Mosaïque
Les fautes d’impression. — Critiques à la main. — Un Pirate. — Au pays de Bohême. — Les dernières Calinodies. — Les mauvaises habitudes. — Petite gazette des tribunaux. — Une rivière qui s’ennuie.
Fautes d’impression
Je dînais, l’autre jour, en compagnie d’un de ces rares savants — qui aiment la science pour elle-même, et non pas pour ses croix.
Le savant, tout en découpant une aile de perdreau, communiquait — d’un ton pénétré — ses projets d’amélioration sur le jardin des plantes de Toulouse.
Un convive — tout frais débarqué de son Paris — saisit au passage le mot de « jardin des plantes ».
— Je l’ai vu, votre jardin des plantes, monsieur le professeur. Je le connais ! Mais pourquoi donc appelez-vous cela un jardin des plantes, puisqu’il n’y a ni ours, ni singes ?
Le professeur sourit — et se retournant de mon côté :
— Ce monsieur, dit-il à voix basse, vient d’émettre une balourdise qui me fait songer, malgré moi : ne croyez-vous pas qu’il existe certains mots — comme certains hommes — fatalement prédestinés à n’être jamais compris, quelque claire que soit leur signification ? Vous aurez beau faire : ce mot « jardin des plantes » éveillera toujours une idée de ménagerie — plutôt qu’une idée de botanique.
Depuis ce jour, je rêve aux souffrances secrètes des mots incompris.
Et je les plains.
* *
Je suivais dernièrement le convoi d’un compositeur sexagénaire, mort en alignant des caractères d’imprimerie, sur le dernier feuilleton des Drames de Paris.
Un curieux type que le père Darnet. Il fallait le voir à sa casse ! Tantôt, c’était avec recueillement, avec amour, qu’il se penchait sur son travail. Un sourire calme et béat inondait sa physionomie ; on aurait été mal venu à le déranger dans ces moments-là : c’est qu’il composait alors une page de George Sand ou un chapitre de Michelet. L’épreuve tirée, pas une lettre qui fût transposée, pas un mot qui grimpât sur le dos du mot voisin, pas une virgule qui ne fût à son poste. Le correcteur pouvait se croiser les bras.
Tantôt, — l’air goguenard, la plaisanterie aux lèvres, riant avec l’un, causant avec l’autre — il laissait sa main distraite courir au hasard dans la casse : c’est qu’il composait alors un feuilleton de M. La Landelle ou de M. de Gondrecourt. Et l’on ne voyait partout, la besogne terminée, que fautes d’impression s’épatant lourdement au beau milieu des phrases ou se suspendant ironiquement au bout de chaque ligne : le brave homme que le père Darnet !
C’est à lui qu’on doit cette coquille qui est digne de passer à la postérité la plus reculée :
« Tu fais la honte de mes chapeaux gris ! »
Il va sans dire que le manuscrit portait cheveux.
* *
Le lendemain, l’auteur mutilé entrait comme une bombe à l’imprimerie, demandant à cor et à cri son compositeur. On met en présence le bourreau et la victime. À toutes les récriminations du plaignant, le père Darnet se contenta de répondre tranquillement :
— Après tout, de chapeau à cheveux la distance n’est pas si grande. On peut bien se tromper de ça.
* *
— Ai-je si grand tort, monsieur ? me disait-il un jour pour justifier son incurie à l’endroit de certains manuscrits. Et n’y a-t-il pas des articles et des livres qui sont — par eux-mêmes — d’un bout à l’autre, de longues fautes d’impression ? Les miennes se noient dans le tas.
* *
Depuis quelque temps, je suis en proie à des préoccupations philologiques qui ne me laissent pas de repos. — Suivez bien mon raisonnement.
Les Alsaciens disent Pâtiment pour bâtiment ;
Et Brébaration pour préparation.
Donc, ils peuvent prononcer également le P et le B. Comment se fait-il alors qu’ils se servent de ces deux lettres toujours à contresens, toujours ? D’où vient qu’ils se trompent invariablement cent fois sur cent fois ?
Le hasard n’a pas de ces persistances et de ces illogismes tenaces. La fatalité ne se cacherait-elle pas derrière cette prononciation ? Pour moi, après y avoir mûrement réfléchi, je vois là-dedans la main de Dieu s’appesantissant sur la race maudite qui donna Alexandre Weill à la France.
