(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »
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(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Livre quatrième.

Fable I.

V. 5. Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près.

Ces deux vers sont d’une finesse peu connue jusqu’à La Fontaine, mais l’Apologue ne vaut rien. Quoi de plus ridicule que cette supposition d’un lion amoureux d’une jeune fille, de l’entrevue du lion et du beau-père de ce lion, qui se laisse limer les dents ? Tranchons le mot, tout cela est misérable. Il était si aisé à La Fontaine de composer un Apologue dont la morale eût été comme dans celui-ci :

Amour ! Amour ! quand tu nous tiens,
On peut bien dire adieu prudence.

Fable II.

Cette petite aventure n’est point une fable : La Fontaine l’avoue lui-même par ce vers :

Ceci n’est pas un conte à plaisir inventé.

Il s’en sert pour amener de la morale.

V. 24…. Assuré.

Mauvaise rime.

V. 27. Les conseils de la mer et de l’ambition.

Expression très-noble et rapprochement très-heureux, qui réveille dans l’esprit du lecteur l’idée du naufrage pour le marin et pour l’ambitieux.

Fable III.

Le commencement de cette fable est charmant. L’indignation de la fourmi contre l’illusion de l’amour-propre, et l’aveuglement de la fourmi qui se compare à elle, peint merveilleusement le délire de la vanité ; mais La Fontaine a eu tort d’ajouter

V. 17. Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement des mouches emprunté.

D’abord ajustement n’est pas le mot propre. Ensuite le petit ornement s’appelle mouche en français, et autrement dans une autre langue. Cependant ce jeu de mots est plus supportable que tous ceux qui se trouvent dans la réponse de la fourmi.

V. 39. Les mouches de cour chassées :
Les mouchards sont pendus, etc.

Ce sont de mauvais quolibets qui déparent beaucoup cette fable, dont le commencement est parfait. On se passerait bien aussi du grenier et de l’armoire des deux derniers vers.

Fable IV.

Voici une fable presque parfaite. La scène du déjeûné, les questions du seigneur, l’embarras de la jeune fille, l’étonnement respectueux du paysan affligé, tout cela est peint de main de maître. Molière n’aurait pas mieux fait.

Fable V.

Jolie fable, parfaitement écrite d’un bout à l’autre ; la seule négligence qu’on puisse lui reprocher est la rime toute usée, qui rime avec pensée.

Fable VI.

V. 4….. Étroites. La rime veut qu’on prononce étrettes, comme on le faisait autrefois, et comme on le fait encore en certaines provinces. C’est une indulgence que les poètes se permettent encore quelquefois.

V. 17. Plus d’un guéret s’engraissa.

Ce ton sérieux emprunté des récits de bataille d’Homère, est d’un effet piquant, appliqué aux rats et aux belettes.

V. 50. N’est pas petit embarras.

Il fallait s’arrêter à ces deux vers faits pour devenir proverbe. Les six derniers ne font qu’affaiblir la pensée de l’auteur.

Fable VII.

Le fait est faux, mais c’est une tradition ancienne. D’ailleurs, La Fontaine évite plaisamment l’embarras d’une discussion ; au surplus, on ne voit pas trop quelle est la moralité de cette prétendue fable, qui n’en est pas une.

Fable VIII.

V. 18. Pline le dit : il faut le croire.

Même défaut dans cet Apologue. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’une idole de bois ne réponde pas à nos vœux, et que, renfermant de l’or, l’or paraisse quand vous brisez la statue ? Que conclure de tout cela ? qu’il faut battre ceux qui sont d’un naturel stupide. Cela n’est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon..

Fable IX.

V. 1. Un paon muait, un geai prit son plumage, etc.

Esope met une corneille au lieu d’un geai : la corneille valait mieux, attendu qu’elle est toute noire ; sa fantaisie de se parer des plumes du paon n’en était que plus ridicule, et sa prétention plus absurde. C’est Phèdre qui a substitué le geai à la corneille, et La Fontaine a suivi ce changement, qui ne me paraît pas heureux.

Lesseing, fabuliste allemand, a fait une fable où il suppose que les autres oiseaux, en ôtant au geai les plumes du paon, lui arrachent aussi les siennes : c’est ce qui arrive à tous les plagiaires. On finit par leur ôter même ce qui leur appartient.

Fable X.

V. 1. Le premier, etc. La précision qui règne dans ces quatre premiers vers, exprime à merveille la facilité avec laquelle l’homme se familiarise avec les objets les plus nouveaux pour lui et les plus effrayans. Au reste, ce n’est pas là un Apologue.

Fable XI.

V. 7….. L’avent ni le carême, n’avaient que faire là.

V. 13. Elle allégua pourtant les délices du bain.

La Fontaine n’évite rien autant que d’être sec. Voilà pourquoi il ajoute ces vers qui sont charmans, quoiqu’il pût s’en dispenser après avoir dit : Il n’était pas besoin de plus longue harangue.

Fable XII.

V. 2. Et la raison ne m’en est pas connue.

Ni à moi non plus, attendu que cette fable n’est pas bonne. Alexandre qui demande un tribut aux quadrupèdes, aux vermisseaux, ce lion porteur de cet argent, et qui veut le garder pour lui, tout cela pèche contre la sorte de vraisemblance qui convient à l’Apologue. Au reste, la moralité de cette mauvaise fable, si l’on peut l’appeler ainsi, retombe dans celle du loup et de l’agneau.

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Fable XIII.

V. 10. Or un cheval eut alors différent.

Cette fable ancienne, l’une de celles qui renferment le plus grand sens, était une leçon bien instructive pour les républiques grecques.

