Madame de Sévigné
Hippolyte Babou, Les Amoureux de madame de Sévigné ; Les Femmes vertueuses du grand siècle.
Quand un livre n’est pas un livre, on lui met indifféremment deux titres. On pourrait même en mettre trois. Quel rapport y a-t-il, je vous le demande, entre Madame de Sévigné, qui fut vertueuse comme… Célimène, et les femmes réellement, robustement vertueuses du xviie siècle ?… J’avoue que je n’en vois aucun. Est-ce que les deux ou trois amoureux assez ridicules et assez méprisés que je trouve dans l’ouvrage d’Hippolyte Babou seraient, à ses yeux connaisseurs, une preuve de sa vertu, à elle ?… Mais sans être madame de Sévigné, quelle femme n’a dans sa vie deux ou trois amoureux ridicules, deux ou trois de ces bonnes potiches à sentiment dont on ornemente son boudoir… et son amour-propre ?…
Madame de Sévigné et ses amoureux, ces patiti qu’elle régalait de petites faveurs innocemment perverses, n’a donc rien à faire avec les femmes vertueuses pour de bon du xviie siècle, avec ces saintes dont l’abbé Maynard, l’éminent auteur du Saint Vincent de Paul, nous écrit en ce moment la vie ; et si Hippolyte Babou, de cette main légère qui est la sienne, nous les môle à madame de Sévigné et à ses amoureux, dans son volume, comme des cartes à jouer qu’on fait se retrouver dans le même paquet, c’est que Babou, qui sait bien ce qu’il fait et qui ne fait que ce qu’il veut, ne veut être aujourd’hui qu’un faiseur de tours de cartes avec l’Histoire. Demain, il sera, s’il lui convient, un historien de point en point. Attendez demain ! mais, pour aujourd’hui, vous n’aurez qu’un recueil d’essais historiques très jolis (vous voilà bien malade !) sur des figures célèbres ou oubliées du xviie siècle, et cela dans le but respectable de rire un petit et de nous amuser.
Hélas ! rire un petit, c’est à présent une grande affaire ! Le livre que voici est la révolte (ce n’est pas la revanche) d’un homme d’esprit, qui vit encore, contre l’ennui qui nous tue partout, même dans l’Histoire. Tenez ! dernièrement, je lisais le livre sur Louvois de Camille Rousset. Camille Rousset est un de ces assassins, du plus grand mérite, qui nous tuent d’ennui, et j’admirais avec quelle peine, quel labeur, quelle conscience, quelle correction et quelle perfection, il avait obtenu celui de son livre, qui véritablement est de première qualité. Eh bien, c’est cette peine, ce labeur, cette conscience et cette perfection dans l’ennui, dans cet ennui que l’on tire de l’histoire la plus intéressante avec une force de plusieurs chevaux, qu’Hippolyte Babou n’a pas voulu prendre à sa charge !
J’endormirai monsieur tout aussi bien qu’un autre !
Parbleu ! il l’aurait pu. Il aurait pu nous endormir et nous plomber de ce sommeil-Rousset qu’on débite avec le brevet d’invention délivré par l’Académie. Mais il a mieux aimé nous tenir éveillés. Il a mieux aimé être agréable, être piquant, et même çà et là surprenant, sur des sujets usés et aplatis par le rouleau de tant de pédants qui passe dessus depuis des années ! piquant et intéressant sur ce vieux et archivieux thème du xviie siècle, après Cousin, Sainte-Beuve, Bordas-Dumoulin, Pierre Clément, Lanfrey, Thomas, Fournier, qu’il cite, le traître comme s’il les estimait, et derrière lesquels il se met, l’hypocrite ! avec un respect qui m’inquiéterait, moi, si j’étais de la bande, car un mouvement est bientôt fait, et Babou est très souple ! Aux surprises que son livre nous cause, il pourrait ajouter celle-là pour ces messieurs… On n’est jamais sûr de ce qu’on tient ou de ce qu’on attrape. Quand on recherche autant l’agrément et l’amusement dans l’Histoire, que sait-on ? On peut les pousser jusque-là !
