(1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444
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(1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

MÉLEAGRE.

L’antiquité est mieux étudiée de nos jours en France, au sein des écoles, qu’elle ne l’était et vers la fin du xviiie  siècle et à aucun moment depuis ; le nombre fet grand des jeunes esprits qui à un talent suffisant d’écrire unissent beaucoup de savoir et d’érudition ; les thèses seules soutenues à la Faculté des lettres eraient foi de ce progrès continu, et attesteraient à les deugré le niveau monte. Et pourtant il est vrai de dire que, hors de l’enceinte des Facultés, et dans ce qu’on peut appeler le grand milieu de la littérature courante, ce progrès des lettres anciennes se marque assez peu et ne se produit par aucun représentant notable, par aucune œuvre lue de tous. La philosophie fait exception, et elle a sa jeune milice déjà brillante : le feu sacré n’a cessé d’être entretenu, d’être attisé de ce côté par la main et par le souffle d’un maître qui ne s’endort pas ; mais je parle de la littérature proprement dite, de la poésie des Anciens, de ces œuvres sans cesse invoquées de tous et trop peu ressaisies à leur source même. La littérature des Latins se répand, se divulgue ; des entreprises utiles en rendent les accès de plus en plus faciles et patents ; la difficulté n’est pas là ; elle est encore où elle s’est presque toujours rencontrée en France, dans l’étude, la connaissance, le goût senti de la littérature grecque que tout le monde s’accorde si bien à louer et que si peu savent aborder comme il faut. Depuis vingt-cinq ans, on a exploré et importé les littératures de tous les pays ; on en a comme versé les richesses dans le domaine commun : eh bien ! la traduction de Platon à part, et en n’oubliant pas non plus l’exquise tentative de Courier, en y ajoutant les récentes Études sur les Tragiques de M. atin (l’Hippocrate de M. ittré ne rentre pas dans l’ordre d’idées plus expressément littéraires que nous recherchons), on peut se demander quelle œuvre s’est produite en France qui mette l’antiquité grecque de pair avec le mouvement moderne et qui la fasse circuler. Je n’exagère rien : des voix éloquentes dans les chaires ont proclamé depuis longtemps la nécessité, l’à-propos de cette connaissance heureuse, et cherchent à en propager l’esprit ; mais en France rien n’est fait tant que le grand public n’est pas saisi des questions et mis à portée des résultats, tant qu’il n’y a pas un pont jeté entre la science de quelques-uns et l’instruction de tous116.

A mon sens, il y aurait pourtant à gagner beaucoup, même pour des points actuels et toujours pendants d’art et de langage poétique, à cette appréciation exacte, à cette divulgation fidèle de la poésie ancienne originale, et il n’y a que la poésie grecque qui ait en elle cette première originalité. Dans les manières de la sentir, et surtout d’oser la rendre depuis le xvie  siècle en France, on compterait différents temps et comme divers degrés d’initiation avant d’arriver à son expression toute nue et toute simple, à laquelle on n’est pas encore venu. Racine, certes, la sentait tout entière, mais il ne la rendait pas également, et il l’accommodait plus ou moins à l’usage de son temps, selon ce qu’on en pouvait porter autour de lui. Fénelon eût osé davantage, au moins dans les portions de naïveté et de grâce simple : La Fontaine cheminait, mais d’instinct seulement, dans le même sens. Plus tard, l’abbé Barthélemy ne s’aperçut pas qu’il se souvenait beaucoup trop du cercle de Chanteloup, en nous reconduisant jusque dans Athènes. Ceux qui ont le mieux critiqué Barthélemy et fait ressortir ses infidélités, ses enjolivements de ton, n’auraient peut-être osé eux-mêmes tout aborder, tout rendre de cette poésie qu’ils admiraient si bien, et ils avaient à leur tour des adoucissements qui l’auraient par endroits voilée. Loin de nous pourtant la pensée (pensée grossière !) qu’en allant au fond de l’art et de la poésie grecque, on arrive à je ne sais quel mélange de laideur et de beauté, et qu’on rejoigne le caractère sauvage, souvent rude et, en tous cas, plus compliqué, de la poésie du Nord, de la poésie shakspearienne ! Si, par quelques traits profonds, naturels, par quelques élancements de passion, ces deux grandes poésies se peuvent rapprocher comme dans un éclair, elles sont séparées par toutes les différences de race, de civilisation, par un abîme : elles n’ont pu être violemment rapprochées et confondues que par des esprits inexpérimentés et sans goût, qui n’avaient pénétré le génie de l’une ni de l’autre. Il n’en reste pas moins vrai qu’à se tenir dans les limites de l’art grec et de cette incomparable poésie proclamée si unanimement un modèle de grandeur et de grâce, on peut aller très-loin, beaucoup plus loin qu’on ne le suppose d’ordinaire ; des traductions senties, fidèles, fidèles à l’esprit non moins qu’à la lettre des textes, et légèrement combinées avec les nécessités comme aussi avec les ressources de notre propre langue, feraient faire à celle-ci des pas très-hardis, très-heureux et, ce me semble, très-légitimement autorisés. Traduire fidèlement, avec goût, c’est-à-dire avec une sincérité habile, les tragiques, Pindare, Homère, même Théocrite, ce serait, je le crois, innover en français, et innover de la manière la mieux fondée, la plus prudente et la plus exemplaire. Tout le monde innove aujourd’hui ; c’est un lieu-commun et une vérité banale de remarquer qu’il n’y a plus de langue circonscrite, limitée et strictement régulière, telle qu’il en existait une à la fin du xviiie  siècle. C’est dans un tel état de choses, anarchique tant qu’on le voudra, mais riche d’éléments, fécond de germes, et qui a peut-être encore son avenir, si, comme nous l’espérons, la France a le sien, — c’est dans un tel moment ou jamais que de telles œuvres peuvent avoir à la fois toute leur liberté d’exécution et leur part d’efficacité. On sait combien de belles traductions ont exercé souvent d’influence aux origines et aux époques de fermentation première des littératures. La Bible de Luther et ses puissants effets en Allemagne sont connus, mais débordent notre sujet ; il suffit de se rappeler le Plutarque d’Amyot en France. Sans même tant prétendre désormais, sans tant demander à nos curiosités depuis trop longtemps sorties d’enfance, il est bien certain pour moi qu’une traduction d’Homère, par exemple, qui serait ce qu’elle n’a pu être jusqu’à ce jour, et telle qu’on peut l’oser avec goût aujourd’hui, aurait son action encore et sa nouveauté vive. La poésie française, qui fait, à travers tout, l’objet favori de mes pensées, et dont la régénération n’a cessé, à aucun instant, de m’être présente, y gagnerait peut-être plus qu’il ne semble. Tout ce qui tend à élargir, à aiguiser du même coup et à simplifier le goût public, est favorable à cette régénération poétique dans laquelle il s’agit d’introduire, de combiner le plus de naturel et de vérité avec le plus de beauté. Et quoi de plus propre à cet effet non-seulement que la reproduction fidèle des modèles grecs, mais aussi que la multitude d’efforts, de souplesses de tour et de grâces de langue qu’il faudrait retrouver ou acquérir en les rendant ! Arroser le langage et le vivifier avec fraîcheur, cela demande des sources perpétuelles et pures ; ces sources, je le sais, on doit les chercher surtout en soi, dans son propre passé aux divers âges ; mais, du moment qu’on en demande au dehors, de quel côté se tourner de préférence à celui-là ? L’Ida était dit, par excellence, fertile en sources.

