(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Lamartine, Alphonse de (1790-1869)

[Bibliographie]

Les Premières Méditations poétiques (1820). — Nouvelles méditations poétiques (1823). — Harmonies poétiques et religieuses (1830). — Voyage en Orient (1835). — Jocelyn (1836). — La Chute d’un Ange (1838). — Recueillements poétiques (1839). — Histoire des Girondins (1846). — Trois mois au pouvoir (1848). — Histoire de la Révolution de février (1849). — Raphaël, pages de la 20e année (1849). — Confidences (1849). — Toussaint-Louverture, drame (1850). — Nouvelles confidences (1851). — Geneviève, histoire d’une servante (1851). — Le Tailleur de pierres de Saint-Point (1851). — Graziella (1852). — Histoire de la Restauration (1851-1863). — Nouveau voyage en Orient (1853). — Histoire de la Turquie (1854). — Histoire de la Russie (1855). — Vie des grands hommes (1863-1866). — Cours de littérature (1856 et suivants). — Fior d’Aliza (1865). — Balzac et ses œuvres (1865). — Benvenuto Cellini (1865). — Christophe Colomb (1865). — Civilisateurs et conquérants (1865). — Le Conseiller du peuple (1865). — Les Grands Hommes de l’Orient (1865). — Les Hommes de la Révolution (1865). — Vie de César (1865). — Vie du Tasse (1866). — J.-J. Rousseau (1866). — Gutenberg (1866). — Les Foyers du peuple (1866). — Antoniella (1867). — Mémoires inédits (1870). — Poésies inédites (1873). — Correspondance, publiée par Madame Valentine de Lamartine (1876-1877).

OPINIONS.

Victor Hugo

Voici donc enfin des poèmes d’un poète, des poésies qui sont de la poésie !

Je lus en entier ce livre singulier ; je le relus encore, et, malgré les négligences, les néologismes, les répétitions et l’obscurité que je pus quelquefois y remarquer, je fus tenté de dire à l’auteur : « Courage, jeune homme ! vous êtes de ceux que Platon voulait combler d’honneurs et bannir de sa république. Vous devez vous attendre aussi à vous voir bannir de notre terre d’anarchie et d’ignorance, et il manquera à votre exil le triomphe que Platon accordait du moins au poète : les palmes, les fanfares et la couronne de fleurs. »

[La Muse française (mai ), à propos des Méditations poétiques.]

Sainte-Beuve

Lamartine n’est pas un homme qui élabore et qui cherche : il ramasse, il sème, il moissonne sur sa route ; il passe à côté, il néglige ou laisse tomber de ses mains ; sa ressource surabondante est en lui ; il ne veut que ce qui lui demeure facile et toujours présent. Simple et immense, paisiblement irrésistible, il lui a été donné d’unir la profusion des peintures naturelles, l’esprit d’élévation des spiritualistes fervents et l’ensemble des vérités en dépôt au fond des moindres cœurs. C’est une sensibilité reposée, méditative, avec le goût des mouvements et des spectacles de la vie, le génie de la solitude avec l’amour des hommes, une ravissante volupté sous les dogmes de la morale universelle. Sa plus haute poésie traduit toujours le plus familier christianisme et s’interprète à son tour par lui. Son âme est comme l’idéal accompli de la généralité des âmes que l’ironie n’a pas desséchées, que la nouveauté n’enivre pas immodérément, que les agitations mondaines laissent encore délicates et libres. Et en même temps sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain ait revêtu une pensée de poète, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible.

[Portraits contemporains ().]

Gustave Planche

Malheureusement, l’incorrection et la prolixité ne sont pas les seuls ennemis de M. de Lamartine. Il ne se contente pas d’offenser la grammaire et de noyer sa pensée dans un océan de paroles inutiles ; il néglige volontairement une qualité plus précieuse que la correction et la précision ; il ne respecte pas l’analogie des images. Familiarisé depuis longtemps avec les ressources du style poétique, il abonde en tropes, en similitudes. Il a toujours au service de sa pensée une douzaine de figures dont chacune suffirait à défrayer plusieurs strophes. Au lieu de choisir parmi ces parures, la plus riche ou la plus modeste, selon les besoins de la fête, il essaye successivement les rubis et les topazes, il jette sur les épaules de sa pensée un collier de perles qu’il n’attache pas, une rivière de saphirs et d’émeraudes qui ont le même sort, et toute cette prodigalité reste au-dessous de l’élégance.