Car, je l’ai dit, amuser et surprendre, voilà toute la visée actuelle d’Hippolyte Babou, qui est un homme d’esprit comme Rivarol l’entendait, et pas autrement. Ne vous y trompez pas ! La notion de l’esprit est maintenant fort gâtée. L’esprit (disait ce docteur en cette chose) a pour essentiel caractère de surprendre, d’étonner, de remuer, de déranger, de faire coup de pistolet, lumière, bruit et trouée dans les cerveaux environnants ! Or, c’est là ce que Babou a voulu faire en plaçant sous la même couverture Les Femmes vertueuses du grand siècle et Les Amoureux de madame de Sévigné 23. Impatienté, je le conçois, de toutes les lectures qu’on nous force à remâcher sur le xviie siècle et qui nous laissent parfaitement tranquilles, Babou s’est dit : « Sont-ils assez éteints ? » Et avec ce geste, passablement fat, je l’avoue, qu’il a en causant avec nous, quand il enflamme l’allumette de son cigare à la hauteur de son front joyeux, il a ajouté, l’incendiaire : « Je m’en vais tout à l’heure vous montrer qu’on peut mettre de l’esprit dans l’histoire ! J’en mettrai comme vous autres, mes bons hommes, y mettez des faits ! Je vais vous montrer qu’on peut être substantiel comme un monsieur lourd, — exact comme un monsieur imbécile, — fidèle comme un commissionnaire qui répète ce qu’on lui a dit, — et cependant rester léger, brillant, pénétrant, ce qu’on est, parbleu ! avoir enfin, encore une fois, les qualités qui furent françaises et qui maintenant ne le sont plus ! »
Et là-dessus, paf ! (un de ses mots encore), il a retourné l’usage antique ! il a supprimé le solennel ! Il a trouvé que Cousin adorait les coquines, et du coup il a adoré la vertu. Je le comprends, c’est à en dégoûter… Il a fait du Vieux neuf mieux que Fournier. Très dandy par ce côté-là qu’il étonne, mais qu’on ne l’étonne pas, il a raconté sans s’indigner les faits qui indignent les dadais honnêtes. Il se moque bien des tragédies ! Il a eu ce joli mouvement qui dit : « Je n’y tiens pas ! » des choses que les autres seraient heureux de ramasser… Il a gardé sa bonne humeur jusqu’à la fin, gai à trois pas du sérieux. Il a eu de la force tout près de la grâce, et, ma foi ! pour que la surprise y fût mieux, une ou deux fois il s’est risqué à être profond, et il l’a été, cet esprit capable de tout. Il l’a été à deux places sur lesquelles nous nous arrêterons, s’il vous plaît…
Oui ! il a été profond ! et il a si bien réussi qu’il trouvera bon de l’être encore et que, plus tard, il reviendra à cette profondeur qu’on n’aurait pas, certes ! soupçonnée dans l’auteur épigrammatisant des Lettres satiriques, le romancier aux nuances fines des Païens innocents, le boute-en-train qui, quand cela lui plaît, rigole avec l’Histoire, — qui la ferait sauter comme une femme ou comme un bouchon de champagne rose versé dans la coupe mousseline d’un style transparent, semé d’étincelles, et offert à ceux-là qui aiment l’Histoire, — corsée, mais non pesante, — et qui savent que les vins les plus purs doivent se boire dans les cristaux les plus légers !
II
Vous rappelez-vous le mot du vicomte de Bonnay au comte de Mirabeau, un soir d’une de ces orgies politiques connues sous le nom de séances de l’Assemblée Nationale ? Mirabeau l’apoplectique, le pourpré, le chevelu, qui prélassait alors à la tribune son épouvantable bedaine que son génie faisait trouver belle (ô omnipotence du génie !), Mirabeau donc, à qui l’on venait d’opposer une raison historique, s’écria qu’il méprisait l’Histoire, quand de Bonnay — un Rivarol de la droite — lui lança, d’une voix qui vibra comme une flèche : « Elle vous le rendra bien, monsieur de Mirabeau ! » et la prophétie s’est accomplie, comme si de Bonnay avait été de Jérusalem. Eh bien, Hippolyte Babou ne méprise pas l’Histoire ! Il laisse cette sottise à Mirabeau embarrassé. Mais dans son volume d’aujourd’hui, excepté à ces deux endroits qu’il est convenu que je vous montrerai, il ne l’étreint pas assez vigoureusement, l’Histoire ! Il monocordise des doigts avec elle. Il badine. Il la traite sans cérémonie, et l’Histoire, ainsi traitée, le lui rend un peu. C’est là ce qui sans doute explique qu’un homme comme lui ait pu se laisser prendre par madame de Sévigné, comme s’il eût été du bois dont on fait les Walckenaer !
