MABLY, [N. Bonnot de] Abbé, de l’Académie de Lyon, frere de M. l’Abbé de Condillac, né, comme lui, à Grenoble en 1720.
Il est du nombre des Gens de Lettres estimables, qui ne sont pas de l’Académie Françoise, & qui ne seroient jugés que plus dignes d’en être, par le suffrage du Public, si les vrais talens étoient toujours des titres pour y parvenir. Peut-être M. l’Abbé de Mably, après avoir su apprécier cet honneur ce qu’il vaut, n’en a-t-il pas été jaloux. Quoi qu’il en soit, son mérite ne peut qu’honorer tous les Corps qui l’auront pour membre. Ses Ouvrages en sont la preuve. Il n’en est pas sorti un seul de sa plume [& nous en connoissons une douzaine], qui n’annonce un esprit pénétrant & un sage Observateur. La plupart sont peu connus, parce qu’ils ont pour objet, des matieres au dessus du goût de la multitude, qui ne s’amuse guere que de frivolités. Les plus répandus sont ses Observations sur les Grecs, celles sur les Romains, les Entretiens de Phocion sur le rapport de la Morale avec la Politique. Dans ce dernier Ouvrage sur-tout, les matieres sont approfondies & épuisées sans effort, sans sécheresse, sans diffusion. La Raison, c’est-à-dire, cette saine Raison, si rare dans les Ouvrages de ce Siecle, y marche d’un pas ferme, le flambeau à la main, & découvre, sur sa route, des vérités profondes, enchaînées les unes aux autres, formant un Tout aussi instructif, que pensé avec justesse, & sagement digéré.
Un célebre Critique a eu raison de dire de cet Ouvrage, « qu’il
étoit la Production d’un excellent Citoyen, qui n’écrit que pour se
rendre utile, qui voit tous nos travers & tous nos vices, non
pour en plaisanter avec légéreté, mais pour nous en corriger ;
qui gémit sur cet abîme-de corruption où nous sommes plongés, &
qui voudroit nous
en faire sortir ;
qui nous offre la perspective la plus effrayante des maux que nous
preparent des révolutions qu’amenera cette mollesse hébetée, qui
tient nos sens engourdis : car le voile est aisé à lever ;
ce tableau de la Grece est un miroir où la France doit se voir
elle-même. On découvre dans ce Livre, des vérités de tous les temps,
de tous les lieux, de toutes les législations….. Puisse cet Ecrit
tomber entre les mains de nos jeunes gens ! puissent-ils le
lire & le goûter ! Ils y puiseront des idées saines &
lumineuses de la vertu & des devoirs qui les attachent
nécessairement à l’Etat »
.
On ne se seroit pas attendu, après cela, que les Entretiens de Phocion, si lumineux & si utiles pour la Morale, fussent devenus la matiere du radotage insipide d’un Héros de Roman. Il ne faut que lire Bélisaire, pour y trouver Phocion travesti. C’est ainsi que la Philosophie prétend faire des découvertes. Tout son art consiste à altérer les bonnes choses qu’on avoit dites avant elle ; semblables aux Harpies qui vivoient de rapines, & infectoient, en y touchant, les mets servis sur la table des Sages & des Héros.