(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Vielé-Griffin, Francis (1864-1937)

[Bibliographie]

Cueille d’avril (1885). — Les Cygnes (1885-1886). — Ancæus, poème (1886-1887). — Joies (1889). — Les Cygnes, nouveaux poèmes (1890-1891). — Diptyque (Le Porcher, Eurythmie) [1893]. — La Chevauchée d’Yeldis (1893). — Swanhilde, poème dramatique (1893). — Palài (1894). — Laus Veneris, trad. de Swinburne (1895). — Le Rire de Mélissa (1896). — Poèmes et poésies (1896). — La Clarté de vie (Chansons à l’ombre, Au gré de l’heure, In memoriam, En Arcadie) [1897]. — Phocas le Jardinier (1898). — La Légende ailée de Wieland le Forgeron (1899).

OPINIONS.

Adolphe Retté

Il faut louer la technique que M. Vielé-Griffin mit au service de ses concepts. Elle comporte le vers libre dans toute sa logique et toute sa difficulté, laquelle n’est pas minime. Le vers libre, tel que le pratiquent quelques-uns des poètes de ce temps, exige un rythme parfait et rigoureusement adéquat à l’émotion que le poète veut exprimer.

[La Plume ().]

Paul Adam

Vielé-Griffin, le plus rythmique des poètes nouveaux, est toujours le Saxon aux images simples reculées dans les vapeurs légères des horizons septentrionaux.

[Entretiens politiques et littéraires ().]

Lucien Muhlfeld

Grands poètes. — Je commence à savoir par cœur la Chevauchée d’Yeldis, les cent pages de vers données en 1893 par M. Francis Vielé-Griffin, sans avoir exprimé encore à l’auteur, reconnaissance puérile et honnête, quelle sereine joie j’emporte toujours avec moi, ne me séparant guère de sa petite plaquette. Vielé-Griffin me semble, à cette heure, l’un des trois poètes qui ont acquis la maîtrise du vers libre, sans même les traditions fontainiennes ou Molièresques, du vers libre moderne et décidément démailloté. Je parlerai d’un des deux autres tout à l’heure, et mes lecteurs savent bien le troisième, familiers du charme original des Palais nomades, plus parfait des Chansons d’amant.

M. Kahn, il faut bien le reconnaître, fut l’initiateur, théoricien et exécutant, d’une poétique dont M. Stéphane Mallarmé avait donné le goût et guidé l’intuition. Et il reste, Dieu merci, très capable d’en fournir les plus belles réalisations. Il ne lui manque jusqu’ici que de donner à ses lieds un caractère de consistance et de nécessité. Avec une verve poétique moins ardente, M. Vielé-Griffin a peut-être déjà composé d’inattaquables chefs-d’œuvre… — Tel, c’est un grand poète, qu’on sache.

[Revue blanche (novembre ).]

André Fontainas

L’action, sans surcharges d’inutiles ornements, court rapide et noble, en vers énergiques ou assouplis selon l’hymne qu’ils chantent ; de brutale fureur, de dédain hautain ou d’amour qui s’éveille, le drame est puissant et fort beau, en dépit d’un défaut d’unité trop apparent : de Swanhilde renonciatrice et superbe, de Swanhilde que l’amour attendrit, s’est, brusquement après l’épisode, déplacé l’intérêt pour se fixer au deuil et aux seules douleurs d’une mère.

[Mercure de France (juillet ).]

René Doumic

Cet Américain transplanté en Touraine n’a pas du tout la même façon que nous de lier ses idées. Ou plutôt idées, souvenirs, émotions, impressions, ce dont il se soucie le moins, c’est de les relier ; il les laisse se relier au hasard ou peut-être au gré d’on ne sait quelles associations très subtiles et qui échappent. On essaie d’abord de comprendre, ce qui, pour nous autres, Français de France, est toujours la première démarche de notre esprit, jusqu’à ce qu’on ait compris qu’il n’y a rien à comprendre et qu’il faut plutôt se laisser bercer par une mélodie qui n’est pas sans charme. Ce sont des choses incohérentes et douces.

[Les Jeunes ().]

Alcide Bonneau

M. Vielé-Griffin est assurément l’un des plus studieux parmi les jeunes poètes. Pourquoi gâte-t-il, au moins pour nous, ce qu’il a d’érudition et de talent, en se servant de cette vague façon d’écrire qui tient de la prose et des vers sans en être ni l’un ni l’autre, contrairement à l’affirmation de M. Jourdain ?

[La Revue encyclopédique (1er février ).]

Remy de Gourmont

M. Vielé-Griffin n’a usé que discrètement de la poésie populaire — cette poésie de si peu d’art qu’elle semble incréée — mais il eût été moins discret qu’il n’en eût pas mésusé, car il en a le sentiment, et le respect… Je ne parle pas de la part très importante qu’il a eue dans la difficile conquête du vers libre ; mon impression est plus générale et plus profonde, et doit s’entendre non seulement de la forme, mais de l’essence de son art : il y a, par Francis Vielé-Griffin, quelque chose de nouveau dans la poésie française.

