(1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145
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(1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Xavier Aubryet

I

Les Jugements nouveaux [I-IV].

Xavier Aubryet nous a placé dans une situation assez délicate vis-à-vis de ce livre. Il nous l’a dédié. Mais cela serait-il donc une raison pour n’en pas parler ? Cela pourrait-il être une raison, parce que l’auteur des Jugements nouveaux nous a exprimé, à la tête de son livre, une franche sympathie d’idées et de sentiments littéraires, pour que la critique, qu’il a la bonté d’estimer, lui manque tout à coup, et qu’il soit privé de sa part d’examen sous le prétexte, de peu de courage, que notre éloge serait suspect de reconnaissance et notre blâme d’ingratitude ?

Certes ! nous avons une manière un peu plus mâle de concevoir l’impartialité, et nous sommes certain que Xavier Aubryet, qui a la pureté et la fierté du sens critique, la partage. Seulement, disons-le d’abord, pour éviter tout embarras, le livre d’Aubryet brille de tant de talent et de tant de conscience que, pour nous, la vérité n’est pas plus difficile à dire que la reconnaissance n’est difficile à porter.

Ce livre, que je regarde comme le point de départ d’un esprit qui avait oscillé brillamment jusque-là, mais qui n’avait pas marqué supérieurement sa voie, est un livre de critique littéraire et d’art. Ce n’est point, comme on pourrait le croire, selon les coutumes de ces pauvres temps, les articles d’un journaliste qui se contente de passer le fil du brocheur à travers une verroterie creuse que l’aimable garçon — aimable pour lui ! — croit des perles. Xavier Aubryet, qui a débuté par le journalisme, c’est-à-dire par l’improvisation et l’éparpillement, n’a point gardé sur sa pensée les vices de ce métier dépravant que je regarde comme la plus effroyable épreuve qui puisse être imposée au talent, dans cette obligation de publicité rapide et corruptrice en sa rapidité dont nous sommes tous plus ou moins les forçats. Fait, il est vrai, en plusieurs endroits, sur des articles qui furent comme les pierres d’attente de la pensée de leur auteur, le livre en question a été pensé à nouveau et inventé en beaucoup d’autres.

Aussi, ce qui frappe le plus et le plus vite dans ce livre, c’est qu’il est un livre, un livre pur de journalisme, quand le journalisme est aux livres comme les myrtes sont à l’oranger. Premier point, voyez-vous ! par lequel Aubryet tranche nettement sur les critiques contemporains, qui jugent au détail comme les petits marchands y vendent. Mais il en est un second, sur lequel j’insisterai avec plus de précision encore parce qu’il est l’honneur de cet esprit gonflé, éclatant, plein de sève, et notre espérance à nous tous de le voir aboutir un jour, cet esprit à plusieurs puissances, et ce point, c’est l’idée générale, vers laquelle il remonte toujours de la critique la plus particulière. Aussi individuel que qui que ce soit dans sa manière de caractériser les œuvres et les hommes, Aubryet est cette rareté de tous les temps, devenue presque introuvable dans le nôtre, le diamant bleu de Μ. Hope dans l’ordre de la critique littéraire : c’est, en un mot, un esprit généralisateur. Il ne l’est pas, il est vrai, au point où il pourrait et devrait l’être, mais enfin il l’est, et, qui sait ? peut-être le deviendra-t-il beaucoup plus.

II

La critique, en effet, malgré les éloges que lui donne dans son volume l’auteur des Jugements nouveaux, le quel s’en est constitué l’historien et même le champion, la critique littéraire, qui n’est ni la grammaire ni la rhétorique, et qui n’est que d’hier dans le monde, robuste enfant, — terrible parfois, mais enfant encore, — n’a guères brillé jusqu’ici, comme tout ce qui commence, que par ses côtés inférieurs. Si les plaisirs qu’elle a donnés sont vifs, comme ceux que donnent les enfants, les services qu’elle a rendus sont assez minces ; car les enfants n’en rendent pas. Elle a senti les beautés et les laideurs des œuvres, ce qui n’est que le premier degré de l’intelligence, et, après les avoir senties, elle les a décrites et caractérisées, ce qui n’est encore que le second. Arrivée là et si peu loin, le croira-t-on ? la critique s’est reposée, comme Dieu quand il eut créé l’univers. Elle crut, elle, avoir expliqué le sien, et elle se trompa, preuve qu’elle n’était pas Dieu. La critique a donc commencé comme les positivistes — ces derniers savants, qui se croient les premiers, — prétendent qu’il faut finir, c’est-à-dire par la description et par la nomenclature.

Goethe, ce naturaliste en critique, avant d’être en sciences naturelles ce qu’il avait été en critique littéraire, Goethe, ce dieu des arides et des impuissants, a été invoqué en France par des critiques qui ont pourtant le tempérament esthétique, voluptueux et sanguin, mais qui n’ont pas plus de critérium que n’en avait Goethe : sceptiques comme lui avec tout excepté avec eux-mêmes, qu’ils croient organisés pour retentir au contact le plus frêle du beau, comme les harpes éoliennes aux plus légers, aux plus immatériels souffles qui passent.