La poésie française, qu’on veuille bien le noter, a eu à combattre dès l’abord deux sortes d’ennemis : les pédants de cabinet, faiseurs de rhétorique, idolâtres de la régularité, et les mondains frivoles, incapables de sentir une certaine simplicité naturelle. Pour prendre des noms significatifs, elle a dû cheminer, comme entre deux feux, entre les Scaliger et les Fontenelle.

Que fait Scaliger en sa Poétique ? il préfère, par toutes sortes de raisons de cabinet, Virgile à Homère ; on s’est cru très-loin de Scaliger, et on a fait longtemps comme lui ; on a toujours été, chez nous, très-tenté de préférer des maîtres élaborés et polis117, accomplis en leur genre, des maîtres de seconde venue, et qui prêtaient davantage aux poétiques. Il y a eu, en ce sens-là, bien du Scaliger jusque dans la postérité de Rollin. Quant au Fontenelle, c’est-à-dire à ce tour d’esprit volontiers moqueur d’un certain goût simple, il était aisément partout dans les salons, dès qu’il s’agissait de poésie, et on en découvrirait plus d’une dose jusque dans Voltaire.

Il est arrivé ainsi, au grand regret et déplaisir déjà de Fénelon en son temps, que la langue française poétique s’est vue graduellement appauvrir, dessécher et gêner à l’excès, qu’elle n’a jamais osé procéder que suivant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire 118, que tout ce qui est droit, licence et gaieté concédée aux autres poésies, a été interdit à la nôtre, et qu’on n’a fait presque nul usage, en cette voie, des conformités naturelles premières qu’on se trouvait avoir par un singulier bonheur avec la plus belle et la plus riche des langues, conformités que, deux siècles et demi après Henri Estienne, Joseph de Maistre retrouvait, proclamait hautement à son tour119, et qui tiennent en bien des points à la conformité même du caractère et du génie social des deux nations. Or ces analogies heureuses n’avaient guère servi de rien à notre langue en poésie, jusqu’à ce qu’André Chénier fût venu montrer qu’il n’était pas impossible d’y revenir.

Quelques critiques insistent avant tout et préférablement sur l’aspect idéal et pur de l’art grec, sur la beauté dont il donne le suprême exemple ; il est permis de ne pas moins insister sur la simplicité inséparable et la vérité qui en sont le fond et l’accompagnement, sur cette naïveté dans le sentiment et dans l’expression, qui se joint si bien à la grâce et qui ajoute aussi au pathétique et à la grandeur. Pour moi, je ne serai content que lorsqu’on aura osé traduire et rendre au vif en français, autant qu’il se peut, ces naïvetés mêmes, ces négligences aimables, ce désordre apparent, né d’un art caché, par où se révèle la passion, et qui insinue la persuasion dans les cœurs, ces hardiesses naturelles qui n’offensent jamais la beauté, mais qui pourtant ne s’y voilent pas, ne s’y confondent pas toujours. Combien de fois, dans Homère, une comparaison empruntée aux appétits physiques et matériels est là pour mieux exprimer ce qu’il y a de plus touchant dans l’affection morale ! Au chant xiii de l’Odyssée, Ulysse, trop longtemps retenu à son gré chez les Phéaciens, a obtenu un vaisseau ; il doit partir le soir même, il assiste au dernier festin que lui donnent ses hôtes ; mais, impatient qu’il est de s’embarquer pour son Ithaque, il n’entend qu’avec distraction, cette fois, le chantre divin Demodocus, et il tourne souvent la tête vers le soleil comme pour le presser de se coucher :

« Comme lorsque le besoin du repas se fait sentir à l’homme qui, tout le jour, a conduit à travers son champ les bœufs noirs tirant l’épaisse charrue : il voit joyeusement se coucher la lumière du soleil pressé qu’il est d’aller prendre son souper, et les genoux lui font mal en marchant ; c’est avec une pareille joie qu’Ulysse vit se coucher la lumière du soleil. »

La passion de l’exilé sur le point de revoir sa patrie, comparée à celle du pauvre journalier pour son souper et son gîte à la dernière heure d’une journée laborieuse, ne se trouve point rabaissée en cela ; elle n’en paraît que plongeant plus à fond, enracinée plus avant dans la nature humaine ; mais rien n’est compris si cette circonstance naïve des genoux qui font mal en marchant est atténuée ou dissimulée ; car c’est justement cette peine qui est expressive, et qui aide à mesurer l’impatience même, la joie de ce simple cœur. De tous nos poëtes, il n’est certes que La Fontaine qui l’aurait osé traduire.

Au sujet de la mort d’Agamemnon, dans le récit que fait l’Ombre de ce grand roi à Ulysse qui l’interroge dans les Enfers, il est dit : « Noble fils de Laërte, ingénieux Ulysse, ce n’est ni Neptune qui m’a dompté sur mes vaisseaux en déchaînant le vaste souffle des vents funestes, ni quelque peuplade ennemie qui m’a détruit sur terre ; mais Ægisthe, tramant contre moi la mort et le mauvais destin, m’a tué d’accord avec ma perverse épouse, après m’avoir invité dans son palais ; pendant le festin même, il m’a tué, comme on tue un bœuf sur la crèche. C’est ainsi que j’ai péri par la plus lamentable mort… »

Ce dernier trait si vrai, si vrai à la fois quant à l’image physique et quant au contraste moral qui en ressort (le Roi des rois tué, assommé comme le bœuf qui mange !), s’est transformé et ennobli chez Sophocle, lorsque Électre, invoquant la venue d’Oreste, s’écrie dès l’aurore : « O chaste Lumière, et toi, Air divin, enveloppe égale de la terre, que de chants lugubres vous avez ouïs de moi, que de coups retentissants contre ma poitrine sanglante, sitôt que la sombre nuit s’en est allée ! Et tant que la nuit dure, ma couche odieuse en ces tristes palais sait déjà tout ce que j’exhale de lamentations sur mon malheureux père, lui que le meurtrier Mars n’a point laissé en chemin dans la terre barbare, car c’est ma mère à moi, c’est son compagnon de lit Ægisthe, qui, comme un bûcheron qui fend le chêne, lui ont fendu la tête d’une hache sanglante. »

Quand je dis que Sophocle a ennobli le trait d’Homère, je ne parle pas exactement ; il a moins songé à cela sans doute qu’à rendre à sa manière le même acte impie. L’idéal, en cette période de Sophocle, peut sensiblement revêtir et comme modeler les groupes tragiques, mais c’est un idéal encore qui n’altère en rien le naturel simple et vif, et qui respecte la douleur humaine prête à se faire jour par des cris au besoin et par tout ce qu’il y a de plus vrai dans le langage.

