Contes de Noël
Le Figaro a demandé des contes de Noël à nos romanciers les plus goûtés. Ces contes paraîtront dans le numéro du 25 décembre. Mais j’ai pu, en semant l’or avec une intelligente prodigalité, m’en procurer copie. Voici, pour les gens pressés, le canevas de quelques-uns de ces petits récits.
M. Paul Bourget, les larmes de Colette.
M. Paul Bourget commence par des considérations générales sur la supériorité du peuple anglais.
«… Tous ceux qui ont vécu à Londres ont pu constater cette supériorité. Elle éclate notamment dans le caractère que prend, chez ce peuple sérieux la célébration des fêtes dont l’anniversaire de la nativité de Jésus est l’occasion. Et d’abord ils appellent Christmas ce que nous appelons Noël. Ce détail, insignifiant au premier abord, devient éminemment significatif quand on l’examine de près et qu’on applique à cet examen les procédés les plus récents de l’analyse psychologique. »
L’auteur arrive alors à son sujet. Claude Larcher est allé prendre Colette à sa sortie de la Comédie-Française. Ils doivent souper en tête-à-tête dans un cabaret du boulevard, puis rentrer tous deux chez Colette. Mais tout à coup la comédienne a ce caprice, d’aller entendre la messe de minuit à la Madeleine.
Description de la cérémonie. Considérations sur ce fait, que « l’élément mondain en est complètement absent ».
Colette est bien jolie dans ses fourrures, sous sa petite toque de loutre, à demi agenouillée sur un prie-Dieu. Au commencement, elle garde son sourire énigmatique, son sourire à la Botticelii. Mais, peu à peu, l’expression de son visage devient sérieuse, et Claude voit deux larmes rouler lentement dans sa voilette.
Il se demande en trois pages ce que signifient ces larmes. Larmes de comédienne, sans doute ; larmes de névrosée sensuelle, superficiellement émue par ce qu’il y a de théâtral dans cette fête nocturne et dans cette antithèse d’un Dieu naissant sur la paille d’une étable… Claude se méfie.
Mais les pleurs de Colette redoublent. Qui sait, après tout, ce que peut sentir, devant ce mystère de l’amour divin, celle qui a tant et si cruellement joué avec l’amour ?… Qui sait si elle ne se souvient pas de son enfance, de sa première communion ? Les filles les plus souillées ont de ces minutes singulières…
A ce moment, Colette se retourne vers Claude et lui murmure impérieusement à l’oreille :
- — Agenouillez-vous et priez, je le veux.
Claude obéit sans savoir pourquoi.
Ils sortent de l’église. La comédienne, les yeux encore rouges, dit à Claude :
- — Ne vous moquez pas de moi, mon ami. Je ne sais ce que j’ai ; mais vraiment je n’ai guère le cœur à souper maintenant. Ne m’y contraignez pas, je vous en supplie… Oh ! je me connais, et je ne dis point que cette étrange et douce tristesse— ah ! si douce survivra à cette nuit, Mais j’éprouve un grand besoin d’être seule… Accordez-moi cette grâce, vous que j’ai tant fait souffrir. C’est pour cela que je vous le demande : car, si vous saviez ce qui se passe en moi, vous vous en réjouiriez peut-être… À demain !…
Claude se méfie bien encore un peu, étant psychologue de son état ; mais il continue à se demander : « Qui sait ? » Bref, il met Colette dans un fiacre et rentre chez lui, rêveur.
Le lendemain il apprend qu’elle a soupé avec le petit René Vincy à la Maison-Dorée, et qu’elle l’a ramené chez elle.
Sur quoi il écrit un nouveau chapitre, extrêmement féroce, de sa Physiologie de l’amour moderne.
M. Pierre Loti, Noël à Yokohama.
C’est pendant la nuit du 24 au 25 décembre 1887. Loti, son frère Yves et Mme Chrysanthème sont assis sur des nattes, dans une maison de papier.
Ils rêvent.
Loti pense à ses anciennes nuits de Noël.
Telle année, il était, cette nuit-là, avec la tahïtienne Rarahu ; telle autre, avec Fatou-Gaye, la petite négresse ; et, en remontant toujours, avec la Smyrniote Àziyadé, avec la Chinoise Litaï-pa, avec la Lapone Kouroukakalé, avec la Montmartroise Nana, et avec beaucoup d’autres encore…
Evocation de petits paysages nocturnes, très intenses et congruents à chacune de ces figures féminines.
Il songe que plusieurs sont mortes, et qu’il mourra, et que nous mourrons tous.
Yves pense à sa Bretagne.