À l’heure où nous sommes, ces critiques, tout de sensation, tiennent le haut du pavé parmi nous. Quelques-uns d’entre eux, les plus vivants et les mieux doués, se sont rappelés le mot anti-critique de Diderot, cet homme d’à-côté, cette cruche de verve bouillonnante renversée : « qu’une œuvre à juger n’était jamais qu’un prétexte pour produire », et ils ont fait ce que j’appelle de la poésie en critique, créant, à leur manière, au lieu de juger, et jouant sur la sensation et sur la langue, comme Paganini sur son violon, des motifs parfois merveilleux. Pour ceux-là, il y avait de tout dans le talent, excepté de la critique et de son génie. Tout y était Dieu, excepté Dieu lui-même. Il n’est donc pas étonnant que, dans un pareil état de choses, nous accueillions comme un bonheur et presque comme un événement dans la critique littéraire l’arrivée d’un jeune homme qui, lui, débute par regarder plus haut que la sensation et le fait, et se préoccupe de l’idée générale qu’exprime tout génie spécial et toute œuvre, quoique ce ne soit là cependant que la première marche de la critique dans la sphère de son intellectualité.

Or, tel est et tel fait Xavier Aubryet, le jeune auteur des Jugements nouveaux, qui, par cela seul, justifieront leur titre. Il est amoureux de l’idée autant que de la forme, et peut-être l’est-il davantage. J’ai dit que c’était un critique d’art en même temps qu’un critique en littérature. Dans ce volume, il y a en cause, à une seule exception près, si je ne me trompe, un nombre égal d’artistes et de littérateurs. Eh bien, dans ce volume qui contient Rossini, Ernest Renan, Émile Augier, Hérold, Jules Simon, Grisar, Scribe, Donizetti, Octave Feuillet, Weber, Ponsard, Boïeldieu, Adolphe Adam, Champfleury, Mozart, Henri Monnier (à propos du type de Prudhomme), et Shakespeare en profil (à propos d’Hamlet), il n’y a pas que les œuvres de ces écrivains et de ces artistes qui soient examinées ; il n’y a pas que leur génie, supérieur ou médiocre, qui soit caractérisé !

Rossini, par exemple, n’y est pas seulement Rossini ; il s’y appelle : « le paganisme de la musique ». Ainsi de tous les autres. Renan, c’est « le Français du xixe  siècle » ; Émile Augier, c’est Molière « tombé en ses petits-fils » ; Jules Simon, « c’est le Robinson des croyances » ; Scribe, « le génie de l’opéra-comique » ; Octave Feuillet, « la littérature fashionable » ; etc. Derrière tous enfin, quels qu’ils soient, l’idée générale qu’ils expriment fleurit comme une rosace embrasée sur le fond d’or, de vermillon et d’outre-mer, de laquelle les individualités ressortent mieux, magnifique repoussoir ! Cela seul donne au livre de Xavier Aubryet une splendeur qui n’est pas la splendeur première venue des pinceaux littéraires actuels. Évidemment, on est sorti de l’air épais et chargé de la sensation et l’on est entré dans l’air plus pur, plus transparent et plus subtil, de l’intelligence. On a plus d’horizon devant soi, et la critique a pris une largeur et une lumière inconnues à MΜ. les coloristes ordinaires et les nomenclateurs.

Encore un coup d’aile dans cette voie, encore un bout d’ascension dans cette profondeur de ciel, et la critique était arrivée, je ne dis pas à sa vérité de fait et de découverte, — car Aubryet peut se tromper et même il se trompe quelquefois dans l’idée générale qu’il dégage d’un homme ou d’une œuvre pour le faire mieux ressortir sur ce fond de lumière, — mais elle était arrivée à sa vérité d’essence et de direction. Il ne fallait pas s’arrêter à l’idée générale, qui est déjà un progrès. De l’idée générale il fallait aller jusqu’à l’absolu de l’idée, et mettre la main sur ce qui ferait le couronnement, la gloire et la force de toute critique : le critérium, que je cherche en vain dans tous les critiques, depuis Goethe jusqu’à Sainte-Beuve, qui le nient et le méprisent, et jusqu’à Aubryet, qui ne le méprise point, lui ; qui en a probablement un vague instinct, un désir confus, au fond de son intelligence éprise de l’idée ; mais qui, dans son livre des Jugements nouveaux, encore aujourd’hui ne l’a pas !

