(1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre II. Trois espèces de langues et de caractères » pp. 296-298
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(1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre II. Trois espèces de langues et de caractères » pp. 296-298

Chapitre II.
Trois espèces de langues et de caractères

§ I. Trois espèces de langues

Langue divine mentale, dont les signes sont des cérémonies sacrées, des actes muets de religion. Le droit romain en conserva ses acta legitima, qui accompagnaient toutes les transactions civiles. Une telle langue convient aux religions pour la raison que nous avons déjà dite, c’est qu’elles ont plus besoin d’être révérées que raisonnées. Cette langue fut nécessaire aux premiers âges, où les hommes ne pouvaient encore articuler.

La seconde langue fut celle des signes héroïques ; c’est le langage des armes, pour ainsi parler ; et il est resté celui de la discipline militaire.

La troisième est le langage articulé, que parlent aujourd’hui toutes les nations.

§ II. Trois espèces de caractères

Caractères divins, proprement hiéroglyphes. Nous avons prouvé qu’à leur premier âge, toutes les nations se servirent de tels caractères. À Jupiter on rapporta tout ce qui regardait les auspices ; à Junon tout ce qui était relatif aux mariages. En effet c’est une propriété innée de l’âme humaine d’aimer l’uniformité ; lorsqu’elle est encore incapable de trouver par l’abstraction des expressions générales, elle y supplée par l’imagination ; elle choisit certaines images, certains modèles, auxquels elle rapporte toutes les espèces particulières qui appartiennent à chaque genre ; ce sont pour emprunter le langage de l’école, des universaux poétiques.

Caractères héroïques, analogues aux précédents. C’étaient encore des universaux poétiques qui servaient à désigner les diverses espèces d’objets qui occupaient l’esprit des héros ; ils attribuaient à Achille tous les exploits des guerriers vaillants, à Ulysse tous les conseils des sages96.

Les caractères vulgaires parurent avec les langues vulgaires. Les langues vulgaires se composent de paroles qui sont comme des genres relativement aux expressions particulières dont se composaient les langues héroïques97. Les lettres remplacèrent aussi les hiéroglyphes d’une manière plus simple et plus générale ; à cent vingt mille caractères hiéroglyphiques, que les Chinois emploient encore aujourd’hui, on substitua les lettres si peu nombreuses de l’alphabet.

Ces langues, ces lettres peuvent être appelées vulgaires, puisque le vulgaire a sur elles une sorte de souveraineté. Le pouvoir absolu du peuple sur les langues s’étend sous un rapport à la législation : le peuple donne aux lois le sens qui lui plaît, et il faut, bon gré malgré, que les puissants en viennent à observer les lois dans le sens qu’y attache le peuple. Les monarques ne peuvent ôter aux peuples cette souveraineté sur les langues ; mais elle est utile à leur puissance même. Les grands sont obligés d’observer les lois par lesquelles les rois fondent la monarchie, dans le sens ordinairement favorable à l’autorité royale que le peuple donne à ces lois. C’est une des raisons qui montrent que la démocratie précède nécessairement la monarchie98.