(1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250
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(1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Ch. de Rémusat.
Abélard, drame philosophique

[I]

Les littératures en décadence sont impertinentes. Elles se permettent tout. Qu’est-ce que c’est qu’un « drame philosophique ?… » Hélas ! dans un certain sens, tout a sa philosophie dans le monde, même Athalie, dont un benêt philosophique disait pourtant : « Qu’est-ce que cela prouve ?… » Mais un drame philosophique ! La logomachie moderne pouvait seule inventer ce titre-là. Charles de Rémusat, le philosophe, — qui n’était pas seulement qu’un philosophe, mais un homme politique et un vaudevilliste, ce que j’estime infiniment plus (on a publié dernièrement quelques-unes de ses chansons), — Charles de Rémusat a voulu, par égard pour lui-même sans doute, que le mot de « philosophique » se retrouvât dans le titre d’un drame qu’il avait composé moins pour le théâtre et le grand public que pour se faire plaisir à lui-même, à sa famille et à ses amis. Ce drame, d’une longueur allemande, et, pour cette raison (et d’autres encore !), impossible à jouer, Charles de Rémusat — à ce qu’il paraît — le lisait parfois, de son vivant, aux personnes dévouées d’esprit et d’oreille à ses œuvres. Mais il fallait sa mort pour qu’il fût publié ; il fallait le respect de son fils, M. Paul de Rémusat, qui a voulu grandir la mémoire de son père, sentiment honorable mais peu critique, pour que ce drame sortît du demi-jour des confidences et vint hardiment prendre rang d’œuvre littéraire au grand soleil, parfois cuisant, de la publicité.

Je crains bien que M. Paul de Rémusat ne le trouve tel, ce soleil-là ! La Critique n’est la fille de personne que de la Vérité, et le plus noble langage d’un fils — fût-ce le Cid ! — qui publie un livre médiocre de son père, ne peut lui faire illusion, à elle, sur la médiocrité absolue d’une œuvre dont rien, littérairement, ne justifie la trop filiale publication. Les mères, peut-être, attendries par M. Paul de Rémusat, trouveront le drame de Charles de Rémusat un beau drame, mais nous, non ! Nous sommes des cerveaux avant d’être des cœurs… Charles de Rémusat, qui avait commencé par être un homme d’esprit, même en philosophie, mais qui s’était bientôt émoussé dans l’hébétante collaboration de la Revue des Deux Mondes, — ce mancenillier de l’ennui, — Charles de Rémusat, homme d’Académie et de groupe, qui fut toute sa vie un comparse ; qui, en politique, venait bien après Thiers, et en philosophie, bien après Cousin, a maintenant presque tout à fait disparu de la préoccupation publique, et, certes ! ce n’est pas le drame philosophique que voici qui l’y fera rentrer.