Et voilà ma critique sur la critique de Xavier Aubryet. Je l’ai constaté : progrès marqué sur les autres critiques contemporaines, cette critique d’âme et d’idée, avant tout, ne sort pas assez nettement d’une métaphysique dont on voie les termes et qui donne à l’esprit éclairé et affermi de son auteur la règle suprême, le dictamen inflexible, le bâton de longueur qui vaut sceptre et avec lequel le critique, qui est juge et roi à force d’être juge, prend la mesure des œuvres et des hommes. Xavier Aubryet, raffiné, sentimental, profond dans son ordre de perception, idéaliste de tendance, platonicien dans le grand sens du mot, Xavier Aubryet a-t-il une métaphysique et quelle est-elle ? C’est là ce que je ne sais ni ne vois assez. Or, qu’il l’apprenne s’il l’ignore, mais je crois bien qu’un esprit comme le sien s’en doute, les critiques sans métaphysique ressemblent un peu trop aux moralistes qui n’en ont pas non plus. Or, sans métaphysique, on manque éternellement du point fixe qu’il faut établir, en esthétique comme en morale, car le beau doit avoir la certitude du devoir, et on retombe aux petites misères de la sensation individuelle qui sont toujours de petites misères, quelle que soit la grandeur de l’homme qui donne sa sensation pour règle et qui la jette dans la balance, comme Brennus son épée, pour l’entraîner du côté de la vérité !

III

Mais cette réserve faite sur le fond des choses, mais ce desideratum, posé, ce desideratum dont Aubryet, avec la libéralité de son esprit, ne méconnaîtra pas l’exigence, je n’ai plus qu’à louer, même sur le fond des choses, l’écrivain qui vient de montrer en critique tant d’aperçu et de fécondité. S’il n’a pas de métaphysique bien et dûment articulée, et qui donne à toutes ses opinions le timbre imposant que les opinions d’un homme doivent avoir ; s’il n’a pas, qu’on me passe le mot ! ces institutions dans l’esprit dont l’absence fait qu’un despote de génie dans l’ordre de l’intelligence n’est, comme dans l’ordre politique, rien de plus qu’un accident heureux, il a de la pensée et il n’a point l’anarchie de faire de l’image, qu’il a aussi, autre chose que ce qu’elle est : — la servante de la pensée. Pas plus en style qu’en conception plus haute, Xavier Aubryet n’est un païen de ce temps, trop renouvelé des Grecs, et il l’a prouvé dans son Rossini ou le paganisme dans la musique. Là, il a été moderne dans le vrai sens du mot, que les modernes actuels sont en train de fausser. Il a été moderne comme il faut l’être, et pas plus, et presque chrétien. « Quel Antinoüs vaudrait Roméo ? » dit-il, avec un charmant rapport de vérité, et il ajoute excellemment, pour conclure une thèse soutenue avec une raison étincelante : « L’immense supériorité du monde moderne sur le monde antique, c’est, tout en gardant la beauté physique, de l’avoir reconciliée avec la beauté morale », et rien n’est plus vrai.

Si Aubryet n’a pas de christianisme intégral plus que de métaphysique intégrale, il a du moins dans l’esprit des rayons fondus de christianisme qui lui font une délicieuse quoique trop inégale lumière, et qui peuvent devenir très bien un jour profond, immuable et complet. Presque métaphysicien et presque chrétien, voilà sa force et sa faiblesse. Mais cette moitié de force et de faiblesse peut être toute force demain, et, pour cela, l’auteur des Jugements nouveaux n’aura pas besoin de se démentir : il s’accomplira simplement.

Ainsi, en restant sur le fond des choses et dans les généralités d’opinion, la critique de Xavier Aubryet a, dès son premier pas, pris une forte avance sur les autres critiques contemporaines, mais en continuant dans le sens de son premier mouvement, elle les distancerait tout à fait. De relative, s’il le voulait, la supériorité d’Aubryet deviendrait très vite absolue. Pour mon compte, je ne crois pas que depuis madame de Staël il y ait eu dans la littérature un livre qui ait charrié, sur le flot mouvant des images, plus d’aperçus et de rapports piquants que le livre des Jugements nouveaux. Il y a très peu de choses, en effet, qui n’y soient nouvelles, excepté pourtant cette théorie de l’influence des climats sur le tempérament des peuples et du talent, que je n’y voudrais pas ou que j’y voudrais moins ; car, lorsqu’on est un penseur hardi qui ne craint même pas de mettre un peu son chapeau sur l’oreille, comme Xavier Aubryet, on doit se débarbouiller entièrement du xviiie  siècle et se décrasser de Montesquieu. La supériorité, démontrée avec éclat et profondeur à plus d’une place, du roman et du livre sur l’œuvre théâtrale, opinion si peu française, mais si vraie, nous dit de reste comme Aubryet met son chapeau.

Théoriquement, donc, je lui trouve une valeur très grande et très incontestable. Mais voici quelque chose d’inexprimablement bizarre, voici une de ces incroyables et fréquentes anomalies qui prouvera une fois de plus cette chose déjà tant prouvée, c’est-à-dire à quel point l’action et l’expérimentation diffèrent de la théorie. La sagacité d’Aubryet, qui est si grande quand il s’agit d’idées générales et d’appréciations littéraires, se brise comme une pointe de cristal quand il l’applique aux hommes pour savoir ce qu’ils valent en bloc, pris dans l’ensemble de leurs œuvres. On n’en revient pas d’étonnement.