* *
Vous avez bien souvent entendu dire — avec un étonnement plein d’amertume — par les gens qui viennent d’éprouver un cataclysme dans leurs affections :
« On n’est jamais trahi que par ses amis. »
L’étonnement de ces gens-là m’étonne. Par qui diable veulent-ils donc être trahis ? Et ne serait-il pas bien surprenant qu’on fût trahi par ses ennemis ?
* *
Tout le monde connaît — pour l’avoir vu sur les quais — le Tableau de Paris par Mercier, un bien bon auteur !
J’y cueille cette phrase, qui vaut à elle seule un long poème de M. Viennet ;
« On peut placer les boulevards à côté des plus belles choses de la capitale. »
Si Mercier vivait encore, il me ferait un sensible plaisir de m’enseigner la manière de placer le boulevard Montmartre à côté de la Concorde. Cela pourrait ajouter à la beauté du coup d’œil les jours de fête publique. On en serait quitte, le lendemain, pour faire reconduire le boulevard chez lui.
Il est vrai que Mercier est un écrivain de l’école du bon sens.
* *
Je termine par une petite observation de mœurs dramatiques que me communiquait hier mon ami — et vaudevilliste Ma…
Nous venions de relâcher en vue du Gymnase. Me montrant l’affiche du doigt :
« Vous voyez bien, me dit-il, cette pièce en un acte qui allonge son titre au-dessus de ces trois noms d’auteurs ? Soyez sûr que c’est le dernier nommé qui a fait la pièce, et que les deux autres n’ont pas rédigé — une virgule.
— Mais alors que font ici les deux autres ?
— Que vous êtes jeune !… Aimez-vous la crinoline ?
— Oui. Eh bien ?
— Eh bien, le public des théâtres aussi aime la crinoline, et ailleurs que sur la scène. Les directeurs le savent bien ; aussi exigent-ils que tous les jeunes auteurs qui débutent en mettent une, et quelquefois deux ! — La première crinoline dramatique de notre temps, c’est M. Scribe ; — la seconde, M. Dennery. »
Nota. — Cette faute d’impression est très répandue.
Critiques à la main
J’ai trouvé — fiacre restant — ce fragment d’étude sur Jules Janin :
« M. Janin, avec son interminable et vide phraséologie, me fait l’effet d’un individu qui, ayant une personne à dîner, demanderait pour lui et son invité un salon de deux cents couverts. Il lui faut toujours deux cents lignes pour y attabler une idée. »
La critique est juste. Mais n’eût-il pas été plus simple d’écrire :
Le style de Jules Janin est un style à rallonges ?
* *
La Dordogne lettrée commence seulement à lire Fanny : ce qui prouve une fois de plus que la centralisation littéraire est une excellente chose.
Cela prouve encore que la gloire de M. Feydeau voyage à petite vitesse.
Donc, on causait de Fanny dans le salon sous-préfectoral de ***. Chacun disait son mot : le percepteur trouvait que c’était bien écrit, mais révoltant ; — le maire, que ce n’était point là « un ouvrage de bibliothèque » ; — le contrôleur, fonctionnaire aux yeux de flamme, trouvait que Fanny était une femme charmante, et avec un enthousiasme qui pourrait bien nuire à son établissement conjugal. Le reste trouvait… le reste ne trouvait rien.
— Et vous, madame, dis-je à une Allemande réfugiée (la seule Parisienne présente) qui n’avait encore rien dit, que trouvez-vous ?
— Mon Dieu, répondit-elle, la lecture de Fanny a fortifié cette conviction déjà ancienne chez moi : que les Allemands écrivent pour leurs femmes, et les Français pour leurs maîtresses.
* *
La dernière œuvre (est-ce bien une œuvre ?) de M. Ernest Feydeau, Daniel, a tenu ce que promettait Fanny. C’est toujours le même monsieur avec les mêmes passions épileptiques et les mêmes curiosités libertines. Seulement, cette fois, au lieu d’escalader nuitamment les balcons pour photographier — à travers les persiennes — les intérieurs d’alcôve, il se contente de glisser son regard par les fentes des cloisons et les entrebâillements des portes.
En vérité ! je vous le dis, cette littérature finira par causer des ennuis à l’administration des contributions directes.
— J’attends M. Feydeau à son prochain livre, s’est exclamé M. Prudhomme en lisant Daniel ; et, si ça continue, je refuse l’impôt des portes et fenêtres.