Jusqu’à l’autre extrémité des beaux âges de la littérature grecque, au lendemain même de Théocrite, on retrouverait des accents de cette simplicité touchante, ce naïf et ce fin qui pénètre comme en chaque veine de cette poésie au sortir d’Homère, et qui survécut longtemps, même après que le grand s’en fût retiré. Moschus a-t-il à déplorer la perte du célèbre bucolique Bion, et veut-il opposer à la fragilité mortelle cette immortalité de la nature si souvent mise en contraste depuis par des voix de poëtes : dans l’un des couplets de sa , il s’écrie : « Hélas ! hélas ! les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissants ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » — Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poëte exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. Les Latins, et je parle des meilleurs, n’atteignirent jamais à de certains accents de cette muse première, même lorsqu’elle fut sur le déclin : nous l’avons vu une fois de Virgile par rapport à Apollonius ; nous l’entrevoyons ici d’Horace à l’égard de Moschus bien moindre. Le spiritus graiæ tenuis camœnæ fut merveilleusement senti des excellents poëtes de Rome, mais ne put être toujours et tout entier ressaisi par eux. Il est une fraîcheur qui tient à la source ; il est des images vives et légères qui tiennent aux impressions du berceau, et dont la trace se perpétue à travers les âges. La poésie des Latins, au contraire, était née tard et d’une étude savante ; elle n’avait pas eu d’enfance.

En soumettant ces idées à ceux qui en sont juges, en ne les jetant ici que comme de simples aperçus, et parce qu’il y a disette, en ce moment, de ce genre d’études au sein de la presse périodique et, comme on disait autrefois, de la littérature vulgaire, notre dessein est surtout de stimuler de jeunes et doctes esprits tels qu’il en est encore beaucoup, de les inviter à tenter une voie qui est demeurée antique et neuve, et à ne pas tant négliger les points par où une science ingénieuse se saurait greffer sur la littérature nationale : à ce prix seul est la circulation et la vie120. Je ne prétends point d’ailleurs aujourd’hui faire à quelque bien grand sujet l’application de ce que je crois du moins sentir et de ce que d’autres savent. Le poëte dont je voudrais donner idée est un petit poëte, un poeta minor par excellence ; mais il en tête de la série, tellement quel si l’on peut dire que Théocrite demeure le dernier des grands poëtes grecs, Méléagre, en mérite comme en date, est le premier des petits : il mène avec lui tout un cortège.

Méléagre est le premier des Grecs qui se soit avisé de composer une Anthologie complète, c’est-à-dire une Guirlande ou Couronne (on l’appelait de ce nom), un bouquet de l’élite de toutes les fleurs qui couvraient alors le champ si vaste de la poésie. Venu environ un siècle et demi après Théocrite, après ses diminutifs Bion et Moschus, arrivé le lendemain de la grande moisson, il eut l’idée naturelle de glaner, de choisir dans tout ce qui était épars, de nouer la dîme des gerbes et de les ranger. On prononce souvent le mot d’Anthologie, et l’on entend vaguement par là le Recueil de ce que l’antiquité nous a légué de jolies petites pièces, idylles, odes, élégies, épigrammes, épitaphes, etc., etc. Il y eut quatre de ces Anthologies grecques célèbres : la première, cueillie en si heureuse saison, fut donc celle de Méléagre ; la seconde fut celle de Philippe de Thessalonique, lequel vivait au plus tard sous Trajan ; la troisième est due à un avocat Agathias, qui la dressa dans la seconde moitié du vie  siècle, après le règne de Justinien ; la quatrième enfin, postérieure de quatre siècles environ à la précédente, fut compilée par un certain Constantin Céphalas, duquel on ne sait rien autre chose. Notez bien qu’à chaque rédaction nouvelle d’Anthologie, comme on faisait entrer pour une bonne part les poëtes modernes qui avaient paru dans l’intervalle, on sacrifiait quelque chose des anciens ; de sorte que chaque fois il tombait plus ou moins de la fleur du panier. On se figurera les pertes qu’on a faites ainsi en chemin, lorsqu’on saura que de ces quatre Anthologies successives il ne nous est arrivé que la quatrième, la dernière, et encore on ne la connaît bien au complet que depuis un demi-siècle. On n’en eut d’abord qu’une espèce d’édition abrégée, arrangée et expurgée, due au moine Planudes ; le xvie  siècle n’en imprima pas d’autre. Le véritable texte de la collection de Constantin Céphalas, retrouvé à Heidelberg par Saumaise en 1606, demeura longtemps inédit et à la portée seulement d’un petit nombre d’initiés. En 1623, par suite des vicissitudes de la guerre de Trente Ans, ce précieux manuscrit avait été transporté dans la Bibliothèque du Vatican, ce qui le rendait moins accessible encore. Les extraits et copies de Saumaise et de quelques doctes émules circu laient de cabinet en cabinet, et faisaient le régal à huis-clos des Bouhier, des La Monnoye et autres fins connaisseurs. Brunck, le premier, par la publication de ses Analecta (1776), mit en lumière avec goût, avec cette netteté décisive qui est son cachet, tout ce délicat et trésor ; mais ce n’est que depuis les travaux et l’édition de Jacobs, qu’on peut se vanter de posséder l’Anthologie grecque dans ses reliques les plus scrupuleusement reproduites et les plus fidèles. Après tout ce qu’on a perdu, il y a encore de quoi se consoler.

Et pourtant, si l’on se reporte en idée à ce que devaient être ces premières Couronnes de Philippe et surtout de Méléagre, que de douleurs renaissent involontaires, et je dirai presque, que de larmes ! C’est là, nous dit Brunck, qu’on aurait retrouvé en entier ces idylles ou petites pièces des plus inventifs et des plus accomplis poëtes, l’admiration et les délices de toute l’antiquité, de ceux dont nous sommes accoutumés à vénérer les noms, et dont il ne nous est arrivé que de rares débris encore plus faits pour enflammer nos regrets que pour nous donner la mesure des pertes. C’est là que ces neuf lyriques, dont nous ne possédons amplement qu’un ou deux tout au plus, nous auraient offert l’amas le plus exquis de leur butin ; et ces neuf lyriques, les voici tels que les célèbre et les caractérise, dans une épigramme, un anonyme ancien, l’un de leurs successeurs, et tels que l’antiquité tout entière les consacra :

« Pindare, bouche sacrée des Muses, et toi, babillarde Sirène, ô Bacchylide, et vous, grâces éoliennes de Sapho ; pinceau d’Anacréon ; toi qui as détourné un courant homérique dans tes propres travaux, ô Stésichore ; page savoureuse de Simonide ; Ibycus qui as moissonné la fleur séduisante de la Persuasion près des adolescents ; glaive d’Alcée qui maintes fois fis libation du sang des tyrans, en sauvant les institutions de la patrie ; et vous, rossignols d’Alcman à la voix de femme121, soyez-moi propices, vous tous qui avez ouvert et qui avez clos toute arène lyrique ! »