II

D’abord, ce drame (philosophique ou non, d’ailleurs,) n’est pas un drame. Vous rappelez-vous les États de Blois, de Vitet ?… de Vitet, un autre comparse des petits grands hommes de son temps, qui était le temps de Charles de Rémusat, un autre de ces esprits distingués qu’on distingue en leur temps, mais que, leur temps passé, on n’aperçoit même plus. Eh bien, l’Abélard de Rémusat est un livre à la façon de ces États de Blois de Vitet ! Triste façon, allez ! Je ne sache rien de plus facile et de plus misérable que ces sortes de placages, répétés par Flaubert dans sa Tentation de Saint Antoine, et qu’on pourrait appeler de l’imagerie historique et dramatique je ne sache rien qui soit au-dessous de ces compositions hybrides, dont la monstruosité est précisément de n’avoir pas de composition. Un grand talent peut s’y mêler pourtant. Il y a du talent, par exemple, dans le Cromwell de Victor Hugo, dans l’Ahasvérus de Quinet. Mais ni grand talent, ni même grand génie, ne sauraient arracher de telles œuvres à leur radicale, à leur irrémédiable infériorité. Quand Victor Hugo écrivait son Cromwell, il débordait de verve et de jeunesse, et il visait de ce coup de massue ce qu’on appelait alors : « le théâtre classique », pour en élever un autre sur ses débris. Tout cela nuisait et devait nuire à la justesse d’un esprit qui ne s’est jamais recommandé précisément par sa justesse. Mais à présent, quand toutes les expériences et applications ont été faites de la fausse Poétique dont le manifeste fut la préface du Cromwell, nous savons à quoi nous en tenir sur ces drames sans logique, ni dans l’espace ni dans le temps, qu’on nous a donnés pour un art nouveau, quand ce n’était qu’une impuissance. Charles de Rémusat, qui, en sa qualité de philosophe, aurait dû plus que personne se préoccuper de l’ordre et de la déduction nécessaires à toute œuvre de l’esprit, a oublié également l’un et l’autre dans la sienne… Au lieu de nous construire et de nous équilibrer un drame avec ses proportions harmonieuses, il s’est laissé couler et tomber dans le drame anarchique, grossier, élémentaire, qui lâche tout et ne s’astreint à rien, et est bien moins l’ensemble qu’on appelle un drame digne de ce nom, qu’une puérile succession de spectacles. C’était plus commode, en effet… Seulement, dans le Cromwell et dans l’Ahasvérus, tout informes ou difformes qu’ils soient, le spectacle est quelquefois passionné et poétique. Ils rachètent par d’incontestables beautés les incohérences et les confusions, — ces épouvantables confusions qui embarbouillent parfois jusqu’au génie de Shakespeare lui-même, cet albatros qui dort trop souvent dans les nuages, mais qui s’y réveille avec de si sublimes cris ! Malheureusement, il n’y a pas de ces cris-là, il n’y a pas de ces beautés dans l’œuvre posthume qu’on a publiée de Charles de Rémusat, tête, en somme, de peu de poésie, lettré philosophique à sang blanc et froid, et dont la froideur et la blancheur se retrouvent dans l’Abélard du drame comme dans l’Abélard du traité qui porte ce nom.

Car, tout le monde l’a su, si tout le monde l’oublie, Charles de Rémusat a fait un traité sur la philosophie d’Abélard. Depuis très longtemps et toute sa vie, Charles de Rémusat a été travaillé par cette personnalité d’Abélard, et il en a tracassé en deux gros volumes les doctrines et l’histoire. Charles de Rémusat appartient à la troupe des philosophes de ce pauvre temps, stériles comme des architectes, qui ne pensent point par eux-mêmes et qui vouent leur stérilité à des monographies et à des commentaires. Ils gardent et montrent le sérail d’autrui… Abélards eux-mêmes, naturellement et sans crime î Charles de Rémusat ne s’est pas contenté d’écrire la monographie d’Abélard, il a écrit celle de saint Anselme3, et même celle de bien d’autres, pour le dictionnaire de la Revue des Deux Mondes. Mais, de tous les philosophes à philosophie dont ce philosophe sans philosophie s’est occupé, celui qui l’a tenu le plus fort, celui qui a le plus secoué sa pensée, c’est Abélard. Il a été vraiment, celui-là, son obsession, son ensorcellement, et son drame d’Abélard en est la preuve. Cousin, qu’on peut appeler le grand Cousin quand on le compare aux petits philosophes dont il fut le père, s’est contenté de déterrer le Sic et non d’Abélard, mais il n’a pas fait de drame sur ce romanesque philosophe, et il a laissé ce soin et ce sujet à l’admiration de Charles de Rémusat, qui, après avoir été l’historien d’Abélard, a voulu encore en être le poète. Charles de Rémusat a succédé aux grisettes d’autrefois, qui pleuraient, de confiance, au tombeau apocryphe d’Abélard au Père La Chaise. Il a adoré cette idole cassée, et s’il n’était pas trop comique de comparer le tranquille, le parlementaire et convenable Charles de Rémusat, à cette dessalée et turbulente Héloïse, on dirait qu’intellectuellement il est la seconde Héloïse d’Abélard, l’Héloïse de sa mémoire !

