Signoret, Emmanuel (1872-1900)
[Bibliographie]
Le Livre de l’Amitié (1891). — Daphné (1896). — Vers dorés (1896). — La Souffrance des eaux (1899). — Le Tombeau de Stéphane Mallarmé (1899).
OPINIONS.
Adolphe Retté
M. Signoret — on ne saurait trop le répéter — est un lyrique. Il a confiance en son rythme au point d’y enclore, de mille ingénieuses correspondances, son âme tout entière, telle qu’elle s’éveille aux souffles de la nature et de l’amour. Confiance superbe, orgueil louable d’un jeune homme qui ne s’éperd pas en de vaines lamentations, mais aime la vie parce qu’il se sent de force à l’incarner toute un jour. Ce petit livre, Daphné, qu’on ne s’y méprenne point, vaut plus qu’une promesse. D’autres diront les scories, relèveront les imperfections, je veux simplement signaler aux curieux de la Beauté que voici des vers sincères, noblement émus, ne devant rien à personne, je veux proclamer, avec grande allégresse, qu’un bon poète de plus nous est né.
Edmond Pilon
La Daphné d’André Chénier me laissa l’impression d’une douce bucolique à la joie innocente, mais la Daphné de M. Signoret m’a fait frémir davantage de l’absolue grandeur des œuvres fortes. M. Signoret vient de donner tout simplement ce que son enthousiasme et son talent promettaient. Et combien peu feront ainsi, hélas ! La plupart des bons poètes symbolistes, et non des moindres, avaient enfermé leur rêve et leur inspiration en une certaine quantité d’images limitées autour desquelles leur génie broda de radieuses et superbes variations. Chez la plupart, un dédain de la Nature se montra visiblement, dédain justifié, il est vrai, par la décadence réaliste, mais dédain quand même. M. Signoret, lui, arrive et, sans se soucier des insanités qui purent contaminer la beauté des choses, il chante, les bois, les eaux, les nuages, les roses, toutes banales vérités qui ont cependant la sublimité éternelle de Dieu et qui sont les prototypes primitifs des fortes œuvres des hauts génies, depuis Virgile jusqu’au vicomte de Chateaubriand et au divin vieux maître Camille Corot. Très longtemps. M. Signoret se laissa aller à une éducation mystique et à une éducation païenne qui, corroborées ensemble, unissaient trop souvent Cypris à Marie. C’était l’éveil héroïque de l’adolescent. Aujourd’hui, l’intensité des vers dorés n’est plus : un son de flûte, grave et doux, sort seul des lèvres du pâtre. Il y a de belles Étoiles au ciel, l’Enfant baigne dans la source la blancheur de ses pieds, les statues se découpent sur l’émeraude du Parc et le Poète chante, chante à voix hautaine et vibrante, si forte qu’elle briserait bien Syrinx et si douce ; parfois, qu’elle ferait pleurer de joie les choses.
Alcide Bonneau
Les conceptions de M. Signoret sont toutes pénétrées de cet amour intense de la nature qui fait qu’on s’identifie avec elle, qu’on la sent vivante et qu’on prête une âme, comme les anciens, aux vieux chênes, aux sources, aux rochers… Les divinités mythologiques sont ici bien chez elles, dans leurs paysages familiers ; on les y attend▶, et l’on serait étonné de ne pas les y voir.
Paul Souchon
Issu d’une tige rustique, instruit de la belle antiquité sous un climat facile et comparable à celui qui régissait Athènes et Rome, ayant pris un long contact, à Paris, avec l’âme française et les jeunes hommes de sa génération, retiré maintenant dans la solitude et le bonheur, aux bords de la mer, M. Signoret accomplit son destin qui est de nourrir ses livres de notions et d’émotions réelles. Sensible, il est touché par tout ce qui a un caractère de beauté, il le revêt, puis s’en détache et court aux autres. Sincère, il n’◀attend▶ pas que l’analyse des critiques s’applique à ses œuvres et les définisse, il en fait lui-même la louange. Homme, il a épousé toutes les croyances des hommes et leurs espoirs. Le lyrisme jusqu’à présent l’a satisfait, car il exprima l’ivresse qu’il avait de lui-même. Mais je crois que M. Signoret appliquera encore ailleurs ses dons éminents. Nous ◀attendons beaucoup de ce jeune homme, et il serait téméraire de prévoir jusqu’où il portera ses réalisations.
