(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »
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(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Mme de Girardin
Œuvres complètes, — Les Poésies.

I

Enfin, après tous les autres volumes qui ont successivement paru depuis sa mort, voici le premier volume des œuvres complètes de Mme Émile de Girardin. Nous avons cru deviner, quand nous rendîmes compte des Lettres parisiennes 7, la cause du retard de ce volume de poésies qui aurait dû, selon les us et coutumes de la librairie, être publié le premier, puisqu’il fut chronologiquement le premier livre de Mme de Girardin. Les portraits dont l’éditeur tenait à l’orner, — le plastique, par Chassériau, gravé sur acier par Flameng, le littéraire, par M. Théophile Gautier, et gravé sur velours, celui-là ! — n’étaient probablement pas prêts. Du reste, on peut se consoler de ce retard. Il est peut-être plus intéressant de remonter le courant d’une vie ou d’une pensée que de le descendre ! Il est peut-être, pour la Critique aux besognes routinières, plus piquant de tourner le dos à l’œuvre dernière, qui n’est bien souvent qu’une redite de ce qu’on avait mieux dit déjà, quand le génie, qui monte à chaque œuvre dans une assomption plus haute, n’y est pas, et de s’avancer à travers les succès équivoques et les œuvres laborieusement manquées, vers le premier instant du début heureux, cette fleur d’amandier qui n’a qu’un jour, la première fraîcheur de la source ! « Il n’y a de beau que les commencements », a dit une femme qui savait que le génie de son sexe n’est pas plus durable que sa beauté, et c’est cette beauté des commencements, c’est cette loi qui fait, chez la femme, quand il a le plus l’air d’exister, quelque chose d’aussi délicat, d’aussi fragile et d’aussitôt passé que l’humidité de ses yeux et le rose de sa joue, c’est cette loi que va nous démontrer aujourd’hui le volume de poésies de Mme de Girardin, qui furent ses commencements, à elle !

En effet, ces commencements ne furent pas simplement beaux, ils furent magnifiques. Rappelez-vous le moment de l’entrée dans la célébrité de Mme de Girardin, alors Mme Delphine Gay. L’histoire militaire venait de finir et l’histoire littéraire allait naître. Mme de Staël, ce grand poète en prose, — comme on peut l’être en prose, — qui avait fait chanter Corinne, n’existait plus… Tout à coup, comme pour nous consoler de cette perte et pour la réparer, se mit à jaillir dans la vie (le mot n’est pas trop fort pour dire l’impétuosité de cette jeunesse) une jeune fille qui, elle, chantait de vraies poésies, car elle parlait cette langue des vers que rien, dans l’ordre poétique, ne peut remplacer. Elle était belle à faire mourir de jalousie Mme de Staël, si elle n’avait pas été morte, et si cette âme grande de Mme de Staël n’avait pas admiré sincèrement Mme Récamier !

Ainsi elle n’était pas que poète, cette enfant, elle était aussi la poésie, et tout ce qui aimait la poésie en fut enivré. Elle-même s’enivra aux émotions qu’elle fit naître, mais tout le monde fut de si bonne foi que quand un jour, se croyant une Jeanne d’Arc poétique, elle se proclama Muse de la patrie, personne ne rit dans ce malin pays de France où le sentiment du ridicule est peut-être toute la gaieté. Il faut dire, il est vrai, que si le Français est né vaudevilliste, il est né aussi galantin, et que là où une prétention d’homme serait châtiée par le coup de fouet de l’éclat de rire, une prétention de femme, surtout lorsque cette femme est belle, est admise toujours. Mme Delphine Gay fut presque prise au mot qu’elle avait dit sur elle. Elle eut position sociale d’Inspirée. À la première représentation d’Hernani, quand elle parut sur le bord de sa loge, drapée d’azur, dans ses cheveux blonds, elle fut acclamée comme si elle avait été l’Archange de cette poésie romantique qui, ce soir-là, prenait possession de la scène… Elle ne faisait pas que des vers, mais elle les disait ! Elle en dit jusques au Capitole pour mieux être la Corinne de Mme de Staël. Ainsi, à ses propres yeux et aux yeux encharmés des hommes de son temps, elle était la réalité dont Mme de Staël avait fait le rêve, et elle était davantage encore, elle était les deux rêves à la fois de Mme de Staël, car elle avait le génie de Corinne et la beauté de Lucile Edgermond. Elle a peint ce moment de sa jeunesse dans des vers que M. Théophile Gautier, qui s’y connaît, a bien fait de citer, car ils sont d’une très belle image et d’un mouvement très-imposant :

Mon front était si fier de sa couronne blonde !
Anneaux d’or et d’argent, tant de fois caressés !
Et j’avais tant d’espoir quand j’entrai dans le monde,
        Orgueilleuse et les yeux baissés !

