(1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chants du crépuscule » (1835) »
/ 2261
(1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chants du crépuscule » (1835) »

Préface des « Chants du crépuscule » (1835)

Les Chants du crépuscule, in Œuvres complètes de Victor Hugo. Poésie, tome II, Paris, Imprimerie nationale, Librairie Ollendorff, 1909, p. 177-179.

Les quelques vers placés en tête de ce volume indiquent la pensée qu’il contient. Le prélude explique les chants.

Tout aujourd’hui, dans les idées comme dans les choses, dans la société comme dans l’individu, est à l’état de crépuscule. De quelle nature est ce crépuscule ? de quoi sera-t-il suivi ? Question immense, la plus haute de toutes celles qui s’agitent confusément dans ce siècle où un point d’interrogation se dresse à la fin de tout. La société attend que ce qui est à l’horizon s’allume tout à fait ou s’éteigne complètement. Il n’y a rien de plus à dire.

Quant à ce volume en lui-même, l’auteur n’en dira rien non plus. À quoi bon faire remarquer le fil, à peine visible peut-être, qui lie ce livre aux livres précédents ? C’est toujours la même pensée avec d’autres soucis, la même onde avec d’autres vents, le même front avec d’autres rides, la même vie avec un autre âge.

Il insistera peu sur cela. Il ne laisse même subsister dans ses ouvrages ce qui est personnel que parce que c’est peut-être quelquefois un reflet de ce qui est général. Il ne croit pas que son individualité, comme on dit aujourd’hui en assez mauvais style, vaille la peine d’être autrement étudiée. Aussi, quelque idée qu’on veuille bien s’en faire, n’est-elle que très peu clairement entrevue dans ses livres. L’auteur est fort loin de croire que toutes les parties de celui-ci en particulier puissent jamais être considérées comme matériaux positifs pour l’histoire d’un cœur humain quelconque. Il y a dans ce volume beaucoup de choses rêvées.

Ce qui est peut-être exprimé parfois dans ce recueil, ce qui a été la principale préoccupation de l’auteur en jetant çà et là les vers qu’on va lire, c’est cet étrange état crépusculaire de l’âme et de la société dans le siècle où nous vivons ; c’est cette brume au-dehors, cette incertitude au-dedans ; c’est ce je ne sais quoi d’à demi éclairé qui nous environne. De là, dans ce livre, ces cris d’espoir mêlés d’hésitation, ces chants d’amour coupés de plaintes, cette sérénité pénétrée de tristesse, ces abattements qui se réjouissent tout à coup, ces défaillances relevées soudain, cette tranquillité qui souffre, ces troubles intérieurs qui remuent à peine la surface du vers au dehors, ces tumultes politiques contemplés avec calme, ces retours religieux de la place publique à la famille, cette crainte que tout n’aille s’obscurcissant, et par moments cette foi joyeuse et bruyante à l’épanouissement possible de l’humanité. Dans ce livre, bien petit cependant en présence d’objets si grands, il y a tous les contraires, le doute et le dogme, le jour et la nuit, le coin sombre et le point lumineux, comme dans tout ce que nous voyons, comme dans tout ce que nous pensons en ce siècle ; comme dans nos théories politiques, comme dans nos opinions religieuses, comme dans notre existence domestique ; comme dans l’histoire qu’on nous fait, comme dans la vie que nous nous faisons.

Le dernier mot que doit ajouter ici l’auteur, c’est que dans cette époque livrée à l’attente et à la transition, dans cette époque où la discussion est si acharnée, si tranchée, si absolument arrivée à l’extrême, qu’il n’y a guère aujourd’hui d’écoutés, de compris et d’applaudis que deux mots, le Oui et le Non, il n’est pourtant, lui, ni de ceux qui nient, ni de ceux qui affirment.

Il est de ceux qui espèrent.