* *
Je ne sais plus qui pronostiquait, de cette façon claire et concise, les destinées, du nouveau (est-il bien nouveau ?) roman de M. Feydeau :
— Pauvre Daniel ! il n’a décidément pas de chance. Il y a quelque mille ans, on le jetait dans la fosse aux lions — et voilà qu’aujourd’hui il va tomber dans la fosse aux ours !
Un Pirate
Qui de vous ne l’a rencontré ? Car, encore ; plus que l’esprit, la bêtise et l’impuissance courent les rues.
Au physique, c’est un petit jeune homme remarquable par une absence complète de physionomie. — Pour son intelligence, elle réside tout entière dans son oreille droite : une oreille toujours en éveil, occupée à faire le guet autour des conversations — par la raison que le cerveau d’Alidor est un appartement non meublé.
Alidor se fournit chez les autres, il prend publiquement la responsabilité des mots que les autres ont faits.
Avez-vous un article en tête ? gardez-vous de laisser traîner sur le tapis… de la confiance les idées dont vous comptez le nourrir. Ces idées — Alidor est là qui rôde, tout prêt à les amener à lui du bout de sa plume ; et, comme il n’est pas fier, il se chargera de propager vos vues personnelles — sous sa signature.
Deux jours se passent : il n’est plus temps d’écrire votre article. Ne l’écrivez pas. Alidor vous accuserait de plagiat.
Il a fait hier cette réponse à un journaliste qui lui reprochait un abus de confiance de ce genre :
— Eh bien, après ? Je prends ton bien où je le trouve !
C’est lui qui, au collège, — la tête sous la couverture de son pupitre, — copiait, de son écriture la plus soignée, le Feu du ciel ou la Prière pour tous, signait Alidor au bas, et puis faisait passer, de main en main, ses vers par la salle d’études.
Au pays de Bohême
Madame D… avait un amant. — Un caprice le lui avait donné, une fièvre typhoïde le lui reprit. Jusque-là, rien que de très naturel. Madame D… prit le deuil du défunt.
Cela est moins commun.
En même temps que le deuil du premier — madame D… prit un second amant.
Ici nous rentrons dans la vraisemblance.
Une amie s’étonnait de cette nouvelle liaison.
— C’est bien simple pourtant, répondit madame D… avec un sanglot dans la voix. C’est pour être deux à le pleurer !
* *
Première biche. — Tu as donc lâché Arthur ? Tout le monde disait que tu étais toquée de lui.
Deuxième biche (avec un soupir à fendre le corset le plus résistant). — Oh ! oui, je l’ai bien aimé, cet homme.
Première biche. — Il est si gentil ! Pourquoi l’as-tu planté là, alors ?
Deuxième biche (indignée et dramatique). — Croirais-tu, ma, chère, que ce pignouf ne m’a jamais donné un louis de sa vie ? Ça désillusionne, à la fin !
* *
« L’un est un grand brun avec éperons et cravache, et l’autre, un petit blond sentimental avec des bagues en cheveux. »
Mademoiselle Mar… les aime tous deux — au même prix et au même degré. C’est un ménage à trois qui a trouvé son équilibre européen.
Dernièrement la colombe s’envolait, loin de ses deux pigeons, vers le pays où fleurit… la roulette. — Avant de partir, elle voulut emporter un souvenir de chacun d’eux. D’abord, elle passe chez le petit blond, qui lui abandonne une boucle de ses cheveux. Puis… puis, comme il n’est pas avec le train des accommodements, elle n’eut pas le temps de passer chez le grand brun.
Le remords la prit à la première station. En vain elle cherchait le moyen de rétablir l’équilibre européen si involontairement rompu.
— Bah ! s’écria-t-elle tout à coup en regardant la boucle de cheveux ; je les ferai teindre !
— Je viens de rencontrer mademoiselle X… du Vaudeville, sur le boulevard. Elle était tout en larmes.
— Cette femme d’une insensibilité proverbiale ? C’est impossible.
— Je te donne ma parole d’honneur !
— Allons donc ! mademoiselle X… pleurer ? elle dégèle.
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Un bien joli mot d’une de ces petites blanchisseuses que Monselet a marquées d’un couplet indélébile.
On causait — entre étudiants et étudiantes — d’une partie à faire le lendemain.
— Il faut prévenir Léon, dit un de ces messieurs ; il sera volontiers des nôtres.