Cet esprit profond et tragique qui a écrit le morceau d’Hamlet ou le mal de l’analyse, cet esprit comique et profond qui a écrit le chapitre de Prudhomme ou la synthèse de la sottise, se trompe presque à chaque fois sur les hommes et sur la quantité de forces intellectuelles qu’ils ont en eux ou qu’ils ont versées dans leurs œuvres.

Parmi les littérateurs de son recueil, Scribe est le seul dans la contrebande duquel il ait planté bravement sa sonde sans la briser, mais pour les autres, ou elle se casse, ou, ce qui est bien pis, elle ne pénètre pas. Quoiqu’il y ait sur plusieurs d’entre eux des vérités cruellement exquises, l’auteur a trop l’air d’en demander pardon dans les éloges atténuants qui les suivent… « Jamais visage d’homme ne m’a fait trembler », disait Chateaubriand, à propos de Washington, qu’il avait regardé à vingt ans avec ces beaux yeux que nous lui avons connus à soixante, et qui avaient toujours été si noirs de mélancolie indifférente. Certes ! Aubryet ne tremble pas non plus devant ces supériorités littéraires qui ne sont pas même des Washington dans leur ordre de mérite et de célébrité, mais il les voit peut-être avec ce trouble de la jeunesse qui n’est gracieux que pour ceux qui le causent, et dont l’aplomb de la vie, gagné à vivre, le débarrassera.

IV

Oui ! qu’elle l’en débarrasse ! Il en sera plus fort après. Oui ! que la vie finisse de lui apprendre ce métier de critique auquel, de facultés, je le crois destiné d’après ce livre. Pour ma part, je n’ai rien caché de ce que j’ai cru voir de présent ou d’absent dans le critique. Mais si le critique n’a pas encore tout son développement de doctrine et de génie sévère dans l’auteur des Jugements nouveaux, s’il n’a pas encore atteint cette carrure et ce poids, cette maturité et cette élévation définitive qui font le critique tout-puissant dans une compréhension et une exclusion également souveraines, l’écrivain, qui apparaît toujours plus tôt chez les hommes parce qu’il tient bien plus à des spontanéités qu’à des expériences, et à des jaillissements qu’à des replis, l’écrivain est venu chez Xavier Aubryet, et son développement est si complet et si superbe qu’il aura plus à faire désormais pour s’émonder que pour s’accroître.

Aubryet est de la race des Éclatants mêlés de suave. C’est un Rivarol soleillant qui sait s’éteindre à temps dans un Henri Heine clair de lune, et qui a appris le latin des lutins dans Shakespeare. C’est un humouriste ondé de gaieté et de mélancolie. Enfin, je l’ai déjà comparé à madame de Staël, mais c’est une madame de Staël changée en un Roméo littéraire qui serait très bien monté au balcon de l’autre, et que l’autre madame de Staël — la non transformée — aurait préféré pour la vitalité, la verve et toutes les diableries de l’expression, à ce sceptique blond de Benjamin, ce nom fade et faux qui sent le benjoin, tandis qu’il y a comme un coup de cymbale dans le nom tintant et frémissant de Xavier, qui sonne, pour Aubryet, comme un écho de son esprit ! Folle de l’Allemagne, il aurait bercé sa folie dans ce chef-d’œuvre sur Weber que nous conseillons de lire, et dans cet autre chef-d’œuvre sur Mozart, que nous conseillons de lire encore ; car on n’en saurait rien citer sans citer tout, comme ces roses qui, pour une seule feuille qu’on leur ôte, croulent sur vos mains, ruines parfumées ! Aubryet, qui n’est pas encore le critique qu’il sera, est déjà le poète qui doit le doubler ; mais pour un critique futur, c’est dangereux d’être actuellement un tel poète. En effet, si jamais le critique n’aboutissait pas en Aubryet, comme après ses Jugements nouveaux nous avons le droit de nous y attendre, c’est que le poète l’aurait étouffé.

V

Les Patriciennes de l’Amour [V-VII].

Les Patriciennes de l’Amour ! Voilà un titre qui fait rêver ! On se dit, avant d’ouvrir le livre : qu’est-ce que cela peut bien être, Les Patriciennes de l’Amour ? Des patriciennes, quand il n’y a plus de patriciennes, et de l’amour, par-dessus le marché, quand il n’y a presque plus d’amour ! Est-ce que Xavier Aubryet, qui n’est pas très fou de son temps, — bien au contraire ! — croirait que, dans ce triste temps travailleur et égalitaire, il y aurait encore de ces espèces perdues en fait de femmes comme il en échantillonne quelques-unes dans son livre et qui sont, comme il les appelle : les Patriciennes de l’Amour, parce qu’elles sont la Noblesse de l’Âme, comme les Inscrits au Livre d’or étaient la noblesse de Venise ? L’âme, à cette heure, est aussi ruinée que Venise, et pour Aubryet plus que pour personne ; car Xavier Aubryet ne croit à aucun des mérites et des puissances morales de ce temps-ci, et s’il a écrit Les Patriciennes de l’Amour, ce n’est probablement pas qu’il les ait jamais rencontrées, mais c’est qu’il en a très certainement rencontré d’autres, peu patriciennes, et, disons le mot, même un peu canailles de l’amour… et que, de mépris pour celles-là, il a trouvé bon et soulageant de leur jeter à la figure son idéal au désespoir !

