(1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »
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(1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Victor Hugo

I

La Légende des Siècles (IIIe et IVe volumes) [I-VI].

J’aurais aimé à ne pas parler, cette fois, de Victor Hugo — et si j’en parle, c’est malgré moi. C’est contraint et forcé. Je n’y suis pas forcé par son génie, mais j’y suis forcé par son succès. Les deux volumes que voici n’ajoutent pas un iota à ce génie que j’ai suivi, reconnu, décrit et jugé tant de fois dans ses œuvres. Mais son succès (sans contradicteurs de son vivant) ajoute à son bonheur, — au bonheur littéraire d’un homme qu’on pourrait appeler le Polycrate, tyran de Samos, de la littérature… Le succès des IIIe et IVe volumes de La Légende des Siècles, quand ils parurent, sembla compléter sa destinée. Il fut si grand, même pour lui, accoutumé aux succès, que les réclamiers qui y travaillèrent semblèrent avoir de l’âme, et que ceux qui ont de l’âme et qui en parlèrent, semblèrent des réclamiers. Des réclamiers splendides, il est vrai ! Ils se sont mis sur ce pied d’être splendides, comme on prend des habits de fête pour faire plus d’honneur à quelqu’un. Ils ont même pris leurs accoutrements de gala au vestiaire de Victor Hugo, afin de rendre leur magnificence plus flatteuse. Ils ont mis les culottes de leur Empereur… Ils ont crocheté… son dictionnaire, pour parler de lui avec ses propres mots. Rude tâche que de vouloir parler cette langue qui éventre tout et s’éventre elle-même ! De pauvres diables s’en sont crevés.

Mais moi, qui ne la parle point, et qui, par conséquent, ne crèverai pas, je n’en essaierai pas moins de constater dans la mienne ce qui me frappe en ce tonnant succès des IIIe et IVe volumes de La Légende des Siècles, et ce qui me frappe surtout, c’est que ce fut un succès littéraire, — un succès purement et absolument littéraire. Il ne devait rien, celui-là, aux circonstances qui ont porté souvent Victor Hugo sur tous les pinacles ! L’Empire était tombé. Guernesey loin, dans sa brume et dans son écume. Nous étions bien chez nous, nous et nos chats ; car nous avons des chats comme Napoléon disait qu’il y en avait aux Tuileries… Le Romantisme, qui avait commencé et même poussé notre fortune, était mieux que mort, il était insulté. Il n’y avait plus d’idées à mettre par terre, — elles y étaient toutes… Dans cette table rase de tout, bombait seulement sur la platitude infinie la petite chose malpropre de M. Zola, que je crus d’abord que le succès de Victor Hugo enlèverait, comme un balai neuf ! Il n’y eut donc ici que Victor Hugo et sa puissance. Il n’y eut bien que Hugo tout seul. Il n’y eut que le poète et son œuvre : une œuvre qui n’était pas nouvelle ; un poète qui n’était pas nouveau, et qui ne nous donna pas, avec sa Légende des Siècles d’alors, une seule impression qu’il ne nous eut déjà donnée dans sa première Légende des Siècles.

Ah ! certes, il faut que nous soyons de bien bons enfants en littérature, si nous sommes en politique de mauvais garçons ; il faut que nos besoins d’originalité ne soient pas bien grands, à nous autres éreintés de l’époque actuelle, pour que nous soyons si aisément satisfaits de la répétition des mêmes idées, des mêmes sentiments, du même langage et presque des mêmes mots, des mêmes tableaux et de la même manière de peindre, et que nous en jouissions avec autant de pâmoison de plaisir et de furie d’enthousiasme que si tout cela était inconnu, inattendu, virginal, et tombé, pour la première fois, du ciel ou du génie d’un homme. Ah ! il faut que nous soyons bien profonds ou bien superficiels, pour qu’un second coup porté sur nos esprits et sur nos âmes retentisse sur ce timbre sonore et sensible aussi fort que le premier, et même davantage. Il faut que nous ayons la peau bien tendre à la tentation… d’admirer, pour que nous admirions, dans les mêmes termes, bien des années plus tard, des choses écrites dans les mêmes termes qu’autrefois ! Étonnante fidélité de sensation pour des Français, qui ont si longtemps passé pour de beaux infidèles ! Assurément, je ne suspectais pas la loyauté de cette sensation obstinée. Je la crus vraie. Mais je me demandais avec anxiété si nous l’aurions longtemps encore, si nous aurions l’infatigabilité de l’émotion et de l’admiration à la troisième, ou à la quatrième, ou à la cinquième fois que Victor Hugo nous apporterait son stock d’épopées. Car il était dans la nature de son talent de nous en donner beaucoup, de nous en donner indéfiniment ; la qualité de Victor Hugo étant, et je ne veux pas la diminuer, d’être un puits artésien de poésie, — un puits artésien intarissable, mais intarissable de la même eau.

II

Et, cependant, s’il y avait un sujet qui exigeait et qui pût donner de la variété à un poète et féconder son inspiration, c’est à coup sûr une épopée ou une suite d’épopées qui se fût appelée La Légende des Siècles. Le poète, ici, n’était pas même tenu à l’unité, de rigueur partout. Il n’était pas une intelligence unitaire, mais il n’avait pas à mettre son pied dans l’anneau d’or qui enchaîne ordinairement les poètes, ces forçats divins ! L’Iliade et l’Odyssée ont leur unité, et elle est même si profonde qu’elle est la plus déconcertante réplique que l’on puisse faire aux anarchiques rêveurs qui affirment l’existence de plusieurs Homères. Dante lui-même, quoique son poème embrasse trois sphères différentes, a l’unité de son grand cadre, circonscrit malgré sa grandeur. Tous les poètes faiseurs d’épopées sont les glorieux captifs d’une idée première, s’écartant, comme les rayons d’un cercle, mais s’arrêtant, comme les rayons du cercle, à une limite impérieuse et précise… Or, par un choix exceptionnel, le poète de La Légende des Siècles n’était pas obligé à l’unité grandiose et tyrannique des autres poètes. À lui, son sujet n’était point une place ou un fait déterminé de l’Histoire. C’était toute l’Histoire ouverte à l’imagination du poète, qui plane sur tout, s’abat sur tout, et va librement et impétueusement où il a fantaisie ou volonté d’aller ! Le poète de La Légende des Siècles avait à lui toutes les légendes, c’est-à-dire l’Histoire ondoyante, incertaine, indémontrable, mais apparente quoique mystérieuse, nuée des mille reflets de l’arc-en-ciel, colorée de soleil ou de foudre, veloutée sous l’estompe bleue de la distance ou sous l’estompe noire du temps. Victor Hugo pouvait se jouer dans tout cela comme Ariel dans les nuages, mais Ariel, oubliant ses ailes, s’est accroupi à deux ou trois places de l’Histoire, et est resté là, monumentalement immobile sur son lourd derrière de Caliban. La légende, si variée, en réalité, ne donne dans Victor Hugo que quelques notes, et ce n’est pas, certes ! l’érudition qui manque au poète de La Légende des Siècles. Il est aussi érudit qu’un vieux savant et son érudition n’est jamais officielle : elle est curieuse, elle est recherchée, elle est originale, moins historique que légendaire, téméraire, hasardeuse, ce qui convient, d’ailleurs, dans le cas présent. C’est enfin l’érudition qui fouille dans tous les coins et qui descend et remonte toutes les spirales du temps et de l’espace, Victor Hugo a tout cela à son service, mais ce qu’il n’a pas, c’est l’imagination qui sait faire de cette tradition sa servante, la servante du roi ! Je vais dire une chose scandaleuse et qui fera peut-être pousser un cri : ce grand poète de Victor Hugo est certainement plus érudit encore qu’il n’est poète.