[À propos de Jocelyn ().]

Victor Hugo

Vous avez fait un grand poème, mon ami. La Chute d’un Ange est une de vos plus majestueuses créations. Quel sera donc l’édifice, si ce ne sont là que les bas-reliefs ! Jamais le souffle de la nature n’a plus profondément pénétré et n’a plus largement remué de la base à la cime et jusque dans les moindres rameaux une œuvre d’art ! Je vous remercie de ces belles heures que je viens de passer tête-à-tête avec votre génie. Il me semble que j’ai une oreille faite pour votre voix. Aussi je ne vous admire pas seulement du fond de l’âme, mais du fond du cœur. Car lorsqu’on chante comme vous savez chanter, produire c’est charmer, et lorsqu’on écoute comme je sais écouter, admirer c’est aimer.

[Lettre (14 mai ).]

Auguste Vacquerie

Je comprends que M. de Lamartine préfère la tragédie au drame. M. de Lamartine — ceci ne l’offensera pas — est lui-même un Racine ; c’est un spiritualiste de l’art ; c’est un poète platonique ; la chair, la réalité ; le fait lui répugnent. Le poète des Méditations a en horreur tout ce qui n’est pas poésie éthérée, regard noyé dans l’azur, ravissement dans l’espace.

[Profils et grimaces ().]

Désiré Nisard

Que restera-t-il donc de M. de Lamartine ? les Méditations, quelques pièces des Harmonies religieuses, quelques morceaux de Jocelyn. Il restera une foule de ces vers admirables qui n’empêchent pas les poèmes d’être médiocres, et qui sont les dernières fleurs dont se parent les poésies mourantes ; il restera le souvenir de grandes facultés poétiques, supérieures à ce qui en sera sorti ; il restera le nom harmonieux et sonore d’un poète auquel son siècle aura été trop doux et la gloire trop facile, et en qui ses contemporains auront trop aimé leurs propres défauts.

[Études d’histoire et de littérature ().]

Jules Barbey d’Aurevilly

Lamartine, un sentimental souvent faux à travers quelques inspirations d’une passion sublime.

[Le Nain jaune ().]

Paul de Saint-Victor

Ce fut dans une gloire pure comme une aube que le génie de Lamartine se leva en 1820. Son début, au milieu de la littérature terne et desséchée de l’époque, eut la lumière d’une apparition. C’était le ciel rouvert sur la poésie, la flamme rallumée sur les autels de l’Amour ; la source des larmes si longtemps glacée se remettait à jaillir. Le jeune poète se révélait, dès ce premier livre, comme le Psalmiste des générations nouvelles. Leurs rêveries secrètes, leurs sentiments inexprimés, leurs voix intérieures trouvaient en lui un divin organe. C’était le Sunt lacrymæ rerum de Virgile traduit en poèmes. Et quelle sublimité naturelle ! quelle fraîcheur dans l’abondance ! quelle pureté de souffle ! quelle facilité dans l’essor ! quelle manière transparente et large de prendre et de refléter la nature ! Au centre de ce ravissant mélange de cantiques et d’élégies rassemblés, le Lac, argenté par la lune, se dessinait dans son contour harmonieux, site unique entre tous ceux du monde poétique, chef-d’œuvre d’art et de cœur qui ne sera jamais surpassé.

[Hommes et Dieux ().]

Castagnary

Cet homme qui, par deux fois, en 1820 avec les Méditations, en 1847 avec l’Histoire des Girondins, a renouvelé les consciences et jeté les esprits dans une direction nouvelle, me paraît grand entre tous. Ce n’est ni Alfred de Musset ni Victor Hugo qui eussent été de taille à cette besogne. Aussi, malgré une mode récente, j’ai l’habitude de laisser à Lamartine la première place parmi les poètes du siècle. Le Lac, quoique la langue en ait vieilli par endroits, me paraît un absolu chef-d’œuvre ; et, pour l’unité, la simplicité, l’émotion, l’emporte à mes yeux sur la Tristesse d’Olympio et le Souvenir.