On périt souvent par ses meilleures qualités. Ce qu’Hippolyte Babou doit surtout craindre et surveiller en lui, c’est cette légèreté d’esprit si rare à présent, et que, pour mon compte, je trouve charmante… Il l’a rencontrée dans madame de Sévigné, et nous sommes tous des Narcisses ! Il en a raffolé. Il est tombé, lui aussi, amoureux de cette créature si légère d’esprit, de conduite et de tout, qu’il n’a pas osé mettre, il est vrai, dans ses Femmes vertueuses du grand siècle, mais dont il a parlé comme si elle était une vertu, elle qui n’était qu’une coquetterie ! À la page 76 du présent volume, n’a-t-il pas écrit : « La vertu de cette âme enjouée… »
? Oh ! l’enjouement, monsieur, c’est vous qui vous moquez de nous pour l’heure ! Babou ne nous a pas donné de notice particulière et précise sur madame de Sévigné. Il ne nous l’a fait voir que réverbérée dans les sentiments et dans les lettres de ses amoureux Ménage et Bussy-Rabutin, et du posthume qui se nomma Horace Walpole. Mais cette Sévigné de reflet lui a suffi, et il en tient aussi pour elle :
Vous en êtes un peu, dans votre âme, entiché.
Il l’est même si fort qu’il a écrit sur elle de ces mots poétiques et idéalisants qui la déguisent, et que je suis fâché de trouver sous cette plume de goût, qui
devrait peindre ressemblant, en parlant d’une femme aussi connue que cette blonde espiègle : « À quinze ans, — dit-il, — Marie (c’est madame de Sévigné) n’avait rien de cette timidité virginale, ou, si l’on veut, de cette gaucherie innocente que les jeunes filles rapportent du couvent dans les plis de leur robe montante. »
Et cela, je crois bien que c’est vrai ; mais que dirons-nous de ce qui suit ? « Le feu de ses yeux éclairait l’espace autour d’elle ! Malgré sa pureté rayonnante, ce regard savait tout, parce qu’il avait tout deviné ! »
Oh ! oh ! Babou est du Midi, je crois, et voilà qui est diablement chaud, diablement soleil de Narbonne ! Pour ma part, je ne crois pas beaucoup que les yeux bleus, spirituels et taquins de madame de Sévigné éclairassent l’espace autour d’elle. Il y avait des lustres pour cela ! Ils se contentaient de briller de malice et de gaîté, dans cet espace qui était une ruelle ou le cabinet bleu d’Arthénice, ou quelque salon du Marais. Je ne crois point au feu des yeux de madame de Sévigné ; je crois à leur lumière.
Je ne crois pas non plus à sa pureté rayonnante, ni même à sa pureté du tout. Elle fut sage, mais elle ne fut pas pure, cette femme qui jouait aux amoureux et qui, dans le livre même de Babou, se laisse manger ses bras nus par de vilains hommes comme Ménage, qu’elle avait raison de ne pas aimer. Elle fut sage, comme le poisson est frais lorsqu’on le met dans de
la glace. Naturellement elle y était. Elle a dit quelque part, avec cette expression hardie qu’elle avait, comme un page, dans cette société qui montrait sa gorge comme on ne la montre plus, mais qui était collet-monté dans le langage ; elle a dit, de je ne sais plus quelle froideur de son temps : « C’était de la citrouille fricassée dans de la neige. »
Elle n’était pas de la citrouille, elle, mais elle était de l’ananas ! Oui ! de l’ananas dans de la neige, c’est un sorbet exquis, et c’est madame de Sévigné ! Allez ! ses yeux n’étaient qu’une gelée bleue. On les trouvait jolis, scintillants, dardants, agaçants ; ils plaisaient à l’esprit ; mais ils ne disaient rien à l’âme ! Prude, en somme, sous ses airs de page, honnête toute sa vie sans que cela lui coûtât un sou d’effort pour le rester, coquette d’esprit, de coiffure, de corsage, de bras nus abandonnés, qui se donnaient à tous et qui n’ont jamais étreint personne, coquette même de maternité, madame de Sévigné résume en elle deux figures de Molière qui, dédoublées, font la femme française : Elmire et Célimène. Elle est Elmire par le fond, et Célimène par la forme ; Elmire au centre, Célimène par les extrémités. C’est une Française accomplie. Esprit français, tempérament français, gaîté française, génie de style, — intraduisible, tant il est français !
