L’abbé Monnin.
Le Curé d’Ars
I
Dans le grand silence littéraire qui se fait parmi nous depuis quelque temps, voici un livre qui devrait éclater ! C’est bien mieux, d’ailleurs, qu’une œuvre de littérature. C’est de l’histoire, et de l’histoire sacrée ; car c’est la vie d’un saint, — d’un saint qui vivait hier encore, — écrite par un homme qui l’a assisté en ses travaux apostoliques, et racontée avec un détail infini. Chaque volume de l’abbé Monnin (et il y en a deux in-8º) a plus de sept cents pages. C’est un peu long, diront peut-être les délicats lecteurs de romans qui durent un an, dans les journaux… Certes ! l’abbé Monnin me paraît doué d’assez de goût, de possession de soi, d’amour de la simplicité et de la couleur par-dessus le marché, pour avoir, s’il l’avait voulu, imité les vieux maîtres, et pour nous entretenir de son saint à la manière des anciens hagiographes.
Il eût, tout aussi bien qu’un autre, enluminé son petit vitrail dans cette grande verrière catholique, éblouissante et naïve, que l’on appelle la Vie des Saints. S’il ne l’a point fait et si l’art y perd, l’art concentré, fini, qui taille son diamant et l’enchâsse solidement pour qu’il reste où il brille le mieux, c’est qu’il avait ses raisons sans doute, — des raisons plus hautes que l’intérêt d’un ouvrage et même d’un chef-d’œuvre !
Ce n’est pas, effectivement, au xixe siècle, qu’on peut se contenter d’un chef-d’œuvre de narration sincère quand il s’agit d’un saint, c’est-à-dire d’un de ces phénomènes auxquels on ne doit croire qu’à la dernière extrémité. Les questions que suscite la sainteté, qui est presque une monstruosité aux yeux des philosophes, doivent emporter l’écrivain qui pressent qu’on va les objecter à son récit, et c’est ce qui est arrivé à l’historien trop abondant du curé d’Ars. Il ne pouvait pas être uniquement le pur imagier des temps convaincus, et il a écrit son histoire comme on écrit l’histoire en nos époques de critique et de décadence, où la grandeur religieuse devient de plus en plus incompréhensible. S’il avait écrit pour le peuple, c’eût été différent ; mais à quoi bon ? Le peuple ne discute pas les saints, lui ! Le peuple connaissait déjà le grand homme du ciel que la terre venait de perdre, avant qu’aucun journal en eût charrié la gloire jusqu’à lui. Plus forte que nos engins modernes de publicité, cette gloire lui était venue à travers la chaîne électrique de tant de cœurs ! Mais les éclairés, les lettrés, l’ignoraient. Ils ont bien d’autres affaires vraiment que de s’occuper des pauvres curés qui, de vertus humbles en vertus humbles, deviennent des saints ; et c’est pour cela que l’abbé Monnin a dédié spécialement à ceux-là, qui ne connaissaient pas le curé d’Ars, l’histoire qui le leur apprendra. Les lettrés sont faits pour la longueur et le détail des livres. Est-ce qu’ils se sont jamais plaints, par exemple, de la longueur et du détail, même bête, de la biographie du docteur Johnson, ce lourd pédant anglais attaqué d’éléphantiasis, cet insupportable méchant homme, et quoiqu’elle ait été écrite par cet imbécile de Boswell ? N’ont-ils pas dit, tout au contraire, comme Macaulay, en se pourléchant : « Que n’y en a-t-il encore ? »
Eh bien, ils souffriront peut-être qu’on s’occupe, sans s’économiser la besogne, d’un être angélique et même charmant à la manière des hommes, et même spirituel, dans le sens littéraire, comme les lettrés le sont rarement, après l’avoir été dans le sens divin comme ils ne le sont jamais ! Ils souffriront peut-être que, pour une fois, on venge les amis de Dieu, qu’on croit généralement par trop simples, des brillants amis du Démon et du monde, qu’on croit véritablement par trop forts !