Et je le comprends, après tout ! Les hommes vont à ce qui leur ressemble, et Charles de Rémusat a en lui bien des raisons d’aller vers Abélard. Il n’a pas, il est vrai, l’audace hypocrite de ce révolté, ni sa violence, ni sa rétorsion de dialectique, ni le scandale qui fut sa gloire, ni saint Bernard qui fut son adversaire ni Héloïse… ni ce malheur inexprimable ici et pleuré par les grisettes, et dont sa philosophie ne l’a pas consolé. Mais il y a pourtant, entre Abélard et lui, cet intégral Charles de Rémusat, des ressemblances qui expliquent son admiration ; car les hommes, ces Narcisses, se mirent toujours un peu eux-mêmes dans les admirations qu’ils ont… En philosophie, Charles de Rémusat a des parentés très visibles avec Abélard, esprit au fond plus subtil que fort, qui n’allait point — comme les grands Décidés de l’Intelligence, lesquels en sont aussi les plus puissants, — à l’extrémité de toute doctrine, mais qui se plaçait entre deux… Oui ! le conceptualiste Abélard, qui voulait unir, dans une unité équivoque, le réalisme et le nominalisme de son temps, a plus d’un rapport évident avec un esprit fin, éclectique et de juste milieu, comme celui de Charles de Rémusat ; et s’il y a des différences qui rabougrissent Charles de Rémusat, ce sont des différences de tempérament (non d’intelligence) et de siècle. Au siècle d’Abélard, tout est grand et tout y contracte de la grandeur, même l’erreur, le sophisme, la sottise. Ces gens-là ne sont pas sots comme nous… Jetez une robe de moine, pour les élargir, sur les étroites et grêles épaules de Charles de Rémusat, et dressez devant lui l’Église dans la majesté d’un Concile, et vous n’aurez plus le petit philosophe moderne qui n’a plus d’hérésie à oser, dans ce xixe  siècle incrédule et tolérant comme la prostitution ! Vous n’aurez plus l’aimable éclectique, le sceptique large et indulgent, le respectueux devant les faits accomplis, le doux qui hait toujours l’Église, en dessous, mais qui, en la haïssant, ne craint plus pour sa peau. Une robe de religieux ! et le piètre centre gauche politique aura de la tournure. L’Abélard saisira le Rémusat comme le mort saisit le vif, ou plutôt comme le vif saisit le mort, — car c’est ici le mort qui est le vivant ! Franchement, je pense encore assez de bien de Charles de Rémusat, pour croire qu’au Moyen Âge il aurait eu plus d’importance que dans son siècle. Au Moyen Âge, s’il y avait vécu, il aurait esquivé Cousin, Thiers et la Revue des Deux Mondes, qui furent ses maîtres, et il nous eût paru moins petit !