Il a l’imagination du mot plus que de la chose, et ce qui le prouve, ce sont les redites de ces seconds volumes, échos des premiers. Voyons, en effet, si nous ne sommes pas un peu dans les mêmes atmosphères… Est-ce que Le Titan n’y rappelle pas Le Satyre ? Est-ce que l’Espagne, les Pyrénées, l’Aquitaine, ce que le poète appelle « le cycle pyrénéen », déjà vues, ne reparaissent pas ? Est-ce que les effroyables et superbes orgies des Rois barbares, les coupe-gorges des brigands féodaux, toutes ces vastes et violentes peintures avec lesquelles nous croyions en avoir fini pour passer à d’autres tableaux, ne recommencent pas trait pour trait ici, mais moins appuyés, et toute l’imagination des mots dont le poète a la puissance nous illusionne-t-elle assez pour nous faire accepter comme une inspiration neuve la desserte d’un repas déjà servi, et qui, comme Macbeth, nous a rassasiés d’horreurs ? Nous nous souvenons que nous avons, pas bien longtemps auparavant, assisté à ces évocations grandioses, à ces fantasmagories formidables, affaiblies maintenant, pâlies, devenues fantômes dans le jour lumineux de l’énergique souvenir que nous en avions gardé. La magie des mots n’empêche pas le déchet des choses… Elle n’en comble pas l’absence non plus. Dans la légende de ce Moyen Age dont Hugo, qui a l’ambition d’être le poète historique, c’est-à-dire impersonnel, ne connaît guères que la moitié, ces choses que j’avais signalées comme oubliées dans les premiers volumes de La Légende des Siècles sont également oubliées dans les secondes. Il n’y a, ici comme là, ni le côté grandement chrétien, ni les bons Évêques, ni les Saints, ni les Héros comme Saint Louis et Joinville… Le Cid lui-même, qui tient tant de place dans le Romancero du second de ces deux volumes, est bien plus féodal que catholique de mœurs et d’accent, ce qui est faux historiquement, mais ce qui, de plus, est un contresens en Espagne. Et il y a plus. Puisque Victor Hugo est le poète imprécatoire et maudissant du Moyen Age, on peut s’étonner qu’il ait perdu une occasion de maudire et qu’il n’ait pas fait sortir de la cendre de l’Histoire et de leur bûcher ces Templiers, par exemple, — calomniés peut-être, mais la Calomnie fait des légendes aussi bien que la Vérité !… La Haine est une fière Muse, quand on l’a vraiment dans le cœur ! Mais cette Muse-là, sur laquelle on pouvait compter, la Muse des Châtiments, est restée muette. J’admire assez Victor Hugo pour le déplorer. Du moins, s’il y avait pensé, la main qui aurait touché aux Templiers, n’eût-elle peint que leurs vices, aurait été de proportion avec eux. Elle ne nous aurait pas donné le Templier vignette anglaise, cette figure que Michelet, l’illuminé de Satan, reprochait à l’honnête Walter Scott de n’avoir ni empoignée, ni même saisie, mais prise avec l’extrémité de la pincette d’un sucrier. Et l’on voit par là que si Hugo a, dans sa seconde Légende des Siècles, remis ses pieds dans la trace de ses pieds imprimés si fortement dans la première, c’est qu’il n’avait pas l’imagination des choses autant que celle des mots. On voit qu’il pouvait y marcher d’une plus brave manière… Il y avait du chemin à côté.

Mais je l’ai dit, la distinction entre les deux imaginations devait être faite : Hugo n’a presque exclusivement que celle des mots. Il l’a au point que, bien souvent, il s’enivre d’eux jusqu’au vertige, et qu’il ressemble alors au Quasimodo de son invention, enfourchant la cloche de Notre-Dame et devenant fou du mugissement d’airain qu’il a sous lui et qui lui remonte au cerveau ! Si on ouvrait celui de Hugo, on le trouverait peut-être noyé dans des mots. Seulement, cette imagination verbale, qu’il possède à un si étonnant degré, est comme toutes les grandes puissances, qui tournent à mal et à vice. Il s’abandonne à elle et elle le perd. C’est cette imagination, devenue funeste, qui lui fait, à toute page, entasser les mots sur les mots et sur les idées que ces mots étouffent. C’est cette imagination qui lui fait allonger démesurément ces fatigantes et brisantes énumérations sur la claie desquelles il nous traîne par tous les chemins de ses Légendes et qui est le caractère de ses poésies, excessives seulement dans les mots et toujours trop longues de moitié.

III

Je l’affirme donc avec sécurité, voilà le défaut de cette cuirasse d’or : l’imagination dans les choses ne s’équilibrant pas avec l’imagination dans les mots. Et c’est par ce manque d’équilibre que la Critique peut le mieux expliquer synthétiquement le genre de génie de Victor Hugo. L’équilibre ! Il en a même une très drôle notion (de l’équilibre !), quand il nous dit dans un vers… impayable, du reste, et joyeusement échappé à la gravité de son talent :

Car l’équilibre, c’est le bas aimant le haut !

Il paraît que le bas n’aime pas le haut, dans Victor Hugo. Je m’en étais toujours douté…

Dans un autre vers, moins ridicule que celui que je viens de citer, Victor Hugo a dit un mot qu’on pourrait graver sur son cimier de poète sans équilibre, parce qu’il le timbrerait très bien :

Le prodige et le monstre ont les mêmes racines.

Oui ! peut-être… mais il ne faut pas que leurs tiges et leurs rameaux soient entrelacés ; car la monstruosité ne cessant pas, le prodige n’éclorait jamais, et la proportion, qui l’accomplit, en le rythmant, serait interdite au chef-d’œuvre. Hélas ! il faut le reconnaître, elle est souvent interdite à la poésie de Victor Hugo. C’est un disproportionné s’il en fut oncques. Il a l’ossature gigantesque, mais les mouvements d’un géant sont le plus souvent maladroits, disgracieux, heurtés ; ils cassent, trouent et enfoncent tout, même eux-mêmes. Personne plus que Hugo ne se cogne aux mots. Quand il est poète, car il l’est fréquemment (qui le nie ?), il l’est comme le Titan est encore Titan sous sa montagne. On sent qu’il est Titan à la manière dont il la remue quand il se retourne, à la manière dont il la soulève quand il se cambre sous elle ! Seulement, la montagne et les mots pèsent, et le poète et le Titan sont pris,