[Le Nain jaune ().]

Madame Ackermann

Lamartine a la note magnifique, mais rarement la note émue ; celle-là, c’est le cœur qui la donne. Or, Lamartine n’a guère aimé. Les femmes n’ont été pour lui que des miroirs où il s’est regardé ; il s’y est même trouvé très beau.

[Pensées d’une solitaire.]

Francisque Sarcey

Jamais les beaux vers n’ont sauvé une pièce mal faite. Avez-vous vu Toussaint-Louverture de Lamartine ? Le drame abondait en tirades magnifiques ; la représentation n’en fut pas supportable. C’est qu’il ne suffit pas à des vers, écrits pour la scène, d’être admirables en soi, il faut qu’ils soient en situation et qu’ils aient le mouvement dramatique.

[Le Temps (26 février ).]

Philarète Chasles

C’était la plus étonnante créature de Dieu, la plus instinctive, la moins apte à conduire les affaires ou à juger les hommes, la mieux douée pour s’élever, planer, ne pas même savoir qu’il planait, tomber dans un abîme et un gouffre de fautes, sans avoir conscience d’être tombé ; sans vanité, car il se croyait et se voyait au-dessus de tout ; sans orgueil, car il ne doutait nullement de sa divinité et y nageait librement, naturellement ; sans principes, car, étant Dieu, il renfermait tous les principes en lui-même ; sans le moindre sentiment ridicule, car il pardonnait à tout le monde et sc pardonnait à lui-même ; un vrai miracle, une essence plutôt qu’un homme ; une étoile plutôt qu’un drapeau ; un arome plutôt qu’un poète, né pour faire couler en beaux discours, en beaux vers, même en actes charitables, en hardis essors, en spontanées tentatives, les trésors les plus faciles, les plus abondants d’éloquence, d’intelligence, de lyrisme, de formes heureuses, quoique trop fluides ; de grâces inépuisables, non pas efféminées, mais manquant de concentration, de sol et de virilité réfléchie.

[Mémoires, t. II ().]

Auguste Barbier

Peu d’êtres ont été aussi bien doués que M. de Lamartine. Il a eu en partage la beauté, le courage, la générosité, l’intelligence et le don poétique. À tous ces présents de la nature, il a joint d’heureux accidents de fortune ; de bonne heure, il a attiré sur lui l’attention des hommes et conquis une place élevée dans le mouvement des lettres et de la politique ; mais rien de parfaitement solide et de complètement initiateur n’est résulté de son action et de ses travaux. Il y avait en lui plus d’intuition que de réflexion, plus de sentiment que d’idée, plus d’impétuosité que de raison, en un mot, à mon sens, il a été, en politique, un philosophe, et en littérature, un merveilleux improvisateur, parfois sublime, le plus étonnant que la France ait jamais possédé, mais un improvisateur. Sainte-Beuve disait de lui : « Lamartine, ignorant qui ne sait que son âme ». — Son père disait aussi : « Mon fils est une girouette qui tourne lors même qu’il ne fait pas de vent ». Enfin Chateaubriand le traite avec une jalouse impertinence de grand dadais. Toutefois ces appellations très exagérées n’en donnent pas moins la clef de l’homme et de sa nature : c’était un esprit mobile, imparfaitement instruit et présomptueux.

[Souvenirs personnels ().]

Sully Prudhomme

Le soupir des Premières méditations remplit tout à coup le vide des âmes élevées, comme l’ample et suave gémissement des orgues remplit soudain les hautes nefs et y change l’aspiration suppliante en extase. Tout ce qu’il y a de musical dans la versification française venait de subir une profonde rénovation. Le mouvement de la strophe était dans cette poésie le mouvement même de l’âme. Il semblait que l’art, pour la première fois, se passât d’artifice. C’était, pour ainsi dire, la respiration même du poète suspendue ou précipitée par ses souffrances ou ses joies, c’étaient les propres battements de son cœur ralenties ou hâtées par elles, qui, spontanément, scandaient et divisaient son vers. C’était le génie enfin : la nature même créant par sa créature.