Cet orgueil aux yeux baissés, cette orgueil jeune fille est superbe et n’avait jamais été exprimé d’un trait plus profond et plus vrai… Certainement, rien n’a jamais valu ni pour elle, ni pour personne, ni au point de vue de la galerie et du succès, ni au point de vue de son émotion intérieure, ce moment unique… ce premier coup d’archet de l’ouverture d’une existence qui ressembla, hélas ! bien plus à un opéra qu’à la vie d’une femme, telle qu’elle doit être et qu’on pourrait la désirer. Et aux yeux de la Critique elle-même, aux yeux de la Critique qui vient trente ans après faire tomber de son doigt glacé la poudre rose, or et argent qui saupoudre encore ce que Delphine Gay a écrit, pour voir le vrai de ce qui est tracé sous cette poussière étincelante, ce moment est aussi le meilleur de sa pensée, et ce moment de Delphine Gay, Mme de Girardin a pu le regretter sans cesse, car elle ne le retrouva jamais !

II

Elle devint tout ce que nous l’avons vue depuis. Elle se maria, eut un salon, et de Corinne passa Mme de Staël, pour être toujours dans l’imitation qui a marqué sa vie d’un empêchement d’originalité. Sa mère l’avait nommée Delphine, par préoccupation de Mme de Staël, et elle resta éternellement timbrée de cette préoccupation de sa mère, qui était devenue la sienne… La poésie, qui se compose de sentiments exprimés avec plus ou moins de puissance, la poésie est si naturelle à la femme, être tout de sentiment, qu’une femme n’est pas nécessairement ce qu’on appelle un bas-bleu dans la langue littéraire, parce qu’elle fait seulement des vers. Pour suivre l’image acceptée, ce n’est encore qu’un bas lilas, c’est-à-dire qu’il y a en elle de la femme encore, de la grâce de femme, de la nuance légère ! Mais, quand elle écrit de gros ouvrages, et des romans en plusieurs volumes, et des tragédies et des comédies en cinq actes, alors elle est auteur dans le sens laborieux et disgracieux du mot, et le bas-bleu, cette affreuse chose, apparaît dans son foncé terrible. C’est ce qui arriva à Mme de Girardin après son mariage.

Au lieu de cet être poétique dont la prétention n’avait pas fait sourire et qui avait l’émotion de la jeunesse, quoiqu’elle la prit un peu trop pour la palpitation du génie, Mme de Girardin devint une femme littéraire, surabondamment littéraire, noircissant infatigablement du papier, comme le font tous les hommes et toutes les femmes de ce temps de production facile. Au milieu des livres qu’elle écrivit et qu’on ne lit déjà plus, un seul fut un chef-d’œuvre et restera, et justement parce qu’il n’est pas un livre, parce qu’au contraire il est (heureusement !) un oubli de littérature, parce qu’il ne fallait pour l’écrire que la première femme d’esprit venue, ce qui ne vient pas, du reste, tous les matins : ce furent les Lettres parisiennes. Nous avons loué sans réserve, ailleurs, ce commérage sur toute une société, le plus délicieux qu’on ait entendu depuis Mme de Sévigné, que Mme de Girardin surpasse souvent par l’agrément continu et le piquant gai du détail.

Selon nous, Mme de Girardin, dans ces lettres charmantes, est beaucoup plus femme d’esprit qu’elle n’avait été poète du temps de Mlle Delphine Gay ; mais être femme d’esprit, c’est plus et c’est moins que d’avoir du talent, et nous n’avons à juger aujourd’hui que le talent de Mme de Girardin et ses poésies. Les amis de son salon, qui, dans ce temps-là, il faut bien le dire, étaient les premiers esprits de France, se crurent obligés à faire du génie de ce talent — très relatif — et ils n’y manquèrent point ! Ce sont eux qui sont aujourd’hui responsables de ce qui reste de gloire encore à Mme de Girardin. Mais ils ne le seront pas longtemps. Nous pouvons être tranquilles, la notice de M. Théophile Gautier ne se recommencera pas. C’est une épitaphe très bien faite que cette Notice, mise sur ce monument des Œuvres complètes, — un tombeau !