IV

Poète, il l’est, mais s’il n’est pas tout à fait Homère, on n’est pas tout à fait Zoïle non plus parce qu’on dit simplement qu’il n’est pas Homère. Ils croient tous, ces diables de poètes, qu’en jetant à la Critique le nom de Zoïle, ils s’appliquent à eux-mêmes sur l’estomac le génie d’Homère. Douce et accommodante rhétorique, mais vaine ! Victor Hugo n’est, certes ! pas, comme le lui disent les terrassiers de son génie, les travailleurs au chemin de fer de sa gloire et de son immortalité, le plus grand poète du xixe  siècle et de la planète ; mais c’est un grand poète, après tout ! Il fut du triumvirat qui a donné les trois plus grands de l’époque, mais il n’en est l’Auguste que parce qu’il est celui qui a vécu le plus longtemps. C’est un poète génialement bon, quand il est bon, mais génialement mauvais aussi, quand il est mauvais, et le malheur est qu’il est souvent plus mauvais que bon. On l’aime tout à la fois et on le déteste. On voudrait toujours l’aimer, mais tout à coup, après une beauté incontestable qui vous a ravi et qu’on lui doit, il vous replonge dans la haine et dans la colère par des choses exécrables ou ridicules d’inspiration et même de forme, et on tombe, plein de ressentiment, de l’hippogriffe aux longues ailes bleues ouvertes en plein ciel, sur le dos du plus affreux casse-cou !…

Ces chutes, dans quel livre de lui ne les fait-on pas ?… La Légende des Siècles que voici est pleine de ces chûtes qu’on partage avec l’auteur, quand il les fait. Il y a, dans cette Légende, des passages d’une grande magnificence, mais il n’y a pas une pièce (je dis : une seule,) d’une beauté soutenue jusqu’à la fin, et il y en a quelques-unes (La Ville disparue) où l’on ne compte pas plus de six beaux vers. Cet énumérateur qu’on appelle Victor Hugo ne se contente pas de jeter au moule de son vers quelque bonne pensée, et de passer fièrement outre pour recommencer et en jeter une autre dans le creuset brûlant et insatiable. Non ! Quand il en a une (comme dans La Colère du bronze), il revient sur elle ; il la reprend ; il la piétine ; il reste, sans bouger d’un seul pas, sur cette pensée, parce qu’il ne peut pas aller à une autre. Et affaibli, il l’affaiblit… On reste là quand on ne peut plus marcher, mais on fait le mouvement de marcher encore !

Et faut-il m’excuser de cette idée d’affaiblissement ?… Je n’ai point l’admiration à clos yeux de ceux-là qui avaient découvert dans Hugo la qualité qui fait le dieu : la vie immobile, féconde, éternelle ; le brisement de la faux du Temps. Il y a eu, Dieu merci ! depuis, beaucoup de vie encore dans ce vieux chêne de poète, mais, franchement, lorsque lis en cette Légende des Siècles, où je trouve des pièces comme L’Abîme, Le Ver de terre, L’Élégie des fléaux, À l’Homme, et bien d’autres qui rappellent les plus purs amphigouris des premières Légendes, et pas une pièce comme Booz, Éviradnus et Le Petit Roi de Galice, il m’est impossible de ne pas voir dans le Victor Hugo de ces secondes Légendes une diminution de la vitalité poétique. Sans doute, l’affaiblissement de Hugo serait une force encore dans un autre homme ! mais dans Victor Hugo, c’est relativement une débilité. Les maladroits qui lui cassèrent journellement la tête avec l’encensoir de sa phénoménale vieillesse, avaient là une insolente flatterie. Le Nestor était devenu visible dans l’Achille… Mais être Nestor, c’est encore une belle chose, et il aurait été plus respectueux de s’en taire que de dire qu’il ne l’était pas !

V

Ce n’est pas, du reste, la seule opinion qui diffère en moi de l’opinion de ces Corybantes forcenés, qui dansèrent si longtemps la Hugo, cette danse sacrée qui un instant remplaça la danse Saint-Guy… Une pièce intitulée Vision, qui ouvre, c’est vrai, le volume avec une majesté grandiose, a fait, selon moi, beaucoup trop croire à la toute-puissance visionnaire du poète (dans le sens prophétique et divinement inspiré du mot). À mon sens, Victor Hugo n’est pas si visionnaire que cela. Ses visions, à lui, ne sont que de la forte rhétorique et de la forte mémoire, la mémoire d’un homme qui a lu fructueusement le Dante et le grand Extatique de Pathmos. La poésie de Hugo n’est pas de celles qui soient tournées naturellement du côté de l’Infini. Il l’y tourne de volonté, comme Darius tournait la tête de son cheval du côté du soleil… La poésie vraie, la poésie sincère de Hugo est bien plutôt du côté contraire. Elle est surtout du côté du fini et du réel. La réalité communique une bien autre puissance que le rêve à cet esprit qui a besoin d’être contenu comme un sein très volumineux et trop tombant, et qui, si la réalité ne le retient pas dans ses strictes limites et son juste cadre, se distend, s’éblouit et s’effare. La langue même de Hugo ne contracte et n’a toute sa beauté qu’à la condition de s’appliquer exactement aux choses nettes et précises. Autrement, elle roule dans ses pages avec des enjambements de colosse, vague, confuse, obscure, aveugle et presque insensée. Alors, le poète, en proie à lui-même, jette des vers comme ceux-ci, par exemple, tirés d’une poésie (Le Prisonnier) où la Haine, que je disais plus haut une Muse, ne l’a pas été ce jour-là !

Cet homme a pour prison l’ignominie immense
…………… cette tour à la hauteur d’un songe.
…………………………………………………………
Si terrible que rien jamais ne vous procure
Une échelle appliquée à la muraille obscure……
Aucun trousseau de clefs n’ouvre ce qui n’est plus.

(vérité !)

On est captif. Dans quoi ?… Dans de l’ombre et reclus.
Où ?… Dans son PROPRE GOUFFRE… On a sur soi le voile
C’est fini………………………………
… Il ne peut pas plus sortir de l’infamie,
Que l’écume ne peut sortir de l’Océan !

(qui en sort très bien !)

……… aucune ouverture n’étant
Possible, ô cieux profonds ! hors d’une telle honte !
…………………………………………………………
Oh ! quelle ombre de tels coupables ont sur eux.
cave et forêts ! rameaux croisés ! murs douloureux !
Stigmate ! abaissement ! chute ! dédains horribles !
Comment fuir de dessous ces branchages terribles ?

Ô chiens ! qu’avez-vous donc dans les dents ? C’est son nom !

Un nom dans des gueules de chiens ! Comment s’y est-on pris pour l’y faire entrer ?… Si on me défiait, je pourrais multiplier des citations pareilles, — qui montreraient ce que devient Hugo quand il se livre à ses visions par trop cornues, et combien ce visionarisme dont on lui a fait un mérite poétique décompose son regard, sa pensée et sa langue. Vous le voyez ! ce n’est plus là le poète (trop rare) de La Bataille d’Eylau du même volume, de cette bataille qui le fait sublime comme elle par la simplicité la grandeur sévère, la concision rapide, et cela par la raison qu’elle est une réalité qui lui prend l’âme et l’emplit toute, et qui ne lui permet pas, à cet homme de mots, un mot de trop.