Madame de Sévigné est certainement une des femmes les plus typiquement françaises qui aient jamais existé, et voilà pourquoi les esprits très français, comme Babou, sont un peu chauvins de cette femme. Ils se prennent à la magie de cette espièglerie française qui les enivre de plaisir, et, quand ils sont enivrés, leur fait écrire des phrases idolâtres, que l’auteur des Lettres satiriques appellerait des sottises s’il les trouvait sous une autre plume que la sienne, mais qui n’y seraient pas, du reste, de cette façon-là !
Pardieu ! j’aurais bien voulu le voir, lui qui se permet l’amphigouri de la passion sur elle, j’aurais bien voulu le voir à la place de Bussy, par exemple, ou bien encore de Gilles Ménage, et je suis bien sûr que notre amoureux d’Hippolyte aurait baissé de quelques tons les cordes de sa guitare d’aujourd’hui. Madame de Sévigné, en effet, ce type exquis de la Française, est de toutes les femmes du monde la plus détestable à aimer. Son amant, à elle, ce n’est pas quelqu’un. C’est tout le monde ! Elle n’est pas faite pour la chambre à coucher, mais pour le salon. Elle a l’amabilité meurtrière. Quand elle ne vous oppose pas sa froideur, cette opposition si nette ! — elle vous oppose son bon sens, et quand ce n’est pas son bon sens, c’est sa plaisanterie. Elle ne rompt jamais le charme…
Voyez-la, dans le livre de Babou, avec cet affreux pédant de Ménage, qui méritait si bien de s’appeler Gilles ! Elle le rebute et elle le relance. Elle a la cruauté curieuse et despotique de l’enfant qui arrache les ailes à un hanneton, et qui, si le hanneton blessé s’éloigne et s’enfuit sur ses pattes, l’arrête et veut qu’il reste là ! Quand il boude, elle lui tend l’appeau de ses beaux bras, frais comme l’indifférence, et que le pauvre timbré aimait à baiser ! Enfin, tant que dure cette liaison qui n’est ni chair ni poisson, ni amitié ni amour, et qui a duré la vie de Ménage, le sentiment va et vient de l’amour qu’on désespère à l’amitié qu’on agace ; et il en fut de même avec un bien autre homme que Ménage, avec Bussy, ce capitan, ce monsieur moi, disait Walpole !
Dans les affections toujours trompées qu’elle inspirait, rien de précis que l’impatience, que le dépit, le ressentiment, la colère. Elle vous riait au nez et même vous faisait rire de vous ! Excepté son mari, Sévigné, qui la traita comme ces sortes de femmes — tout vanité, mutinerie, gaîté et caprices, — doivent être traitées pour qu’elles aiment : avec la cravache des procédés indifférents, impertinents et cruels ; excepté son mari, pour lequel elle eut cet amour par pique dont parle Stendhal dans ses diverses classifications de l’amour, elle n’aima personne que sa fille, et encore quand elle était loin !… Pour tout ce qui n’était pas sa fille, et absente, elle avait la douceur de l’égoïsme et du satin : tout y glisse. Sa fraîcheur de blonde n’a pas une tache de larmes. Aussi, dans une société aussi correcte, aussi élégamment hypocrite que la sienne, elle ne se compromit jamais.
Elle sauva sa réputation quand madame de Maintenon, une bien autre âme et une bien autre vertu qu’elle, perdait la sienne ! Française toujours, elle a résolu le grand problème français de ne pas se compromettre. Mais j’aime mieux madame de Maintenon, et je la respecte davantage. Et malgré tout ce qu’il nous conte, peut-être que Babou est de mon sentiment sur madame de Maintenon. Vous allez voir !
III
Nous voilà enfin arrivés à l’une des deux places de son volume où l’auteur de ces délicieuses bribes d’histoire, enlevées comme des bulles de savon et aussi colorées, se métamorphose et se permet la fantaisie d’être profond… C’est justement quand, dans l’ordre de ses Notices, il arrive à madame de Maintenon, et que lui, l’amoureux de madame de Sévigné, il passe à l’ennemi, si on peut dire l’ennemi d’une femme qui, pour avoir la raison la plus haute qu’une tête féminine ait jamais possédée, avait autant d’agrément à sa manière que la vive et brillante Sévigné.