Tel a été le but dominant de l’abbé Monnin, en écrivant, pour la première fois, la vie prodigieuse de cet homme inouï qui a perdu son nom dans le titre de sa fonction, et qui, dans l’avenir comme dans le ciel, ne s’appellera plus que le Curé d’Ars.
II
Avant de s’appeler de ce titre immortel qui a dévoré son autre nom, le Curé d’Ars se nommait Vianney, — Jean-Baptiste-Marie Vianney. C’était, comme saint Vincent de Paul, auquel il ne ressemblait pas, quoiqu’il fût aussi grand que lui et plus étonnant pour ceux-là qui recherchent l’extraordinaire, c’était un fils de paysan, pâtre dès l’enfance, un esprit sans lettres, mais chez lequel, comme vous le verrez tout à l’heure, la Sainteté, qui peut tout, alluma le génie ! Pauvre de corps, non d’esprit, mais surtout très pauvre d’études, on avait failli lui refuser la prêtrise à cause de son ignorance, et puis on avait cédé à son amour de Dieu et on lui avait donné, de confiance, cette petite cure dans un petit coin de terre, dont il a fait quelque chose de si resplendissant que, de tous les points de la terre, on est venu pour en contempler la splendeur !
Le Curé d’Ars ne fut point un saint de Thébaïde. Il n’était pas un de ces Siméon Stylites, passés marbre sur leur colonne, avec lesquels la Philosophie puisse se donner les airs des explications indiennes et qu’elle traite sans façon de fakirs. Sa colonne, à lui, était à ras de terre ; c’était sa paroisse. Il n’en sortit jamais. Il y resta humble curé toute sa vie. Mais, comme le Saint, quel qu’il soit, implique toujours miracle, le pauvre petit curé de village renversa tout aussi bien les lois physiques que l’ardent et le rigide Contemplateur à la colonne ; car, pendant toute sa vie, sans s’interrompre jamais que pour l’instruction et la prière, il confessa des multitudes vingt heures sur vingt-quatre, et cela durant quarante ans !
Et dire ceci d’un bloc n’est pas assez pour le faire comprendre. Le Curé d’Ars, qui, dans la hiérarchie des Saints, fait partie de cette cohorte des Confesseurs que les hommes glorifieront, quand ils ne les invoqueront plus, en des litanies éternelles, fut, avant tout et par-dessus tout, un confesseur. C’était sa manière spéciale d’être saint, sa vocation dans la sainteté même. Dieu lui avait donné le génie de la conduite des âmes, à ce pâtre qui n’avait chez son père à conduire qu’un vieux âne et trois maigres brebis. De bonne heure, ce génie l’emporta sur celui de la Contemplation et de la Prière, qu’il avait aussi, et en fit le Siméon Stylite du confessionnal, qu’il ne quitta, pendant toute sa longue vie, que pour dire sa messe, faire le catéchisme, et coucher une heure sur une planche.
Aussi, ce qu’on n’avait jamais vu nulle part peut-être dans toute la Catholicité, sévit dans cette chétive paroisse d’Ars. La cloche y sonnait à minuit et l’église s’y ouvrait à cette heure où l’on dort partout, et le confesseur infatigable, ce veilleur des âmes, entrait à l’église, où des foules l’attendaient▶ déjà sous le porche ; car il avait donné le goût et presque la faim de la confession, ce grand Confesseur ! il avait fait trouver doux enfin ce pain si amer à la bouche de l’homme. Et il commençait ainsi sa journée, sa moisson de cœurs repentants, bien avant l’aurore î Et ces foules qui venaient à lui, sans qu’il eût besoin d’aller à elles, se sont tellement renouvelées, pendant toute sa vie, qu’en prenant la moyenne de ses confessions on a trouvé plus d’un million d’âmes converties puisqu’il les avait confessées.