VI

C’est par cette héroïque Bataille d’Eylau que je veux en finir avec ces deux volumes. Elle me remet en mémoire ces dons que j’ai toujours adorés, proclamés et acclamés dans le poète de La Légende des Siècles, génie militaire s’il en fut, mais qui a chaviré dans la bêtise humanitaire ! Victor Hugo était, sans les lamentables déraillements de sa vie, destiné à nous donner un poème épique, cette grande chose militaire qui manque à la France, à qui pourtant les hommes épiques comme Charlemagne et Napoléon n’ont pas manqué. Un jour, ma critique lui donna le conseil de préférer une grande Épopée à toutes ses petites Épopées. Il ne le suivit pas, bien entendu. C’était au temps de la première Légende des Siècles. Il était trop glorieux pour écouter l’intérêt de sa gloire… En ce temps-là, c’était le moment de s’élever le premier dans l’ordre des Poètes ; mais, malgré ses facultés soi-disant immortelles, il laissa passer ce moment-là.

VII

Les Chansons des rues et des bois [VII].

C’est un des privilèges de la Gloire de forcer le monde à s’occuper d’elle, même quand l’homme de cette gloire ne la mérite plus. Dussent les murailles parler encore2, il faut pourtant que je dise aussi ma pensée sur les Chansons des rues et des bois, antérieures de plusieurs années à cette seconde partie de La Légende des Siècles. Je la dirai tranquillement.

Je la dirai comme un homme qui n’a pas trouvé le succès des Misérables juste et celui de la première Légende des Siècles assez grand, et qui trouve tout aussi disproportionné avec ce qu’elles sont l’insuccès des Chansons des rues et des bois, qui fut si féroce… Cette cruauté, du reste, de la part d’une Critique qui brûle trop ce qu’elle a trop adoré, n’est explicable que par le dépit de l’imagination trompée. On a été universellement pris à ce titre fascinateur : Les Chansons des rues et des bois, — car Victor Hugo a, au moins, le génie des titres ! Quoi de plus charmant, de plus rêveur, de plus faisant rêver que le sien ? Les Chansons des rues, de ces rues à la physionomie qui s’en va et que la Civilisation, cette boueuse qui emporte au bout de son balai toutes les poésies du passé, finira par cirer comme le parquet des corridors d’un ministère, — et les Chansons des bois, des bois, cette dernière aristocratie à qui on abattra la tête comme à l’autre, et pour les mêmes raisons. Que de choses un esprit qui pense invente-t-il et met-il sous ce titre-là ! Et si vous ajoutez : par Victor Hugo, le chansonnier de la délicieuse Chanson du Fou, dans Cromwell :

Au soleil couchant,
Toi qui va cherchant
Fortune… etc.

l’imagination se bercera voluptueusement dans l’idée d’un chef-d’œuvre. C’est là ce qui est arrivé. Malheureusement, en lisant le livre, on tombe de ce hamac. Et c’est là ce qui est arrivé aussi, même à moi. Il n’y a pas de rues dans ces Chansons des rues, et les bois, dans ces Chansons des bois, sont d’anciens bois connus, parcourus, — des bois littéraires et mythologiques. J’y avais déjà passé… J’y avais déjà été arrêté par deux mauvais drôles, dont l’un s’appelle le Fatras et l’autre l’Ennui. Franchement, en tant qu’il faille être volé… être dévalisé de l’espérance d’un chef-d’œuvre, j’aurais mieux aimé une autre forêt de Bondy que celle-là !

Oui ! les vieilles forêts, les vieilles églogues savantes, les vieilles bucoliques Renaissance des Contemplations, voilà ces Chansons des rues et des bois, qui mentent trois fois à leur titre : car elles ne sont ni rues, ni bois, ni chansons ! Ainsi, après avoir passé par la première Légende des Siècles, ces sublimes Petites Épopées qui me faisaient demander la grande, Victor Hugo ne s’est pas renouvelé. Après un si superbe élan, il a reculé dans le Ronsard des Contemplations, qui n’étaient elles-mêmes qu’une reculade dans le Ronsard de 1830. Repris, remmené et surmené par l’amour de ce qu’il n’a pas, par l’admiration de ce qui lui est impossible, Victor Hugo, ce gigantesque Trompette-major fait pour sonner toutes les espèces de charges, a voulu être un Tircis littéraire et souffloter, et trembloter, et chevroter dans la flûte en sureau de l’Idylle, avec ces lèvres et cette poitrine qui sont de force, vous le savez ! à fendre les spirales d’airain des plus durs ophicléides. Et encore, s’il n’y avait que cela, il aurait fait éclater la flûte et cela pouvait être beau ! Mais il a fait bien pis ; il l’a faussée… Cet Idyllique démesuré et pédantesque, qui barbouille sur un pipeau de carnaval des motifs classiques et grecs et des motifs romantiques, n’est, après tout, qu’un chercheur laborieux d’effets qu’il ne trouve pas, et par-dessus tout un Parisien pur-sang ou impur-sang (comme on voudra !), blasé, raffiné, corrompu comme nous le sommes tous plus ou moins, qui chante la campagne à travers les idées de Paris, et l’amour comme on le fait à Paris. Il met très bien, en ce sens, les rues dans les bois et les bois dans les rues, et c’est peut-être ainsi — qui sait ? — qu’il faut entendre son titre : Les Chansons des rues et des bois ! Seulement, on ne l’a pas entendu ainsi, et on a été implacable. Que dis-je ? on a été impertinent. C’est une impertinence, en effet, et une impertinence renforcée d’une inconséquence de la part de ceux qui ont admiré Les Contemplations, que de cingler si fort un livre qui, évidemment, continue Les Contemplations.

Mais rien — pas même l’impertinence — ne peut dispenser de la justice. On signala, dans le nouveau livre de Victor Hugo, alors qu’il parut, comme des modèles de ridicule inattendu, des défauts qui n’avaient de nouveau que la critique qu’on en faisait. On a parlé pour la première fois sans respect de choses qui n’auraient dû étonner personne, tant elles font partie du genre de talent de Hugo, tant elles participent à la double essence de l’homme et de l’écrivain ! On a relevé avec moquerie les expressions turgescentes de ce talent gonflé par trop souvent de vide. On a dit le mal qu’il se donne pour être simple… et pour manquer son coup. On a dit son naïf travaillé comme un ouvrage de serrurier, et cette monstrueuse préciosité à faire revenir au naturel par l’épouvante les honnêtes filles de Gorgibus. On a dit tout cela, et si tard qu’on l’ait dit, on avait droit de le dire, mais non de s’en étonner comme si on tombait de la lune (il est des gens qui en tombent toujours) ! Seulement, on a oublié la seule chose définitivement acquise, ou plutôt définitivement conquise par Hugo, le seul grand progrès fait par le poète malgré l’immobilité ou le rabâchage de sa pensée, je veux dire l’art des vers arrivé probablement à sa perfection,, la souveraineté absolue de l’instrumentiste sur son instrument, — et cet oubli de la Critique, c’est moi qui veux le réparer !

