Rathery
Influence de l’Italie sur les Lettres françaises, depuis le xiiie siècle jusqu’au règne de Louis XIV.
Qu’on nous permette de risquer un mot sur un livre qui n’est aussi qu’un mot, mais bien dit ! C’est l’Influence de l’Italie sur les Lettres françaises, depuis le xiiie siècle jusqu’au règne de Louis XIV 3, par Rathery.
Il est mille façons d’aborder l’histoire. Voici l’histoire d’une influence. Il appartenait au spiritualisme de notre époque de faire l’histoire de ces influences, qui sont maintenant dans l’ordre des faits intellectuels ce que sont les forces dans l’ordre des faits physiques. Seulement, comme rien n’est moins tangible qu’une influence, comme rien ne peut faire plus aisément mirage à la pensée, il faut apporter dans l’étude qu’on s’en propose les qualités des esprits positifs poussées jusqu’à l’outrance. Rathery les possède ; mais on ne les a jamais assez. La thèse qu’il soutient répond très péremptoirement à un lieu commun longtemps exploité (car, si suffisants que soient les Français, ils ont des jours de singulière modestie), à savoir que, littérairement, la France doit tout à la Renaissance et à l’Italie. Rathery a fort bien montré que, si à certaines époques de notre histoire les influences italiennes ont versé leur âme dans notre génie national, avant ces époques, assez modernes du reste, l’Italie, elle, était sous le coup de l’influence française et que la littérature des troubadours se réverbérait dans toutes ses inspirations. Rien n’est plus vrai et rien n’est mieux prouvé maintenant.
Rathery n’a point inventé cette thèse ; elle est partout ; mais il l’a mise en saillie avec beaucoup de justesse et d’agréable érudition. Sans remonter bien haut, dans le Jacques Cœur 4 de Pierre Clément, dont nous parlions récemment, nous nous rappelons un excellent chapitre sur la littérature du xve siècle qui prouve, avec une grande autorité, combien déjà au xve siècle le génie littéraire de la France avait de vie intime et de force, et avec quelle puissance il commençait, semblable au lion de Milton s’arrachant au chaos qui l’enveloppe encore, de se détirer des obscurités et des empâtements de sa native originalité. Rathery est d’une remarquable précision quand il fixe le point où l’influence française finit en Italie et où l’influence italienne apparaît en France. Mais n’y avait-il pas mieux à faire qu’à démêler cet écheveau brouillé, cet entrecroisement d’influences diverses et réciproques ? N’y avait-il donc pas à prendre la question dans un repli plus profond et à montrer que, malgré les différences d’idiome et les nuances de mœurs, ces toiles d’araignées dans lesquelles les petits observateurs sont arrêtés comme des insectes, il n’y a eu, à proprement parler, d’action d’une littérature sur une autre que parce qu’il y avait, au fond de toutes ces littératures, unité de génie et souche commune d’une même race d’esprits ? Qui sait ? les grandes questions littéraires, comme les grandes questions politiques, sont peut-être latines. Ce qu’on nomme les influences italiennes, françaises, espagnoles, — et, tout circonscrit qu’il est à l’Italie, Rathery est bien obligé de parler aussi de celles-là, — n’est peut-être que les transpirations d’un même génie, — le génie latin, — exposé à différentes latitudes. Grave question que Rathery, enfermé dans un programme, ne pouvait pas creuser comme elle méritait d’être creusée. Mais aussi pourquoi étrangler sa pensée dans un pareil nœud coulant quand on a assez de talent pour avoir besoin d’indépendance, quand on est fait pour nous donner un livre étoffé et corsé au lieu des maigreurs d’un Mémoire, — fût-il même couronné par l’Académie ?