(1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »
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(1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

XIX. Abailard21

Abailard est toujours l’enfant gâté, le Benjamin philosophique du dix-neuvième siècle. Il y a quelques années, M. Cousin, le chef maintenant déposé de la philosophie en France, et qui s’est lui-même tondu (mais non pour se faire moine) avec les ciseaux de Mme de Longueville, M. Cousin se fit, à grand bruit, l’éditeur et le vulgarisateur du philosophe du douzième siècle, condamné par l’Église. M. de Rémusat publiait aussi de son côté deux gros volumes qu’il intitulait pompeusement : Abailard, sa vie, sa philosophie, sa théologie, — et comme si ce n’était pas assez que ces deux hommages du Rationalisme moderne, offerts à l’un de ses précurseurs, l’éditeur de M. Rémusat publie aujourd’hui un nouveau volume dont Abailard est le sujet et même le héros. Dans ce nouveau livre sur Abailard, il est vrai, ce n’est pas sur le philosophe, rigoureusement dit, qu’on ramène l’intérêt et la lumière, mais qu’importe ! L’homme est bien plus un qu’on ne pense, et il s’agit toujours d’Abailard. Après le galbe de ses idées pris, pour les penseurs, on nous fait l’histoire de ses sentiments et de sa vie de cœur, pour les petits jeunes gens et pour les femmes. Après le libre dialecticien du Moyen Âge, on nous donne le personnage romanesque, l’Abailard de la passion et de la célèbre catastrophe. On recommence, en prose lyrique et didactique, — car la publication que voici a les deux teintes, — les héroïdes malsaines de Pope et de Colardeau. Et c’est ainsi qu’on essaie d’échafauder deux admirations l’une sur l’autre et qu’on remue, par deux côtés, la flamme d’une gloire, déjà deux fois scandaleuse ; le tout pour la faire briller mieux !

C’est que l’École du Rationalisme est reconnaissante, C’est qu’elle est filiale. C’est que cette philosophie qui, au dix-neuvième siècle, se réclame avec tant d’orgueil de Descartes et de son cogito, ergo sum, se sent des parentés certaines avec l’homme qui, clerc de l’Église de Dieu, introduisit le scepticisme là où l’Église avait mis ses sécurités sublimes, et déposé dans les esprits de son temps, comme dit M. Cousin : « le doute salutaire et provisoire qui préparait l’esprit à des solutions meilleures » que celles de la Foi. Or, cet homme, l’histoire nous l’apprend, c’était Abailard. La Philosophie a le flair des contagions auxquelles elle est en proie. À travers les siècles, elle respire les entrailles maternelles dont elle est descendue, et toute fière, elle glorifie son limon. Aujourd’hui, il ne lui suffit plus de nous vanter comme l’un des plus puissants cerveaux qui aient élargi un crâne d’homme le sophiste brillanté du concile de Sens, le philosophe qui incuba son conceptualisme équivoque dans le grossier nominalisme de Roscelin, elle veut nous prouver, par-dessus le marché, que l’amant vaniteux d’Héloïse fut le plus grand cœur qui ait jamais filtré un sang de feu dans une poitrine. Elle profite pour cela d’un préjugé populaire et de la légende telle que l’écrit la générosité des peuples sous la dictée de l’infortune. Pendant que des Chrétiens, avec l’ardeur de je ne sais quelle bassesse, découronnent jusqu’à Jésus-Christ, et nous le montrent strictement dans la nature nue de son humanité, comme l’a fait le P. Lacordaire, la Philosophie, plus habile et plus fière, multiplie les auréoles autour de la tête de ses Élus. La voici qui veut en attacher deux à Abailard, — le nimbe qui se joue autour des tempes pensives du génie, et le rayon, sortant des cœurs qui ont beaucoup aimé et noblement souffert. Elle s’entend à sculpter ses Saints dans l’intérêt de sa chapelle. De braves niais qui ne verraient dans la publication de M. Didier qu’une étude désintéressée du cœur, qu’une anatomie de la passion dans deux âmes, et rien de plus, parce que nulle question philosophique n’y est agitée, ne connaîtraient pas grand-chose aux tactiques de la Philosophie, et mériteraient bien de se prendre à toutes les souricières qu’elle nous tend.