Rien de pareil, en effet, ne s’est vu dans la langue française, et même dans la langue française de Hugo. Quand Hugo écrivait Les Djinns ou Sara la baigneuse, par exemple, et forçait le rythme, ce rebelle, à se plier à ses caprices, — qui étaient des conquêtes sur la langue elle-même, — il y avait encore en ces assouplissements merveilleux, sinon l’effort de la force, au moins le triomphe d’une résistance ; il n’y avait pas l’aisance, l’aisance suprême que voici, et qui est si grande que le poète ne paraît même pas triompher. Ce n’est plus de l’asservissement, cela, c’est de l’enchantement ! Tout ce que n’est pas Hugo par la pensée, par l’image, par le mot, il l’est par le rythme, mais par le rythme seul. Lui, le tendu, l’ambitieux, le Crotoniate fendeur de chêne et qui y reste pris, a dans le rythme la grâce vraie et jusqu’à la langueur. Il nage dans son vers comme le poisson dans l’eau. C’est son élément, mais un élément qu’il a créé. Il y a, dans cet incroyable recueil de quatre mille vers, de la même mesure à l’exception d’un très petit nombre de morceaux, beaucoup de pièces où le virtuose n’a eu besoin que de poser légèrement son archet sur les cordes de son violon pour que les cordes, impalpablement touchées, aient chanté. Une entre autres : Ce qu’on dit à Jeanne toute seule, et qui commence par ces mots :

Je ne me mets pas en peine
Du clocher ni du beffroi,

est d’un tel charme et d’un tel moelleux dans la manière dont les strophes tombent les unes sur les autres, qu’une seule bouche au monde était digne de dire tout haut de pareils vers et qu’on ne les entendra jamais dits comme ils sont écrits, car cette bouche est glacée. C’était celle de mademoiselle Mars.

Cet art inouï du vers, si consommé qu’il est indépendant de ce qu’il exprime, ne peut guères être senti, du reste, que par les poètes, par ceux qui sont du bâtiment, comme dit l’excellente expression populaire. Mais pour ceux-là, c’est vraiment un plaisir divin ! Quand le rythme est manié avec ce génie, il donne l’inexprimable et rêveuse sensation que donne, en peinture, l’arabesque, exécutée par un génie égal. Victor Hugo est le génie de l’arabesque poétique. Il fait de son vers ce qui lui plaît. Arlequin faisait de son chapeau un bateau, un stylet, une lampe ; Hugo fait bien d’autres choses de son vers ! Il en joue, comme, un jour que je prends parfois pour un rêve, j’ai vu jouer du tambour de basque à une bohémienne. Le tambour de basque courait comme un rayon sonore autour de la danseuse, et l’on ne savait plus qui courait l’un après l’autre, de la danseuse ou du tambour. À cet égard, Victor Hugo est incomparable. Il est arrivé au point juste où l’instrumentiste et l’instrument se confondent, et la supériorité qu’il atteste est si grande que la Critique ne saurait croire qu’il put faire un progrès de plus, et que, pourtant, elle n’oserait l’affirmer !

Et ce que je dis là, je le dis, sans exception, pour toutes les Chansons des rues et des bois. L’inspiration en est fausse et monotone sous prétexte d’unité, et l’exécution, au point de vue des sentiments et des images, quoique puissante à beaucoup d’endroits, est très inférieure à celle d’un grand nombre de poésies de Hugo, mais pour le rythme et pour le vers, non ! C’est un ravissement perpétuel. Victor Hugo entasse des montagnes de grosses choses, d’énormités et de pathos, sur ce fil de la Vierge étincelant et flottant, et ce fil ne se rompt jamais et ne perd pas un seul instant de sa mollesse et de sa grâce. Le talent touche ici au miracle ! Seulement, cette supériorité, qu’il fallait bien signaler et que les raffinés parmi les connaisseurs apprécieront, sauvera-t-elle de l’indifférence générale ce petit recueil, bucolique de parti pris, écrit dans une bibliothèque, au pied d’un petit Parnasse en bronze de bureau sculpté par Froment-Meurice, entre les œuvres de Ronsard, de Desportes et d’un autre auteur qu’imite Hugo et qui s’appelle Hugo… Certainement, je ne le crois pas. L’esprit du lecteur est plus facile à rompre ou à faire grimacer que ce fil de la Vierge auquel j’ai comparé le vers de Victor Hugo, et toutes les énormités que ce vers merveilleux porte légèrement, l’esprit du lecteur les rejettera de fatigue et de peur d’en être écrasé.

Car l’Énormité, voilà l’écueil de Victor Hugo… L’écueil, pour les poètes comme pour les rois, vient de trop de puissance… Dans cette double pièce de vers intitulée Le Cheval qui commence et finit ce volume, d’une composition si peu surveillée qu’on y trouve une pièce qu’on dirait oubliée de La Légende des Siècles, — un Souvenirs des vieilles guerres ; dans cette pièce de vers où le poète, pour faire du neuf à bon marché, a démarqué le linge de Boileau (procédé peu fier pour le chef de l’école romantique) et appelé Pégase un cheval au lieu de l’appeler bravement cheval, Hugo, enchaîné à ce mot d’énorme comme le coupable à l’idée de son crime, adresse à Pégase ce vers singulier :

Ta fonction, c’est d’être énorme !

et dans ce seul mot il s’est révélé lui-même tout entier. Il a dit ce qu’il est et par quoi il est, mais aussi ce par quoi il périt… Oui ! la fonction de Hugo est d’être énorme. Tout l’est en lui : le talent, les qualités et les défauts, les élans, les défaillances, le succès, les chutes, les opinions, la niaiserie comme le génie, les maladresses, les ridicules, tout, — même les chansons, même les caprices, ces choses charmantes ordinairement petites !

Ton caprice énorme voltige !

dit-il au même cheval. Évidemment, il parle du sien ! L’homme et le cheval ici ne font qu’un, comme il arrive aux bons écuyers. L’énormité explique Victor Hugo, comme la peur de l’enfer explique tout Pascal. Prenez-le dans ses livres comme dans sa vie, et vous trouverez toujours, au bout de tout, cette notion, qui se lève, de l’Énormité !

Il était énormément jeune quand il eut son premier succès, qui fut énorme, et quand madame de Staël, appuyant une main inspirée sur son énorme front, le sacra : l’Enfant du Génie ! Reconnu par tous ses amis pour avoir dans l’esprit quelque chose d’immense qui sentait son chef, ils l’enlevèrent sur le pavois romantique, et les premiers retentissements de sa renommée furent mieux que les premiers bruits du talent : ils furent des scandales. Par ses prétentions exorbitantes, par ses théories comme par ses poésies, il passionna énormément l’opinion. On se battit réellement pour ses drames, pleins de beautés grandioses et d’effroyables énormités, quand, un jour, trouvant le Théâtre trop petit pour l’envergure de sa pensée, il fit Cromwell, l’injouable Cromwell, plus long que les trois Wallenstein de Schiller, et qui est certainement son chef-d’œuvre dramatique, — une énormité réussie, mais, enfin, une énormité ! Ce qui le poussa à écrire Cromwell fut le besoin d’esprit du même ordre qui le poussa, depuis, à nous donner une bucolique de parti pris de quatre mille vers presque tous dans le même rythme, énorme caprice, mais qui n’a pas voltigé ! Et ce n’est pas tout : si je rentrais dans l’homme encore après avoir traversé l’auteur, est-ce que je ne trouverais pas aussi un orgueil énorme dans Hugo, — cet orgueil qui est maintenant aussi officiel que son génie et qu’il a nommé Olympio ?