Ce serait donc un idéal que ce livre… Ce serait plus de l’invention que de l’histoire, ces quatre à cinq Nouvelles publiées sous le titre des Patriciennes de l’Amour. Ce serait là plutôt une œuvre de moraliste, qui veut donner envie de la vertu en la peignant charmante, qu’une œuvre d’observation et de réalité ressouvenue. Et l’auteur en convient, du reste, en sa leste et spirituelle préface : « Madame d’Ivrée (y dit-il) comme madame Étienne, mademoiselle Rosa La Rose comme mademoiselle de Keldren (ce sont ses héroïnes), représentent les gardiennes de l’idéal, tout en ayant l’ambition d’être de leur siècle… » Or, cette réserve n’est qu’un mot d’auteur qui veut être lu ; car si elles en sont, de leur siècle, c’est comme les personnes qui tranchent sur le leur, et qui, par cela même, n’en sont pas. C’est comme Aubryet lui-même. C’est comme Alceste est de la cour de Louis XIV, dont il gourmande si vertement les mœurs. Et, en effet, c’est une manière de gourmander les nôtres que d’écrire Les Patriciennes de l’Amour jusque sur la moustache des cocottes et des coquines régnantes ; car elles se permettent quelquefois d’avoir une jolie petite moustache, ces coquines-là !

Mais Aubryet n’est pas la dupe de cette moustache. C’est un Alceste, lui, et elles ne sont pas même des Célimène ! Aubryet est un Alceste, un Alceste-Marivaux, oui ! mais c’est un Alceste, un misanthrope de cœur qui hait parce qu’il aime, un dégoûté parce qu’il a du goût, un pessimiste d’optimisme impossible, qui trouve tout mauvais parce qu’il voudrait tout trouver bon ! Il n’a pas tout à fait l’humeur brusque d’Alceste, ni ses colères sanguines, ni ses coups de boutoir, ni même ses boutades. Non ! c’est Alceste, mais Alceste mélancolique, nerveux, sentimental, rageur d’une toute autre manière : Alceste un peu romantisé… Il a quarante-deux ans, l’âge d’Alceste, l’âge des grands Séducteurs comme des grands Dégoûtés. Dieu a déjà commencé à lui mettre sur sa tête brune, à l’aspect toujours jeune, la pincée de cendre des quarante ans qui sont le Mercredi des Cendres de la vie, la fin de ce Carnaval qu’il faut traduire : Adieu à la chair ! (Carne vale ! bonsoir la compagnie !) Et voilà pourquoi, né délicat et difficile, il est devenu, au contact des choses grossières de ce Carnaval que voilà fini, plus délicat et plus difficile que jamais, Voilà pourquoi cet esprit doux a revêtu, comme l’orange, qui est douce aussi quand elle est ce qu’elle doit être, une écorce amère, mais salubre. Voilà pourquoi il a écrit, avec cette bonne amertume d’écorce d’orange, — et d’une orange qui ne tourne jamais à l’acide, — ce livre des Patriciennes de l’Amour qui est un livre de mécontent distingué, de sybarite qui veut qu’on lui change ses roses, d’homme qui a fini par trouver que la vertu pourrait bien être du piquant… et le vice, de la piquette ! Misogyne pour les mêmes raisons qui l’ont fait misanthrope, et qui semble dire aux plébéiennes de l’amour, tout le long de son livre des Patriciennes : La meilleure impertinence à vous faire, c’est de vous peindre… comme vous n’êtes pas !

VI

Et c’est ce qu’il a fait. Il les a peintes à la renverse… Il les a peintes hardiment, — cruellement pour elles, mais voluptueusement pour lui et pour tous ceux qui lui ressemblent, à ce distingué de sensation qui est aussi à sa manière un patricien. Patricien et presque grand seigneur, ma foi ! car il ne s’est pas plus inquiété qu’un grand seigneur du qu’en dira-t-on ? Il ne s’est pas inquiété de passer pour un original (la peur des pleutres !), dans une époque où tout le monde a les mêmes goûts et les mêmes idées que tout le monde.