Elle est là, en effet, tout entière. Les preuves affluent pour l’affirmer. La publication de M. Didier a pour master-pièce la traduction des lettres d’Héloïse et d’Abailard par M. Oddoul, avec une longue préface métaphysico-sentimentale qui a d’énormes prétentions à l’analyse et à la profondeur. C’est là le fond du livre que cette traduction et que cette préface. Seulement on a mis dans le titre, comme un éclatant pavillon propre à couvrir la marchandise, ce fragment déjà ancien de Mme Guizot sur Abailard et sur Héloïse, et que M. Guizot, par piété conjugale, a terminé. Nous dirons tout à l’heure ce que nous pensons de M. Oddoul. Mais quoique M. et Mme Guizot appartiennent par plus d’un endroit aux doctrines qui sont sorties de l’insurrection spirituelle qu’Abailard commençait au Moyen Âge, si réellement la Philosophie ne s’était pas glissée dans la publication présente et n’avait pas projeté d’imprimer la marque de son ergot dans ce livre de moralité sensible, si vraiment on n’avait pensé qu’à peindre et à juger une passion qui a jeté des cris et laissé son sang dans l’histoire, on n’eût pas troublé l’unité de la compilation qu’on édite par l’insertion de documents, étrangers au but d’étude morale qu’on voulait atteindre. On n’y trouverait pas, par exemple, l’insolente apologétique de Béranger, l’écolâtre, contre saint Bernard, l’illustre défenseur de l’Église ; et si on l’y avait placée, on n’y aurait pas, du moins, soigneusement oublié, comme on l’a fait, les lettres de ce même saint Bernard, qui fut l’arbitre suprême et obéi dans une querelle dont on raconte l’histoire, en l’oubliant !

Mais il est une preuve plus frappante et plus intime encore, qu’on tirerait aisément de l’inspiration même du recueil de M. Didier et non de quelques-uns de ses détails. Après l’avoir lu, personne ne contestera que ce livre ne soit une espèce d’apothéose du double sentiment d’Héloïse et d’Abailard. Eh bien ! il n’y a que la Philosophie, avec l’influence sensualiste qu’elle tient du xviiie  siècle, qui puisse faire cette apothéose. Nous avons noté plus haut l’erreur de l’Imagination populaire, dupe, par sympathie pour des douleurs qu’il serait plus brave de mépriser, et cette erreur, nous l’avons excusée en la comprenant. Mais il n’y a que la Philosophie qui, après y avoir regardé avec attention, puisse se passionner d’enthousiasme pour un homme comme Abailard et pour une femme comme Héloïse. Il n’y a que la Philosophie, la victime habituelle des idées fausses, qui puisse être victime à ce point des sentiments faux et qui soit destinée à confondre l’affection et la mauvaise rhétorique avec l’expression des cœurs vrais !

Et pourtant ce serait à elle, la Philosophie, si on croyait ses prétentions à l’indépendance, à l’acuité de l’observation, au sentiment de la réalité en toutes choses, ce serait à elle plus qu’à personne à toucher le préjugé populaire pour le détruire et le diminuer, à entreprendre et à parachever cette étude hardie du cœur humain, cette dissection sur le vif par la réflexion , comme disait Rivarol, dans laquelle le scalpel immatériel, plus heureux que le scalpel qui fouille nos cadavres, trouve toujours où plonger et où interroger en des sentiments immortalisés par les hasards ou par les justices de l’Histoire ! Évidemment, pour l’honneur de la Philosophie, ce serait à elle bien plus qu’à nous de faire tout cela ! Mais que voulez-vous ? La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. Or, l’une de ces lois, c’est de s’adorer dans ses œuvres et, comme le hibou de la Fable, aveugle d’égoïste maternité, de trouver beaux les petits monstres qu’elle a faits.

Et voilà tout le secret de l’enthousiasme involontaire du Rationalisme pour Abailard et pour Héloïse ! La Philosophie les a faits l’un et l’autre ce qu’ils sont, et elle reconnaît plus ou moins son œuvre dans tous les deux. Pour notre part, nous l’avouerons sans honte, nous aussi, nous avons donné dans la grande piperie qui est le trébuchet séculaire, au fond duquel les Imaginations et les Sensibilités viennent chuter. Comme beaucoup d’autres, au début de la vie, de la réflexion et de la science, nous nous sommes laissés charmer par les lointaines mélancolies de la légende et abuser par les mensonges attendris des poëtes. Parce qu’il y avait eu, mêlé à cette fétide séduction d’une élève par l’homme chargé de l’instruire, d’une jeune fille par presque un prêtre, un crime terrible en expiation et en vengeance d’un crime odieux, nous avons cru longtemps qu’une passion immense, une rareté effrayante, mais belle peut-être à force d’impétuosité, de profondeur et de flammes, devait reposer comme le Léviathan dans l’abîme qu’il a troublé, au fond de toute cette vase de sang et de larmes qui semble n’avoir pas séché encore. Nous l’avons cru et nous avons vécu dans l’émotion commune ; nous avons épousé l’intérêt triste et cruel de cette page d’histoire, désespérée ! Car l’homme est ainsi fait que la Passion l’attire avec son idéal funeste et qu’il lui garde toujours un lambeau de son être, chair ou esprit, à dévorer ! Plus tard seulement, cette passion rêvée, entrevue, supposée, là où le désordre et l’horreur furent si grands, nous en avons cherché la preuve et les traces, et le croira-t-on ? c’est précisément dans les lettres d’Abailard et d’Héloïse, dans ces lettres qu’aujourd’hui l’on traduit et l’on publie, qu’il nous a été impossible de les découvrir !