La vie privée doit être murée, mais quand elle se fait voir par-dessus les murs ou qu’elle les abat autour d’elle, on ne peut pas s’arracher les yeux ou le souvenir. Eh bien, dans cette vie privée indiscrète, Victor Hugo n’a-t-il pas commis d’énormes fautes, d’énormes imprudences, d’énormes maladresses ? Je n’insisterai point, mais ai-je besoin d’insister pour qu’on sente que l’énormité est la vie même de Hugo, de Hugo, la plus grande gloire contemporaine, — non la plus pure, non la plus justifiée, mais la plus… énorme ! Et l’énormité est encore plus que sa vie, c’est sa volonté, c’est son idéal. L’énorme, ça n’est pas uniquement sa fonction, c’est son aspiration. La grenouille s’enflait pour atteindre au bœuf, mais Victor Hugo a dans l’esprit un éléphant auquel il n’atteindra jamais. Seulement, sur le chemin de l’énorme où il s’élance avec l’aveuglement d’un taureau fou, quelquefois — les bons jours pour ses qualités toutes-puissantes, quand elles parviennent à s’équilibrer, — il rencontre tout à coup le grandiose, et alors il devient le poète énorme encore, mais sans difformité, qui pouvait seul donner à la France ce poème épique qu’elle n’a pas, et dont elle s’est toujours moquée parce qu’il lui a toujours manqué.

Oui ! un poème épique… Être le poète épique de la France, telle était pour moi, et j’y reviens malgré moi, la vraie destinée de Victor Hugo ! et dès longtemps je voulus le rappeler à cette haute destinée. Ses passions, je le sais, ses préoccupations, mille choses du moment, ce badaud ! le détournaient de ce qui aurait dû être le but resplendissant de ses derniers jours et le couronnement immortel de sa vie. La Critique, qui, pour être féconde, doit rappeler aux hommes leurs devoirs envers leurs propres facultés au lieu de répéter cent fois les mêmes reproches à un talent qui tombe dans les mêmes trous, — mettons que ce soient des abîmes, — devait rappeler à Victor Hugo le respect qu’il devait à son génie. Il ne s’agissait pas de caprices, là, fussent-ils énormes ; il ne s’agissait pas de bucoliques et de madrigaux à charger un mulet d’Espagne ; il ne s’agissait pas d’amourettes posthumes, de libertinage d’impuissant dans une langue qui détonne sur tout cela ; il ne s’agissait pas, à force d’antithèses, de devenir l’antithèse de soi-même, et d’épique qu’on est de nature, de soldat et de prêtre qu’on est par la tournure de son esprit, de se faire bucolique, un pleutre pleurard d’humanitaire ! Le moment était venu de jouer sa dernière carte pour Hugo et de gagner la partie. Victor Hugo voulait-il, oui ou non, atteindre à sa gloire définitive et donner à sa patrie non plus des ouvrages, mais un monument, et, ce qui eut été digne de lui, le monument jusqu’alors impossible ?… L’auteur des Petites Épopées, — ces préludes magnifiques d’un concert plus magnifique que j’espérais, — le poète de La Légende des Siècles, qui nous a peint si bien Charlemagne et Roland, pouvait mieux que personne mettre debout ces figures colossales et faire tourner alentour le cycle Carlovingien. Il aimait le colossal, en voilà ! Fait pour chanter la guerre, l’héroïsme, la foi, toutes les forces, que ne nous donna-t-il cette joie de le voir rentrer dans la vérité de son génie ! Ah ! il faut aimer le génie jusqu’aux larmes. Priam demandait à genoux le corps d’Hector à Achille et pleurait sur ses mains sanglantes… Hugo était tout à la fois Hector et Achille, et nous lui demandions de donner les restes de son génie, qu’il tuait, à la poésie du poème épique qui pouvait seule le ressusciter !

VIII

Le Pape [VIII-X].

Il ne le voulut pas, et il revint une fois encore aux idées mortelles à son génie dans ce livre du Pape, qui, selon moi, était son dernier livre. Il ne fit pas beaucoup de bruit. Quelques journaux séides en parlèrent, selon leur devoir et leur consigne, et aussi quelques petits jeunes gens qui voulaient être reçus chez le Grand Homme du siècle ; car, pour les très fiers républicains de l’heure présente, aller chez Hugo c’était comme monter dans les voitures du Roi. Mais, à cela près, peu d’intérêt et beaucoup de silence, — le silence du respect, du respect pour les opinions qu’on avait autrefois.

Rappelez-vous Les Misérables et leur tonnerre ! Les Misérables, tisonnés, récemment, pour les faire reflamber et revivre dans un drame filialement mauvais, et dont tout le succès venait d’une petite fille qui jouait bien. Rappelez-vous ce tonnerre et comparez !… Une petite pluie rare après l’orage. Victor Hugo fut sa petite pluie à lui-même. Son Pape n’est que la même goutte d’eau connue et tombée tant de fois, essuyée et tombant toujours à la même place, avec une monotonie qui fait peu d’honneur à la fécondité de son cerveau. Le Pape, ce livre retors d’intention, n’est nouveau ni par le fond, ni par la forme. Tout l’antique Hugo se résume là-dedans. C’est le repassage des opinions et des idées qui, depuis sa sortie du parti monarchique et son entrée dans le parti républicain, ont été ses opinions et ses idées. Redites que la forme qu’il leur a donnée ne rajeunit pas !

Donc, pas d’illusion possible. Cela ressemble à ce qu’en langage de théâtre on appelle « un ours ». Et moi-même, qui, comme critique, dans l’affadissante universelle inondation des mêmes choses, ai pris le parti de ne plus parler du talent que j’ai caractérisé une bonne fois s’il ne renouvelle pas sa manière, je ne parlerais point de ce poème du Pape dans lequel, comme manière, Hugo est toujours le même Hugo connu depuis cinquante ans, — le même Archevêque, comme disait plaisamment feu Cousin… mais dont il oubliait de dire le diocèse, qui est le diocèse de Grenade. Seulement, à tort ou à raison, Hugo est une puissance. L’avenir pourra bien, un jour, rogner un pan de sa trop vaste gloire, mais, pour le moment, elle subsiste encore et brille de toute la splendeur de l’esprit de ceux qui l’acceptent… Or, pour cette raison et cette unique raison, je parlerai de son Pape, de ce poème qui, par le fait de la renommée de son auteur et par les idées qu’il exprime, pourrait bien avoir le triste honneur d’être dangereux.

Et, en effet, il corrobore la bêtise universelle. Les idées que les ignorants qui lisent reçoivent de la plume des ignorants qui écrivent, les idées qui présentement filtrent partout et grimpent comme l’eau du déluge jusque dans les esprits qui semblent pourtant assez élevés pour leur échapper, sont ici affirmées une fois de plus, et Victor Hugo leur donne, pour les faire monter plus haut, le coup de piston d’un talent qui passe pour un génie. Le Pape, ici, ne vous y trompez pas ! c’est la Papauté. Hugo en est l’ennemi, et s’il pouvait y avoir quelque chose de profond et de durable dans les poètes, c’en serait un ennemi implacable. Dans son poème, sous, une forme poétique, attendrissante, larmoyante, apostolique, car l’archevêque de Cousin sait au besoin faire l’apôtre, il résout la question posée pendant tant de siècles : à savoir que le Pape doit être décapité de sa couronne, en attendant qu’il le soit de sa tête ; — car, pour messieurs les démocrates autant que pour nous, les monarchistes, la couronne et la tête ne font jamais qu’un.

