(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192

Chapitre XVI

Années 1660 et 1661 (commencement de la septième période). — Mœurs de la cour. — Mœurs des précieuses. — Mœurs de la société d’élite. — Madame de Montausier, gouvernante de M. le Dauphin. — Mademoiselle de La Vallière, maîtresse du roi.

Dans le commencement de cette période, l’esprit, les mœurs, le langage de la cour et des gens du monde de la capitale, sont plus que jamais en opposition avec les mœurs, l’esprit et le langage de la coterie dite des Précieuses. Ce n’est plus un simple contraste, c’est une guerre vive et déclarée. La satire et la comédie se rangent du côté de la cour ; la littérature tout entière se consacre à la célébrer. La coterie se défend avec les faibles secours d’une vogue que le ridicule a ralentie, que poursuit la risée publique. L’hôtel de Rambouillet est tout à fait hors de ces débats : l’ombre encore vivante de la marquise octogénaire plane fort au-dessus ; et la duchesse de Montausier est habituellement retenue à la cour par sa place de gouvernante. Les sociétés formées des débris de l’hôtel Rambouillet, les femmes de bonne compagnie, voient sans déplaisir Molière ramener au naturel les affectations de pruderie et de bel esprit ; mais elles continuent à mettre en honneur l’honnêteté, la décence des mœurs, la pureté et l’élégance du langage, et elles parviennent à en assurer le triomphe.

La duchesse de Montausier n’aura pas la satisfaction de voir ce triomphe et de le partager. Un chagrin mortel l’atteindra dans cette période, et elle y succombera quelques années plus tard, victime d’une perfidie du roi et de sa maîtresse. Mais son malheur même aura accéléré la victoire de l’honnêteté et de la décence.

Nous avons vu, le 6 juin 1660, Louis XIV époux, à l’âge de 22 ans, de Marie-Thérèse d’Autriche, qui avait quinze jours de moins que lui. En souscrivant à ce mariage, le jeune prince avait sacrifié son inclination pour Marie Mancini, sœur de la comtesse de Soissons, qu’il avait aussi eue pour sa maîtresse. Marie, délaissée, avait épousé le connétable Colonna.

Nous verrons le sacrifice du roi, célébré à la suite par Racine dans sa tragédie de Bérénice.

Des fêtes magnifiques et continuelles signalèrent le mariage du jeune roi. Le 9 mars 1661, et elles sont suspendues par la mort de Mazarin.

Ce ministre laissa en mourant ses sept nièces mariées. Quoique j’aie déjà parlé de l’établissement de plusieurs, je vais reproduire leurs noms dans une liste complète. Anne Martinozzi épousa, comme on l’a vu, le prince de Conti, frère puîné du grand Condé ; Laure Martinozzi épousa le duc de Modène ; Laure Mancini, le duc de Vendôme, Olimpe Mancini, le comte de Soissons, Marie Mancini, le connétable Colonna, Hortense Mancini, le duc de La Meilleraye, qui prit le nom de duc de Mazarin. Après la mort du cardinal en 1662, le duc de Bouillon épousa Marie-Anne Mancini. Toutes ces femmes furent galantes, au point de se faire bonté les unes aux autres par le scandale de leur conduite. Le cardinal laissa un neveu, le duc de Nevers, qui figurera plus tard entre les beaux esprits de mauvais goût fêtés par les précieuses.

Le 1er avril 1661, Monsieur, frère du roi, épouse Henriette d’Angleterre, et les fêtes, les plaisirs, la magnificence, la galanterie renaissent et s’augmentent encore.

Madame était belle, aimable, coquette. Monsieur était un prince efféminé, de petit esprit, de petite stature, d’une galanterie fade et misérable ; madame de Fienne lui disait : Vous ne déshonorez pas les femmes qui vous hantent, ce sont elles qui vous déshonorent. Le roi négligea pour Henriette la jeune reine qui était enceinte. Henriette devint bientôt galante.

Le 1er novembre, la reine donna à la France un héritier de la couronne : grand événement qui imposa au roi une obligation sérieuse ; c’était de nommer une gouvernante à ce précieux enfant, et de penser d’avance au gouverneur qui la remplacerait après la première enfance. Ces personnes auront à répondre à la France entière du dépôt qui leur sera confié ; et le monarque est en quelque sorte chargé de lui répondre de leur convenance. Sur qui jettera-t-il les yeux ?

Louis, malgré son peu de respect pour les mœurs, était ami des bienséances. Les bienséances, dans une monarchie, sont une barrière de plus autour du pouvoir, et le besoin, l’amour du pouvoir étaient le fond du caractère de Louis, Sa conduite habituelle offensait la morale, mais il n’avait pas l’intention de l’affronter. L’exemple de François Ier, celui des quatre successeurs de ce prince, celui de Henri IV, lui avaient persuadé que la France voyait sans scandale des maîtresses attitrées à ses rois, et regardait l’usage qui les avait introduites comme un dédommagement destiné à racheter ce qui manque à la liberté de leur choix quand ils se marient ; mais il n’oubliera pas ce qu’il doit à sa couronne dans le choix des personnes qui seront chargées d’élever son héritier. Louis se permettra de fréquentes distractions dans la vie conjugale, mais il repoussera les mœurs équivoques, les mœurs de rigidité affectée. Il ne souffrira, près du berceau de son fils, ni vice, ni ridicule. La considération de la gouvernante lui paraît déjà nécessaire pour préparer les peuples à respecter un prince appelé à es gouverner.

Il nomme la duchesse de Montausier gouvernante de M. le Dauphin, et le duc de Montausier est désigné d’avance pour être son gouverneur, quand, âgé de sept ans, le prince passera des mains des femmes en celles des hommes. Si quelque biographe imprimait aujourd’hui cette phrase dans une vie de Louis XIV : « Le 1er novembre 1661, le roi nomme pour gouvernante de M. le Dauphin, une des personnes de la société représentée par Molière, dans ses Précieuses ridicules, et bafouée par le public depuis deux ans », ne croirait-on pas que cet écrivain est tombé en imbécillité ou en démence ? C’est pourtant là ce qui résulterait de la nomination de madame de Montausier si les déclamations tant répétées contre les dames de Rambouillet étaient fondées.

Si la liaison du roi et de Madame fut très intime, elle fut du moins très courte. Madame, disent les uns, trompait le roi pour le comte de Guiche. Selon d’autres, le roi trompait Madame pour mademoiselle de La Vallière, qui était du service de Madame.

Ce qu’il y a de certain, c’est que quatre mois ou environ après l’arrivée de Madame en France, vers le milieu de la grossesse de la reine, commença l’intimité du roi avec madame de La Vallière. C’était certainement plus d’un mois avant le 5 septembre 1661, jour où il fit arrêter Fouquet, puis que celle disgrâce fut attribuée à la témérité du surintendant qui avait tenté de séduire cette jeune favorite58. On voit que le prince n’était point en retard de marcher sur les traces de Henri son aïeul, dans la carrière de la galanterie.

Toutefois, ce dérangement de mœurs ne le détournait pas de ses affaires. Depuis la mort de Mazarin, il voyait tout, il faisait tout au dedans et au dehors.