[Le Livre des masques ().]

André Ruijters

Griffin est le poète de l’ambiance, exprimant les choses par les impalpables immatérialités qui flottent autour d’elles. D’un paysage, il ressent l’âme, avant d’en avoir vu les traits. Il aime regarder les yeux fermés et deviner les fleurs à leurs parfums… Et c’est cela qui a élargi son panthéisme en une intense et compréhensive affection pour toute chose. La petite parcelle de vie qui bat au cœur d’une plante n’est-elle pas identique à celle qui vibre en nous ? Aussi, jamais chez aucun écrivain les rapports entre la nature et l’art n’ont-ils paru si harmoniques et fonciers. La nature, dont le vrai rôle est d’être toujours le rythme de l’art, apparaît réellement chez lui inspiratrice divine, source et mère d’émotion, en qui convergent toute chanson et tout cœur.

[L’Art jeune (15 janvier ).]

Maurice Le Blond

Voici le petit-fils de Walt Whitman. Il nous est arrivé par-delà l’Atlantique, de parages lointains, et avec une façon spéciale de frissonner… M. Francis Vielé-Griffin est encore et surtout un poète allégorique.

[Essai sur le naturisme ().]

Edmond Pilon

Durant une heure d’abattement, Jules Laforgue a écrit : « Je voudrais trouver des pensées belles comme des regards. Malheureusement, ma nature répugne au mensonge, qu’il doive être bleu ou noir. » M. Francis Vielé-Griffin, lui, a toujours trouvé des pensées belles comme des regards. Et, pourtant, il n’a jamais menti. C’est que le don de sa grâce ne devait pas tarir et que sa jeunesse devait survivre à ses années. Où Laforgue a éprouvé de la crainte et s’est replié sur soi-même, M. Vielé-Griffin, lui, au contraire, s’est épanché et a souri. Laforgue n’a su que s’étonner, devant les existences environnantes ; M. Vielé-Griffin, inversement, s’est créé tout de suite une existence à part et individuelle. Laforgue considérait les choses avec finesse et avec un exquis abandon. M. Vielé-Griffin ne les considère pas du tout ; il se tourne simplement vers les paysages ; il en admire l’ensemble et il essaye de s’harmoniser le plus possible avec le décor qu’il y découvre. Alors que Verhaeren s’enthousiasme devant l’action, lui se livre, sans plus, à la naturelle extase devant les sites. Nous ne pouvons pas les comprendre de la même façon, ni les envisager avec le même esprit. Ils sont les plus sensibles de tous ceux qui ont parlé auprès de nous, et, entre eux pourtant, il y a des distances profondes. Je sais que cela dépend des patries et que cela dépend des races, je me soumets à l’atavisme qui les différencie. Aux jours de révolte, de colère et d’héroïque beauté, c’est le premier qu’on lira ; aux heures d’apaisement, d’aveux et de délices, c’est le second qui conviera avec plus de charme. Un mot caractériserait volontiers adjectivement l’œuvre du poète Yeldis et en marquerait davantage et plus étroitement le côté le plus général : la poésie de M. Vielé-Griffin est eurythmique. S’il s’est confiné, maintes fois, dans un charmant cottage anglais où, je suis sûr, il s’est plu à relire, par instants, Wordsworth et Shelley, s’il a tressailli, je pense, aux rauques échos des Niebelungen, le plus souvent il a rêvé de côtes sablonneuses et de rivages bleus où Corine, Pindare, Mélissa et Ancæus errèrent sous la constellante clarté des cabires amicaux !

[La Société nouvelle (novembre ).]

Charles Guérin

Ah ! de quelle limpide et réconfortante beauté il est, ce livre, la Clarté de vie ! Et comme on est heureux de l’aimer !

M. Vielé-Griffin y sut allier la plus simple et la plus sincère inspiration rustique à un art d’autant plus parfait qu’il se dissimule.

Que la Vie est sainte et bonne,
Que tout est juste et tout est bien…

Voilà le cri d’amour qui se prolonge en écho de page en page, monotone et divers, assourdi ou sonore, comme une mélodie infinie.

Ce livre procure une grande ivresse qui n’est point amère ni voluptueuse ; qu’on l’approche de son âme, on y entendra l’immense respiration de la vie : ainsi le coquillage redit à l’oreille l’immortel murmure de la mer.

Analyser Clarté de vie serait le relire, et je ne sais le juger que par des images.

De même qu’une goutte d’essence de foin coupé évoque magiquement les soirs profonds de juin et de septembre, ainsi la Clarté de Vie en un volume recèle le paysage changeant de l’année :

Il mène l’Année alerte
Au long des méandres divers…

Le vers de M. Griffin chantant est léger, lumineux.

[L’Ermitage (septembre ).]