La beauté musicale propre à la poésie de Lamartine, et qui la rend d’abord reconnaissable entre les toutes les autres, va se dégageant de plus en plus pour éclater sans nul reste d’alliage classique dans les Nouvelles méditations, dans les Harmonies. Les œuvres que j’ai rappelées offraient toutes un caractère élégiaque ; chacun y sentait avec gratitude le pur écho de ses propres tristesses. Combien de jeunes larmes coulèrent, délicieusement sur les pages de ces beaux livres ! La pensée novice, la croyance indécise, les premières amours rencontraient, dans la vague même des douleurs chantées, la plus caressante expression de leur inquiétude confuse. La langue aisée du poète ne tenait point la pensée à l’étroit, elle ouvrait des avenues au rêve. Il semblait craindre d’amoindrir l’ampleur des images en arrêtant trop les contours. L’épithète, chez lui, faite de grâce on d’éclat, sans rigide précision, semblait jetée négligemment sur le nom comme une parure légère ou somptueuse flottant au vent de l’inspiration.

[Discours à l’inauguration de la statue de Lamartine ().]

Gustave Flaubert

Comme c’est mauvais, Jocelyn ! Relis-en ; la quantité d’hémistiches tout faits, de vers à périphrases vides est incroyable. Quand il a à peindre les choses vulgaires de la vie, il est au-dessous du commun. C’est une détestable poésie, inane, sans souffle intérieur ; ces phrases-là n’ont ni muscles ni sang, et quel singulier aperçu de l’existence humaine ! quelles lunettes embrouillées !

[Correspondance, 2e série, p. 221 ().]

Jules Lemaître

De génie plus authentique et de vie plus belle que le génie et la vie de Lamartine, je n’en trouve point. Doucement élevé, en pleine campagne, par des femmes et par un prêtre romanesque, n’ayant pour livres que la Bible, Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, il s’en va rêver en Italie et se met à chanter. Et aussitôt les hommes reconnaissent que cette merveille leur est née : un poète vraiment inspiré, un poète comme ceux des âges antiques, ce « quelque chose de léger, d’ailé et de divin » dont parle Platon.

Ce poète, aussi peu « homme de lettres » qu’Homère, ce qu’il exprimait sans effort, c’étaient tous les beaux sentiments tristes et doux accumulés dans l’âme humaine depuis trois mille ans : l’amour chaste et rêveur, la sympathie pour la vie universelle, un désir de communion avec la nature, l’inquiétude devant son mystère, l’espoir ou la bonté du Dieu qu’elle révèle confusément ; je ne sais quoi encore, un suave mélange de piété chrétienne, de songe platonicien, de voluptueuse et grave langueur.

Loué soit-il à jamais ! On se fatigue des prouesses de la versification. On est las quelquefois du style plastique et de ses ciselures, du pittoresque à outrance, de la rhétorique impressionniste et de ses contournements.

C’est alors un délice, c’est un rafraîchissement inexprimable que ces vers jaillis d’une âme comme d’une source profonde et dont on ne sait « comment ils sont faits ».

[Les Contemporains, 4e série ().]

