Toussaint, [François-Vincent] Avocat, de l’Académie de Berlin, né à Paris en 1715, mort à Berlin en 1772, où il étoit Professeur de Belles-Lettres Françoises.
De tout ce qu’il a écrit [& le nombre de ses Productions est assez considérable], le seul Ouvrage qui lui ait donné de la célébrité, est son Livre des Mœurs ; nouvelle preuve que la plupart des Esprits de ce Siecle n’ont cru pouvoir se faire un nom qu’en s’écartant des routes ordinaires, & en débitant des systêmes opposés à toutes les idées reçues. Ce Livre fut accueilli par les Philosophes, & condamné par le Parlement de Paris aussi-tôt qu’il parut. Sous prétexte de donner des leçons de Morale, l’Auteur▶ y débite des maximes absurdes, & renverse le plus souvent les notions des vertus, les plus invariables dans leurs principes. Il est vrai que la Philosophie de l’Ecrivain des Mœurs a su du moins respecter quelque chose. Elle n’a point attaqué, comme on l’a fait depuis, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’ame, la nécessité d’un Culte ; elle ne s’est point élevée contre certains préceptes de la Morale chrétienne, tels que le pardon des offenses, &c. ; elle ne s’est point consumée en raisonnemens en faveur du suicide, de l’adulterre, de la vengeance ; au contraire, elle ne s’est jamais écartée d’un caractere de modération, de respect, à l’égard du plus grand nombre des vertus religieuses & sociales. Elle a même cela de particulier, qu’elle s’exprime avec une douceur & une onction rares dans tout ce qui appartient à la Philosophie. Ce ton a sans doute déplu aux autres Philosophes, & les Beaux-Esprits de ce Corps se sont égayés en donnant à M. Toussaint le nom de Capucin de la Secte. L’expression est heureuse ; mais ces Messieurs devroient savoir que, si cet ◀Auteur▶, réprouvé parce qu’il est décent, honnête, raisonnable dans la plupart de ses sentimens, n’a pas mérité d’être célébré par eux, comme tant d’autres, il n’en a pas moins le mérite d’écrire d’une maniere bien supérieure aux ◀Auteurs▶ de la Philosophie du bon sens, du Code de la Nature, du Christianisme dévoilé, & de tant d’autres rapsodies aussi insupportables par l’extravagance des idées, que par la bizarre contexture du style.
A propos du Livre de M. Toussaint, il n’est pas inutile d’observer qu’il a paru, il y a quelques années, un Essai sur les mœurs du temps, par M. Reboul, qu’on peut lire avec fruit & sans crainte d’y rencontrer rien de contraire aux principes de la Morale ni de la Religion. L’◀Auteur ne se borne pas à faire la satire des ridicules & des vices du Siecle, il présente aussi les moyens de les corriger ; & si ses observations ne sont pas toujours élégantes & vivement exprimées, elles ont du moins le mérite de la justesse, & annoncent un Esprit aussi éclairé, que jaloux du bonheur de ses Concitoyens.