Et elle est vraie… comme une épitaphe, mais comme une épitaphe écrite par un homme qui n’a pas la vulgarité hardie des faiseurs anonymes d’épitaphes, lesquels se soucient bien de l’opinion des promeneurs du Père-Lachaise. Il savait, lui, qu’il faudrait la signer de son nom, et il n’ignorait pas que ce nom signifie quelque chose qu’il est impossible de sacrifier… Voilà, par parenthèse, pourquoi M. Théophile Gautier, qui grave sur acier mieux que Flameng, a gravé, comme nous le disions plus haut, sur le velours… Sa Notice sur Mme de Girardin est un modèle d’adoucissement, d’euphémismes, de nuances très-fines, oh ! fines jusqu’au… rien ! à ce rutilant et truculent Gautier, obligé à vanter des tragédies jetées dans le vieux moule classique et écrites comme si le moule était si usé qu’il ne marque plus… Pour la Cléopâtre, il s’en tire habilement en nous donnant un médaillon de Cléopâtre, un Émail et Camée de sa façon : mais pour la Judith, il y reste, sentant bien, au fond de sa conscience, — poids fâcheux ! — que Mme de Girardin, imitatrice comme toute femme littéraire, soit qu’elle imite Shakespeare, soit qu’elle imite Racine, n’est que la Mme Campistron de tous les deux !

Elle fut aussi la Campistron d’Alfred de Musset dans La Faute du Mari ; mais elle ne le fut même pas de Molière dans Lady Tartuffe, comédie sans comique, écrite pour la tragédienne Mlle Rachel, mascarade d’un type d’homme qui ne peut jamais être un type de femme, car l’hypocrisie, odieuse dans l’homme parce qu’il est fort et qu’il n’a pas besoin d’être hypocrite, l’est beaucoup moins dans la femme, être faible, souvent opprimé. M. Gautier ne dit pas tout cela, bien entendu, mais sa notice n’empêchera pas qu’on le dise. Mais moi, par exemple, qui n’ai point de reconnaissance à garder envers la mémoire de Mme de Girardin, moi qui n’ai pas été reçu chez elle et qui n’ai pas bu dans les verres à champagne de ses soupers cette décoction de lotus qui fait oublier la Critique, j’oserai très bien écrire qu’en somme Mme de Girardin, cette Philaminte, mais sans le bourgeois, le cuistre et le grammatical de la Philaminte de Molière, Mme de Girardin, l’auteur des Deux amours, du Lorgnon, de La Canne de M. de Balzac, et dont les deux meilleures chosettes, La Joie fait peur et Le Chapeau d’un horloger, sont des comédies de paravent, ne fut guère qu’un talent de salon qui ne s’élevait pas beaucoup plus haut que les corniches.

Certes, Mme Delphine Gay valait mieux avec la spontanéité de sa jeunesse, travaillée déjà, car elle a toujours un peu posé, la Muse de la patrie, mais pas autant que quand elle eut un salon, ce fameux salon vert-de-mer où ce teint de blonde assassinait les brunes, ses amies, idée de femme que je trouve très jolie, et que je ne lui reproche pas, comme je lui reproche d’y avoir trop posé, dans ce salon, en Mme de Staël. Du reste, c’était le temps de la pose. M. Victor Hugo, qui se croyait le Napoléon de la poésie, avait un dais ; Mme de Girardin, disons-le à sa décharge, ne se permit pas un trône. Mais, n’importe ! j’aime mieux Delphine Gay ! oh ! gai !