Charles de Pomairols

Lamartine seul aurait eu la puissance nécessaire pour continuer, étendre le genre de littérature qu’il représentait. L’expression des sentiments généreux, où il avait trouvé son domaine, appartient uniquement au génie. Le talent, incapable de donner un suffisant relief aux sujets universels, s’en tient loin, afin de se signaler par l’originalité des nuances. Pour ce motif, une véritable école ne pouvait pas sortir de l’inspiration lamartinienne. Lamartine eut, de son vivant, beaucoup d’imitateurs. Aucun de ces disciples n’a laissé un nom ni gardé une physionomie distincte à côté du maître. Il est remarquable que les seules poésies de quelque durée où l’on puisse reconnaître son influence soient des poésies écrites par des femmes. Les femmes aiment la spiritualité, la douceur ; elles n’ont pas besoin de revêtir leurs émotions d’un caractère exceptionnel, leur cœur étant très accessible à la poésie des sentiments communs ; par là et par d’autres traits, il semble que l’âme du grand poète, qui avait exprimé ces choses avec tant de puissance, appartienne elle-même au type féminin, si l’on ajoute à ce type la force qui s’y joint pour former la figure de l’ange. Cette âme pure et forte n’a pas appris à d’autres le secret de ses chants ; mais elle ne cesse pas du moins d’être écoutée dans la région qu’elle préférait elle-même, où elle habitait avec persévérance, au foyer de familles, où s’entretiendront toujours les affections simples, et où se rallieront à jamais les sentiments universels.

[Lamartine ().]

Édouard Rod

Lamartine fut essentiellement ou plutôt exclusivement poète et il eut, avec toutes les puissances, toutes les faiblesses du poète. Il semble vraiment que son âme ne lui ait pas appartenu : elle flottait au souffle des sensations, des sentiments, des idées, aérienne, inconsistante, légère et musicale. Peu lui importait que les vents vinssent du sud ou du nord, de l’est ou de l’occident, pourvu qu’ils la fissent vibrer ; peu lui importait qu’ils apportassent l’orage ou qu’ils balayassent le ciel de ses nuages. Il en écoutait l’harmonie qui, volontiers, lui paraissait divine ; il en notait les avis, sans efforts, tantôt comme « le roseau qui soupire », tantôt comme le chêne qui crie dans la tempête, allant du doute à la foi, de la mélancolie à la joie, ballotté entre tous les extrêmes, sans seulement s’en apercevoir. Les contemporains, ravis, écoutaient comme lui, comme lui se laissaient bercer, et si grand était le charme, qu’ils éprouvaient l’envie de diviniser cette lyre invisible toujours d’accord avec eux. La postérité subira-t-elle la même séduction ?

Pas complètement, sans doute : le moment arrive toujours, même pour les poètes les plus admirés, où la réflexion reprend ses droits. Mais, si le temps a déjà emporté bien des pages d’une œuvre trop inégale, si d’autres inspirent d’insurmontables défiances et même des colères et des rancunes, il y en a pourtant, et beaucoup, qui ont conservé leur fraîcheur, leur éclat presque entiers.

[Lamartine ().]

Émile Deschanel

Ce n’est pas sans émotion que nous avons abordé l’étude de cet être unique, dont la vie et l’œuvre sont un monde. Nous avons du moins la confiance que s’il apparaît parfois, dans son extrême complexité, un peu différent de celui auquel on s’était accoutumé, il n’en sera ni moins grand, ni moins attrayant, ni moins digne d’être aimé. Le drame est assez splendide et assez pathétique pour n’avoir pas à craindre l’analyse ; les ombres ne sont pas des taches ; la réalité, en un si noble sujet, ne détruit pas l’harmonie ; et la vérité, même vue de près, est encore l’idéal.

« Il y a plus de réelle grandeur, disait Lamartine, dans une bonne action, que dans un beau poème, ou une grande victoire. » Mieux que personne il pouvait comparer ces trois grandeurs, les ayant réunies en lui. De plain-pied avec les sommets, il n’avait point à monter pour y atteindre. Jamais rien de médiocre n’entra dans cet esprit ; jamais le moindre grain de rancune ou de haine, même en ce monde de haine et d’envie qu’on nomme la politique.

Doué de tous les dons souverains, — beauté, poésie, éloquence, courage, sens profond de l’avenir, et, au-dessus du génie, la bonté, ce génie du cœur, — Lamartine est un des plus nobles êtres qui aient paru sous le ciel de France.

[Lamartine. Avant-Propos ().]