Qu’on énumère maintenant ce qui nous reste de ces neuf maîtres, sans parler de tant d’autres qui les suivaient de près, et qu’on calcule, si l’on ose, la part du naufrage. Le seul Horace chez les Latins nous les représente tous, imités, réduits, condensés pour ainsi dire, avec un art consommé ; mais est-ce la même chose que le fruit cueilli à même de l’arbre, à tous les rameaux du verger, — de ce verger assez semblable à celui d’Alcinoüs, dont le Poëte a dit dans une douceur et une plénitude fondante : « Là, de grands arbres s’étendent sans cesse verdoyants, poiriers et grenadiers, et pommiers brillants de leurs pommes, et figuiers savoureux et oliviers pleins de fraîcheur, desquels jamais le fruit ne périt ni ne fait défaut, hiver ni été, durant toute l’année ; mais toujours, toujours Zéphyre, de son souffle, fait pousser les uns et mûrit les autres : la poire vieillit sur la poire, la pomme sur la pomme et raisin aussi sur raisin, et figue sur figue… » Telle fut, chez les Grecs, l’abondance lyrique première. — La Couronne de Méléagre, dans son cercle un peu réduit, devait en offrir encore le plus parfait et le plus pur assemblage, si l’on en juge par l’âge du recueil, par les noms qui y figuraient et par le goût de finesse et d’élégance dont l’assembleur lui-même a fait preuve dans ses propres vers. Certes, des poëtes d’une date bien postérieure ont produit encore de jolies pièces qui ne déparent nullement l’Anthologie de Constantin Céphalas. Pourtant, lorsque je lis ces noms nouveaux de Rufinus, de Paul le Silentiaire, du consul Macédonius et de bien d’autres, je me sens toujours en garde ; malgré le dédain persistant et la prévention bien établie du goût grec contre l’influence romaine, je ne puis m’empêcher de soupçonner le mélange. Nous voyons dans les Lettres de Pline tant de jeunes Romains faire des vers grecs en perfection, qu’il a dû s’en glisser plus d’un morceau dans le choix de ces poëtes attiques de la décadence. Et puis on n’existe pas impunément à côté d’une grande littérature qui a sa gloire : je crois entrevoir du Properce à travers les flammes amoureuses de Paul le Silentiaire. Rien de cela n’était possible dans la Couronne de Méléagre tressée et close avant la grande époque poétique romaine, au temps de l’enfance de Cicéron.

Un peu après Méléagre, immédiatement après lui en date, un Grec sorti précisément de la même ville, de Gadare, un poëte non moins délicat, et dont il serait agréable aussi de parler un jour, Philodème, vint à Rome, y vécut en épicurien poli ; on le trouve fort loué de Cicéron. Il paraît qu’il fut amoureux de quelque Romaine peu lettrée, et il disait dans une jolie épigramme que je traduis un peu librement : « O pied, ô jambe, ô contours accomplis pour lesquels ce m’a été raison de périr, ô épaules, sein, col délié, ô mains, ô petits yeux qui font mon délire, ô mouvements divins, petits cris, baisers suprêmes ! Et que m’importe à moi qu’elle soit une Opique 122, comme on dit, une barbare, et qu’elle ne chante pas les vers de Sapho ! Persée fut bien amoureux de l’Éthiopienne Andromède. » Opique est un mot par lequel les Grecs désignaient assez injurieusement les Romains. Or ce mot-là, j’imagine, ne devait pas encore se trouver dans le vocabulaire et dans l’Anthologie de Méléagre. Sa Syrie, toute mélangée qu’elle était, la Phénicie d’où sortit Cadmus, ne lui suggéraient pas une idée pareille. Filles de Tyr et de Sidon, fleurs de Cos et d’Ionie, toutes celles qu’il aima et qu’il célèbre, savaient ou entendaient probablement les chansons de Sapho, aussi bien que les vers qu’il leur adressait à elles-mêmes.

On peut se faire une idée plus précise de ce que sa Couronne renfermait de pure richesse et de variété d’agréments par la première pièce qu’il y avait mise en guise de préface ; j’en ai traduit quelque chose autrefois dans cette Revue même123. Cette pièce, dont je disais qu’elle était comme l’enseigne du jardin des Hespérides, contient les noms de quarante-six poëtes, sans compter ceux tout modernes et d’hier qui avaient fourni leur brin au bouquet, parmi lesquels, lui Méléagre, il avait semé çà et là, ajoutait-il, les premières violettes matinales de sa propre muse. Ce sont ces violettes, en partie conservées, dont on voudrait représenter ici quelques-unes sans trop en dissiper le parfum.

Qu’était-ce que ce Méléagre avant tout ? On en sait peu de chose, sinon ce que lui-même nous apprend dans l’épigramme suivante, qu’il avait composée pour son tombeau :

« Ma nourrice est l’île de Tyr ; pour patrie attique j’ai eu la Syrienne Gadare ; fils d’Eucratès, moi, Méléagre, j’ai poussé avec les Muses, et ma première course s’est faite en compagnie des Grâces Ménippées. Que je sois Syrien, qu’y a-t-il d’étonnant ? O Étranger, nous habitons une seule patrie, le monde : un seul Chaos a engendré tous les mortels. Agé de beaucoup d’années, j’ai gravé ceci sur mes tablettes en vue de la tombe, car celui qui est voisin de la vieillesse n’est pas loin de Pluton. Mais toi, si tu m’adresses un Salut à moi le babillard et le vieux, puisses-tu toi-même atteindre à la vieillesse babillarde ! »

Ainsi Méléagre était de Gadare en Célésyrie ; il fut disciple de Ménippe le cynique, son compatriote, et fit même à son exemple (sans doute avant Varron) des satires ménippées, dont Athénée nous a conservé les titres. Il vécut vieux, et, après avoir passé sa jeunesse à Tyr, il mourut dans l’île de Cos. Il florissait sous le dernier Séleucus124.

Bon nombre de ses épigrammes sont destinées à célébrer ses amours à Tyr, amours bien asiatiques la plupart, de ceux qu’on rougit seulement de nommer, qu’étalait si à nu la muse antique, pour lesquels Horace et Virgile lui-même ont trouvé des accents et Cicéron des madrigaux125, dont la poésie homérique était restée parfaitement exempte et pure, mais dont l’invasion dans la poésie grecque lyrique remonte jusqu’au temps d’Ibycus et de Stésichore. On dirait que le goût des anthologies animait, poursuivait Méléagre en toutes choses ; il combinait et tressait ses propres passions comme les muses de ses poëtes : il faut le voir, dans cette Tyr dissolue, le long de ces îles d’Éolie qu’il parcourt, composer et assortir en tous sens les bouquets, les grappes d’Amours comme des grappes d’abeilles, retourner et diversifier à plaisir ses groupes de Ganimèdes et de Cupidons : cela rappelle cette nichée d’Amours, grands et petits, qu’Anacréon portait toujours dans le cœur. Méléagre en un endroit, par une moins gracieuse image et qui se sent plutôt de la ménippée, compare son mélange à je ne sais quel plat en renom alors, à je ne sais quelle macédoine pleine de ragoût. Passons vite sur ces délires. Le sentiment vrai, qui, par instants s’y glisse, est propre à augmenter encore les regrets. « Catulle, qu’on ne peut nommer sans avoir horreur de ses obscénités, a écrit Fénelon en cette même Lettre qu’il m’arrive d’invoquer souvent, est au comble de la perfection pour une simplicité passionnée » ; et il cite un distique sur Lesbie. Si l’on suppose que c’est quelque Lesbie qui parle, quelque Sapho passionnée, on pourra également admirer le distique de Méléagre, dont voici le sens, privé du rhythme et de la grâce concise : « Si je regarde Théron, je vois l’Univers ; mais, si l’Univers est sous mes yeux et non pas lui, tout au contraire je ne vois rien. »

Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé !

Il arrive à Méléagre, qui rappelle si à l’improviste Lamartine, de faire songer également à Virgile ; il avait dit avant celui-ci, et plus brièvement, le Non ignara mali, miseris succurrere disco :

J’ai, pour avoir souffert, appris à compatir126.

C’est de lui non moins que d’Asclépiade, qu’André Chénier a pu emprunter le motif d’une de ses élégies à l’antique : O Nuit, j’avais juré d’aimer cette infidèle, etc. Voici l’épigramme, qui se peut bien mettre dans la bouche d’une femme abandonnée, se plaignant d’un amant parjure : « Nuit sacrée, et toi Lampe, aucun autre que vous, mais vous seuls, nous vous prîmes tous les deux à témoin dans nos serments, et nous nous jurâmes, lui de me toujours chérir, et moi de ne le jamais quitter ; nous le jurâmes et vous reçûtes la commune promesse. Et maintenant il dit que ces serments ont été emportés par l’onde : et toi, Lampe, tu le vois, lui le même, dans les bras des autres. »

Nous prenons surtout Méléagre au moment où, renonçant décidément aux Muïscus, aux Dion, aux Théron, il célèbre d’une flamme avouable, et par moments délicate, les Zénophila, les Fanie, les Héliodora et tant d’autres beautés qui remplissent son cœur et n’en font que cendre. De la subtilité, de la manière sophistique, du mauvais goût, il en a certes beaucoup trop, et nous le dirons tout à l’heure ; mais tâchons auparavant de bien pénétrer son genre de passion, de tendresse même (car il en a aussi), et de saisir son tour d’imagination hardie et vive. C’est lui qui a dit : « Il y a trois Grâces, il y a trois Heures, vierges aimables ; et moi, trois désirs de femmes me frappent de fureur. Est-ce donc qu’Amour a tiré de trois arcs, comme pour blesser, non pas un seul cœur en moi, mais trois cœurs ? » Ce chiffre trois n’est pas son dernier mot, et bientôt il l’outre-passe. Dans sa flamme amoureuse croissante, il s’écrie : « Ni la boucle de cheveux de Timo, ni la sandale d’Héliodora, ni le vestibule de la petite Démo, toujours arrosé de parfums, ni le tendre sourire d’Anticlée aux grands yeux, ni les couronnes fraîchement écloses de Dorothée, non, non, ton carquois, Amour, ne cache plus rien de ce qui te servait hier encore de flèches ailées ; car en moi sont tous les traits127. » Il diversifie cette pensée, et, y entremêlant d’autres noms, il se plaît à la redire, non point en pure fantaisie, mais d’un accent pénétré : « J’en jure par la frisure de Timo aux belles boucles amoureuses, par le corps odorant de Démo, dont le parfum enchante les songes, j’en jure encore par les jeux aimables d’Ilias, j’en jure par cette lampe vigilante qui s’enivre, chaque nuit, de mes chansons, je n’ai plus sur les lèvres qu’un tout petit souffle que tu m’as laissé, Amour ; mais si tu le veux, dis, et ce reste encore, je l’exhalerai. » C’est là sa plainte constante, c’est son vœu, même lorsqu’il a l’air de crier merci : « Le son de l’amour plonge sans cesse en mes oreilles, mon œil offre en silence sa douce larme aux désirs ; ni la nuit ni le jour n’ont endormi le mal, mais l’empreinte des filtres est déjà reconnaissable à plus d’un endroit dans mon cœur. O volages Amours, n’auriez-vous des ailes que pour voler sur moi, et n’en avez-vous pas, si peu que ce soit, pour vous envoler ? » — Je voudrais pouvoir rendre le passionné et le délicat de la plainte ; mais comment y réussir sans les vers, et comment rester exact et littéralement fidèle si l’on voulait rimer ? Je demande donc excuse une fois pour toutes, dans la nécessité où je me mets ici de traduire ces choses si légères ; de telles épigrammes sont comme des gouttes de miel cachées par l’abeille dans les fentes des vieux chênes ; on ne sait comment les en arracher, et souvent il y faut employer les ongles, ce qui gâte la grâce.

On peut dire encore de ces courtes et vives saillies du poëte amoureux que ce ne sont que des étincelles, mais des étincelles arrachées à la foudre. Il a de ces débuts enflammés qui tiennent des deux ivresses : ainsi, dans cet élan d’orgie ou de sérénade (c’était un peu la même chose chez les Anciens, comessatio), il veut courir à la porte de sa maîtresse, et s’adresse tour à tour à son serviteur pour qu’il allume le flambeau, et à lui-même pour s’enhardir : « Le dé en est jeté : allons, enfant, j’irai. — Allons, courage ! — Mais quel est ton projet, ivre que tu es ? — Je vais à la sérénade. — A la sérénade ! A quoi te livres-tu, mon Cœur ? Y a-t-il ombre de raison dans l’amour ? — Allume pourtant, allume vite. Qu’importent toutes les raisons d’auparavant ? Périsse la sagesse et tout son labeur ! je ne sais qu’une chose, c’est qu’Amour a brisé Jupiter lui-même et son vouloir. »

Dans l’épigramme suivante, il s’échappera avec la même vivacité, avec la même incohérence passionnée et de façon à moins choquer nos mœurs, qui ne veulent, en fait d’amour, qu’une seule ivresse. C’est à une suivante qu’il est en train de parler pour qu’elle porte à sa maîtresse un message : il la presse, il la rappelle, il court après ; le mouvement est celui de l’entraînement même et de la naïve impatience :

« Dis-lui cela, Dorcas, dis-lui et redis-lui, ô Dorcas, deux et trois fois toutes choses. Cours, ne tarde plus, vole… — Un instant, un instant encore, chère Dorcas, attends un peu ; pourquoi te hâter avant d’avoir tout entendu ? Ajoute à ce que j’ai dit dès longtemps, ajoute… — Mais je déraisonne de plus en plus ; ne dis rien, absolument rien… — Ou seulement… — Non, dis tout, ne t’épargne pas à tout dire… — Et cependant pourquoi est-ce que je t’envoie, ô Dorcas ? Me voilà arrivé moi-même avec toi et avant toi. »

Ce message ardent allait à une certaine Lycænis, qui paraît n’avoir été qu’une coquette, et à laquelle il reprochait peu après de l’avoir joué par un semblant d’amour. Parmi les autres femmes qu’aima Méléagre, et dont il nous a déjà énuméré un groupe assez complet, il n’est pas impossible de ressaisir les traits, au moins de quelques-unes, et même des différences assez sensibles de physionomie. La petite Timo dura peu de temps, à ce qu’il semble, et ne lui tint guère au cœur ; elle vieillit vite, et il se vengea ou de ses rigueurs, ou plutôt de ses infidélités avec le beau Diodore, par une manière d’épode sanglante, digne d’Archiloque ou d’Horace à Canidie : il la compare pièce pour pièce à un vaisseau qui ne peut plus soutenir la mer. Méléagre a beaucoup vécu dans les ports, dans les îles, en vue des flots ; il affectionne dans ses amours les images maritimes. Nous nous garderons bien de traduire ici cette comparaison trop suivie de la petite Timo avec quelque carène délabrée de Tyr, et mieux vaut passer à la petite Fanie.