III

Je l’aime mieux et j’ai dit pourquoi. Quand elle était seulement Delphine Gay, c’était son quart d’heure de poésie, et la femme, encore bien plus que l’homme, n’a que des instants de poésie, des instants qui sont des éclairs ! J’ai dit que c’était là une loi. C’est cette loi qu’il faut dégager… Née pour faire des choses très-différentes de celles que nous avons à faire dans la vie, — je ne voudrais pas écrire ce mot d’inférieure qui fait cabrer les amours-propres, — mais posée, dans la hiérarchie sociale et dans la famille, à une autre place que nous, la femme est et doit être le plus transitoire, le plus éphémère de tous les poètes, tandis que chez l’homme, au contraire, la poésie s’exalte par la vieillesse et atteint un degré sublime. Consultez l’histoire littéraire ! Y vîtes-vous jamais en femmes quelque chose comme le vieil Homère, le vieux Dante, le vieux Milton, le vieux Corneille, le vieux Gœthe ? Sapho, qui ne lance qu’un cri avant de se jeter à la mer, était jeune. La plume se refuserait à écrire jamais : la vieille Sapho.

C’est que pour l’homme et pour la femme, en raison d’organisations combinées pour des fonctions diverses, la poésie n’est pas aux mêmes sources. Pour l’homme, elle est partout, quand il sait la trouver, quand il a la mystérieuse baguette d’Aaron qui la fait jaillir, même des rocs ; mais pour la femme, la femme normale, que l’esprit monstrueux des décadences n’a pas dégradée, elle n’est que dans les deux seuls grands sentiments à sa portée : l’amour et la maternité. Or l’amour n’est qu’un sentiment de passage. Il s’en va avec la beauté et la jeunesse, laissant aux femmes qui ont vécu par lui les yeux pleins de ces larmes qui tacheraient l’honneur de la vieillesse, si on osait les essuyer avec des cheveux blancs !

La poésie de l’amour meurt donc avec l’amour chez la femme. Il reste l’amour des enfants qui peut chanter encore, qui peut chanter toujours : n’a-t-il pas chanté ainsi dans Mme Desbordes-Valmore ? Mais le plus souvent cet amour-là agit plus qu’il ne chanté. C’est mieux qu’une poésie, c’est une vertu. Mme de Girardin, qui n’eut point d’enfants et qui le regrette dans des vers qui disent comme elle les eût chantés si elle en avait eu, Mme de Girardin ne put pas être une Valmore, et quand elle cessa d’être Delphine Gay, la poésie qui était en elle, la seule poésie qu’elle pouvait avoir, le cri du cœur ou sa rêverie, l’émotion de vingt ans disparut… et pour faire place à l’industrie des vers, à l’application volontaire, au technique de la chose, enfin au métier !

Je suis convaincu qu’il en sera toujours ainsi, du reste. Je suis convaincu que le mariage, fatal à la poésie, même chez les hommes, — car la poésie veut presque des prêtres, et la rhétorique, qui appelle les poètes : prêtres d’Apollon, cache un sens profond, toute rhétorique qu’elle est ! — je suis convaincu que le mariage est bien plus fatal encore à la poésie chez la femme, même quand il est heureux, car alors il se substitue à la poésie ! Évidemment pour moi, Mme Delphine Gay aurait eu du génie, — le génie, par exemple, que ses amis, ses Séides de salon, lui ont attribué si longtemps, — que ce génie serait mort de son mariage. Seulement avait-elle du génie ? Et puisque nous tenons une épave de ce qu’elle a perdu, dans ce volume de poésies, publiées aujourd’hui, voyons si son naufrage, comme poète, est un si grand malheur à déplorer.

IV

Le volume en question est divise en trois parties : les Poèmes, les Poésies et les Improvisations. Les Improvisations, où le poète pleure sur le général Foy, chante le sacre du roi Charles X et quête pour les Grecs, ne méritent d’être mentionnées que pour prouver l’impuissance radicale de toute femme poète, quand il s’agit de chanter quoi que ce puisse être, en dehors de la maternité et de l’amour. La patrie elle-même n’existe qu’à travers l’époux et les enfants pour les femmes. Quand elles se croient des Muses de la patrie et qu’au lieu de sonner, pour les faire sourire, dans les trompettes de leurs petits, elles veulent sonner dans le clairon d’airain des Renommées, les femmes font une besogne aussi en harmonie avec leur organisation vraie que les belles et pauvres créatures qui, sur les routes de l’Albanie, cassent des pierres pour raccorder le chemin…

Malgré le succès qu’on lui fit, le talent ne se montre pas dans cette partie des œuvres de Mme Delphine Gay, ce talent qu’elle a, sans effort, dans beaucoup de fragments de ses poèmes et dans une partie de ses poésies, la partie, par exemple, qui est datée de 1828 et qui remonte au-delà.

