmi ces deux ou trois privilégiés de chaque siècle, qui méritent d’être abordés jusqu’à leur dernier jour avec tant d’égards, de ménagements, de complaisance, et envers qui l’on a déjà les sentiments graves de la postérité confondus avec ce je ne sais quoi d’affectueux et de reconnaissant qu’inspire un grand homme aux contemporains dignes de l’entendre. Quoiqu’il ait parcouru la plus brillante moitié de sa route, et qu’il ne doive point, selon toute apparence, se surpasser désormais, il n’a pas atteint cet âge où une critique sévère afflige en pure perte ; et, dès qu’elle peut encore lui être utile, elle reste suffisamment légitime. D’ailleurs la distance des lieux autorise bien des familiarités qu’on ne se permettrait pas de près avec le génie, et il arrive ici précisément l’inverse du fameux adage : Major e longinquo reverentia. On en a déjà fait la remarque dans ce journal : ce qu’on ne dirait pas sans inconvenance à Paris au plus célèbre, au plus éloquent, au plus chéri de nos écrivains, on le dira fort civilement, d’un rivage à l’autre de la Manche, à un baronnet écossais. Mais cette franchise elle-même a des bornes, et l’homme qui s’est immortalisé par vingt chefs-d’œuvre ne perd jamais ses prérogatives. L’auteur des Eaux de Saint-Bonan et du Château de Woodstock est toujours celui des Puritains et d’Ivanhoé ; et il ne faut pas qu’en lui présentant à nu, et, pour ainsi dire, en disséquant devant lui ses chétifs derniers-nés, on le contraigne trop malignement à rougir des marques de l’infirmité humaine. Il n’y aurait qu’un cas où toutes ces distinctions, qu’on trouvera peut-être subtiles, mais qui se rattachent, selon nous, à la partie morale de la critique, deviendraient aussi funestes que ridicules, et où la vérité seule devrait parler, dure, amère, inexorable. C’est celui où l’homme de génie, cédant à d’ignobles motifs, et par cupidité ou mauvaise foi, ferait de méchants livres qui seraient de méchantes actions, et, soit pour satisfaire ses haines, soit pour payer ses dettes, s’en irait à la légère ou sciemment altérer des faits, dénaturer des intentions, calomnier, rapetisser des générations fortes et grandes, en un mot dans une compilation indigeste falsifier l’histoire au profit de ses préjugés, ou qui pis est à son profit. Quand Voltaire, pour attaquer le christianisme, tronquait et supprimait des textes, il obéissait à la haine ; et, quoiqu’il soit fort peu philosophique de haïr, c’est là du moins une passion qui, à la prendre en un certain sens, peut s’appeler désintéressée. Walter Scott dans sa Vie de Bonaparte n’a plus même en sa faveur, je ne dirai pas cette excuse, mais cette sorte d’explication qui convenait aux Lettres de Paul : il a été poussé cette fois par quelque chose de plus simple et de plus vulgaire encore que la haine ; chez lui, ç’a été calcul, et non colère. Il a spéculé en grand sur sa renommée, et il a tout bonnement voulu escamoter une souscription à l’Europe. Par malheur, on s’est douté d’avance du manège. Depuis un an environ que les journaux répètent de mois en mois la fastueuse annonce, chacun se demande avec défiance quels documents officiels, quels personnages instruits, Walter Scott a consultés, quelles communications particulières il a reçues. Un voyage de huit jours à Paris durant lequel le discret auteur s’est constamment tenu sur la défensive contre les renseignements qui allaient à sa rencontre, n’a fait illusion à aucun d’entre nous, badauds de Paris, comme il nous appelle. L’Histoire paraît enfin, qui confirme et surpasse toutes les conjectures. De la légèreté, de la précipitation, de l’ignorance, de la mauvaise foi, un reste de vieille rancune, pas un trait de talent, un ton et un goût détestables, en voilà le sincère et triste résumé. On concevra maintenant pourquoi de notre part tant de préliminaires. Nous sentions le besoin de justifier, aux