Pour nous, catholiques, au tribunal du souverain juge le Curé d’Ars aura donc un million d’âmes qui diront à Dieu : « C’est par lui que nous sommes venus à vous, Seigneur ! » Mais si, comme le croient les philosophes, nos plus saintes croyances n’étaient que des chimères, avec son million de cœurs consolés pendant qu’ils battaient, et morts autour du sien qui n’aurait pas un grain de poussière de plus qu’eux, le Curé d’Ars serait-il moins grand ?…
III
Oui ! j’ai dit : convertis ou consolés, ces cœurs… Je l’ai dit sans aucune défiance. Je n’en aurais pas pour garants les promesses divines et les expériences de la vie, déposant toutes de l’efficacité de l’aveu pour ce cœur de l’homme qui étouffe toujours, que je n’en douterais plus après avoir lu les toutes-puissantes choses que je trouve dans le livre de l’abbé Monnin, et qui me consacreraient le Curé d’Ars comme un génie, si je n’avais pas bien plus que du génie pour l’expliquer ! L’abbé Monnin n’a jamais entendu, ni personne que ceux auxquels le Curé d’Ars s’adressait dans ce tête-à-tête sublime de la confession entre le prêtre et son pénitent, les paroles irrésistibles qui ont dû lui tomber des lèvres, à cet Inspiré de la conscience, mais il l’a entendu souvent dans ses instructions et ses catéchismes, et ce qu’il s’en rappelle et en cite est d’une beauté de langage qui défie les plus beaux langages de la terre. Je n’hésite pas à l’affirmer : nul poète, nul orateur, nul écrivain n’est plus magnifique et plus poignant que cet ignorant, incorrect et familier curé de campagne, qui a dans la conscience, cette conscience qui appartient à tous, les mêmes choses qui ne sont que dans le génie, lequel n’appartient, lui, qu’à quelques-uns !
Écrasante leçon, pour le dire en passant, donnée à ceux qui aiment le beau ! La conscience, même à ce point de vue de la beauté, est aussi puissante que le génie, et, comme elle appartient à tous, il ne s’agit que d’y descendre pour en rapporter des choses qui équivalent à du génie et rétablissent l’égalité entre les hommes par la vertu… C’est là ce qui faisait du pauvre curé d’Ars (il faut bien le dire !) l’égal, pour le moins, de Bossuet, de Fénelon, de sainte Thérèse, et lui donnait sans cesse cet air de prophète qui ne vient aux plus grands génies qu’à force de regarder Dieu. Malheureusement, étreint dans cet étau d’un seul chapitre, nous ne pouvons donner comme il faudrait une juste idée de cette merveilleuse expression que Dieu ne cessa jamais de mettre sur les lèvres de son serviteur. Mais l’abbé Monnin, qui écrit pour les lettrés et ne leur marchande pas les longueurs de son histoire, n’a pas manqué de donner des exemples foudroyants de cette expression surnaturelle, et il les a donnés avec une profusion qui étonne, quand on songe que ces inspirations, qui forment des pages si nombreuses dans son livre (de la page 413 à la page 485 du second volume), ont été saisies à la volée, et quand on se demande quelle dut être leur beauté première pour avoir résisté si bien à la pâle dictée du souvenir !
Mais, après tout, pour nous, qu’importe ? Pour nous, chez cet adorable Curé d’Ars, le verbe, le verbe le plus puissant, c’était tout lui-même. Ce n’était pas tel mot qui a résonné fort, tel accent qui a vibré profond, telle éjaculation si bouillonnante et si sublime qu’elle fait flamboyer la page inerte qui s’efforce de la répéter ; non pas ! C’était toute sa personne, toute son action, tous les points de sa vie à la fois. Le verbe s’était fait chair, chez ce disciple de Jésus-Christ, comme il s’était fait chair en son divin Maître, qu’il ne pensa jamais qu’à imiter, — imitation, préhension, possession plutôt, par l’amour ! Le Curé d’Ars a réalisé Jésus-Christ dans son âme autant qu’un homme peut réaliser son Dieu, et l’on dirait presque qu’il fut la dernière incarnation de Jésus-Christ sur la terre, si un si grand mot ne faisait pas peur à la Foi !
