Mallarmé, Stéphane (1842-1898)
[Bibliographie]
L’Après-Midi d’un faune (1877). — Petite philologie (1878). — Les Dieux antiques, nouvelle mythologie (1880). — Yatuk, roman anglais, précédé d’une préface (1880). — Poésies, édition, photolithographiée (1887). — Les Poèmes d’Edgar Poe (trad.). — Vers et Prose (florilège). — Les Divagations (1897).
OPINIONS.
Paul Verlaine
Mallarmé fut particulièrement joli, mais d’une injustice qui révolta chacun d’entre nous pirement que toutes blessures personnelles. Qu’importent d’ailleurs, qu’importent surtout encore ces torts de l’opinion à Stéphane Mallarmé et à ceux qui l’aiment comme il faut l’aimer (ou le détester) immensément !
publia contre nous, dans le Nain jaune, une série d’articles où l’esprit le plus enragé ne le cédait qu’à la cruauté la plus exquise ; le « médaillonnet » consacré àFrançois Coppée
M. Catulle Mendès a dit,
avec finesse, dans sa Légende du Parnasse contemporain, que
M. Stéphane Mallarmé
était ce qu’on appelle au collège un « auteur très difficile »
. Il
est, en effet, plus aisé de sentir le charme pénétrant et mystérieux de M. Mallarmé que de définir et
d’analyser ce charme. Lorsque tant de contemporains font de la peinture avec des
mots, voici un poète qui s’en sert pour faire de la musique.
Francis Vielé-Griffin
Nous ne croyons pas que M. Stéphane Mallarmé ait jamais eu l’ambition de régenter les lettres ; ce poète est si peu le chef théorique, autocrate et partial des « phalanges symbolistes », qu’il professe à la fois une espèce de culte outré pour les vers fantômes de Théodore de Banville, pour les magniloquences crispées de M. Verhaeren et pour les lents, doux poèmes à robes lâches de M. de Régnier.
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Or nous vous en voulons, oh ! si peu ! d’une chose : c’est d’avoir, en reculant la ligne d’ombre vers les hautes ténèbres intellectuelles, suscité à nos esprits qui vous ont suivi quelque crépusculaire illusion d’un radieux midi ; c’est d’avoir, levant, d’un geste, nos yeux vers l’éblouissement interdit de l’absolu, d’avoir obscurci en nous le sens de la clarté.
Lucien Muhlfeld
Aujourd’hui, quelle est au juste l’influence particulière de ce poète ? Je distinguerai les imbéciles et les rares. Ceux-là, ne comprenant pas, croient l’objet obscur et « font obscur ». Ils sont contournés, affectés, incohérents, alors que le maître est tout ingéniosité, grâce et ordre. Différent, ils le soupçonnent méprisant et, voulant imiter ce qu’ils devinent, se fabriquent des partis pris : cependant qu’il n’est pas sorti de sa générale bonté, même pour les fustiger, ces petits. Il y a aussi quelques autres, dignes. Ils savent combien la forme de Mallarmé le traduit fidèlement, simplement, qu’il est modèle de pensée libre, hardie, harmonieuse, d’expression originale, non professeur d’un procédé. Pour ceux-là, je demande une publication intégrale et soignée au bon libraire Edmond Deman. Et tout de même, il faut remercier le présent éditeur et le poète qui l’autorisa et qui nous donna la joie d’une couverture fraîche portant son nom.
Notre Père, hosanna du jardin de nos limbes.
Camille Mauclair
L’œuvre de M. Mallarmé,
sa théorie du symbole, mot appelé à une si étrange et triomphante fortune ! ses
théories sur le théâtre suprême, sur l’union de l’art et de la morale, tout cela
rayonne dans ses écrits d’une telle irradiation, que je ne saurais sans altération
vous en parler. Un volume même serait fastidieux sur ces choses. Elles peuvent
résumer leur but dans un des vers du maître : « Donner un sens plus pur aux
mots de la tribu »
. Elles vivent, dès à présent, par la profonde
impression qu’elles produisirent sur un grand nombre d’esprits contemporains.