Ferdinand Brunetière

Lorsqu’on reprend ses trois grands recueils : Les Premières et les Nouvelles méditations, puis les Harmonies, on demeure étonné de ce flot ininterrompu de vers grandioses, qui vont, qui passent, avec la facilité, avec l’amplitude, avec la puissance d’un vaste fleuve répandu dans une large plaine, et tour à tour coloré de tous les reflets du ciel, rosé avec l’aurore, bleu avec le midi, pourpre avec le soir, ténébreux sous la taciturne nuit. Cette imagination des états de l’âme, si exclusivement dominatrice dans cette tête de songeur, est la cause que ces poèmes expriment non pas une âme individuelle et spéciale, mais l’Âme elle-même, la Psyché vagabonde et nostalgique et son dialogue immortel avec Dieu, avec l’Amour, avec la Nature. Si le poète est incapable d’éteindre le Réel, il est aussi affranchi de sa servitude, et le monde du Rêve infini s’ouvre devant son essor… Aujourd’hui que ces poèmes ont perdu, avec leur magie de nouveauté, le prestige que leur assurait une harmonie profonde entre les aspirations du public et les inspirations de l’auteur, il est malaisé de ranger cette œuvre, tour à tour trop admirée et trop négligée, à sa place définitive. On est en droit de remarquer que, parmi nos artistes modernes, Lamartine est celui qui ressemble le plus aux grands rêveurs du Nord, à un Shelley et à un Keats, par ce caractère d’une beauté poétique absolument étrangère à tout ce qui n’est pas la poésie. Il y a du peintre dans Victor Hugo, il y a de l’orateur dans Alfred de Musset, il y a du philosophe dans Alfred de Vigny. Chez Lamartine seul, aucun alliage n’est venu déformer ou compléter — comme on voudra — le génie primitif.

[Études et portraits ().]

Ferdinand Brunetière

Depuis quelque temps on découvre non seulement que le politique avait vu plus loin qu’on ne croyait, mais encore que, dans ses erreurs mêmes, il n’y avait rien eu que de noble et de généreux comme lui, de libéral et de prodigue, de magnifique et de fastueux. On convient que l’orateur fut et demeurera l’un des plus éloquents dont se doive honorer l’histoire de la tribune française. Et enfin, et surtout, ce que l’on reconnaît, c’est que d’autres poètes ont eu peut-être d’autres qualités, plus d’art et de métier, par exemple, ou plus de passion ; ils ont encore été, ceux-ci, des inventeurs plus originaux ou plus puissants, et ceux-là, des âmes plus singulières ; mais nul, assurément, n’a été plus poète, si, dans la mesure on ce mot de poésie exprime ce qu’il y a de pins élevé dans l’idéal de l’humanité, nul ne l’a réalisé plus pleinement, ou n’en a plus approché, sans effort et sans application, naturellement, naïvement, par le seul effet de son instinct ou de la loi de son être, comme un grand fleuve coule scion sa pente.

[Évolution de la poésie lyrique ().]

Gustave Larroumet

À cette heure, nous sommes fatigués des spectacles, nous avons admiré et analysé trop de tours d’adresse et de force : nous demandons des gestes sans étude, des attitudes simples ; nous voulons voir un homme marchant sa marche naturelle. Lamartine est cet homme. Il ne s’est jamais travaillé ; il chantait comme l’on respire. C’était son infériorité à l’égard de ses grands contemporains. Sa négligence croissante, sa pente peu à peu abandonnée vers l’improvisation — car il avait commencé lui aussi non par la contrainte, mais par l’étude — avaient déçu l’admiration. Il ne se renouvelait pas, et le monde prenait l’habitude de chants toujours nouveaux. Mais, aujourd’hui, que nous importent les années de décadence et l’amas des œuvres sans relief ? Nous revenons aux Méditations, aux Confidences, à Jocelyn. Dans un petit choix d’œuvres et de pièces, nous ramassons les titres de Lamartine, et ces titres sont immortels, comme l’âme et ses besoins, comme la poésie, comme les sentiments qui en sont la source constante et qu’il a exprimés avec une force, une élévation, un charme que rien ne surpasse, que peut-être rien n’égale.

[Nouvelles études de littérature ().]