Les trois derniers vers qui contiennent la moralité de la fable, n’en indiquent pas assez, ce me semble, toute la portée. C’est aussi le défaut que l’on peut reprocher au prologue.

Fable XIV.

V. 1. Les grands, etc. La Fontaine ôte le piquant de ce mot, en commençant par en faire l’application aux grands. Il ne fallait que le dernier vers.

Fables XV et XVI.

Ces deux fables me paraissent assez médiocres, et on se passerait fort bien du dicton picard.

Fable XVII.

Pourquoi mettre ce mot de Socrate dans un recueil d’Apologues ?

Fable XVIII.

V. 4. C’est peindre nos mœurs, etc.

Voilà le grand mérite des fables de La Fontaine, et personne ne l’avait eu avant lui.

Il était inutile d’ajouter et non pas par envie ; le désir de surpasser un auteur mort il y a deux mille quatre cents ans, ne peut s’appeler envie. C’est une noble émulation qui ne peut être suspecte. Celui même de surpasser un auteur vivant, ne prend le nom d’envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival.

V. dernier. Profiter de ces dards unis et pris à part.

La consonnance de ce mot dards, placé à l’hémistiche avec la rime à part, offense l’oreille.

Fable XIX.

V. 1. Vouloir tromper le ciel, etc.

Ces cinq premiers vers sont nobles et imposans, ils ont pourtant un défaut. Il s’agit d’un prêtre d’Apollon, par conséquent d’un fourbe, d’un payen incrédule, par conséquent d’un homme de bon sens ; et La Fontaine se fâche et parle comme s’il s’agissait du vrai dieu, d’un prêtre du dieu suprême.

Ce ridicule se trouve dans les histoires ancienne et romaine de Rollin. Ce digne professeur s’emporte contre ceux qui ne croyaient pas à Jupiter, à Neptune. Il suppose, sans y songer, que ces gens-là, nés parmi nous, n’auraient pas cru à notre religion.

Fable XX.

Cette petite pièce n’est point une fable ; c’est une aventure très-bien contée, dont La Fontaine tire une moralité contre les avares. Le trait qui la termine, joint au piquant d’un saillie épigrammatique l’avantage de porter la conviction dans les esprits.

V. 13. Son cœur avec…. n’est ni harmonieux ni élégant ; mais est d’une vivacité et d’une précision qui plaisent.

Fable XXI.

V. 1. Un cerf s’étant sauvé…. Cette fable est un petit chef-d’œuvre. L’intention morale en est excellente, et les plus petites circonstances s’y rapportent avec une adresse ou un bonheur infini. Observons quelques détails.

V. 3. Qu’il cherchât un meilleur asyle.

Voilà le dénouement préparé dès les trois premiers vers.

V. 5. Mes frères… je vous enseignerai…

Il parle là comme s’il était de leur espèce.

V. 5…. Les pâtis les plus gras.

Voyez avec quel esprit La Fontaine saisit le seul rapport d’utilité dont le cerf puisse être aux bœufs.

V. 12…. Les valets font cent tours,
L’intendant même.

Maison très-bien tenue ! tout le monde paraît à sa besogne et ne fait rien qui vaille.

V. 14. N’apperçut ni cor, ni ramure.

Cela ne paraît guère vraisemblable, et voilà pourquoi cela est excellent.

V. 20…. L’homme aux cent yeux…

Cette courte périphrase exprime tout, et le discours du maître est excellent…. Je trouve bien peu d’herbe……. Cette litière est vieille…… Qu’ont fait les valets avec leurs cent tours ?

101 V. 34. Ses larmes ne sauraient…

La Fontaine ne néglige pas la moindre circonstance capable de jeter de l’intérêt dans son récit.

V. dernier. Quant à moi, j’y mettrais encor l’œil de l’amant.

Ce dernier vers produit une surprise charmante. Voilà de ces beautés que Phèdre ni Esope n’ont point connues.

Fable XXII.

V. 2. Voici comme Esope le mit
  En crédit.

Il fallait mettre ces deux vers en un, ce qui était facile, et ce qui sauvait en même temps les trois rimes consécutives en it.

V. 6….. Environ le temps
Que tout aime….

Un mot suffit à La Fontaine pour réveiller son imagination mobile et sensible. Le voilà qui s’intéresse au sort de cette alouette, qui a passé la moitié d’un printemps sans aimer.

V. 13. À toute force enfin elle se résolut
D’imiter la nature et d’être mère encore.

L’importance que La Fontaine donne à cet oiseau est charmante.

V. 24….. Avecque… Ce mot, dans La Fontaine, se trouve souvent de trois syllabes, ce qui rend le vers pesant. On ne supporte plus cette licence.

V. 34…. Il a dit….. Avec quelle vivacité est peint l’empressement des enfans à rendre compte à leur mère.

Aider, écouter, manger, mauvaises rimes, c’est dommage. On voudrait que cette fable fût parfaite.

V. 36. S’il n’a dit que cela….. Peut-on mettre la morale en action d’une manière plus sensible et plus frappante ?

V. 50. Il a dit ses parens, mère ! c’est à cette heure…
Non……

Comme la leçon se fortifie par la sécurité de l’alouette.

V. 67. Voletans et se culbutans.

Ce vers de sept syllabes entre deux vers de huit syllabes donne du mouvement au tableau, et exprime le sens-dessus dessous avec lequel la petite famille déménage. La Fontaine ne pouvait guère finir par une plus jolie fable.