III

Il est donc, après cela, tout simple, qu’il aimât Abélard, mais quand on aime, on peint avec amour, et l’amour est un grand artiste ! L’amour a des couleurs de flamme ! mais pas ici. L’amour de Charles de Rémusat pour un homme qu’il trouve un grand homme, est un amour… d’Abélard après son malheur. Il ne produit rien. Le drame d’Abélard, qui, sous la plume de Charles de Rémusat, devait être un mensonge, pouvait être un mensonge idolâtre, et ce n’est que la plus froide, la plus transie des platitudes. L’enthousiasme, ce brûleur d’encens, n’y a pas allumé de talent. Y a-t-il même là-dedans de l’enthousiasme ?… Abélard, qui est le héros de cette énorme pièce, ne justifie ni par une scène, ni par un mot, ni par un geste, la grandeur de caractère ou de génie que l’auteur lui accorde dans l’opinion des personnages qu’il mêle à sa vie. Ils disent tous qu’il est le plus grand des philosophes, mais lui ne leur prouve jamais qu’il le soit. La philosophie qu’on attendait n’y paraît pas non plus. Quand on croit qu’elle va poindre, elle s’efface. Cela finit, dès que cela commence… L’Abélard du traité de Charles de Rémusat est moins momie que celui de son drame… Pour Héloïse, ce n’est pas non plus l’Héloïse des lettres latines qui nous restent, la fille effrayante, si fière de sa chute, la Possédée du triple Démon de la Curiosité, de la Sensualité et de l’Orgueil. Ce n’est pas même l’Élégiaque brûlante et désolée des Héroïdes de Pope et de Colardeau. Charles de Rémusat a reculé devant un type de femme qui n’avait pas effrayé Pope, ce poète moral, et, plus prude que le chaste Anglais, il nous a donné une Héloïse bas-bleu moderne en langage très moderne, mêlant joliment, et dans une bonne nuance, la métaphysique à l’amour ; — un bas-bleu comme il pouvait s’en trouver un, du reste, dans la société de Charles de Rémusat (de l’Académie française). Et, puisqu’il lisait trissotinement son drame dans les salons de son faubourg, un bas-bleu qui n’y a fait très certainement rougir personne ! Cette Héloïse n’a pas même l’air de savoir l’horrible attentat dont son très peu platonique amant a été victime. Le crime commis, tous ces gens bien élevés n’en parlent plus : ni le démantelé Abélard, qui n’a plus maintenant à penser qu’à son Concile ; ni Héloïse, la prieure du Paraclet, qui laisse là son couvent (ô Moyen Âge !) pour courir après Abélard, lequel l’y renvoie avec la brutalité d’un homme excusable, dans sa position, d’avoir quelque humeur. Tous sont parfaits de discrétion :

Mon Dieu ! ma sœur, vous faites la discrète,
Et vous n’y touchez pas, tant vous semblez doucette !

C’est très bien, très convenable, mais cela ne respire ni l’amour sacrilège, ni les affreux regrets des passions coupables, ni la rapide corruption du péché, ni la nature humaine outragée, rien enfin de ce que Shakespeare, par exemple, y aurait mis, si ce sujet d’Héloïse et d’Abélard était tombé dans ses terribles mains…

Je te plains de tomber dans ses mains effroyables,
Ma fille !…

C’est que Shakespeare faisait des drames de génie, tandis que Rémusat fait un drame philosophique, juste-milieu, centre gauche, Faubourg Saint-Germain, Académie française, — et j’ai même trouvé dans sa phrase, tout le long de la rhétorique de son drame, quelque chose qui sentait le renfermé de feu Villemain.

Quant au Moyen Âge sur lequel se détachent ses personnages, c’est le Moyen Âge ordinaire de tous les théâtres de Paris que Charles de Rémusat fréquentait ; car son fils nous apprend, dans son Introduction, qu’il eut l’idée de son Abélard en sortant d’un autre Abélard, joué à la Gaîté ou à l’Ambigu-Comique. C’est toujours la même toile de fond, le Moyen Âge usé de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas, la même vieille tapisserie historique, les mêmes bonshommes de cartes à jouer ! Ce qui serait nouveau, par exemple, si on n’avait pas publié déjà des chansons de Charles de Rémusat, c’est le chansonnier de ce drame, qui, tout à coup, y pousse, au milieu de tout ce bavardage pédantesque qui devrait l’empêcher d’y pousser ; c’est le vaudeville inattendu dans ce livre grave, le vaudeville même grivois et vieux mauvais sujet ! L’académicien de Rémusat est le Clairville de la Philosophie. Il tourne le couplet avec complaisance, et le français ne suffisant pas à la verve du dramaturge philosophique, il l’agrémente de latin, et quel latin !

Plus d’un docteur murmure :
O diva veritas !
Dis-moi, je t’en conjure,
Utinam habitas !

Nargue de son grimoire,
Docet antiquitas !
Ce mot de Saint Grégoire ;
In vino veritas !