Il la résout, et rien de plus simple : jeter le Pape à bas de son trône ! Ne pas le tuer, pas plus que Claude Gueux, mais en faire un mendiant et le réduire à l’apostolat de la besace. Quoi de plus simple, de plus élémentaire, de plus primitif ? Voilà l’idéal ! C’est brutal aussi, il est vrai, mais c’est précisément cette brutalité que l’habileté est de faire disparaître. En ces termes, si elle y restait, l’idée en question révolterait peut-être encore bien des âmes. Il faut donc la débrutaliser. Il faut donc persuader au Pape comme aux peuples, que cette grande exécution que la Papauté ferait d’elle-même, et qu’on lui conseille, tournerait à son plus éclatant avantage :

                         … Dites-lui que je vien
De la part de Monsieur Tartuffe, pour son bien !

Il faut, enfin, convaincre le Pape et tout le monde qu’en le détruisant, lui, le Pape, c’est un moyen étrange mais certain de faire repousser ce jet superbe de vie à la Papauté qui se meurt ! Et c’est à ce fallacieux résultat que Victor Hugo, dans cette affaire l’huissier Loyal de Monsieur Tartuffe, a consacré l’effort de son poème. Jamais rien de plus doux, de plus miséricordieux, de plus généreux, et, diront peut-être beaucoup de pauvres chrétiens, — imbéciles quoique chrétiens (cela se voit), — de plus chrétien ne fut écrit… On se fond, vraiment, en lisant cela ! Victor Hugo y a bien compté. Il n’est pas besoin d’être un observateur, ou un penseur, ou un esprit politique de premier ordre, pour savoir qu’en Franco il y a une sentimentalité niaise dans laquelle flotte la majorité des esprits comme dans leur atmosphère naturelle. C’est l’air de ce pays bénévole, qui, sans cela, serait trop spirituel ! Beaumarchais a menti : nous ne nous tempérons pas par des chansons, mais par des romances. C’en est une, que le Pape de Hugo. Quand il a repris, dans son poème, la vieille idée de tous les ennemis de l’Église, il l’a faite sentimentale pour la faire plus meurtrière, pour la faire d’un plus large et d’un plus sûr coup de poignard. Vouloir la mort de la Papauté, qui est peut-être, pour Hugo, cette fin de Satan depuis si longtemps annoncée, ce n’est pas là une merveille ! Ils la veulent tous, sans être des Hugo et même en restant des pieds plats, les libres penseurs et les athées de ce temps, comme l’ont voulue, à toutes les époques de l’Histoire, tous les révoltés, tous les hérétiques, toute l’indomptable canaille de l’humanité. Mais la vouloir chrétiennement pour le salut et l’honneur du Christianisme, la vouloir pour sa résurrection, venir, le cœur attendri et les yeux en larmes, présenter à la Papauté le sabre japonais en l’engageant avec suavité à s’ouvrir elle-même le ventre, ceci est une manière de vouloir la mort de la Papauté qui appartient en propre à Victor Hugo, et si, dans le cours de son poème, il n’a pas la moindre originalité d’idées, il a du moins eu celle-là, dans son hypocrite ou son ironique conception !

IX

Oui ! la mort de la Papauté, sans échafaud, voilà ce que veut l’auteur de Claude Gueux qui, dès sa plus tendre jeunesse, a eu — vous le savez ! — pour l’échafaud, la tendre horreur de Robespierre. Il s’est dit un matin, l’aimable homme : « Quel coup de partie, si, sans que nous y touchions, elle pouvait nous débarrasser d’elle ! » Et aussitôt, pour lui en donner l’envie, il nous a inventé un Pape adorable, qui en a assez de sa tiare et qui se suicide. Et qui ne se frappe pas seulement, comme vous pourriez le croire, dans son pouvoir temporel, — idée commune, — mais dans son pouvoir spirituel, — idée plus rare ; un délicieux Pape, qui n’abdique pas seulement comme roi, ce double lâche ! mais qui s’apostasie comme pontife. Vous le voyez, Victor Hugo nous met fort à l’aise quand il s’agit de le juger ! Son livre ne nous force pas à discuter la question du pouvoir temporel, qui est l’ébrèchement, sacrilège pour les uns, légitime pour les autres, de la Papauté. Hugo va plus loin que toutes les politiques anciennes et modernes. Il n’ébrèche point le Pape ; il le supprime : c’est plus court ! Il le fait s’escamoter lui-même dans une espèce de charité dévergondée et impossible. Un Pape s’arrachant au Vatican, foulant aux pieds ses deux couronnes, pauvre de plus avec les pauvres, comme si, Pape, il ne pouvait pas plus pour eux que s’il était l’un d’eux, aucune politique n’avait osé encore une conclusion de ce radicalisme absolu. Aux plus mauvais jours de notre Histoire, sous le sordide et abominable Philippe le Bel, on vit, aux États Généraux de France » Pierre Dubois, un des conseillers du Roi, demander nettement l’abolition de la Papauté, mais à la condition de faire une pension au Pape sur le patrimoine de saint Pierre. Quand on lit cela dans l’Histoire, on trouve la chose impudente. Mais Victor Hugo n’a pas même la pudeur de cette impudence. Il ne voudrait pas, lui, de la pension de Pierre Dubois, et son Pape, dans sa fringale de pauvreté, mourrait de faim. Bonne manière de s’en débarrasser !

Et, de fait, si ce n’est pas là le sens réfléchi du Pape de Hugo, il n’en a plus aucun. Déclamation vide, si elle n’est pas d’intention empoisonnée. Alors, ce ne serait plus que l’occasion de suspendre ses grands et longs vers toujours prêts à couler, de les suspendre, ces girandoles ! à quelque chose. En général, tout est là pour les poètes : — faire des vers, n’importe sur quoi ! Mais il est d’une mélancolie plaisante de voir les vers grandiloquents de Hugo, que l’admiration de ce siècle appellerait volontiers Hugomagne, comme on dit : « Charlemagne », ne plus servir qu’à exprimer des idées que le chansonnier Béranger, ce polisson de France, qui, du moins, était gai, a exprimées d’une façon moins pleurarde, moins pompeuse et moins pédantesque. Au fond, c’est la même haine contre l’Église, c’est le même désir scélérat de la voir détruite, et c’est surtout la même théologie. Béranger et Hugo sont des théologiens de la même force. Seulement, Béranger a le style de ses idées et Hugo n’a pas le style des siennes, et rien n’est plus déplaisant que le contraste de la platitude de ses idées avec la redondance de sa poésie… Rien de plus choquant que de voir ce diable de grand vers dont personne ne nie que Hugo ait la puissance, et qui ne devrait dire que des choses proportionnées à sa grandeur, ne débagouler que des choses ineptes et vulgaires sur l’une des plus grandes questions (si ce n’est la plus grande) qui puisse occuper l’humanité.