Fanie, en grec, veut dire petite lumière, ou même petite lanterne, petit flambeau. Le poëte ne manque pas de jouer sur le mot, comme ferait tout galant auteur de madrigal ou de sonnet, comme fera Pétrarque lui-même. Ce n’est point cette fois par ses flèches, ce n’est pas même par son flambeau qu’Amour lui a mis la flamme au cœur : il a suffi d’une toute petite étincelle. Il y a là de quoi broder, et l’amant bel-esprit ne s’en fait faute. Mais voici qui indique un sentiment plus vrai : Fanie était dans l’île de Cos, et Méléagre, absent, s’en était allé du côté de l’Hellespont ; il s’adresse ainsi aux voiles qu’il aperçoit du rivage ; « Navires bien frétés, légers sur les eaux, qui traversez le passage d’Hellé recevant au sein des voiles un Borée favorable, si quelque part vous apercevez sur le rivage dans l’île de Cos la petite Fanie regardant vers la mer bleue, annoncez-lui cette parole : « Belle épousée, ce n’est point sur un vaisseau qu’il reviendra ; il est homme à venir à pied, tant il t’aime128 ! » — Et si vous dites cela, voguez au plus vite, voguez à souhait : Jupiter propice soufflera dans votre voilure. »

Démo, la petite-maîtresse aux parfums, lui inspirera aussi quelques vrais accents ; c’est pour elle qu’il s’écriait à l’aurore : « Point du jour, pourquoi, ennemi des amoureux, m’es-tu survenu si vite sur ma couche lorsqu’à peine je commençais à m’attiédir auprès de ma chère Démo ? Puisses-tu, rebroussant chemin au plus tôt, devenir l’Étoile du soir, ô toi qui lances une douce lumière si amère pour moi ! Car déjà auparavant, à propos d’Alcmène, tu es allé au-devant de Jupiter, et tu n’ignores pas comment on s’en revient. » Dans une autre épigramme, qui est la contre-partie de la première, il accuse ce même Point du jour, qui allait si vite tout à l’heure, d’être trop lent à tourner autour du monde, maintenant qu’un autre plus heureux est accueilli en sa place et lui succède dans les mêmes douceurs : « Mais, lorsque je la tenais dans mes bras, la belle élancée, tu m’arrivais bien vite, comme pour me frapper d’une lumière qui rit de mes maux. » — Cette Démo, en effet, lui fut infidèle, on l’entrevoit, pour un Juif, et nous arrivons à Zénophila.

Celle-ci est une délicate personne, une belle diseuse (dulce loquentem), une savante ou mieux une muse ; ce n’est pas d’elle qu’on pourrait dire qu’elle ne chante pas les vers de Sapho, elle en fait elle-même. Le ton de Méléagre semble s’épurer pour la célébrer : « Les Muses aux doux accents avec la lyre, et la parole sensée avec la Persuasion, et l’Amour guidant en char la beauté, t’ont donné en partage, ô Zénophila, le sceptre des Désirs ; les trois Grâces t’ont donné leurs dons. » Et il explique de toutes les manières, il commente avec complaisance ce triple don, cette voix mélodieuse qui le pénètre, cette forme divine qui darde le désir, ce charme surtout qui l’arrête : beauté, muse et grâce. Il va cueillir les images les plus fraîches et les plus légères pour lui exprimer son âme. Il est jaloux de tout auprès d’elle, de la mouche qui vole, même du sommeil : « Tu dors, Zénophila, tendre tige ! Puissé-je sur toi maintenant, comme un Sommeil sans ailes, pénétrer dans tes paupières et n’en plus bouger, afin que pas même lui, lui qui charme les yeux mêmes de Jupiter, n’habite en toi, et que moi seul je te possède ! » Et quelle fraîcheur matinale et pure dans le couplet suivant, que tant de poëtes latins modernes ont travaillé à imiter sans l’atteindre : « Déjà la blanche violette fleurit, et fleurit le narcisse ami des pluies, et les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes, la fleur la plus éclose entre les fleurs, Zénophila, est comme la rose qui exhale le charme. Prairies, pour quoi riez-vous si brillamment sous vos parures ? L’enfant est plus belle que toutes vos couronnes. »

Si, dans un festin, la coupe a touché les lèvres de Zénophila, il s’écrie : « Le calice a souri de joie, il dit qu’il a touché la lèvre éloquente de l’aimable Zénophila : bienheureux ! Oh ! si, appliquant aussi bien ses lèvres à mes lèvres, elle buvait en moi d’une seule haleine toute mon âme ! »

Il n’est pas toujours jaloux du moucheron qui vole, il ne se courrouce pas toujours contre le cousin qui peut piquer la belle dormeuse ; il lui confie aussi au besoin de délicats messages : « Vole pour moi, Moucheron, léger messager, et, effleurant l’oreille de Zénophila, murmure-lui ces mots : « Tout éveillé il t’attend, et toi, oublieuse de ceux qui t’aiment, tu dors ! » — Va, voie ; ô l’ami des Muses, envole-toi ! mais parle-lui bien bas, de peur qu’éveillant celui qui dort à côté, tu ne déchaînes sur moi ses jalouses colères. Que si tu m’amènes la belle enfant, je te coifferai d’une peau de lion, ô moucheron sans pareil, et je te donnerai à porter dans ta main la massue d’Hercule129. »