(Léon est un carabin universellement connu pour ses paletots maculés, et des foulards qui s’effilent sur ses gilets gras.)
— Léon ! interrompit une d’elles, je n’oserai jamais me montrer en compagnie d’un pareil individu : il est toujours mis comme une révolution !!!
* *
Un La Palférine, sans coeffe et sans semelle, sollicitait un quatrième délai auprès d’un de ses créanciers.
— Savez-vous que ça commence à n’être plus drôle ? hurla M. Dimanche. Vous m’aviez pourtant dit, lors du dernier renouvellement : Cette fois, vous pouvez compter sur moi, je n’ai qu’une parole !
— C’est bien pour cela que je tiens à la retirer, riposta le bohême.
La réponse est canaille, mais elle est si logique !
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L… rencontre Balochard, étudiant de sixième année, — une lettre à la main, — profondément consterné.
— D’où te vient aujourd’hui, etc. (voir Phèdre).
— C’est mon père qui m’envoie sa malédiction…
— Pauvre garçon !… Enfin, que veux-tu ? Il faut en prendre son parti.
— Encore, reprend Balochard avec un soupir, encore si elle était affranchie !…
* *
Avez-vous connu feu M. Sturm de l’Institut — et de la Bohême ?
Il y a dans une petite rue, — la rue des Fossés-Saint-Jacques, un petit café, — le café des Mousquetaires, où vont très peu de d’Artagnans, mais où tous les Planchets du quartier se livrent à des débauches de dominos. — C’est là que chaque jour, à la même heure, on voyait entrer M. Sturm.
M. Sturm signifiait pour le garçon : une bouteille d’eau de Seltz, un carafon d’absinthe, une canette de bière.
L’illustre savant combinait les trois liquides, à l’ébahissement des habitués, savourait le mélange à petites gorgées, — et puis s’essuyait les lèvres avec le sourire de l’homme satisfait, — et la manche de son habit, un habit dont M. Vapereau eût écrit la biographie, s’il l’eût jamais rencontré.
Chose étrange ! après l’absorption de ce breuvage, que je ne qualifierai point, la physionomie de M. Sturm, — alourdie tout à l’heure par l’abus du parallélogramme et du trapèze, se transformait soudain : les yeux prenaient de l’esprit, la bouche de la finesse.
C’était alors un charmant causeur que M. Sturm.
— Aurions-nous Rolla et les Contes d’Espagne, si nous n’avions pas l’absinthe ?
* *
Laissez-moi vous dire un mot après boire de M. Sturm.
C’était en décembre 1851, dans un moment où les attroupements étaient sévèrement interdits. — Tout à coup, à l’aspect d’un monsieur gros, court, énorme comme J.-J. ou Mousqueton, qui se dirigeait vers la porte, M. Sturm se lève brusquement, saisit par le bras le consommateur stupéfait, et le rejette violemment sur sa chaise, en lui criant d’une voix effrayante.
— Mais malheureux, ne sortez donc pas : on va vous prendre pour un rassemblement !
Les dernières Calinodies
Calino se trouvait dernièrement dans un château — de ses amis, plein de chasseurs et de bruit.
Le lendemain de son arrivée — dès l’aube — les chiens faisaient grand tapage dans la cour : le départ pour la chasse était imminent.
Le voisin de chambre de Calino vient l’avertir officieusement qu’il est temps de se lever, s’il veut courre le lièvre. Calino répond qu’il préfère rêver dans son lit « aux douces émanations de la rosée matinale » que d’aller tremper ses pieds dedans.
— Alors je m’en vais, dit le voisin.
Il tournait déjà le bouton de la porte, lorsque, faisant tout à coup volte-face :
— Un conseil, mon cher Calino : prenez bien garde de faire du bruit en dormant — de peur de vous réveiller !
Calino chercha tellement à comprendre, qu’il ne put jamais se rendormir.
* *
Calino, fatigué, arrête un fiacre sur le boulevard.
— Rue Mazarine, 11 !
— Suffit, mon bourgeois.
Le fiacre s’élance dans la carrière. Calino, précipitant sa tête à la portière :
— Cocher ! cocher ! rue Mazarine, 11, — au rez-de-chaussée !
Les mauvaises habitudes
Il y a des gens qui passent leur vie à pester contre les mauvaises habitudes ;
Vous préférez le havane au cigare d’un sou, — mauvaise habitude.