C’est un fait facile à constater, M. Mallarmé, par ses articles, ses œuvres fragmentaires et ses
causeries, a été le grand éducateur de l’art métaphysique de ces dernières années,
et ce seul rôle explique les polémiques et les sympathies, sa situation spéciale,
son renom de hautaine et noble intégrité.
Achille Delaroche
Pour la première fois depuis Racine (on n’oublie pas André Chénier, Vigny, Baudelaire, qui le furent par hasard), le poète se révéla maître, non héraut servile de l’inspiration, la dominant, la dirigeant à son gré vers le but assigné. Il conçut le poème une musique, non l’inarticulé balbutiement dont chaque flot sonore meurt perpétuellement au seuil de l’inexprimé, mais la vraie, l’idéale musique abstraite, dégageant le rythme épars des choses, douant d’authenticité, par la création divine du langage, notre séjour au sein des apparences fugaces. Et pour traduire le frémissement intime du rêve, au lieu de la vulgaire élocution banale, il se réserva le droit de refondre, en un alliage neuf, inouï, absolu, les vieux vocables discrédités.
Ferdinand Brunetière
D’autres raisons nous ont empêchées de parler de M. Stéphane Mallarmé, dont la première est celle-ci, qu’en dépit de ses exégètes, nous n’avons pas pu réussir encore à le comprendre. Mais cela viendra peut-être.
Teodor de Wyzewa
À mesure que je sens mieux l’obscurité des poésies de M. Mallarmé, je devine mieux et j’admire davantage les causes qui rendent ces poèmes parfois si obscurs. Si M. Mallarmé a cessé d’être clair, après l’avoir été dans les magnifiques poèmes de sa première manière, c’est qu’il a voulu employer la poésie à des fins plus hautes. Il a rêvé d’une poésie où seraient harmonieusement fondus les ordres les plus variés d’émotions et d’idées. À chacun de ses vers, pour ainsi dire, il s’est efforcé d’attacher plusieurs sens superposés. Chacun de ses vers, dans son intention, devait être à la fois une image plastique, l’expression d’une pensée, l’énoncé d’un sentiment et un symbole philosophique ; il devait encore être une mélodie et aussi un fragment de la mélodie totale du poème ; soumis avec cela aux règles de la prosodie la plus stricte, de manière à former un parfait ensemble, et comme la transfiguration artistique d’un état d’âme complet.
C’est la plus noble tentative qu’on ait faite jamais pour consacrer la poésie, pour lui assurer définitivement une fonction supérieure, au-dessus de ces insuffisances, des à peu près, des banalités de la prose. Et si maintes nuances nous échappent fatalement, entre tant de nuances diverses, nous percevons cependant la grandeur de l’ensemble. Un charme délicat nous pénètre, un subtil parfum, une légère coulée de sons doux et purs.
Remy de Gourmont
Avec Verlaine, M. Stéphane Mallarmé est le poète qui a eu l’influence la plus directe sur les poètes d’aujourd’hui. Tous deux furent parnassiens et d’abord baudelairiens… On a bien dit de lui qu’il était difficile comme Perse ou Martial. Oui, et pareil à l’homme d’Anderses, qui tissait d’invisibles fils, M. Mallarmé assemble des gemmes colorées par son rêve et dont notre soin n’arrive pas toujours à deviner l’éclat. Mais il serait absurde de supposer qu’il est incompréhensible ; le jeu de citer tels vers, obscurs par leur isolement, n’est pas loyal, car, même fragmentée, la poésie de M. Mallarmé, quand elle est belle, le demeure incomparablement.
Maurice Le Blond
Quant à la forme poétique dont il usa pour parfaire de beaux poèmes comme Apparition, les Fleurs ou ce fragment d’Hérodiade que jamais il n’eut l’audace et la foi d’achever, ce serait une grossière erreur de croire qu’elle lui appartient en propre. Il en a trouvé de superbes et antérieurs modèles chez un poète de sa génération, je veux parler de ce nostalgique et mélodieux Léon Dierx. Ces meilleures mélopées où l’alexandrin s’enroule en courbes molles et longuement modulées, ces graves poèmes où, par l’analogie des métaphores et l’harmonieuse combinaison des consonances, la parole parvient à des effets symphoniques, ce fut Léon Dierx qui en découvrit la musique.