Mme Chrysanthème ne pense à rien.
Loti dit à Yves :
- — Tu es triste ?
Yves en convient.
Et alors, pour consoler son frère Yves, Loti l’enferme avec Mme Chrysanthème et va se promener tout seul au bord de la mer.
M. Guy de Maupassant, le boudin.
D’abord, le préambule ordinaire : «… Mon ami secoua dans le foyer les cendres de sa pipe, et tout à coup :
- — Veux-tu que je te raconte mon premier réveillon à Paris ?
« J’avais dix-neuf ans ; j’étais étudiant en droit, pas riche », etc…
Donc il entre, la nuit de Noël, au bal Bullier. Description brève de ce lieu de plaisir : le jardin éclairé par des verres de couleur, les bosquets, qu’on dirait en zinc découpé, la cascade et la grotte en carton sous laquelle on passe…
Il remarque, parmi les promeneuses, une fille d’allure effarouchée, l’air minable, vêtue d’une méchante robe et coiffée d’un énorme chapeau, très voyant, qui fait que les hommes se retournent sur son passage avec des rires et des plaisanteries.
« … Sous ce chapeau, des joues rondes, fraîches et trop rouges, avec des taches de son sur le nez. Mais les yeux, d’un bleu pâle, étaient très doux, d’une douceur innocente de ruminant ; la bouche était saine, et l’on devinait, sous, la robe mal taillée, un corps robuste de belle campagnarde… Elle sentait encore le village, et avait dû débarquer tout récemment sur le trottoir. »
Il l’aborde, lui offre un bock. Mais elle laisse son verre à moitié plein et finit par lui avouer qu’elle n’aime pas la bière. Il lui propose de souper dans une brasserie du quartier ; elle accepte docilement, l’appelle « Monsieur » et ne le tutoie pas.
Mais, en chemin, voyant son compagnon très poli et le sentant presque aussi timide qu’elle, elle s’enhardit, lui explique qu’elle est de la campagne, des environs de la Ferté-sous-Jouarre ; que ses parents, de petits cultivateurs, la croient en service à Paris ; et que, ayant tué leur porc à l’occasion de la Noël, ils lui ont envoyé tout un panier de provisions « pour faire une politesse à ses bourgeois ».
- — Je n’ai pas encore pu y goûter, continue-t-elle. Manger ça toute seule… ça durerait trop longtemps… Et puis ça me ferait trop gros cœur… Alors, Monsieur, si ça ne vous gênait pas… au lieu d’aller à la brasserie, nous rentrerions chez moi tout de suite… je ferais cuire le boudin et les crépinettes… Ça serait gentil et ça me ferait tant de plaisir !
Il lui demande :
- — As-tu de la moutarde ?
- — Tiens, dit-elle, c’est drôle, je n’y avais pas pensé.
Il entre chez un épicier, achète un pot de moutarde, plus une bouteille de Champagne à trois francs. Il monte, derrière la fille, au cinquième d’un petit hôtel garni de la rue Cujas, étroit comme un phare.
Description brève de la chambre. Il y a, sur la commode, des photographies de paysans endimanchés.
- — C’est mes parents, dit-elle.
Elle fricote le boudin et la saucisse dans un petit poêlon sur une lampe à essence… Puis ils se mettent à table… Elle lui raconte son histoire (que vous devinez) ; elle s’attendrit en la racontant ; et ses larmes tombent sur le boudin…
M. Ferdinand Fabre, Méniquette-Pigassou.
L’auteur nous confie que, dans son enfance, il aimait déjà toutes les femmes, comme il a continué de faire au grand séminaire de Montpellier,
Donc, le jeune Ferdinand a treize ans ; il apprend le latin chez son oncle l’abbé Fulcran, curé de Lignières-sur-Graveson ; celle qu’il aime, c’est Mlle Méniquette, une jolie personne de vingt ans, mi-paysanne et mi-bourgeoise, fille de M. Pigassou, maire de Lignières.
Il voit souvent Méniquette. Elle vient tous les samedis, et aussi la veille des fêtes, parer l’autel, mettre en ordre les vêtements sacerdotaux. Une fois, M. l’abbé Fulcran a trouvé son neveu en train de baiser ces saints ornements, auxquels les mains de Méniquette venaient de toucher ; et le digne prêtre, peu clairvoyant, a loué Ferdinand de sa piété.
M. l’abbé Fulcran a pour Méniquette la plus haute estime :
- — Mlle Pigassou est une âme d’élite, répète-t-il à tout propos.