Le farniente au travail, — mauvaise habitude ;
Un fauteuil moelleux à une chaise de paille, mauvaise habitude ;
L’étudiant aime mieux suivre une jolie femme que les cours de l’École, — mauvaise habitude !
Etc., etc., etc., etc.
Ces moralistes me font mal. Que deviendrions-nous sur cette terre d’exil, Seigneur ! sans les mauvaises habitudes ?
* *
J’ai la mauvaise habitude de prendre, chaque soir, un verre de chartreuse ; cette mauvaise habitude se complique naturellement de la mauvaise habitude d’aller au café. Or, sachez que mon café est hospitalier aux musiciens nomades, et que les consommateurs y ont, en général, le moss compatissant.
Hier donc, entre dans la salle, archet et violon en main, un vieillard d’au moins quatre - vingts ans. Il se met en position et en devoir d’écorcher une ouverture de Rossini : ce qu’il fait avec toute l’énergie que lui laissent ses cheveux blancs. Puis il promène « le casque de Bélisaire » autour des tables.
Arrivé à la mienne, se redressant de toute sa taille :
— Tel que vous me voyez, messieurs, di t-il, je suis le propre fils d’É mile Marco Saint-Hilaire.
Le sourire du scepticisme erre sur tous les visages.
— Comment, Marco Saint-Hilaire ? mais il a quinze ans de moins que vous !
— C’est pourtant comme j’ai l’honneur de vous le dire, mes bons messieurs. Il y a de ces choses qu’on ne peut pas s’expliquer…
En effet !
Avis. — Il est bon, par le temps de guerre qu’il fait, d’être un peu le fils de Marco Saint-Hilaire, cela ne peut pas nuire. Le moyen, quand on est bon Français, de refuser cinquante centimes à un fils de Marco Saint-Hilaire ! Nous invitons nos compatriotes à la recherche d’un état civil et d’une position sociale, à adopter cette paternité.
Petite gazette des tribunaux
Le greffier donne lecture des charges qui pèsent sur un membre distingué de la famille de Jean Hiroux.
Il arrive à l’article des précédents, — précédents terribles et mortels peut-être ! Tout à coup l’accusé l’interrompt, et s’adressant au ministère public avec le ton de la plus exquise compagnie :
— Pardon ! monsieur le procureur général, mais je vous avais prévenu, ce me semble, que je désirais garder l’incognito.
* *
M. le président, au prévenu. — Vous n’avez pas eu honte de vous porter à de pareilles voies de fait sur un faible et malheureux vieillard ?
Le prévenu. — Que voulez-vous, monsieur le président ? Il faisait des façons pour me prêter sa montre !
Le président. — Ne plaisantez pas devant la justice.
Le prévenu. — Et puis, j’ai si souvent entendu répéter qu’il fallait dépouiller le vieil homme !
* *
un gamin lisant un journal. — Papa, tu ne sais pas ? Jacques, le cordonnier de mon oncle, qui vient d’être condamné à cinq ans de réclusion.
Le père. — Pour quel motif, mon fils ?
— Pour vol avec effraction.
— Quel dommage ! un si brave garçon !
Une rivière qui s’ennuie
Au bas de la ville de Poitiers — coule, ou plutôt paraît couler, une rivière stagnante qu’on nomme le Clein.
Vers 1814, Napoléon passait par Poitiers.
Tout le long de la rivière, sur le chemin qu’il devait parcourir, s’élevaient d’innombrables poteaux portant tous cette inscription : je m’ennuie. Plus on approchait de la ville, plus les poteaux se multipliaient. L’Empereur, très intrigué, s’arrête et fait appeler le maire de la ville pour avoir l’explication de cette inscription énigmatique.
— Sire répond le maire, cette pauvre rivière, obstruée de joncs, aux eaux dormantes comme celles d’un marais, n’est bonne à rien et voudrait bien être bonne à quelque chose. Son inutilité la fatigue, elle s’ennuie et se plaint à Votre Majesté de n’être pas navigable. La municipalité de Poitiers avait espéré qu’en plaçant…
— C’est bien : j’y songerai, dit l’Empereur, qui n’avait cependant pas un faible pour les gens d’imagination.
Napoléon n’eut pas le temps d’y songer. Six mois après, il partait pour l’exil. Le Clein s’ennuie toujours.