(1767) Salon de 1767 « Peintures — Brenet » p. 257
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(1767) Salon de 1767 « Peintures — Brenet » p. 257

Brenet

Jésus-Christ et la samaritaine. tableau de 12 pieds 6 pouces de haut, sur 9 pieds 3 pouces de large.

Brenet est un bon diable qui fait de son mieux et qui ferait peut-être bien, s’il était riche, mais il est pauvre. Il a la pratique de tous les curés de village ; il leur en donne pour leur argent. Il vit, sa femme a des cotillons, ses enfans ont des souliers, et le talent se perd. haud facile emergunt, … etc. maxime vraie par toute la terre. Les besoins de la vie qui disposent impérieusement de nous égarent les talens qu’ils appliquent à des choses qui leur sont étrangères et dégradent souvent ceux que le hazard a bien employés. C’est un des inconvéniens de la société auquel je ne sais point de remède.

Tenez, mon ami, je suis tout prêt à croire que ce maudit lien conjugal que vous prêchez, comme un certain fou de Genève prêche le suicide, sans vous y empiéger, abaisse l’âme et l’esprit. Combien de démarches auxquelles on se résout pour sa femme et pour ses enfans et qu’on dédaignerait pour soi ! On dirait avec Le Clerc De Montmercy, qui ne veut devoir l’aisance à personne : un grabat dans un grenier sous les tuiles, une cruche d’eau, un morceau de pain dur et moisi et des livres… et l’on suivrait la pente de son goût. Mais est-il permis à un époux, à un père d’avoir cette fierté et d’être sourd à la plainte, aveugle sur la misère qui l’entoure ? J’arrive à Paris. J’allais prendre la fourrure et m’installer parmi les docteurs de Sorbonne. Je rencontre sur mon chemin une femme belle comme un ange ; je veux coucher avec elle, j’y couche ; j’en ai quatre enfants, et me voilà forcé d’abandonner les mathématiques que j’aimais, Homère et Virgile que je portais toujours dans ma poche, le théâtre pour lequel j’avais du goût ; trop heureux d’entreprendre l’ encyclopédie à laquelle j’aurai sacrifié vingt-cinq ans de ma vie.

On voit à droite la samaritaine appuyée sur le bord du puits. à gauche le Christ assis et la dominant.

Par derrière le Christ, quelques apôtres scandalisés de leur divin maître, surpris en conversation avec une femme qui faisait quelquefois son mari cocu, et révélant à cette femme ses petites fredaines qui n’étaient ignorées de personne. La tête du Christ n’est pas mal ; mais le reste est mauvais. J’avais juré de ne décrire aucun mauvais tableau, je ne sais pourquoi je manque à ma parole en faveur de M. Brenet que je ne connais point et à qui je ne dois rien.

Jésus-Christ sur la montagne des oliviers. du même.

C’est un ange étendu à plat sur des nuages, qui a bien plus l’air d’un messager de bonnes nouvelles que d’un porteur de calice amer. C’est un Christ si sec, si long, si ignoble, qu’on le prendrait pour M. de Vaneck travesti.

Autre exemple de l’art de ramper en peinture.

Ce mauvais tableau a pensé faire répandre du sang.

Un jeune mousquetaire appellé Moret regardait avec attention un homme assez plat, assis au café de Viseux à la même table que lui. Cet homme si attentivement et si continuement regardé dit à Moret : monsieur, est-ce que vous m’auriez vu quelque part ?-vous l’avez deviné. Tenez, monsieur, vous ressemblez comme deux gouttes d’eau à un certain Christ de Brenet qui est maintenant au sallon… — Et l’autre tout courroucé : parlez donc, monsieur, est-ce que vous me prenez pour un jean-foutre ?… et puis voilà la querelle engagée, des épées tirées, la garde, le commissaire appellés ; et le commissaire qui se tourmentait à persuader à ce quidam colérique qu’on n’en était pas moins honnête homme pour ressembler à un Christ ; et le quidam qui répondait au commissaire : monsieur, cela vous plaît à dire, mais vous n’avez pas vu celui de Brenet. Je ne veux point ressembler à un Christ, et moins à celui-là qu’à un autre. Et le Moret : oh ! Pardieu, vous y ressemblerez malgré vous, etc. Je voudrais avoir fait ce conte ; mais ce n’en est point un.

Bonsoir, mon ami ; semper frondesce et vale.