(1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »
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(1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

[Préface]

En réunissant en volumes les plus anciens articles de M. Sainte-Beuve, insérés dans Le Globe à partir de l’année 1824, nous ne faisons que réaliser un projet exprimé par lui dans la dernière édition des Portraits Contemporains, peu de mois avant sa mort (1869) :

« Je me propose pourtant, dit-il, si je vis, de donne dans un volume à part la suite de mes articles au Globe ; on me dit que ce ne serait pas sans intérêt, et je me suis laissé persuadera. »

Mais nous ne nous sommes pas borné seulement aux articles du Globe, qui sont le point de départ et comme la préface de cette publication, et nous avons recherché dans d’autres recueils postérieurs tout ce qui, à notre connaissance, était encore épars de l’œuvre du maître. Le National, dès l’année 1832, la Revue des Deux Mondes, le Temps de 1835 et celui de 1839, le Moniteur Universel, la Revue Contemporaine, des ouvrages pour lesquels M. Sainte-Beuve avait écrit des Introductions ou des Préfaces, ont contribué à la formation de cette nouvelle galerie de Lundi.1 qui prend la carrière littéraire de l’illustre critique à ses débuts, et l’embrasse tout entière. Nous avons tâché de rendre cette collection aussi complète et définitive que possible. Il se peut néanmoins que quelque morceau important nous ait échappéb ; et dans ce cas nous serions reconnaissant au lecteur qui voudrait bien nous indiquer des lacunes de ce genre relies disparaîtraient dans un dernier volume de Mélanges. Mais partout où nous avons acquis la preuve matérielle qu’un article, un bulletin littéraire, une chronique étaient de M. Sainte-Beuve, — et cette preuve nous a été fournie tantôt par les initiales caractéristiques S.-B, tantôt par les Pensées et Fragments, donnés par lui à la fin du tome II des Portraits Contemporains, — nous n’avons pas hésité à glaner les pages qu’il avait laissées après lui.

Il faut prévoir les objections et les critiques que font naître toujours des publications comme celle-ci : on ne manquera pas de trouver que nous en avons « trop mis », que nous ne nous sommes pas assez souvenu de l’esprit général de cet Avertissement, auquel nous avons pris en commençant une note justificative.

M. Sainte-Beuve y disait en effet, bien antérieurement à la note invoquée par nous, et comme en prévision du présent recueil :

« Je sauve ce que je puis du bagage avarié : je voudrais que ce que j’en rejette périt tout à fait et ne laissât pas trace. Par malheur, il n’en est point absolument ainsi ; ce qu’on recueille dans de gros volumes n’est pas sauvé par là même, et ce qui reste dans des feuilles éparses n’est pas tellement perdu que cela ne pèse encore après vous pour surcharger au besoin votre démarche littéraire, et, plus tard, voire mémoire (si mémoire il y a), de mille réminiscences traînantes et confuses… Il convient donc de ne répondre littérairement que de ce qu’on a admis, et, sans avoir à désavouer le reste, de le rejeter au fond. En un mot, quand on a souci de l’avenir, quand, sans avoir la vanité de croire à rien de glorieux, on se sent du moins le désir permis d’être en un rang quelconque un témoin honorable de son temps, on a toutes les précautions à prendre. on ne saurait trop faire navire et clore les flancs, pour traverser, sans sombrer, les détroits funestes. »

Et comme pour mieux détourner dans l’avenir du dessein de rechercher ses anciens articles, le critique disait encore :

« Après le Globe saint-simonien, que je n’avais pourtant pas tout aussitôt déserté, je suis entré au National par suite d’obligeantes ouvertures de Carrel. J’y ai donné d’assez rares articles littéraires, dont quelques-uns se trouvent recueillis dans les précédents volumes ; quelques autres que je pourrais regretter sont empreints d’une personnalité assez vive pour que je les y laisse… »