Nous avons épuisé le chapelet de femmes que Méléagre nous avait composé tout d’abord, et il ne nous reste plus qu’Héliodora : c’est celle aussi, le dirai-je ? qu’il paraît avoir le plus aimée, et il ne l’a pas appelée seulement par métaphore l’âme de son âme. Il n’est pas dit qu’elle fît des vers comme Zénophila, mais elle avait également le doux langage, la voix pareille à un chant ; elle possédait la grâce enchanteresse et cette Persuasion ou séduction (Pitho), déesse ou fée que j’ai cru déjà ne pouvoir bien exprimer que par le charme. Il nous a parlé une fois de son petit pied, de sa sandale élégante, ce qui ne gâte rien. Il nous a dit en six vers dont le rhythme seul pourrait figurer la légèreté, l’entrelacement et l’abondance : « Je tresserai la violette blanche, je tresserai le tendre narcisse avec les myrtes, je tresserai les lis riants, je tresserai le safran suave, et encore l’hyacinthe pourpré, et aussi je tresserai les roses chères à l’amour, afin que, sur les tempes d’Héliodora aux grappes odorantes, la couronne frappe de ses fleurs les belles boucles de sa chevelure. » — J’aime à croire que ce ne fut que dans les débuts de sa liaison qu’il doutait assez de cette chère Hélio-dora pour s’écrier, tandis qu’il se dirigeait le soir vers sa demeure : « Astres, et toi, Lune qui brilles si belle aux amants, Nuit, et toi, petit instrument compagnon des sérénades, est-ce que je la trouverai encore l’amoureuse, sur sa couche, tout éveillée et se plaignant à sa lampe solitaire ? ou bien en a-t-elle un autre à ses côtés ? Au-dessus de sa porte, alors, je suspendrai ces couronnes suppliantes, non sans les avoir fanées auparavant de mes larmes, et j’y inscrirai ces mots : A toi, Cypris, Méléagre, l’initié de tes jeux, a suspendu ici ces dépouilles de sa tendresse130 ! » — Une autre fois, s’adressant suivant l’usage à la lampe, il la suppliait de s’éteindre plutôt que de favoriser de sa clarté les plaisirs d’un autre, et il souhaitait de plus que cet autre tombât tout d’un coup accablé de sommeil, comme ce beau dormeur Endymion, lequel, on le sait, ne sentait pas son bonheur. Mais de tels vœux et de telles plaintes, qui supposent si aisément l’infidélité de l’amante, sont trop ordinaires à tous les élégiaques antiques ; ce qui nous peut indiquer que l’amour de Méléagre pour Héliodora s’est élevé à quelque chose de plus particulier et de plus senti dans l’ordre du cœur, ce sont des accents comme ceux-ci ; il est à table avec ses amis, les coupes circulent, la joie déborde ; lui, il regrette celle qui, la veille, était à ses côtés : « Verse, et dis encore, encore, encore, A Héliodora ! dis, mêle ce doux nom au pur nectar. Et, en souvenir d’elle, attache-moi cette couronne d’hier toute humide de parfums. Vois, la rose amoureuse est en pleurs de ne plus la sentir ici, de ne plus la voir sur mon sein131. » Un autre jour, un matin qu’il est près d’elle et qu’il est heureux, il dit à l’abeille qui voltige : « Abeille qui vis de fleurs132, pourquoi me viens-tu toucher le corps d’Héliodora, quittant pour elle les calices du printemps ? Est-ce que par là tu veux me faire entendre qu’elle a sans cesse en elle l’aiguillon doux et insupportablement amer de l’amour ? Oui, je le pense, ce n’est que cela que tu veux me dire. O amoureuse Abeille, tu peux t’en retourner : il y a longtemps que nous savons ton message. »

Héliodora meurt, elle meurt jeune, et Méléagre exhale ses regrets dans une pièce toute pleine de sanglots, qui ne se peut reproduire ici que bien faiblement. Il supplie, avec le cri de la tendresse, la terre d’être légère à celle qui, tant qu’elle vécut, l’a si légèrement foulée : « Je t’offre mes larmes là-bas jusqu’à travers la terre, Héliodora, je te les offre comme reliques de tendresse jusque dans les Enfers, des larmes cruelles à pleurer ! et sur ta tombe amèrement baignée je verse en libation le souvenir de nos amours, le souvenir de notre affection ; car tu m’es chère jusque parmi les morts ; et moi, Méléagre, je m’écrie pitoyablement vers toi, stérile hommage dans l’Achéron ! Hélas ! hélas ! où est ma tige si regrettable ? Pluton me l’a enlevée, il me l’a enlevée, et la poussière a souillé la fleur dans son éclat. Mais je te supplie à genoux, ô Terre, notre nourrice à tous, d’embrasser dans ton sein, ô mère, d’embrasser doucement cette morte tant pleurée. »

Cette pièce, après la mort d’une amante, m’a involontairement rappelé les suprêmes sonnets de Pétrarque, de qui la pensée m’est encore revenue plus d’une fois en lisant Méléagre. Il y a entre eux deux tout l’abîme qui sépare le christianisme épuré et le paganisme sans frein. Pourtant, l’oserai-je dire ? plus d’un rapprochement m’a frappé pour le style, pour le goût. Méléagre est déjà subtil (car je ne prétends pas dissimuler ses défauts), il l’est comme Ovide le sera, et bien plus qu’Ovide ; il l’est comme on le sera plus tard dans les sonnets, dans les madrigaux les plus raffinés. Ce n’est pas seulement parce qu’il joue sur les noms de ses maîtresses, parce qu’étant un jour amoureux d’une certaine Tryphéra, il dit qu’elle est une Scylla, à peu près comme si mademoiselle de Scudery disait que la princesse de Tendre a un cœur de roche 133 ; il ne s’en tient pas à ces gentillesses : il est telle épigramme sur Héliodora où il nous montre Amour et elle jouant à la paume avec son cœur, et il la supplie de ne pas le laisser tomber, mais de se prêter au jeu et de renvoyer la balle. Quel joli sonnet on aurait fait avec cette idée-là134 ! Quand on voit chez les Grecs, à partir des Alexandrins, de telles subtilités ingénieuses pénétrer et corrompre la poésie, même celle qui reste à tant d’égards charmante encore, on est tenté de se demander si cette veine sophistique, transmise par les Latins, et qu’en retrouve tout à l’extrémité de leur littérature dans Ausone, n’aurait point pu s’infiltrer d’une manière ou d’une autre jusqu’à ceux des beaux-esprits provençaux ou italiens du moyen âge, qui ont recommencé comme les autres ont fini. Mais non : ces phases analogues et ces récidives du goût tiennent à des lois générales de l’esprit humain ; on réinvente, à de certains âges et en de certains lieux éloignés, les mêmes défauts, comme quelquefois aussi on rencontre, sans s’être connus et à l’aide de la seule nature, les mêmes beautés. Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir lu Méléagre, on comprend mieux Ovide, et tant de jeux d’esprit, dès longtemps en circulation chez les Grecs, où le charmant élégiaque latin n’a pas toujours mêlé la même flamme.

Il ne serait pas juste de finir avec Méléagre sur une remarque qui ressemblerait trop à un blâme. On rencontre chez lui, outre les pièces consacrées à ses amours, de belles épigrammes encore et une idylle ravissante de fraîcheur. Il n’existe dans l’antiquité que bien peu d’épigrammes comparables en beauté, et presque en grandeur, à celle qu’on lui doit sur Niobé. Le poëte se représente dans la situation d’un messager qui vient annoncer à celle-ci la mort de ses fils, croyant que c’est là tout son malheur ; mais tout d’un coup, et tandis qu’il parle, il est témoin de la mort des filles restées auprès de leur mère. La première partie de cette petite pièce est en récit, et la seconde en tableau. On y sent respirer à chaque mot ce quelque chose de vif, de court, d’imprévu, qui est proprement le génie de l’épigramme. Rien aussi de plus sévèrement douloureux ; ces douze vers, qui suffisent à tant de meurtres, et qui en regorgent pour ainsi dire, étaient dignes d’être inscrits sur la statue antique, au socle du marbre.