yeux de nos lecteurs et aux nôtres, les expressions de profond mépris qui éclateront plus d’une fois dans notre jugement sur ce pitoyable ouvrage. Tant pis après tout pour l’homme de génie qui ne respecte ni le public, ni la vérité, ni lui-même : il délie les autres du devoir de le respecter. Sir Walter Scott a parfaitement compris que l’histoire de Napoléon ne commence pas, comme celle d’un individu obscur, le jour même de sa naissance, et qu’avant de l’introduire sur la scène du monde, il importe de décrire cette scène, destinée à le recevoir, ce XVIIIe siècle, dont il partagea les opinions, cette Révolution française dont il suspendit les effets. Mais il a compris la chose en auteur qui veut allonger son livre, et non le composer : c’est pourquoi il a entassé dans son Introduction force anecdotes, bons mots, récits de détails, exposés de doctrines religieuses ou politiques, sarcasmes croisés contre les philosophes et les papistes ; nulle part, il n’a placé ces vues générales qui caractérisent l’historien et révèlent en lui l’intelligence de son sujet. On s’étonnera, par exemple, qu’il considère la Révolution comme terminée à la mort de Robespierre. Pour nous, avouons-le, nous ne sommes pas fâché de la bévue, car si le fécond écrivain avait soupçonné que cette maudite Révolution continuait Toujours même après la Terreur, il aurait pu, par mégarde, laisser couler de sa plume une couple de volumes de plus, et en vérité le nombre en est déjà bien honnête. Faire, à propos d’un pareil livre, une critique d’ensemble serait perdre sa peine : il suffit pour le ruiner d’en extraire quelques passages. Qu’on ne croie pas, au reste, que nous songions à épuiser la matière. Ce que nous citons est sans préjudice pour ce que nous ne citons pas. Si l’on voulait relever tout ce qu’il y a de faux et d’inexact dans les six volumes in-8° que nous avons sous les yeux, il en faudrait écrire au moins six autres.
— Tome Ier, pages 53 et suivantes :
« Reçus dans la société des nobles et des riches, à titre de tolérance, les gens de lettres du XVIIIe siècle n’y tenaient pas un rang beaucoup plus élevé que les musiciens ou les artistes dramatiques, parmi lesquels se sont trouvés souvent des hommes de talent et de réputation que les meilleures sociétés attirent à elles, pendant que la profession à laquelle ils appartiennent reste généralement exposée au mépris et à l’humiliation. »
A quoi pensaient donc MM. De Montesquieu, de Buffon, de Saint-Lambert, de Vauvenargues, de Tressan, Helvétius, Hénault, de Chastellux, de Boufflers, de Condorcet, de Mirabeau père et fils, etc., etc., en briguant la livrée de gens de lettres ? Voilà vraiment de bien bonnes familles déshonorées.
« Les dames de qualité, tout en accordant un sourire (Il est modeste le sourire !) aux hommes de lettres ; et les personnages titrés, en les admettant à leur intimité, n’en demeuraient pas moins persuadés que ces hommes n’étaient point formés comme eux des éléments choisis de la terre (from porcelain clay of earth). »
A quoi pensiez-vous donc, mesdames du Châtelet, de Tencin, du Défiant, de Puisieux, d’Épinay, d’Houdetot, etc., etc., d’accorder de si charmants sourires à des êtres formés d’un si grossier limon ?
« Sous le poids accablant de cette infériorité humiliante, l’homme de lettres devait quelquefois aussi comparer d’un œil jaloux ces palais somptueux, ces tables splendides où on lui faisait la grâce de l’admettre, avec son modeste appartement garni et ses moyens précaires d’existence. »
Les châteaux de La Brède, de Montbard, de Ferney, de Voré, des appartements garnis ! Peste ! vous êtes difficile, monsieur d’Abbotsford ; mais peut-être vous êtes-vous rappelé que d’Alembert avait chez sa vitrière une chambre garnie, laquelle, par parenthèse, il ne voulut échanger ni contre un entresol à Postdam, ni contre un beau logement à l’hôtel de Tencin.