IV

Eh bien, sans boire, moi, je la dirai, la vérité ! Il ne m’a pas grisé, Charles de Rémusat, ni lui, ni son latin, ni son vin, ni son drame, et je vais le lui prouver. C’est une œuvre faible, qu’il fallait ne pas publier, par piété filiale, au lieu de la publier par piété filiale. Elle n’honorera point sa mémoire. Elle ne l’égaiera pas non plus, malgré les chansons dont elle est ornée et qui ne sont pas assez gaies pour cela… Vaudeville et drame, tout est faible, pâle, inerme, dans ce gros objet qui n’a pas même la force d’être ridicule. Le talent peut être ridicule parfois, cela s’est vu ! quoique ce soit rare… Oui ! il peut aller jusque-là, dans la maladresse d’un excès. Mais la correction médiocre, posée, pincée, surveillée, n’y va point, elle ! et Charles de Rémusat a cette correction qui sauve du ridicule, mais qui ne sauve pas de l’ennui… Il faut bien en convenir, son drame est ennuyeux, mortellement ennuyeux ! Il manque de tout rien, — que cela !

Il manque de plan, d’organisme, de vie, de passion de caractère, de couleur franche, de traits hardis. Il manque même de haine philosophique, quoique de Rémusat doive avoir, tapies quelque part, les haines de sa philosophie, et quoique le scepticisme du temps et la glace de son tempérament aient bien diminué cette rage contre l’Église qu’ont tous, au fond du cœur, les philosophes, et que Cousin, lâche, mais indiscret, révélait en la couvrant de ce mot, dit justement à propos d’Abélard : « Il avait déposé dans les esprits de son temps le doute salutaire et provisoire, qui préparait l’esprit à des solutions meilleures que celles de la foi. » Charles de Rémusat n’a jamais eu de ces imprudentes et impudentes paroles d’un homme dont l’espérance trahit l’hypocrisie, mais à quelque coin, dans cet esprit moyen, dans cette âme de sagesse bourgeoise, il y a toujours, prête à se glisser au dehors, l’hostilité contre toutes les grandes choses que nous croyons… Comme Abélard, le héros de toute sa vie, comme Bacon, qu’il a aussi commenté, de Rémusat s’est toujours plus ou moins vanté d’être un écrivain de libre examen et de libre pensée, un philosophe contre la théologie, un adversaire de l’autorité sur tous les terrains, en religion comme en politique, — et comme l’Église est l’autorité constituée de Dieu sur la terre et qu’elle a le privilège divin « que les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre Elle », de Rémusat, qui est une de ces portes-là, — non pas une porte cochère, aux cuivres insolemment luisants et aux gonds tournant à grand bruit, mais une petite porte, discrète et presque cachée à l’angle et sous les lierres prudents de son mur, — de Rémusat entend bien prévaloir contre l’Église et lui prouver que son privilège divin n’est qu’une prétention ! En attendant ce jour-là, de Rémusat a toujours fait son métier de petite porte plus ou moins secrète, s’ouvrant, s’entrebâillant aux mauvais sentiments et aux idées ennemies. Et, pour ne parler que de son drame, regardez de quelle odieuse détrempe historique il y a barbouillé le concile de Sens ! Regardez comme il y a diminué et calomnié l’homme de l’Église, le grand saint Bernard ! Partout, vous sentez, dans le drame que voici, le trait de Nestor, tombant affaibli aux pieds de l’Église, mais dirigé contre sa poitrine. Heureusement que l’ange de l’Église n’a pas eu besoin de dessécher le nerf de la cuisse d’un Jacob qui n’était plus jeune quand il voulait lutter encore, et qui ne fut jamais musculeux… L’Église, qui a condamné, en concile, Abélard, n’assemblera pas de concile pour juger les Abélards modernes. Elle a le dédain de ses miséricordes. Pour celui-ci, en effet, il lui suffira de l’abandonner à l’ennui qu’il inspire et qui doit accabler ceux qui liront son triste drame.

Et saint Bernard sera vengé !