Ce n’était plus son avis quand il est mort. Nous sommes déjà tout justifié en ce qui est des articles du Globe que nous avons réimprimés ; quant à ceux du National, nous pouvons répondre aux lecteurs qui nous opposeraient le passage ci-dessus, que M. Sainte-Beuve avait également commencé à nous les faire rechercher, et qu’il nous en désignait particulièrement quelques-uns, — les deux entre autres sur Jefferson, qu’on trouvera à leur date dans ces volumes. Un article du même temps sur M. Louis de Carné, qu’il avait oublié, a même été repris par lui, au passage, dans le National, dès qu’il lui a été signalé, et fait partie, depuis 1869, des Portraits Contemporains (tome II). Comme on le voit, et comme on le savait déjà, M. Sainte-Beuve élargissait, à la fin de sa vie, le cadre sévère de sa seconde jeunesse. Nous n’avons eu d’autre effort à faire que de nous remettre au point de vue et dans la voie où l’habitude journalière de vivre et de penser littérairement avec lui nous avait laissé à sa dernière heure.

Rien n’est plus difficile d’ailleurs que de faire un choix dans des œuvres posthumes ; et, en l’absence de l’auteur, nous ne nous sommes pas cru le droit de substituer notre goût à celui du public, d’élaguer la matière à notre gré. Une autre considération qui nous a déterminé aussi à ne rien omettre de ce qui portait la marque infaillible de l’écrivain jusque dans de simples notices bibliographiques, c’est que nous avons obtenu la certitude que nous allions rendre service à des travailleurs spéciaux : cette conviction nous est venue, à mesure que nous retrouvions quelques-unes de ces pages oubliées, en les signalant à des savants pour lesquels elles devaient être un motif d’intérêt. La meilleure manière pour eux de nous en remercier a été d’utiliser, quand ils l’ont pu, le résultat de notre recherche.

Nous ne voulions pas d’autre encouragement. A ne prendre même au surplus ces notices, — ces esquisses que comme de purs témoins d’une époque, elles ont encore leur importance, en ce sens qu’elles ravivent, dans le monde de la littérature et du théâtre, certains épisodes autrefois bruyants, et qui n’ont pas cessé d’être piquants. Ce sont des éphémérides de la critique : elles doivent une double valeur littéraire à la Revuec d’où elles sont extraites et à la plume qui les a écrites. Nous n’avons que peu de chose à ajouter pour l’explication de la pensée qui a présidé à la composition de ces volumes. M. Sainte-Beuve a plus activement collaboré au Globe, après la révolution de juillet 1830, ainsi qu’il l’a dit lui-même dans Ma Biographi.d, que ne pourrait le faire supposer le petit nombre d’articles, que l’on a réunis à cette date. Mais comme ils ne sont plus signés, pas même de simples initiales, nous n’avons dû admettre que ceux qu’il avait désignés d’avance ou auxquels il renvoie dans des œuvres postérieures. Sa collaboration devient d’autant plus difficile à saisir, qu’elle s’est fondue quelquefois dans des articles écrits avec Pierre Leroux, de telle sorte qu’on sent par moments les idées de l’un, le style de l’autre. Comme nous lui en faisions un jour l’observation, il nous répondit par l’explication que nous venons de donner, et qui du reste n’était pas un mystère. Des entrefilets politiques portent également sa marque — une empreinte vive et brûlante (comme on en écrivait dans ces mois où la lave fumait encore) — mais il n’a pas eu le temps d’avouer ou de rejeter la paternité de chacun d’eux, et nous devons nous borner à celui que nous avons déjà donné dans Ma Biographi.e.

Quoique M. Sainte-Beuve ait dit encore dans cette courte notice sur lui-même que ses premiers articles un peu importants dans le Globe furent ceux qu’il commença à écrire sur M. Thiers et sur M. Mignet (à partir de janvier 1826), nous avons maintenu dans ce volume, à leur date, les articles qui précèdent, et qu’il avait fait copier. Mais, pas plus que lui, nous n’avons cru devoir conserver des Premiers Lundis sur les lies de Chio, Lesbos ou Mitylène, Candie, au bas de l’un desquels apparaissent pour la première fois les initiales S.-B., le 4 novembre 1824. Ils sont certainement pleins de chaleur et de lumière, et tout à fait inspirés du sujet qui faisait alors la préoccupation des plus grands poètes et artistes : la guerre de l’indépendance grecque.

Mais leur intérêt était surtout dans leur actualité. C’est par ces essais que M. Dubois, l’un des fondateurs du Globe et qui avait été professeur de rhétorique à Charlemagne, initiait son ancien élève au métier d’écrire.f

Jules Troubat.