« De là ces recherches fréquentes de l’origine des distinctions parmi les nommes, ce système a opposition violente au régime existant, ces appels à l’état primordial de la société, ces revendications de l’égalité primitive ; de là ces ingénieux arguments, ces éloquentes tirades en faveur de la sauvage indépendance des premiers temps. »
Admirez-vous maintenant l’influence des appartements garnis sur les cerveaux humains et les destinées sociales ?
« Les patriciens lisaient ces écrits, et leur accordaient volontiers ce sourire de compassion qu’ils eussent donné aux rêveries d’un poète en délire. »
L’heureux temps pour les gens de lettres ! Tout à l’heure les grandes dames leur souriaient par complaisance, et voilà que les grands seigneurs leur sourient par compassion : si les pauvres diables avaient eu tant soit peu d’esprit, il y avait là de quoi les faire mourir de rire. Un peu plus loin, il est vrai, l’auteur paraît regretter que le patronage qu’exerçaient les grands envers les philosophes soit souvent allé jusqu à l’intimité réciproque ; que devient la compassion, alors ?
« Plus le XVIIIe siècle avançait, plus les littérateurs acquéraient d’importance et de crédit. Certains de leur influence sur une société qui ne pouvait goûter que par eux les plaisirs de l’esprit, ils réunirent leurs communes prétentions à ce qu’on appelait dès lors la dignité d’un homme de lettres. Sous ce rapport ils dépassèrent bientôt toutes les bornes, et manifestèrent, jusque dans le salon de leurs patrons, un fanatisme d’opinion, une hauteur dogmatique, et un langage qui obligea le vieux Fontenelle lui-même à confesser qu’il était épouvanté de cet excès de suffisance que l’on remarquait partout dans la société. »
L’auteur a bien raison de dire le vieux Fontenelle : car aux sombres couleurs qu’il emploie, nous, nous pensions déjà à la fin du XVIIIe siècle, et la longévité de Fontenelle aurait peine à y atteindre. Faut-il rappeler à l’historien que le philosophe était mort en 1757, et qu’on ne peut, sans un grossier anachronisme, donner une interprétation aussi grave au mot satirique du spirituel et poli vieillard ? Mais sir Walter Scott n’y regarde pas de si près ; et deux pages plus loin, pour prouver l’immoralité du siècle, il allègue les Mémoires de madame Roland, dont il compare le ton à celui d’une courtisane de haut parage.
« Quelques écrivains du premier ordre, Montesquieu lui-même, se sont délassés de leurs profondes recherches sur l’origine des gouvernements, et de leurs abstractions philosophiques, par des contes impudiques, propres à enflammer les passions. »
Serait-ce le piquant badinage des Lettres persanes ! Serait-ce la fade
et froide allégorie du Temple de Gnide, qui scandalise si fort la
pruderie du romancier presbytérien ? Aurait-il été déterrer le mauvais conte
d’Arsace et Isméme pour avoir le droit de ranger Montesquieu parmi les
conteurs impudiques ? Et Rousseau aussi ! Rousseau accusé de blesser la décence, d’outrager la morale ! Mais
pourquoi s’étonner ? Quand sir Walter Scott en viendra à la campagne d’Italie et à la
correspondance de Bonaparte avec Joséphine, il comparera le style étincelant de ces
lettres au langage d’un berger arcadien, et il ajoutera ces singulières paroles qu’on
croirait entendre sortir des lèvres froncées d’une milady autour d’une table à
thé : « Nous ne pouvons nous dispenser de dire que dans certains passages,
qu’assurément nous ne citerons pas, cette correspondance offre un ton d’indélicatesse
(indelicacy) que, malgré l’intimité du lien conjugal, un mari
anglais n’emploierait pas, et qu’une femme anglaise ne regarderait pas comme
l’expression convenable de l’affection conjugale. »
Risum teneatis… Maintenat que nous avons un échantillon du XVIIIe selon sir Walter Scott, prenons une idée du tableau qu’il trace de
la révolution francaise :
« La définition du tiers état par Sieyes fit fortune, au point que les notables demandèrent que les députés du tiers fussent égaux en nombre aux députés de la noblesse et du clergé réunis, et formassent ainsi la moitié numérique des délégués aux États généraux. »
Mais on sait que l’Assemblée des notables se prononça contre le
doublement du tiers, et que le bureau présidé par Monsieur fut le seul
qui vota pour cette mesure. L’ouvrage fourmille d’erreurs de faits aussi palpables.