Mais ne vous y trompez pas, cependant ! C’est précisément la vulgarité de ces idées qui fait, s’il y en a un, le danger de ce benêt de poème… car, il faut bien l’avouer entre nous, il est un peu benêt. Vulgarité et Popularité s’engendrent toujours. C’est cette manière raccourcie de comprendre l’Histoire religieuse, la même dans Hugo que dans Béranger, qui convient aux bourgeois, les dominateurs de l’opinion, je le crains, encore pour longtemps. Ce n’est pas chez les démocrates ardents de son parti, qui couperaient le cou au Pape aussi facilement qu’ils lui voleraient sa couronne, que Hugo pouvait avoir son succès. Ils haussent les épaules et ils rient de ce vieux bonhomme qui n’a pas pu laver son génie des souillures immortelles que le Christianisme y a laissées ; car Hugo se sert contre le Christianisme d’un langage que le Christianisme a fait. C’est exclusivement chez les bourgeois qu’il aura l’honneur du triomphe. S’il y a, en effet, une idée qui chausse la médiocrité des bourgeois, c’est l’idée absurde que l’Église, établie de Dieu et constituée à grand renfort de Saints, de grands hommes et de siècles, doit, pour sa plus grande gloire, revenir à l’Église primitive, qui n’était pas constituée, et à la pauvreté des premiers temps. Raisonnement aussi bête que celui-là qui exigerait que l’enfant devenu homme rentrât dans le ventre de sa mère… et pourtant raisonnement toujours d’un effet certain sur les bourgeois, et même sur des bourgeois qui se croient chrétiens ! C’est cette idée-là que Hugo roule dans son poème, au milieu de beaucoup d’autres, aussi bourgeoises, sur les Papes, les Rois, les richesses de l’Église, l’Infaillibilité. Mais c’est cette idée, entre toutes, qui fait la portée de son poème, et c’est cette magnifique stupidité qui l’emporté, en force et en influence, sur son talent.

X

D’ailleurs (il faut bien y arriver enfin !), le talent, ici, n’est pas si grand. S’il a été jamais un soleil, Hugo est dans ce livre un soleil qui se couche, et ses idées bourgeoises contre l’Église et la Papauté le coiffent du bonnet de coton de ceux qui se couchent et qui ne sont pas le soleil… Littérairement, et à ne voir son Pape que comme une œuvre de l’esprit pure du déshonneur du pamphlet, on se demande ce que c’est et comment on pourrait classer cette composition, qui n’est un poème que parce qu’elle est en vers, et qui est dialoguée comme un drame, sans être un drame. Cela mérite-t-il de s’appeler une œuvre, cet almanach poétique de cent vingt-neuf pages, sans compter les blancs ?… Quand on se permet d’être si court, il faut, il faudrait être bien plein. Quand on ne pousse qu’un cri, il doit être sublime. De quel nom ces petites choses-là, quand on les publie isolées, peuvent-elles se nommer en littérature ?… Victor Hugo a tiré du fond de sa cervelle cette création qui n’avait pas besoin de la force de quarante chevaux pour en sortir et dont il est aisé de rendre compte en quatre mots, et les voici :

Le Pape dort :

La pensée a grandi ; car le rêve est venu !

Il n’y a que Hugo, par parenthèse, pour dire de ces choses, ineffables à d’autres qu’à lui. Les fous les plus intrépides n’oseraient pas… Le Pape dort, et il se rêve le Pape comme Hugo entend qu’on soit Pape, (ce qui le change diablement). Pendant son rêve, et c’est là tout son rêve, il fait quelques conversations avec plusieurs personnes : avec le Patriarche de Constantinople ; avec les Rois — (quels Rois ? n’importe ! les Rois ! les premiers venus de Rois !) ; avec les foules — (il y en a toujours plusieurs, dans Hugo, comme plusieurs infinis !) ; avec quelques pauvres dans un grenier ; avec une nourrice — (comme Sganarelle !) ; et enfin, comme il faut que l’antique et éternel Hugo se retrouve partout avec l’ombre. Et c’est après ces conversations, pendant lesquelles il se croit le Pape idéal et saint de la canonisation de Hugo, qu’il se réveille et qu’il s’écrie (le mot de la fin) :

… Quel rêve affreux je viens de faire !

qui est la grande malice et qu’on a généralement trouvé charmant. Et vous avez tout lu. C’est fini. Vous voyez que ce n’est pas aussi difficile que de traverser l’Hellespont !

Telle la chétive invention de Hugo, l’homme Épique, qui a abandonné le colossal pour le maigrelet. Est-il rien de plus maigre, en effet ? Quant aux vers qui entrelardent cette maigreur, ils ne sont pas différents des autres vers de leur auteur que par leur faiblesse, mais on les reconnaît encore, à une multitude de traits, pour être de cette inépuisable fabrique qui a peut-être trop fabriqué… Vous en jugerez :

… Dieu ne nous a pas confié sa maison
La Justice, pour vivre en dehors d’elle…

Cette justice qui est une maison…

Celui qu’on nomme un Pape est vêtu d’apparences !
………………………………………………………
……………………………… J’abandonne
Ce palais, espérant que cet or me pardonne,
Et que cette richesse et que tous ces trésors,
Et que l’effrayant luxe usurpé dont je sors,
Ne me maudiront pas d’avoir vécu…
………………………………………………………
………………… Je ne suis plus qu’un moine
Comme Basile, comme Honorat, comme Antoine !

Mais Grégoire VII était un moine, tout aussi bien que Bazile et Antoine, et il a fait, comme Pape, œuvre de moine plus glorieuse qu’eux !

… je rentre chez Dieu, c’est-à-dire chez l’Homme !
………………………………………………………
Nous prêtres, nous vieillards, drapés d’un falbala,
Entendez-vous cela ? Comprenez-vous cela ?
……………… Je sens rentrer sous cette robe
L’âme que le manteau de pourpre nous dérobe.
………………………………………………………
Et votre vain progrès, sinistrement léché
Par la langue de feu qui sort du lac de soufre,
………………………………………………………
Jamais la royauté du prêtre n’apparaît
Sans une transparence affreuse d’esclavage.
………………………………………………………
Ils tombent dans ce gouffre obscur : tous les POSSIBLES !
Ils s’en vont, ils s’en vont, ils s’en vont nus, épars,
Sur des pentes sans but, croulant de toutes parts.
…………………………………… Tout fuit.
Mais l’apôtre se sait écouté par la nuit ;
Et n’est-ce pas qu’il doit parler aux solitudes,
Ô Dieu ! les profondeurs étant des multitudes ?
………………………………………………………
Ô mes frères, aimons, aimons, aimons, aimons !

Voilà les vers qui soudent le Victor Hugo des derniers jours au Victor Hugo de toute la vie. C’est la même langue, identiquement la même langue, mais décrépite. Toutes les qualités en sont parties, mais tous les défauts y sont restés.

J’ai cité ces vers, mais je ne les ai coupés par aucune réflexion malhonnête. Je sais ce qu’on doit de respect au génie, sacré par six cent mille archevêques de Reims de la démocratie et du suffrage universel. Je ne suis point républicain et je ne crois à l’égalité pas plus en littérature qu’en politique, je n’ai donc point traité le poète, en Victor Hugo, comme j’en eusse traité un autre se permettant de parler comme lui.

Mais j’ai pensé que citer sans réflexions et sans plaisanteries (sans plaisanteries, surtout !!) de pareils vers, et j’en citerai encore si on veut, était la critique la plus sanglante et la plus juste qu’on pût faire de Hugo, l’auteur du Pape, et qu’en les citant, l’Église qu’il insulte et qu’il voudrait tuer, puisqu’elle n’a affaire qu’à un poète, était assez vengée comme cela…