Il a planté là insoucieusement l’opinion publique, les goûts publics, les femmes qui deviennent de plus en plus des choses publiques, et il s’est plongé, d’un magnifique élan, dans l’innocence, la pureté, tous les azurs, tous les éthers, toutes les modesties, toutes les naïvetés des cœurs simples, toutes les célestes gaucheries, comme Léandre se jetait dans l’Hellespont pour aller retrouver sa pauvre Héro sur le rivage solitaire ! Pour sa peine, je souhaite sincèrement qu’il en trouve une — une Héro — sur le bord de ce livre dans lequel il a traversé et nous a fait traverser tant de puretés charmantes ; mais il n’en trouverait pas que son livre n’en serait pas moins méritoire et délicieux — et délicieux, quoique méritoire !

Et de fait, c’est le démenti le mieux appliqué à tout ce qu’on fait et à tout ce qu’on pense. C’est, comme il le dit, la saveur préférée du fruit permis à celle du fruit défendu. C’est la découverte des Sirènes, sans écueils, du Devoir, bien plus séduisantes que toutes les Sirènes à écueils ! C’est enfin la preuve faite au Diable· lui-même qu’il y a des diableries plus fortes que les siennes, et que ce sont les diableries de l’Innocence, de la Vertu, du Dévouement… Et pourquoi pas de la Sainteté ?…

Car j’y aurais voulu la Sainteté aussi… mais elle n’y est pas. Quel dommage ! Madame d’Ivrée, madame Étienne, mademoiselle Rosa La Rose, mademoiselle de Keldren, sont des êtres ravissants, mais humains, mais mondains ; chrétiennes, oui ! mais simplement comme des âmes bien faites. Ce sont des cœurs vierges prêts à la tendresse ou des cœurs épris prêts aux sacrifices, d’adorables jeunes filles et d’adorables femmes mariées ; mais la chrétienne dans le sens rigoureux, et, disons le mot à scandale ! la dévote, la pieuse, la sainte, enfin, dans le sens qui n’est plus le sens du monde, n’y est pas. Parmi ces patriciennes de l’amour humain, il n’y a pas la patricienne de l’amour divin, qui serait pour moi la Dogaresse de toutes ces Patriciennes de l’Amour ! La dévote, et la dévote qui ne céderait pas à Valmont, mais au contraire le convertirait, je l’ai vainement cherchée dans le livre d’Aubryet. C’est la perle qui manque à l’écrin. J’en vois la place. J’en regrette le vide. C’eût été pourtant bien hardi de l’y mettre.

Xavier Aubryet, qui n’a peur du ridicule ni de rien dans son amour des êtres purs, et qui en fait même une si jolie impertinence pour les autres, leur devait encore, à Mesdames ou Mesdemoiselles les autres, cette dernière impertinence-là ! La dévote franchement abordée, la dévote, que les romanciers n’ont jamais montrée que de coin, de trois quarts, de profil, mais jamais de face, jamais en pleine poitrine, eût été la suprême et la plus puissante expression de ces diableries célestes, plus fortes que les infernales, dont Aubryet a voulu, en écrivant son livre des Patriciennes de l’Amour, donner la tentation aux âmes encore nobles et aux esprits qui ne sont pas tout à fait corrompus.

Avec celle-là, le livre aurait été complet. Xavier Aubryet, je l’ai dit déjà, est un moraliste. L’horreur de la démocratie, que doit avoir un homme qui écrit avec idolâtrie le mot de « Patriciennes » sur la première page d’un livre qu’il publie, est une garantie de christianisme chez Xavier Aubryet ; mais il est chrétien, comme ses femmes sont chrétiennes, parce que le Christianisme, cette religion de la grâce, est un charme pour lui, et non pas une vérité. Malheureusement, Aubryet s’arrête à cette nuance. C’est un moraliste, — oui ! — qui fait de la morale en action, mais en action… épicurienne. Son livre n’est, en somme, que la traduction et une application nouvelle du fameux mot de Franklin : « Si les fripons savaient le profit qu’il y a à être honnête homme, ils seraient tous honnêtes gens par friponnerie. » Aubryet a modifié le mot, et a dit après Franklin : — Si les coquines savaient la puissance de volupté qu’il y a dans les femmes honnêtes, elles seraient toutes honnêtes par coquinerie ! — Lovelace avait déjà, de son temps, deviné cela devant le corsage fermé de Clarisse ; mais ce qu’il avait senti n’avait pas été mis en coupe réglée d’axiomes et de vérités à déduire. Eh bien, Xavier Aubryet l’y a mis, et qui plus est, l’a appuyé sur des exemples ! Maintenant, les femmes qu’il a peintes, dans son livre, donneront-elles aux pécheresses des tentations vertueuses ? Voilà la question. Mais elles n’en sont pas moins des pastels ravissants de chasteté d’attitude, de regards baissés, de rougeurs d’aurore, de beauté bien à elles, de beauté vraie, à éteindre et à effacer toutes les parures, tous les diamants, tous les maquillages de la terre ! Il est impossible de mettre plus de rouerie de talent que n’en met Aubryet à les peindre, ces femmes bonnes à aimer, quand les autres sont si mauvaises ! Seulement, c’est ici que la critique va commencer, si les femmes des nouvelles de Xavier Aubryet sont délicieuses, le cadre dans lequel elles se meuvent est moins irréprochable qu’elles. J’ai signalé le peintre après le moraliste dans Les Patriciennes de l’Amour, mais il fallait qu’il y eût encore le romancier, et il n’y est pas.