« Fille de Tantale, Niobé, entends ma voix messagère de désastre, reçois la parole lamentable qui proclame tes angoisses ; délie le bandeau de tes cheveux, ô la malheureuse, qui n’a mis au monde toute une race de fils que pour les flèches accablantes de Phœbus : tu n’as plus d’enfants ! — Mais quoi ? autre chose encore ! que vois-je ? Hélas ! hélas ! le meurtre déborde, il atteint jusqu’aux vierges. L’une tombe penchée sur les genoux de la mère, l’autre dans ses bras, l’autre à terre, l’autre à sa mamelle ; une autre, effarée, reçoit le trait en face ; une autre, à l’encontre de la flèche, se blottit ; l’autre, d’un œil qui survit, regarde encore la lumière. Et cette mère, qui a trop chéri autrefois sa langue babillarde, terrifiée maintenant, figée dans sa chair, est devenue comme une pierre. »

La plus célèbre, la plus longue des pièces de Méléagre, et que nous avons réservée jusqu’ici, est son idylle sur le printemps ; on y saisit comme l’anneau d’or qui le rattache à Théocrite et à Bion. Rien de plus frais, de plus distinct et de plus net que cette peinture ; pas un trait n’y est vague ni de convention ; tout s’y anime et y vit aux regards, et y luit de sa juste couleur, ce qui fait que l’image est restée toute jeune, toute neuve et comme d’hier, dans un si vieux sujet. J’ai tâché de la calquer ici trait pour trait ; mais il est un certain lustre original qui ne se rend pas :

idylle sur le printemps.

« Le venteux hiver s’en étant allé du ciel, la saison rougissante du printemps a souri avec ses fleurs. La terre bleuâtre s’est couronnée d’herbe verte, et les plantes poussant leur tige se sont enchevelées de jeune feuillage. Buvant la tendre rosée de l’Aurore qui fait germer, les prairies s’égayent, à mesure que s’ouvre la rose. Et s’égaye aussi le bouvier jouant de sa flûte sur les montagnes, et le chevrier de chèvres se réjouit de ses blancs chevreaux. Déjà naviguent sur les larges vagues les nautoniers enflant leurs voiles sinueuses au souffle clément de Zéphyre. Déjà les buveurs entonnent Évohé en l’honneur du Père des raisins, la tête ceinte des corymbes en fleur du lierre. Les belles œuvres industrieuses occupent les abeilles nées des flancs des taureaux, et, assises sur la ruche, elles fabriquent les blanches beautés des rayons humides aux mille trous. De toutes parts, la race des oiseaux chante à voix sonore, les alcyons autour de la vague, les hirondelles au bord des toits, le cygne sur les rives du fleuve, et sous le bois le rossignol135. Mais si les chevelures des plantes s’épanouissent, si la terre fleurit, si le pasteur joue de la flûte, et si les troupeaux à belle toison sont charmés, si les nautoniers naviguent, si Bacchus est en danse, si la gent ailée exhale ses concerts, et si les abeilles sont en travail pour enfanter, comment donc ne faut-il pas que le poëte aussi chante un chant harmonieux au printemps ? »

Bien que le plus grand nombre des traits qui composent ce tableau entre d’ordinaire, bon gré, mal gré, dans toute description du printemps, et que la poésie, en émigrant vers le nord, n’ait cessé de s’inspirer et de se ressouvenir de ces mêmes anciennes peintures du midi, comme si dans leurs objets elles restaient toujours présentes, on peut s’assurer qu’il n’en était pas ainsi pour Méléagre, et qu’il avait bien réellement sous les yeux le spectacle fortuné qu’il décrit. Dans un autre poëme ancien136 on possède, en effet, une description de Tyr, de cette île rattachée au continent, toute pareille à une jeune fille qui nage, offrant au flot qui la baigne sa tête, sa poitrine et ses bras étendus, et appuyant ses pieds à la terre : là seulement, est-il dit, le bouvier est voisin du nocher, et le chevrier s’entretient avec le pêcheur ; l’un joue de la flûte au bord du rivage, tandis que l’autre retire ses filets ; la charrue sillonne le champ tout à côté de la rame qui sillonne les flots ; la forêt côtoie la mer, et l’on entend au même lieu le retentissement des vagues, le mugissement des bœufs et le gazouillis des feuilles. C’est le voisinage du Liban qui amène ce concours, cette harmonie parfaite des diverses scènes de la marine et du paysage. Ainsi le printemps de Méléagre n’était pas un idéal dans lequel, comme dans presque tous nos Avril et nos Mai, l’imagination, éveillée par le renouveau, assemble divers traits épars, les arrange plus ou moins, et les achève. Ici, dans ce printemps de Phénicie comme dans ceux d’Ionie et de Sicile, le spectacle se déroulait au complet sous un seul et même regard, et l’heureux poëte n’a fait que copier la nature.

Il y aurait eu moyen sans doute de tirer des cent vingt-neuf épigrammes ou petites pièces restantes de Méléagre d’autres gracieux détails et des considérations littéraires plus approfondies, plus sûres ; j’en ai dit assez du moins pour faire entrevoir l’espèce d’imagination et de sensibilité, de subtilité passionnée et de vif agrément encore, d’un poëte qui en représente pour nous beaucoup d’autres. Pourquoi ce genre d’essai sans prétention, appliqué aux Anciens, ne prendrait-il pas humblement faveur ? et qu’est-ce qui empêche d’entr’ouvrir de la sorte, non dans la forme savante et philologique qu’on laisse à qui de droit, mais à la vieille manière française, légèrement rajeunie, bien des coins jusqu’ici réservés ? En France, les personnes même instruites (hors du cercle de l’érudition) sont trop accoutumées à ne juger l’antiquité que sur quelques grands noms qui reviennent sans cesse, qu’on cite à tout propos et qu’on croit connaître. On ne connaît bien un pays pourtant que lorsqu’on l’a traversé non-seulement dans ses larges routes rapidement parcourues, mais aussi dans ses sentiers et au hasard de ses buissons. L’Anthologie et les poëtes qu’elle rassemble sont en quelque sorte ce chemin de traverse qui ferait parcourir l’ancienne Grèce dans bien des cantons intérieurs, imprévus. Comment se fait-il qu’on n’ait pas eu l’idée de percer çà et là ce pays de bocages, et d’en rendre praticable à tous au moins quelques portions ? Je ne fais qu’indiquer le chemin, c’est tout ce que je puis. Et si l’on me demande à mon tour pourquoi ce souci perpétuel du nouveau, et à quoi bon Méléagre à cette heure plutôt que tant d’autres, je répondrai avec Ulysse en son récit chez Alcinoüs : « Je ne puis souffrir de venir répéter aujourd’hui ce qui a été dit (par moi ou par d’autres) assez clairement hier. »