Avant 1828, en effet, Mme Delphine Gay ressemble infiniment à ce que fut, vers le même temps, Mme Desbordes-Valmore, qui a fini par toucher son idéal dans une pureté d’éther. Elle est Empire, Malvina, clair de lune et romance ! Ce n’est pas un poète, c’est une harpiste. Dans tout ce qu’elle écrit, il y a de la harpe, de cet instrument suranné et comédien où, quand on les avait beaux, on mettait ses bras en espalier. Les titres seuls de ces Poésies préviennent et en donnent l’accent : c’est La Noce d’Elvire, La Druidesse, Chant ossianique sur la mort de Napoléon, La Tour du prodige, L’Ange de poésie, Ourika, L’Écho des Alpes, etc. ; mais en 1838 la voix s’est affermie et étendue. L’émotion vraie éclate, casse les cordes de la vieille harpe, et les bras veufs survivent dans le naturel de leur beauté ! Alors l’oiseau qui muait, l’oiseau de l’Élégie, ce bouvreuil à la gorge sanglante, a toutes ses plumes rouges sur le cœur, et dans le gosier, toutes ses notes déchirantes.

On peut vraiment presque tout citer des pièces intitulées : Il m’aimait, L’Une ou l’autre, le Rêve d’une jeune fille, Le Départ, le Découragement, le Désenchantement, L’Orage, le Conseil aux jeunes filles et La Nuit, la pièce la plus inspirée, où la femme malheureuse arrache son masque pour ne pas étouffer, sûre de n’être pas vue, et, quand vient l’aurore, le rejette sur sa figure avec une fougue si pathétique de main !

Mais il faut être juste, Mme Delphine Gay ne fut pas seulement une Élégiaque. C’est dans ses Poëmes qu’il faut chercher le fleuron de sa couronne fanée qui aurait pu être immortel. Parmi les poèmes qu’elle a laisses, deux surtout me frappent ; Magdelaine, d’une largeur de touche étonnante avec la tendresse du sujet, et parfois d’une vigueur d’invention encore plus étonnante pour un cerveau de femme, dont le destin est d’imiter, et Napoline, poëme personnel publié, il est vrai, en 1833, à l’époque où Mme Delphine Gay était devenue Mme Émile de Girardin, mais qui fut composé, croyons-nous, lorsqu’elle était jeune fille, et dans lequel, d’ailleurs, si elle ne l’était plus, elle exprimait des sentiments de jeune fille pour la dernière fois. Ce poème de Napoline, personnel de sujet, ne le fut point par la forme et par l’expression. S’il y a du singe dans la plus jolie femme, a dit un moraliste amer, il y en a peut-être aussi dans la femme du talent le plus sincère.

Napoline fut le don Juan, non ! mais la dona Juana d’une arrière-cousine de lord Byron. On trouve, en effet, dans ce poème, un mélange de cœur blessé et de mélancolie railleuse, de l’esprit du monde et de révolte contre lui, qui n’a pas, il est vrai, la fierté de la poésie du terrible, cousin que Mme de Girardin se donnait par ce poème, mais qui la compense par la grâce chaste d’une femme se souvenant encore qu’elle est femme, comme après ce poëme elle a pu l’oublier. M. Théophile Gautier a comparé ce poème, perdu dès son apparition dans le bouquet de la poésie romantique, qui éclatait (dit-il) avec un fracas lumineux, à une bombe à pluie d’argent… et c’est là une image juste et charmante qui donne le coloris du poëme et son effet… Évidemment, c’est là de toutes les poésies de Mme de Girardin, l’œuvre la plus réussie et la plus forte.

C’est donc l’auteur de Napoline qu’en face du bas-bleu, faisant métier d’écrivain, on doit particulièrement regretter. Tel est ici le dernier mot de la Critique sur Mme de Girardin. Si la vie de salon et de maîtresse de maison littéraire n’avait pas enivré son âme et faussé sa vocation en l’étendant, elle aurait pu être UNE poète, cette chose si rare que, pour la dire au féminin, il faut faire une faute de français !