Dieu sait si j’ai toujours recherché les portraits ressemblants de madame de Maintenon, — de cette femme si difficile à peindre, parce qu’on ne peut s’empêcher de la voir à travers cette monstrueuse et scélérate caricature de Saint-Simon, qui ne nous lâche pas les yeux et qui nous fait trembler la main quand nous voulons la corriger ! Mais j’avoue que je n’ai vu nulle part rien de mieux réussi, de mieux aperçu, de pensé plus avant que cette notice, qui est mieux qu’un portrait, et où toutes les causes de l’élévation de madame de Maintenon et de son empire sont expliquées avec une si éloquente sagacité. La conception qu’a Babou de madame de Maintenon est digne d’elle.
Il a scruté non pas seulement en historien, mais en moraliste, cette âme profonde, et, comme il l’a dit : d’une
ambition de gloire infinie
, — ce qui ne veut pas dire la plate ambition de n’être que la femme de Louis XIV ! Aucun des côtés, déformés par la Calomnie, de cette honnêteté héroïque (le mot y est et l’épithète aussi), n’a échappé à Hippolyte Babou, qui a redressé et rectifié les lignes de cette majestueuse et touchante figure abîmée par d’imbéciles iconoclastes historiques, et qu’il a rétablie dans sa beauté première… J’espère bien qu’après cela on n’y touchera plus !
Eh bien, ce chef-d’œuvre sur madame de Maintenon, qui ne sera, j’ose le dire, surpassé par rien de ce qu’on écrira désormais sur cette grande femme vertueuse, parce qu’il est un point au-dessus duquel il est impossible de se placer : c’est celui de la vérité absolue ! ce chef-d’œuvre n’est encore que le moindre de mes deux étonnements ; car, vous vous le rappelez, j’en ai compté deux. Madame de Maintenon est, en effet, encore un sujet d’histoire humaine, et nous allons aborder maintenant un sujet d’histoire surnaturelle ! Madame de Maintenon n’est que la première des femmes qui ne furent que vertueuses dans le grand siècle.
Or, parmi ces femmes vertueuses dont Babou nous a donné les images, il y en a une qui fut une sainte, et qui n’est un sujet d’histoire que dans le livre des Anges, si, comme je le crois, ils suivent du ciel les mouvements de nos âmes et sont, là-haut, nos historiens ! Celle-là, c’est la comtesse de Dalet. Son histoire, à celle-là, — oubliée par la grande Histoire, — est assez obscure devant les hommes ; mais elle éclate devant Dieu, et Babou a su nous dégager de cette obscurité visible le rayonnement intérieur. La comtesse de Dalet fut une malheureuse femme battue par son mari, mais autrement qu’avec la cravache morale du marquis de Sévigné. Le comte de Dalet, excusez ! la cravachait avec son épée ! Elle n’en finit pas moins par se faire adorer de son terrible mari, ce à quoi ne put jamais parvenir la brillante caillette de Sévigné avec le sien.
Cette adorable battue devint une adorable mystique dans la règle et dans la foi, et fut une admirable contemplative. Elle est restée une des gloires de l’ordre de la Visitation. Babou n’a pu résister à nous en dire l’histoire, et il l’a fait avec des mains qui ont touché à saint François de Sales, et qui en sont toutes parfumées ! J’ai dit qu’il était souple. Il se joue comme le poisson dans l’eau dans les idées mystiques, qu’il comprend très bien, et avec ce sentiment catholique qui va jusqu’à la règle, mais ne la déborde jamais. Ne doit-ce pas être là le plus fort de mes étonnements ?… Ou diable Babou, qui jusqu’ici était un peu diable, a-t-il appris ces choses ?… Quoi ! le voilà hagiographe maintenant ? Lui, l’auteur des Païens innocents, et d’une notice sur le président de Brosses qui est du paganisme coupable, voilà qu’il nous écrit avec le sentiment le plus catholique la vie d’une sainte, et avec la même aisance qu’il eût écrit celle de Ninon ! Est-ce une conversion ? N’est-ce que le caprice du talent, tenté par un sujet d’une beauté infiniment difficile pour une plume de ce temps ? Mais voilà ce qui est, et ce qui vous étonnera comme nous, n’est-ce pas ? vous qui demandez toujours du nouveau comme au temps de Démosthène, ô Athéniens !