Ernest Zyromski

Qu’il est riche de sens ce mot de Méditation, et qu’il exprime pleinement le caractère de l’œuvre lamartinienne ! Il suggère les plaisirs et les mélancolies de la solitude et du silence, le sens et le tourment de la destinée humaine, la peur et le dégoût du monde, la langueur exquise des rêveries, l’ivresse de la vie intérieure. Delà ce chant qui est la voix du cœur qui médite, un chant où tout se dispose pour la complète libération de l’âme, un chant où les émotions allégées semblent venir du fond d’un rêve. La matière en est d’une extrême ténuité ; elle échappe à la prise de la pensée comme un nuage se dérobe à la pression de la main. C’est le sentiment pur qui s’exprime dans l’atmosphère qui lui convient ; c’est l’existence même de l’âme qui se révèle à nous par la nature impalpable des images, les subtiles associations de sons et de mots. L’hymne n’est qu’une méditation qui s’exalte, soit à l’appel tumultueux des émotions intérieures, soit devant le spectacle des embellissements que répandent sur le monde la beauté et l’héroïsme. Mais c’est toujours la voix intérieure, tour à tour douce et triomphante ; et ainsi le poète de l’Isolement , du Soir, du Souvenir, de l’Automne a été le chantre de Bonaparte, de la Marseillaise de la Paix et de Révolution. Son génie se déploie dans l’harmonie et la lumière, avec cet élan doux et magnifique qui est le rythme naturel du lyrisme dans la poésie et dans l’art.

[Lamartine, poète lyrique ().]

Georges Rodenbach

Chaque fois qu’il a pris parole : soit sur la page blanche où tombaient ses poèmes spontanés ; soit à la tribune ; dans les rues, les jours de révolution ; à l’Académie, où son discours de réception souleva d’un élan toutes les questions du temps et de l’éternité, chaque fois, ce fut vraiment « un concert », une voix pins qu’humaine, une vaste musique rebelle aux subtilités, mais qui enveloppait toutes les âmes dans ses grands plis.

Et c’est ainsi qu’il semble devoir s’éterniser pour l’avenir : Lamartine est l’orgue de la poésie du siècle.

[L’Élite ().]

Hugues Rebell

La Chute d’un Ange est l’œuvre la plus achevée de Lamartine, non pas, sans doute, qu’il l’ait travaillée plus que ses autres œuvres, mais parce que, nulle part comme en ce merveilleux poème, l’inspiration ne l’a emporté d’un élan plus continu et plus superbe. Il l’écrivit, dit-il, sans effort, comme en se jouant, pour se reposer de ses luttes politiques. Bien qu’il faille se méfier de la désinvolture affectée de Lamartine et des déclarations d’indifférence qu’il croit devoir faire, par bon ton, à l’égard de ses poésies, il est certain que la Chute d’un Ange est l’œuvre de son plaisir. Comment ne serait-ce pas, par excellence, l’œuvre sincère ? La volonté y a si peu de part, que certains chants, le viiie , notamment, sont composés de fragments que le poète n’a pas pris soin de relier ensemble. Mais si la composition en est fort lâche, les vers en sont d’une justesse et d’une plénitude admirables. Loin d’avoir changé de manière, Lamartine y réalise toute la perfection que son art pouvait promettre. Il est en effet à l’âge des chefs-d’œuvre, à cette maturité où le poète atteint toute sa puissance de conception et possède en même temps une expérience qui lui manquait dans ses premières années. Cette longue phrase lyrique, qu’aucun poète n’a su conduire mieux que lui, mais qui était souvent molle et traînante dans les Méditations, se déroule ici avec une ampleur, une force, une couleur inouïes, et avec de soudaines vivacités, des caprices de rythme et d’accent, des traits de vigueur surprenants dans la nonchalance majestueuse de l’ensemble, qui en font le plus varié, le plus élégant et le plus magnifique de tous les chants. C’est l’hymne large et radieux de la pleine mer, d’où se détachent le bruit des brisants sur les rocs et la retombée gémissante de l’écume. Le vers qui apparaîtra quelques années plus tard dans la Légende des siècles de Victor Hugo est là, mais sans toutes les fantaisies et les clowneries qui nous feront regretter le modèle. Lisez, par exemple, le Retour des pasteurs.

[La Plume (1er juin .).]