Selon nous, ces lettres éteignent toute illusion et nous tachent, dans l’esprit, les deux beaux portraits que l’Imagination y avait peints et suspendus ! Vus à travers ces lettres, les deux amants de grande et bonne foi disparaissent, et vous ne voyez plus que deux philosophes qui font des phrases philosophiques au lieu de naïvement s’aimer. Vous ne voyez plus, à la place de la sombre fatalité du cœur, maudite et pourtant toujours pardonnée, que deux orgueils philosophiques avec toutes les nuances de ces sortes d’orgueil, lesquels s’arrangent pour draper de pourpre une intrigue scandaleuse et en faire chatoyer vaniteusement tous les plaisirs et toutes les larmes. D’un côté, vous avez un fat de quarante ans, un bellâtre gauche et impudent, une de ces âmes comme celle de Rousseau, coquinement honnêtes, qui se passionnent d’esprit pour le bien et de volonté pour le mal ; et de l’autre vous avez un bas-bleu du douzième siècle, froide de cœur comme toutes ces folles Ménades de la gloire qui l’appellent « un deuil éclatant du bonheur », et qui s’est, comme on dit vulgairement, monté la tête, non pour l’homme tel qu’il soit, mais pour le professeur le plus renommé de son temps. Malgré des malheurs très réels, je ne sache rien de moins touchant que ces deux êtres, et malgré les efforts qu’ils font pour introduire dans l’amour la haute philosophie et la littérature, je ne sache rien de plus ennuyeux et de plus pédant que leur langage.

Dans toutes ses lettres, Héloïse n’est occupée que de la seule chose qu’on oublie entièrement, quand on aime. Elle ne s’inquiète que du qu’en dira-t-on du monde. Le monde, son admiration, son mépris, et jusqu’à ses commérages, voilà ce qui plane éternellement sur la solitude et la désolation de sa vie ! Abailard aussi partage ce lâche esclavage. Abailard craint le mépris du monde, non dans ce qu’il aurait de mérité et de légitime. Il le craint, non pas pour l’homme moral, si coupable en lui, mais pour l’homme physique qui n’est plus. Héloïse, elle, qui n’a pas besoin qu’on la mutile pour cesser d’être femme, Héloïse qui ne le fut jamais, tant elle est, de tempérament et d’âme, philosophe ! Héloïse brave le mépris du monde, parce que l’homme qui l’a perdue est uni de ces fascinateurs de passage qui traversent de temps en temps l’histoire et qui voient pendant quelques minutes le monde idolâtre et imbécile à leurs pieds. Les dernières pudeurs de la femme et de la chrétienne, le mystère et la honte de sa faute, ce qui reste à la plus coupable pour que le pardon descende sur sa tête, tout est sacrifié par Héloïse à cette vanité infernale d’avoir été la préférée d’un homme célèbre et sa fille de joie, — car le mot y est, meretrix, — et M. Oddoul l’a traduit. Il faut bien citer pour qu’on nous croie. Cette païenne qui a toujours répugné au mariage parce qu’elle n’a jamais senti en elle que l’amour des courtisanes lettrées de la Grèce, cette femme qui pressentait, dès le douzième siècle, les libertés saint-simoniennes de notre temps, écrit dans ses lettres cette déclaration de principes : « Quoique le nom de femme soit jugé plus fort et plus saint (quel préjugé !) un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle, j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Térèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer ! » Mais n’était-ce pas confondre toutes choses ? Pouvait-elle être la sainte Térèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? Votre nom volait de bouche en bouche ! Le cœur des femmes soupirait pour vous. Comme vos vers chantaient nos amours, mon nom commençait de devenir célèbre et la jalousie des autres femmes fut enflammée. » Être célèbre ! voilà le fond de cette bouteille d’encre de la petite vertu qu’on appelait Héloïse. Inspirer les angoisses de la jalousie aux autres femmes, voilà les paradis de sa pensée quand elle se souvient et quand elle rêve ! voilà enfin le dernier mot de cette orgueilleuse empoisonnée par la science et que la Philosophie, qui se mêle d’ausculter les cœurs, nous donne aujourd’hui pour le type le plus tendre et le plus élevé de l’amour !