En effet, il n’y a que cela qui explique sa vie ; il n’y a que la notion de Notre Seigneur Jésus-Christ telle que nous la portons dans nos âmes, qui puisse expliquer cette espèce de règne (car c’en fut un) d’un prêtre caché au bout du monde, dans sa pauvre petite Bethléem de quelques feux et de quelques âmes, et que les foules, à défaut de mages, sont de partout venues visiter ! Je l’ai dit déjà, et le livre de l’abbé Monnin a montré, parmi tous ces miracles accomplis par le Curé d’Ars et qui ne durèrent que le temps de les accomplir, le miracle permanent, éclatant, impossible à contester, celui-là ! de ces multitudes d’âmes en peine qui affluaient vers le saint prêtre, pour lui demander la consolation et la paix. Eh bien, pendant de longues années, ce mouvement fut presque européen, et il alla redoublant toujours !
À Lyon, on avait établi pour Ars un service spécial de voitures. Sur la Saône, les paquebots se multiplièrent. Ce fut enfin, au xixe
siècle, — à trois pas de Ferney et de Genève, — un de ces spectacles que l’univers avait désappris depuis le Moyen Âge ; car on avait bien vu, depuis le Moyen Âge, des saints dont se détournait le monde, mais on n’avait pas vu de saints vers qui le monde eût gravité ! On aurait pensé, dit superbement à cette occasion l’abbé Monnin, à qui l’admiration crée très souvent un style ; on aurait pensé que cet homme, qui entraînait tout dans sa sphère d’attraction avec une si intense harmonie, « avait un système comme les astres »
. L’astre, en effet, c’était la croix ! Fascination de Jésus-Christ, charme de Jésus-Christ, tel fut le secret de la force du Curé d’Ars, dans un temps où la philosophie se vante assez haut d’avoir enterré Jésus-Christ de manière à ce qu’il ne puisse pas, une seconde fois, ressusciter. Et de fait, ce qui distingue surtout l’action du Curé d’Ars sur son temps, c’est qu’elle est toute et uniquement surnaturelle, sans que rien d’humain s’y joigne pour la justifier.
Saint Vincent de Paul est un saint aussi, et certainement l’un des plus grands Saints des temps modernes et peut-être de tous les temps, mais l’action humaine se mêle en lui à l’action divine. Il va, il vient il se remue, il se précipite dans toutes les voies où le Bien apparaît dans son empêchement ou son incertitude. Il a l’impétuosité de la vertu héroïque. Ce paysan à la figure de faune, qui avait peut-être la racine de tous les vices contraires à ses vertus, a gardé son terrible tempérament dans l’accomplissement des plus purs dévouements et des plus touchants sacrifices. Voyez-le agir ! c’est un tourbillon de bonnes œuvres. Il fonde des congrégations, ouvre des missions pour la France et pour l’étranger, bâtit des hôpitaux et des refuges pour toutes les douleurs et pour tous les abandons, ramasse les enfants dans son manteau, qu’il use à force d’en porter dans ses plis.
Quand Vincent de Paul ne serait pas un Saint, on le concevrait encore comme un grand homme de bien, un organisateur, un Napoléon de la bienfaisance. Tandis que le Curé d’Ars, s’il n’est pas un Saint, n’est plus rien. Ôtez-lui Jésus-Christ du cœur, voilà que, moralement, il expire ! Lui, le doux prêtre, ne remue pas violemment le monde ; il ne le bouleversera pas, comme saint Vincent, pour le régénérer. Il se contente, vieillard placide, d’aller de son presbytère à son église, et, là, de s’asseoir dans l’encoignure d’une chapelle, sur une planche de bois noir, puis d’◀attendre… Et, tout à coup, des milliers d’êtres humains viennent s’agenouiller devant l’escabeau de ce prêtre, pour s’en relever fortifiés et y envoyer, à leur tour, ceux qui n’y sont pas venus encore !…
Certes ! un tel spectacle vaut une histoire et doit tenter un historien. Il est assez rare pour intéresser, non seulement le chrétien, mais le philosophe. Selon moi, la vie du Curé d’Ars est une véritable originalité dans l’ordre hagiographique, et j’en connais peu qui fassent plus penser. Ce qui m’étonne dans cette vie d’hier, qui probablement sera une légende demain, ce n’est pas ce qui se trouve dans la vie des autres Saints de tous les âges et qui leur est commun à tous : les vertus, les grandeurs, les miracles, les communications directes avec Dieu, les adorations des foules prosternées ; mais c’est ce qui est particulier au Saint que fut le Curé d’Ars. Ce qui étonne, c’est qu’à l’époque où nous sommes parvenus, et où la confession est si haïe, s’il y a un saint qui s’élève et qui se fasse adorer et glorifier des hommes, ce soit précisément un confesseur !