D’ailleurs, à quoi bon attribuer à une brochure une puissance qu’elle ne tirait
elle-même que de l’opinion publique ? Il semble que, dans cette portion du livre,
l’auteur se soit proposé le problème d’expliquer les grands effets par les petites
causes, les insurrections populaires par la toute-puissance d’une caisse occulte, les révolutions législatives par les couteaux des dames de la Halle, les entraînements de parti par des calculs de peur ou de
vanité, les épouvantables convulsions de 93 par l’ascendant malin des trois ogres, Danton, Marat et Robespierre, qui jouent à peu près ici le rôle des nains
mystérieux de ses romans. Le tour de force n’était pas facile, et l’homme de génie n’a
pas réussi à s’en tirer même en homme d’esprit. Ce pauvre Louvet, à qui sir Walter Scott
en veut tant, et dont l’imagination romanesque voyait aussi partout complots,
machinations, arrière-pensées, arrangeait beaucoup plus habilement les choses, et
mettait plus d’art à combiner son rêve. Comme sir Walter aime à la folie les
comparaisons, il me permettra d’en faire une, et de trouver que sa manière de comprendre
notre Révolution ressemble exactement à la manière dont le matérialiste Lamettrie
comprenait l’homme physiologique, par des poids, des leviers, des soupapes et tout le
gros attirail d’une mécanique vulgaire. Cabanis, assez semblable à Louvet, allait plus
avant que le médecin mécanicien, et descendait jusqu’aux rouages délicats de
l’organisation. Mais ni Cabanis ni Lamettre n’appréciaient dans l’homme cette force
souveraine et profonde qui lui donne la vie et l’âme. Sir Walter Scott, avons-nous dit,
prononce la clôture de la Révolution à la mort de Robespierre ; mais il ne tient pas à
lui qu’elle n’ait été terminée plus tôt, et les projets de répression qu’il expose à ce
sujet n’eussent pas manqué, si on les avait suivis, de tout rétablir dans l’ordre dès la
journée du 14 juillet, qu’il appelle par inadvertance le 12 juillet. En effet, « Nous tenons d’un témoin oculaire digne de
confiance que, pendant l’attaque de la Bastille, une voix cria au milieu de la foule
que le régiment de Royal-Allemand s’approchait. Les mutins se montrèrent alors si
disposés à prendre la fuite, qu’ils se fussent assurément dispersés,
si un corps de troupes eût paru. »
Et ailleurs, « Il est bien vrai que,
si la sortie des Suisses (au 10 août) eût été appuyée par un corps suffisant de cavalerie, la Révolution eût pu être terminée ce jour-ci là. »
Et ailleurs, « Cinq cents hommes distingués par leur rang et leur bravoure, cinq
cents…., cinq cents seulement… de ceux qui cueillaient sous Condé des lauriers
stériles ou vivaient de la pitié des nations étrangères, réunis alors (après le 10
août et avant le 21 janvier) dans Paris, auraient été probablement soutenus par les
habitants de cette ville, et, en attaquant franchement les fédérés, auraient
peut-être, par un coup de main hardi, réussi à leur arracher leur victime. »
Et ailleurs, « La facilité avec laquelle les jacobins furent
dispersés par les sections (au 1er prairial) fit voir combien, à
d’autres époques, avec de l’accord et de la résolution, il eût été
aisé de triompher du crime. Si La Fayette eût attaqué franchement
le club des jacobins, il n’eût pas éprouvé plus de résistance que ces jeunes gens
exaltés, et il eût épargné au monde une longue suite d’horreurs. »
Jusqu’à
présent, on s’imaginait en France connaître passablement l’Assemblée constituante,
l’esprit qui l’avait animée, et les partis divers qui s’y étaient combattus. Mais voici
de nouvelles et importantes révélations qui sont dues à l’historien écossais. Et
d’abord, le jour de la première séance, il nous montre « tous les yeux fixés sur
les représentants du tiers état, vêtus d’un habit modeste, conformes à leur humble
naissance et à leurs occupations habituelles. »
Il nous apprend que, parmi ces
représentants, si modestement vêtus, se trouvaient beaucoup de gens de lettres
« qu’on a y avait appelés, parce qu’on les savait partisans de systèmes, la
plupart incompatibles avec l’état présent des choses ; que, dans le principe, ces
gens de lettres avaient été tenus à l’écart par les avocats et les financiers, leurs
collègues ; mais qu’à la fin ils avaient repris le dessus et s’étaient faits
républicains décidés » ;
— que pourtant ces républicains décidés, lesquels
étaient« d’un ordre plus élevé et de sentiments plus honorables »
— que
les jacobins de club, avaient surnommé ceux-ci « les enragés » ; — que néanmoins
il y avait dans l’Assemblée de furieux démagogues, désignés sous le nom de Montagne ; et que, « quand les jacobins de la Montagne
s’efforçaient d’interrompre Mirabeau par leurs rugissements, celui ci s’écriait d’une
voix de tonnerre : Silence aux trente voix ! et qu’à cet ordre le volcan rentrait dans
le repos, etc., etc.