VII

Et, cependant, c’est bien un romancier que Xavier Aubryet a voulu y mettre. Ses Patriciennes de l’Amour sont des nouvelles, et des nouvelles, ne vous y trompez pas ! sont des romans, et de tous les genres de roman le plus difficile. Ce sont des romans concentrés, taillés dans le roc vif de la brièveté, et je vous assure que c’est un fier roc ! Selon moi, il faut être un romancier de premier ordre pour se permettre la nouvelle. Il faut être Balzac pour écrire La Grande-Bretèche ou Facino Cane, des romans où tout est en profondeur, au lieu d’être en longueur comme dans les autres. Eh bien, c’est ce romancier-là, le « romancier de la nouvelle », que Xavier Aubryet n’est jamais dans Les Patriciennes de l’Amour ! Il ne sait pas entasser la vie et l’action, comme la lumière du diamant, dans le petit espace d’une facette. Il y est malheureusement confus, obscur, embrouillé. Esprit brillant quoique cherché, homme de style, de mot et de trait, Xavier Aubryet manque absolument d’invention et de clarté dans la conception et surtout dans l’organisation de ses nouvelles. Elles sont mal faites. Ce sont des bossues qui ont de jolies têtes, mais le défaut à la taille crève les yeux. Tout se tient, dans les défauts et les qualités : esprit difficile, haïsseur du commun, Aubryet se précipite de l’autre côté des choses vulgaires et, pour ne pas l’être, il tortille les faits, s’entortille lui-même et finit par s’étrangler. En mettant à part ses figures de femmes, qui sont très réussies, le plus grand intérêt de son livre est celui qu’on a pour soi-même, lorsqu’on est très fatigué… Jusqu’aux titres des chapitres sont prétentieux. Puis, sous les titres, il y a des rencontres et des combinaisons impossibles. Et la chose est telle que la critique peut dire hardiment que si Xavier Aubryet est parfois précieux dans son style, dans ses inventions romanesques, il l’est toujours.

Et voilà le grand reproche : la préciosité ! Précieux, — il faut bien l’avouer, — Xavier Aubryet l’est de nature. Il l’est, mais, pour moi, la préciosité, à laquelle pourtant je préférerai toujours la simplicité forte et l’intensité naturelle, n’est pourtant pas le monstre que les rhéteurs vulgaires en ont fait. C’est, après tout, une preuve de noblesse dans la pensée ; c’est l’anxiété incessante de l’idéal que la préciosité : elle tient à cette haine vigoureuse et presque cabrée du vulgaire que j’estime tant dans l’auteur des Patriciennes de l’Amour. Ce n’est pas, comme le xviie  siècle, qui la nomma, la crut, une chose de société, mais de nature humaine ; et voilà même pourquoi son nom est resté. Elle tient à la double race des esprits.

Il y a les Simples qui sont les plus grands, les Naïfs, les Mélodieux, et il y a, en face, les Tourmentés, les Cherchés, qu’il faut bien appeler les Précieux. Le mot dit tout ensemble le défaut et la qualité. Au sommet de l’art et de l’intelligence, Michel-Ange, ce tortionnaire du Beau, ce glorieux damné de l’Idéal, est un précieux immense. Raphaël, un simple et un mélodieux… En nous rabattant vers Aubryet, nous trouvons aussi un précieux à sa manière. Il ne l’est pas certainement comme on l’était chez Cathos, mais il pourrait bien l’être comme on l’était chez Arthénice. Il n’y a plus d’Arthénice. L’hôtel de Rambouillet est démoli, et les beaux esprits sont sans hôtel au xixe  siècle. Cela leur donne de l’humeur, et il y a de quoi ; parbleu !

Xavier Aubryet, dans cette plate société moderne, n’en a pas pris la platitude. Il est resté ce qu’il est d’essence : un raffiné, — un convulsé de raffinement, — qui ne prend son parti de rien, qui tord la chose, le mot, le trait, non seulement parce qu’il est une nature d’efforcement, mais parce que son temps est le contraire de tous ses rêves et de toutes ses aspirations !

Le Marivaux qui est en lui, contrarié par ce diable de temps où l’on n’a plus le loisir de marivauder, le Marivaux qui a mal aux nerfs augmente l’Alceste, mais l’Alceste ne dévore pas le Marivaux. Cette grâce résiste à cette violence, mais cette violence va parfois jusqu’à une petite épilepsie de la sensibilité et du mot, qui ne me fait point peur, à moi ! mais qui tourne le sang aux autres. Ils en sont choqués. C’est une infirmité, la critique doit le dire à Aubryet, puisqu’elle l’aime, mais je ne crois pas qu’il en guérisse. Le temps n’y est pas.