Adolphe Retté
M. Mallarmé n’est ni un grand penseur ni un grand poète. En lui se résume et se concrète l’épuisement d’une école dominée par la folie intempérante de la forme. Il a trop cru aux mots, et les mots l’ont perdu. Il est le Rhéteur décadent par excellence. Enfin, on ne saurait trop le répéter, il nous apprit comment il ne faut pas écrire.
Paul Adam
Quel courage plus magnifique fut que celui dont Stéphane Mallarmé donna l’exemple ! Écrivain savant, il eût pu, par des histoires sur le cœur des femmes adultères, se saisir de la faveur publique, de l’argent, de la renommée.
Autour de lui, ses amis ont triomphé, les uns par l’art, les autres par le mensonge de l’art. Il eut, lui, le culte de la pensée au point d’y sacrifier tout bonheur. Analysant à l’extrême la force des mots, il concentra sous chacun le plus d’expression par le travail d’un esprit généralisateur que nul ne put égaler. Il y a, par le monde, sept ou huit mathématiciens d’une grande force intellectuelle. Personne autre ne peut résoudre les problèmes qu’ils se proposent entre eux. Cependant on ne méprise pas ces mathématiciens.
Les littérateurs de boulevard raillaient, au contraire, l’œuvre de Mallarmé, bien qu’elle fût analogue à celle de ces calculateurs. Avec la plus noble vaillance, il supporta ces railleries. Il accepta qu’elles écartassent de lui, pour toujours, le public qui achète les livres. Professeur, il enseigna, afin de conserver sa belle indépendance, l’anglais aux enfants d’un collège. Rien ne le détourna de pâtir. Il approfondit ses méditations.
Il créa des pensées miraculeuses, des types de métaphores qui résument en les éclairant toutes les philosophies. Nous l’aimâmes, en petit nombre. Il s’en satisfaisait, indulgent aux livres simples de ses adversaires dont il exaltait les mérites si différents de ses vertus. Lui, n’eut même pas, comme l’explorateur, l’action pour s’éblouir et se croire, un instant, près de vaincre. Entre sa femme et sa fille, deux grands caractères, il vécut, doux, accueillant et paisible. Il fut mieux qu’un héros, il fut un saint.
Paul et Victor Margueritte
Cet homme qui vient de mourir, et que les jeunes gens avaient appelé durant sa vie le prince des poètes, était vraiment un prince. Il l’était de par sa nature élégante et hautaine, qui donnait tant de grâce fière au moindre de ses gestes, tant de finesse à son sourire, tant d’autorité à son beau regard lumineux. Il l’était de par cette maîtrise de soi, empreinte à chaque ligne de son œuvre comme à chaque ride de son front ; de par cette aristocratie absolue qui le faisait vivre à l’écart et qui, à peine surgissait-il en quelque réunion, le désignait, le consacrait. Il l’était de par tout son être exquis et rare.
Albert Mockel
Le poète restreignait peu à peu les éléments sensibles de son œuvre. On a pu le lui reprocher. Mais il reprenait ainsi, en les conduisant, il est vrai, à l’extrême, les traditions les plus anciennes des lettres françaises. Le Romantisme, né d’influences étrangères comme la Pléiade autrefois, avait enrichi la Poésie d’une multitude de couleurs et de formes, d’une harmonie plus sonore et d’une émotion nouvelle. Mais la tradition française est plus sobre quant aux moyens extérieurs, et moins sentimentale que logicienne. L’art de Stéphane Mallarmé est, avant toutes choses, une logique.
Joachim Gasquet
Le monde est fait pour aboutir à un beau livre, a dit Stéphane Mallarmé. Je ne l’oublie pas. Il est presque inutile cependant de faire remarquer que ce n’est point dans ce sens que je parle. La vraie bombe, c’est le livre, a-t-il dit aussi. La réalité du Chant, pour moi, est autre. Mallarmé, par le spectacle prométhéen d’un immense génie foudroyé, nous a donné le goût de l’héroïsme et l’impérieux besoin de la victoire. Une part de sa stérilité lui vient de cette sorte d’aristocratie anarchique qui, comme à Baudelaire, comme à Villiers de l’Isle-Adam, lui fit concevoir le dédain de certaines actions nécessaires.