Jean Viollis

Sous ce titre : La Clarté de vie, Francis Vielé-Griffin réunit ses derniers poèmes. Cette œuvre le couronne et définit son geste et son regard. J’ai su connaître là toute la grâce tourangelle, sa ligne heureuse et grave, et sa mollesse lumineuse. Vielé-Griffin exprime avec un sourire d’aisance et de plénitude l’enchantement de ce pays où des prairies, une courbe de fleuve, une ligne de peupliers suffisent par le jeu de la lumière au décor le plus émouvant. Je crois son âme souple, obligeante et docile ; elle se rend de bonne grâce aux sollicitations du paysage, et leur contact ne me semble jamais brutal, soit que le décor informe son âme, soit qu’il repose aux principes extérieurs son allégresse préférable ou son souci. Son pays modela sa joie, il exprime la joie de son pays ; le décor offrit au poète le don et la variété de son spectacle ; il me paraît que c’est en lui que le poète a retrouvé l’enseignement du vieux potier et le rire de Mélissa. Vielé-Griffin aurait, je crois, et par l’effet de son aisance d’abandon, aussi bien pénétré l’âpre rêverie des landes bretonnes, la sécheresse ardente de Provence, ou l’enthousiasme du Rouergue qui bondit aux torrents et se fige aux rudes rochers.

Tel que lui-même et le hasard l’ont fait, Griffin est le mieux amical de tous les poètes ; son œuvre est toujours accueillante et certaine dans son sourire. On n’en saurait trop dire la louange et conseiller le bienfaisant repos.

[L’Effort (octobre ).]

Anonyme

Sur La Légende ailée de Wieland le Forgeron. — Les lecteurs de-l’Ermitage en eurent la primeur : aussi ne leur apprendrai-je rien en proclamant l’importance particulière de ce « poème ». Car « poème » il y a. — On « en » écrit de moins en moins : le lyrisme quotidien a fragmenté l’inspiration ; le sonnet a donné le goût des petites choses, et la paresse aidant, celle du lecteur comme celle du poète… Oublie-t-on que les grands lyriques de tous les temps, ou presque, d’Hésiode à Shelley, s’attachèrent à des œuvres de longue haleine, auxquelles ils doivent exclusivement de subsister ? Point tout le monde peut-être, et M. Francis Vielé-Griffin semble les vouloir suivre dans cette voie. Je ne vois guère que lui qui puisse à cette heure y prétendre. Car il a toujours soumis ses libres dons d’image, de vie, de rythme et d’émotion, à une pensée souveraine, qui donne une raison à chaque création, chaque élan, chaque mot de sa belle inspiration momentanée.

[L’Ermitage ().]

Joachim Gasquet

M. Francis Vielé-Griffin, je l’aime sans jamais l’avoir vu, parce qu’il est tout entier dans ses chants. Je n’imagine pas un être plus radical, une nature d’homme plus loyale et plus spontanée. Certainement, ce solide esprit eut été un de nos plus grands chantres français s’il fût né, par un long soir d’été, sur une des rives de cette Loire qu’il chérit et où il fait son plus habituel séjour. Peut-être les nymphes du fleuve eussent vu alors se renouveler les printemps de la Pléiade. Nous n’aurions pas eu d’école romane. En tout cas, M. Francis Vielé-Griffin s’est emparé de tout ce qu’il y a de fécond pour l’âme du voyageur dans notre Touraine actuelle ; il la fait revivre dans ses poèmes avec une grâce touchante, il lui donne une figure émue ; mais souvent les rythmes essentiels lui manquent, qui eussent pu ajouter quelques sourires immortels à la vieille nourrice de Rabelais, de Ronsard, de Descartes et de Balzac. D’anciennes racines ne le lient point à ce sol, ni à ce splendide parler auquel, avec une noble humilité, il a dédié son livre le mieux achevé. Il y a parfois un heurt, un arrêt rauque dans la légère harmonie de ses pensées chantantes ; il ne vient pas d’ailleurs. Ce profond poète, aux ressources exquises, nous touche, malgré tout, plutôt par des qualités de philosophe. Son émotion est trop générale, n’est pas contenue dans les limites d’une sensibilité ethnique ; elle ne s’exprime pas selon des nombres certains. La plupart des sentiments dont il a reçu l’héritage sont trop universels encore pour qu’il puisse les dire selon les saintes règles d’une prosodie que des siècles ont formée et dans laquelle, poème à poème, s’est révélée toute l’âme d’un peuple dans sa précision victorieuse.

[L’Effort (15 janvier ).]

A. Van Bever

M. Francis Vielé-Griffin ne s’est point seulement — comme tant d’autres — consacré à l’unique conception du vers libre ; l’asservissant à ses besoins, il a de son principe rénovateur fait jaillir une œuvre féconde. Remontant aux sources ingénues de la Beauté, modelant sa pensée selon son rythme, il s’est révélé l’interprète de la vie intense, mêlant je ne sais quel sourire attendri à la mélancolie de paysages dont on pressent la décrépitude à l’heure des vents d’automne.

[Poètes d’aujourd’hui ().]