(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VII. La fausse fiancée »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VII. La fausse fiancée »

VII. La fausse fiancée

(Malinké)

Un fama fit demander à un autre fama de lui donner sa fille Dêdé en mariage et celui-ci y consentit.

Au moment du départ de la fiancée pour se rendre chez son mari, son père lui donna une griote comme compagne de voyage. Elles se mirent en route.

On était en pleine saison sèche et la chaleur était excessive. Les villages se faisaient rares sur la route et, le dernier jour du voyage, elles avaient une très longue étape à effectuer dans une région complètement désertique. Ce jour là, la provision d’eau vint à s’épuiser. Seule la griote avait gardé de l’eau dans une outre qu’elle portait.

Dêdé, qui avait grand soif, demanda un peu à boire à sa compagne de route : « Si tu ne me donnes pas la moitié de tes bijoux, lui répondit celle-ci, je ne te donnerai pas de mon eau ».

La princesse remit alors à la griote un bracelet de bras et un bracelet de pied et, en échange, celle-ci versa de l’eau plein une coquille d’huître pour qu’elle put se désaltérer un peu.

Plus loin, Dêdé éprouva de nouveau le besoin impérieux de se rafraîchir. La griote exigea d’elle le reste des bijoux dont elle était parée et lui remit de nouveau de l’eau plein la coquille d’huître.

On n’était plus très loin du village du fiancé quand la princesse, pressée par une soif ardente, supplia encore la griote de lui donner à boire.

Dêdé, vaincue par la soif, céda aux exigences de la griote. Celle-ci alors lui retira ses pagnes et ses boubous et lui remit en échange les vêtements rouges de sa caste dont la princesse se revêtit.

Elles se présentèrent ainsi devant le fama.

Celui-ci, voyant la griote dans les vêtements de la princesse, la prit pour sa fiancée et la fit entrer dans sa case.

Dêdé resta près d’elle comme servante. Elle ne révéla rien de ce qui s’était passé car elle eût eu honte d’avouer qu’elle avait cédé à la nécessité.

L’année suivante, la griote donna un enfant au fama et on confia le petit à Dêdé pour le soigner. Chaque matin elle l’emportait avec elle sur son dos quand elle allait chasser des lougans les perroquets qui venaient pour manger la récolte. Elle s’asseyait sur une grande termitière et faisait sauter le petit garçon dans ses bras pour apaiser ses cris. En même temps elle chantait :

Tais-toi petit de griote.
Le jour que mon père m’a donnée au massa148
C’est pour que je sois celle qui couche avec le roi.
Le jour que ma mère m’a donnée au massa
C’est pour que je sois celle qui couche avec le roi
Tais-toi petit de griote. Tais-toi !

Tous les jours elle répétait cette chanson.

Il arriva qu’un jour une vieille qui cherchait des champignons en bordure du lougan entendit Dêdé chanter. Elle s’en fut trouver le roi et lui dit : « Grand massa, si tu me rassasies de viande sans os, je t’apprendrai une nouvelle intéressante149 ».

Le roi lui fit donner des œufs durs autant qu’elle en voulut. Alors la vieille lui déclara ceci : « La femme qui est chez toi comme ta femme n’est pas la vraie fille du roi. C’est sa griote seulement. Si tu tiens à savoir la vérité, fais venir ici toutes les filles du village et ordonne leur de répéter la chanson qu’elles chantent le matin en effarouchant les oiseaux pilleurs de lougans ».

Le massa fit convoquer toutes les filles du village, chacune portant l’enfant confié à ses soins. Il les invita à répéter la chanson qu’elles chantaient le matin : et elles obéirent. Quand vint le tour de Dédé, qui était la dernière, celle-ci chanta une tout autre chanson que celle que la vieille avait surprise. Alors cette dernière, qui se tenait au côté du chef, dit : « Ce n’est pas cette chanson-là ! »

Le massa tira son sabre du fourreau et menaça la fausse griote de l’égorger sur le champ si elle ne chantait pas la véritable chanson.

Épouvantée, Dêdé déposa à terre l’enfant qu’elle avait sur son dos puis, le reprenant et le faisant sauter dans ses bras, elle chanta :

Tais-toi, petit de griote, etc.

Quand elle eut fini de chanter, le massa comprit de quelle fourberie il avait été la victime. Il fit venir la griote et lui coupa la gorge. Dêdé alors se lava les mains dans le sang de l’aventurière150 et prit la place à laquelle elle avait droit.

Quant au fils de griote, on le rendit à ceux de sa caste.

Conté par KAMISSA SOUKO, femme malinké

(région de Siguiri) épouse de MAMADOU LY,

interprète à FADA NGOURMA.

Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS

Cf. contes allemands « Falada » et « Die beiden Wanderer. Cf. aussi : La biche au bois ».