» C’est ainsi que, dans les Mémoires récente, publiés sur
madame la princesse de Lamballe par une noble lady, on est informé qu au sein de
l’Assemblée constituante Robespierre menaça un jour Barnave de le faire guillotiner !
Parmi tant de graves découvertes, sir Walter Scott ne néglige pas les plus menus
détails ; il affecte d’entremêler son style de locutions françaises y et n’est pas moins
heureux investigateur sac ce point que dans le reste.
« L’Assemblée (constituante) abolit toutes les distinctions honorifiques, toutes les armoiries, jusqu’aux titres insignifiante de monsieur et de madame, locutions de pure courtoisie, si l’on veut, mais qui, réunies à d’autres semblables, rendent plus douces les relations ordinaires de la vie, et entretiennent cette urbanité de mœurs que les Français désignaient par l’expression heureuse de petite morale. »
Notez ce mot en passant, MM. de l’Académie ; et vous tous qui étudiez l’histoire, n’oubliez pas que l’Assemblée constituante abolit les titres de monsieur et de madame. Sir Walter Scott ne dit pas si elle décréta le tutoiement. Nous ne pousserons pas davantage aujourd’hui cette facile et dégoûtante critique. Une autre fois, nous aborderons la Vie même de Napoléon ; mais elle ne nous fournira malheureusement pas l’occasion de rétracter notre premier jugement et de faire amende honorable aux pieds du génie qui tant de fois reçut nos hommages sincères. Si cette principale partie de l’ouvrage offre moins d’absurdités choquantes et puériles, elle n’est pas écrite avec plus de vérité, ni surtout plus de talent. Quoiqu’il y ait une sorte d’impertinence à décider du style d’après une traduction, il est impossible de ne pas remarquer que sir Walter Scott, comme à plaisir et pour combler son œuvre de tous les ridicules, a pris un singulier travers. Personne ne doutait jusqu’ici que l’auteur des Vies de Dryden et de Swift n’eût le don des comparaisons ingénieuses : seulement on lui supposait assez de goût pour ne pas les prodiguer sans mesure ni les appliquer sans convenance. C’était trop bien présumer. Ce qu’un discours de Sancho Pança est en fait de proverbes, l’histoire de Walter Scott le réalise en fait de comparaisons. Toutes celles qu’il a recueillies dans son commerce avec les classiques grecs et latins, avec les voyageurs et les poëtes du jour, avec les oiseleurs, les chasseurs au renard, les pâtres et les braconniers de ses romans, il les entasse pêle-mêle dans cette production de détresse, à peu près comme au moment du naufrage on jette à l’eau bagages et trésors : Médée, Minerve, Prospero, Robin-Hood, des magiciens, des meutes, des lévriers, des corbeaux, des tigres, l’énorme serpent Anaconda, l'Oύτις 9 d’Homère, le Lope d’Aguirre, le Thalaba de Southey, et cela en présence de pareils événements et de pareils hommes ! on peut juger de la bigarrure : il n’y manque plus que la girafe.