Il a bien, cependant, assez de talent pour n’avoir pas besoin de se donner tant de peine et pour purifier de cette tache sa piquante originalité !

VIII

Chez nous et chez nos voisins [VIII-IX].

Publié presque au même moment que la Correspondance de Henri Heine, le livre de Xavier Aubryet : Chez nous et chez nos voisins, n’est point, lui, une correspondance, et si ; si tout ne se savait pas à Paris, dans cette maison de verre où il y a tant d’échos, ce livre ne dirait pas les souffrances du frère d’Henri Heine en souffrances, si ce n’est dans sa dédicace, où elles sont relevées d’une façon discrète et bien touchante. Il est écrit en dehors de ce qui pourrait être la plus cruelle de ses préoccupations. C’est un livre de littérature à côté de ce qu’il souffre et plus haut que sa personnalité. Au plus fort de ses douleurs, Henri Heine s’occupait de l’édition de ses œuvres et soignait sa gloire acquise. Il frottait ses diamants. Xavier Aubryet, au plus fort du mal qui l’afflige, établit sa gloire d’avenir et augmente ses œuvres. Chez nous et chez nos voisins est un recueil de fragments littéraires, très dignes de cette tête qui, tout en produisant des livres d’imagination et des créations romanesques, a montré des aptitudes critiques de la plus brillante supériorité. Xavier Aubryet, je l’ai dit souvent déjà, a pour qualités premières l’aperçu et l’expression, — ces deux gonds d’or sur lesquels tournent les plus belles pages de ceux qui savent écrire. Esprit poétique aussi près de la poésie qu’on peut l’être quand on n’est séparé d’elle que par cette mince cloison, d’un cristal si divin, la transparente concision du vers, c’est par l’aperçu et l’expression qu’il fait trou et relief tout à la fois. Et jamais il n’a mieux fait l’un et l’autre que dans ce livre, où, par le plaisir qu’il donne, quand on le lit, on oublie ce qu’il souffre, et où, quand on l’a lu, on se le rappelle avec admiration et tristesse ! Xavier Aubryet est peut-être l’esprit le plus nativement distingué de ce siècle… Je ne connais pas d’aristocratie spirituelle plus accusée et plus délicate. Il a l’aristocratique pureté des hermines qu’il faudrait mettre dans son blason intellectuel. L’ardente recherche de la distinction en toutes choses, qui est le fond de sa nature, fut la cause de quelques défauts, qu’il n’a plus, quand il débuta dans les lettres. Il allait au marivaudage, à la préciosité, que sais-je, moi ? Beaux défauts, s’il y en avait de beaux ! car ce sont les défauts des esprits élevés, qui dédaignent les idées et les formes communes et qui, pour les éviter, se jettent un peu trop loin et manquent la simplicité… Trop de zèle ! dirait encore Talleyrand.

J’ai avancé plus haut que Xavier Aubryet avait des qualités, éminentes en critique ; mais il n’en a pas les qualités, qui coûtent tant à employer pour celui qui les a. C’est dur d’être bourreau, et il faut pourtant — c’est le devoir ! — être parfois bourreau. Xavier Aubryet a le bonheur de n’être qu’un dégustateur littéraire, d’un palais très sensible et très fin, et jusqu’ici il n’a pas prouvé qu’il fût davantage. Il a la balance, comme un peseur d’or, mais il n’a pas le couteau qui retranche et qui est l’instrument et le complément de la Justice. Dans les appréciations souvent exquises de son livre de Chez nous et chez nos voisins, il y a beaucoup de choses que je crois vues avec des yeux qui feraient honneur à un aigle ou à un lynx, mais il y en a d’autres aussi sur lesquelles j’oserais discuter. Par exemple, je ne discuterais pas, certes ! sur le Byron d’Aubryet et sur sa superbe notion de la supériorité poétique de l’Angleterre, qui est de la beauté la plus vraie et de la plus belle vérité…

IX

Dans les circonstances actuelles de la vie d’Aubryet, de telles pages, dignes d’être admirées en tout temps, deviennent prodigieuses. Aubryet est un phénomène littéraire. Qui de notre génération serait capable de faire ce qu’il fait ?… Il y eut, au commencement de ce siècle, une jeune fille, peut-être moins phénoménale, qui avait sur l’azur de deux beaux yeux bleus le nom de Napoléon Empereur, écrit en lettres d’or, le jour, et, le soir, en lettres de feu. C’est Henri de Latouche, l’auteur de Fragoletta, qui nous a raconté dans ses œuvres l’histoire de ces yeux étonnants, et cette histoire est belle comme un poème, — un poème au fond duquel il y a des larmes… Latouche dit qu’elle était très triste, cette jeune fille qui répondait : Napoléon Empereur à tous les sentiments de la vie ! C’est toujours triste, ajoute-t-il, d’être un phénomène. J’espère pourtant que je n’aurai pas ajouté à la tristesse de Xavier Aubryet, en lui disant qu’il en est un…