Calixte Toesca
Ici, la splendeur sans défaut de la Symphonie initiale, sa profondeur d’accent et de pensée, l’harmonie parfaite et formidable de son mouvement s’allient aux grâces divines de la Fontaine des Muses pour faire de cette œuvre le plus beau des monuments. À ceux qui comprennent l’importance des suprêmes œuvres d’art au point de vue de l’évolution, je conseille, en attendant Jacinthus, d’étudier avec moi les richesses si variées et si pures que contient cette œuvre nouvelle du plus grand poète des temps modernes et peut-être de tous les temps.
Edward Sansot-Orland
La Souffrance des eaux, d’Emmanuel Signoret, est une œuvre qu’il nous plaît de saluer avec une admiration toute spéciale et comparable à celle qui pouvait emplir l’âme d’un Athénien quand un marbre nouveau de Praxitèle ou de Phidias s’érigeait sur l’Acropole et s’imposait au peuple comme une manifestation divine. La place me fait défaut pour analyser dignement ce beau volume. Mais il ne faudrait le regretter que si l’œuvre était moins belle : les éternels chefs-d’œuvre sont au-dessus de la critique ; ils sont beaux parce qu’ils sont beaux. Ceux qui sentent la beauté n’ont pas besoin qu’on la leur explique ; il suffit qu’ils la regardent. La Souffrance des eaux est un de ces chefs-d’œuvre éternels devant lesquels on reste ébloui, presque aveuglé…
Joachim Gasquet
M. Emmanuel Signoret est parmi nous celui qui a les dons poétiques les plus grands et les mieux ordonnés. Il est poète avant tout. La poésie le possède tout entier. Sa langue est d’une pureté incomparable. Il a toute la maîtrise de son métier. Ses poèmes sont achevés avec une perfection que n’ont jamais atteinte ni les maîtres parnassiens, ni aucun de nos poètes. Ils étonnent comme un marbre antique couvert de feuillages et dont la pureté est plus belle que celle des feuilles et des fleurs. Ils sont d’une beauté si générale, qu’ils peuvent incarner les émotions les plus diverses ; ils peuvent même paraître vides ; on peut rêver devant eux comme devant les plus magnifiques paysages ; la perfection de leur forme peut répondre à toutes les exigences de la raison. Pourtant ils sont tous tournés du même côté, ils reçoivent du même endroit la lumière, leur face à tous regarde l’Orient. Ils expriment bien un des caractères essentiels de notre race, ce goût que nous avons de l’ordre et de l’achevé, cet amour de la clarté.
Pierre Quillard
Par M. Emmanuel Signoret, nous connaissons à nouveau les jours d’Apollonios et de Callimaque, où les lyriques mêlaient aux odes triomphales le cri violent de leurs haines et de leurs sarcasmes… Les nouvelles strophes de M. Emmanuel Signoret égalent en fougue harmonieuse toutes celles qu’il chanta jamais ; et c’est une grande tristesse de penser que la vie est dure à ce poète épris de lumière et de beauté qui, dans la pire détresse matérielle, invente encore, pour notre joie, des formes magnifiques et charmantes.
A. Van Bever
M. Emmanuel Signoret
est né à Lançon (Bouches-du-Rhône), le 14 mars 1872. Son enfance s’écoula paisible
au village natal, « mélange de maisons blanches sur une colline, d’ormeaux
et de plus sous un ciel implacablement bleu… »
. Les notes qu’il nous
communique nous le révèlent comme une nature ardente et passionnée, mêlant le
lyrisme méridional à je ne sais quel fatalisme exaspéré. Un long séjour à
Aix-en-Provence, où il fit ses études, et de nombreux voyages en Italie (de 1896 à
1899) entretinrent en lui une exaltation qui, jusqu’à ce jour, ne s’est pas
contenue et forme en quelque sorte le caractère de son talent — de son génie,
écrirait-il.
Il vint à Paris et, avide de gloire, ambitieux d’amitiés célèbres, se mêla fiévreusement à tous les groupements. Les petites revues l’accueillirent, et il fonda, en janvier 1890, le Saint Graal, périodique qu’il continue à rédiger seul et où sont recueillies la plupart de ses productions. M. Emmanuel Signoret a publié plusieurs volumes de vers. L’un d’eux, La Souffrance des eaux, a été remarqué par l’Académie française, qui a couronné son auteur en juillet 1899.
L’œuvre de M. Emmanuel Signoret est riche d’expression et, si l’on sait lui pardonner un déplorable abus de fausse joaillerie, de sonorités assourdissantes, d’images futiles et désordonnées, ses poèmes peuvent offrir de remarquables dons d’évocation.