LENGLET DUFRESNOY, [Nicolas] Abbé, né à Beauvais en 1674, mort à Paris en 1755.
La France a produit peu d’Auteurs aussi laborieux & aussi féconds. Le Public lui doit quarante Ouvrages, qui forment plus de trois cents volumes. Religion, Morale, Politique, Histoire, Géographie, Chimie, tout a été de son ressort, & par-tout on y reconnoît l’Homme érudit, mais sans jugement, sans principes, & sans goût. Cet Auteur a été en cela un exemple très-capable de prouver combien un esprit caustique, indépendant, aidé d’une mémoire prodigieuse, est propre à enfanter d’erreurs, & à les débiter avec assurance. Jamais les sages Réglemens de la Police, pour la Librairie, ne contrarierent personne plus que lui : aussi fut-il toujours en guerre avec les Censeurs qu’on lui donnoit pour examiner ses Manuscrits. Entêté dans ses idées, il ne pouvoit se résoudre aux changemens ou aux suppressions les plus nécessaires. Sa méthode étoit, de rétablir à l’impression ce qu’on avoit rejeté ou changé à l’examen. Souvent il ne s’en tenoit pas là. Le Censeur dont il étoit mécontent, devoit s’attendre à quelque trait satirique, dans le premier Ouvrage que l’Auteur faisoit imprimer.
Un pareil travers paroîtra, sans doute, excusable dans le Siecle où nous sommes. Nous ne dissimulerons pas qu’il est des Censeurs, dont la sévérité peu éclairée, les difficultés minutieuses, la foiblesse, la pusillanimité, l’esprit de parti, peuvent donner de justes mécontentemens aux Auteurs les plus irréprochables. Ils oublient trop aisément qu’ils ne sont pas Juges des Productions qu’on leur soumet, & que leur unique fonction est de rejeter ce qui peut blesser la Religion, les Mœurs & les Loix. Mais nous n’en sommes pas moins convaincus de la nécessité de donner des entraves aux esprits fougueux qui cherchent à égarer les autres, après s’être égarés eux-mêmes. Un Etat policé doit n’admettre que les lumieres utiles & bienfaisantes, & rejeter celles qui sont équivoques ou dangereuses. Moins d’Hommes savans, ou des Savans raisonnables & bons Citoyens, telle sera la devise de tout Gouvernement sage.
Si l’Abbé Dufresnoy eût pu se persuader qu’il valoit
mieux ne rien écrire, que d’écrire sans regles & sans égard, il se
seroit épargné bien des désagrémens. Pendant le cours de sa vie, il
habita moins sa maison que la Bastille, où il fut enfermé dix à douze
fois. Il étoit si
accoutumé à ces fréquens
voyages, qu’en voyant paroître l’Exempt Tapin,
aussitôt, sans lui donner le temps de s’expliquer,
allons
vîte
, disoit-il à sa Gouvernante,
mon petit
paquet ; du linge, du tabac
.