… M. l’abbé Fulcran et son neveu sont invités à faire le réveillon chez M. Pigassou ; Ferdinand ne se tient pas de joie. De plus, il doit chanter un solo à la messe de minuit ; et Méniquette sera là !
Description de la messe de minuit à Lignières-sur-Graveson. Énumération des principaux assistants, avec leurs prénoms et profession. Les femmes, encapuchonnées de noir, ont apporté leurs lanternes Effets de lumière et d’ombre.
Le jeune Ferdinand, étranglé d’émotion, rate son solo. Il fait un couac… et voit rire Méniquette, qui est assise sur le premier banc, « du côté de la sainte Vierge ».
Son désespoir est tel, qu’il se sauve dans la sacristie ; là, il dépouille son rochet et sa soutanelle d’enfant de chœur ; il ouvre la porte qui donne sur le cimetière, escalade le mur, se jette au hasard à travers champs.
Il songe en pleurant :
- — Elle ne m’aime pas !
Et il sent si vivement la misère et la vanité de ce monde qu’il s’écrie au milieu de ses larmes :
- — Puisque c’est comme ça, je me ferai trappiste !
…. Après la messe, M. l’abbé Fulcran est rentré au presbytère : « Où donc est Ferdinand ? » II pense que l’enfant l’a devancé chez M. Pigassou. Mais non : personne ne l’a vu.
On se met à sa recherche, et Méniquette finit par le découvrir, blotti sous la remise, derrière une charrette, sanglotant et grelottant.
Elle l’attire par sa blouse, l’interroge, l’apaise, l’embrasse sur les deux joues.
… M. l’abbé Fulcran, toujours aussi clairvoyant, morigène son neveu en ces termes :
- — Vous avez obéi, mon enfant, à un sentiment peu digne d’un chrétien. Si votre voix, novice encore et mal affermie, trompa votre pieuse ardeur, il fallait accepter cette mésaventure comme une épreuve envoyée par la divine Providence, et n’en pas concevoir un dépit où je crains qu’il n’y ait, hélas ! beaucoup d’orgueil et de vaine gloire. Vous réciterez avant de vous endormir un acte d’humilité, pour que Dieu vous pardonne.
Ce coquin de Ferdinand récitera tout ce qu’on voudra. Il est assis auprès de Méniquette, qui lui sert un gros morceau de saucisse. Il est heureux…
M. Émile Zola, Une farce de buteau.
Lise étant morte des suites d’un coup de pied qu’il lui a donné en plein ventre dans un moment de vivacité, Buteau a épousé en secondes noces la Guezitte, une veuve qui possède les meilleures terres de Rognes. La Guezitte a un enfant de son premier mariage, Athénaïs, une petite fille de huit ans, que Buteau, naturellement, déteste et martyrise.
On doit faire le réveillon chez les Buteau. Ils ont invité M. et Mme Charles, les Delhomme, Jésus-Christ et la Trouille (car la mort ; du père Fouan a réconcilié toute la famille). En attendant, les femmes sont à l’église, et les hommes au cabaret, où Jésus-Christ explique aux camarades que c’est son jour de naissance et se livre là-dessus à des plaisanteries de pochard que vous me dispenserez de vous rapporter.
Buteau, bon garçon, est resté chez lui pour aider sa femme. Il a, d’une taloche, renvoyé dans sa soupente la petite Athénaïs qui parlait d’aller à la messe de minuit.
Préparatifs du réveillon. Longue description coupée de fragments de dialogue extrêmement familiers. Joie de Buteau à la pensée qu’on va s’en fourrer jusque-là ».
… On s’aperçoit qu’il n’y a plus d’eau-de-vie. Buteau envoie la Guezitte en chercher un litre chez Macqueron. Comme il fait un temps « à ne pas f… un curé dehors », Buteau préfère garder la maison : « T’inquiète pas ! je mettrai la table pendant ce temps-là. » Et il entre dans la chambre, où est l’armoire au linge…
« Il aperçut, sous la cheminée, une paire de petits sabots, les sabots d’Athénaïs, que l’enfant avait déposés là, en cachette, confiante dans la visite du petit Jésus.
« — N… de D… ! gueula Buteau ; je t’en vas f… moi, des étrennes, enfant de g… !
« Mais tout à coup il se calma. Même une gaieté passa dans ses petits yeux jaunes, comme s’il rigolait intérieurement à la pensée d’en faire une bien bonne.
« Il serra les lèvres, comme quelqu’un qui fait un effort et qui s’éprouve, défit ses bretelles et… »
Non, décidément, je ne puis vous dire ce que déposa Buteau dans les petits sabots d’Athénaïs.