C’est une chose qui ne saurait passer qu’à la honte de l’observation humaine, et comme moraliste et observateur, nous réclamons. Dans le recueil que nous examinons, Dieu nous garde de frapper de la même condamnation toutes les dissertations qui le composent, Mme Guizot et M. Oddoul. Mme Guizot a sa nuance de philosophie : elle a cette fêlure à la vitre claire et lumineuse de son bon sens. Femme de lettres, ayant cette considération de la pensée qui donne aux femmes moins d’aptitude à vivre de la vie des sentiments que des idées, elle doit avoir naturellement, et elle les a, quelques entrailles pour Abailard (un professeur éloquent !) et pour cette Héloïse, l’amoureuse littéraire de sa gloire. Cependant la femme, la vraie femme, le cœur qui se connaît en cœur, ne manque point chez Mme Guizot. Aussi plus d’une fois ne peut-elle s’empêcher de voir le creux des deux âmes qui posent devant elle ! Elle reproche à Héloïse l’alignement de ses lettres. Elle dit qu’elle n’est pas « maîtresse de sa rhétorique », que la déclamation l’emporte, et peu s’en faut que le mépris de la femme ne se mêle chez cette historienne du xixe  siècle à l’admiration traditionnelle et obligée qu’elle témoigne à Héloïse. M. Oddoul, au contraire, ne fait point de ces réserves. C’est un passionné qui a sans doute une puissance d’amour si formidable qu’il en donne à ceux qui n’en ont pas. M. Oddoul tient pour des âmes de premier ordre en fait d’amour les deux lettrés mâle et femelle du douzième siècle. Il ne les juge pas. Il les adore. S’ils vivaient, il pousserait l’admiration peut-être jusqu’à faire leurs commissions. Comme un Chinois en permanence, il brûle des pastilles, et quelles pastilles ! sur leurs tombeaux. Je lui demanderai la permission d’en prendre deux ou trois dans sa cassolette, car on ne me croirait peut-être pas non plus, si je parlais de ces parfums inconnus qu’on n’apprécie bien que quand on les a respirés. « À la vue d’un pareil sentiment (nous avons dit ce qu’il était, ce sentiment) ne semble-t-il pas que l’Amour lui-même a passé devant nous (bienheureuse hallucination !) et que les paroles d’Héloïse sont une vertu sortie des bords divins de sa robe ? » Et, plus loin, toujours dans le même rythme et le même français, « deux années, urnes aux blancs cailloux, ont disparu comme un monde englouti, comme une Atlantide qui a sombré au milieu des flots, avec ses villas embaumées, ses asiles verts, consacrés à Palès (pourquoi Palès ?), ses couronnes de fleurs effeuillées sur la table des festins ! Qui nous rendra leurs nuits aux ceintures dénouées ? qui nous rendra les richesses de ces deux vaisseaux qui voguaient la voile enflée de deux soupirs, tout chargés de ravissants messages et qui n’ont pu aborder au rivage de la postérité ! Absence irréparable ! ces deux années n’ont pas laissé de traces, sœurs gracieuses qui avaient pris pour elles toutes les joies nuptiales, etc., etc., etc. » Et M. Oddoul continue ainsi, de ce style amphygouriquement superbe, dans toute l’étendue de sa dissertation.

Il a des manières à lui de caractériser l’expression des lettres d’Héloïse que Mme Guizot trouve arrangée et déclamatoire, et nous sommes bien aise de les opposer à l’opinion de Mme Guizot… mais non pour la détruire : « Tous les passages des lettres d’Héloïse ne sont qu’une paraphrase anhélante du verset du Cantique des Cantiques… Sous les doigts de la nonne le feu ruisselle. On peut compter les pulsations de la veine sur le papier qu’elle a touché. » Et puis, ce cri lancé tout à coup : Ah ! Fulbert, qu’avez-vous fait ?… Franchement, l’homme qui a écrit de ce style-là, sans le changer ou le modifier jamais dans tout son livre, est trop fort dans la déclamation pour trouver qu’Héloïse puisse être jamais déclamatoire, et pour juger de la sincérité de quoi que ce soit dans l’expression des idées ou des sentiments.

Certes, nous ne croyons pas que M. Oddoul soit le moins du monde le domestique de la Philosophie, dans cette question de l’exaltation d’Héloïse et d’Abailard. La Philosophie qui s’entend au ménage choisirait mieux. M. Oddoul est l’homme de bonne volonté de son propre enthousiasme pour les deux célèbres amants. Il a traduit leurs lettres, parce qu’il les admirait naïvement, et qu’organisé pour la déclamation, la déclamation devait l’attirer par la loi des analogies. Grâce à cette circonstance individuelle, la publication de ces lettres n’aura pas l’effet que la Philosophie pouvait en attendre, si un plus habile les avait traduites et interprétées avec un talent plus profond. Nous ne croyons pas à l’innocuité morale complète de ces lettres sous quelque plume que ce puisse être, mais M. Oddoul, en les vantant outre mesure, leur a communiqué une espèce d’innocence, l’innocence d’une forme grotesque et de sa propre nullité.