Le Curé d’Ars fut ce confesseur, qui devait peut-être raccommoder la confession avec les hommes et réhabiliter cette grande Institution aux yeux égarés des pécheurs. Malgré deux ou trois efforts qu’il fît un jour pour s’ôter de la place où Dieu l’avait mis aux regards du monde comme un pont du ciel qu’il lui avait jeté, malgré la tentation qui le prit de la pénitence au désert, du silence ardent des Chartreuses et de la contemplation rigide et extatique en Dieu des grands Solitaires, Dieu ne permit point au serviteur qu’il s’était choisi d’être autre chose qu’un grand confesseur, et je dirai plus : le confesseur au dix-neuvième siècle. Son évêque lui ordonna de ne jamais quitter sa paroisse, sous quelque prétexte que ce fût. En cela, il devait ressembler davantage à ce saint Siméon Stylite auquel je l’ai, comparé, qui finit par se faire lier sur sa colonne pour n’être jamais tenté d’en descendre.
IV
Tel il m’apparaît dans le livre de l’abbé Monnin et tel il fut peut-être dans les desseins de Dieu, ce Curé d’Ars qui n’est pas seulement au ciel un Saint de plus, mais qui devait être sur la terre le type le plus accompli du grand confesseur, peut-être pour refaire aimer la confession à l’orgueil, devenu muet, des hommes ! En lisant la vie qu’on nous donne de cet infatigable confesseur au xixe siècle, qui passa cinquante ans la main levée dans le geste d’absoudre, peut-on dire qu’il n’a pas glorieusement rempli sa mission et douter qu’il ait réussi ? Dieu lui avait octroyé, d’ailleurs, pour qu’il réussît, un don d’expression dont nous pouvons juger encore dans le livre de l’abbé Monnin, et le don plus précieux des larmes : car c’est le Saint des larmes, que le Curé d’Ars !
Jamais on ne pleura comme lui sur les péchés des hommes, et Dieu seul, qui peut compter les pleurs, a pu compter les siens. Touchant et idéal côté de cette physionomie, qui n’eut pas que des pleurs, pourtant, mais qui eut aussi le sourire, pour, avec ces deux forces, rapporter à Dieu tous les cœurs !
Sans ce don des pleurs de l’amour, qu’avait eu, comme lui, sainte Thérèse, et sans ce sourire de la charité qui avait fleuri autrefois sur les lèvres de François de Sales, savez-vous à qui il eût ressemblé, ce Curé d’Ars dont l’abbé Monnin a publié un portrait si stupéfiant, à la tête de son histoire ?… Tenez-vous bien ! Il eût ressemblé à Voltaire. Dieu, qui se joue de tout et qui veut nous montrer combien toute apparence est vaine, n’avait-il pas mis le cœur de son meilleur ami derrière les traits de son ennemi le plus implacable ? Oui ! le Curé d’Ars ressemble à Voltaire comme saint Vincent de Paul ressemble à un satyre, mais chez tous les deux, le Saint a tué la bête, — chez l’un, luxurieuse certainement, chez l’autre, peut-être cruelle.
En effet, pour l’observateur qui étudie cette étrange figure du Curé d’Ars, avisé, futé, très fin au fond, malgré la sublimité des vertus que son âme avait contractée ; pour qui lit ces réparties spirituellement vengeresses de son humilité, qu’il adressait à ceux qui le persécutaient de leurs compliments et de leurs hommages, et dont l’abbé Monnin, qui n’oublie rien, a égayé doucement son récit, il est hors de doute qu’elle ne mentait pas, cette physionomie de Voltaire, et que, sans Jésus-Christ, le Curé d’Ars aurait été un de ces esprits charmants et mordants comme les aime le monde, au lieu d’être une âme angélique devant Dieu.