(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393
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(1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Chapitre XXXIII

Année 1676 (suite de la huitième période). — Mot tendre du roi à madame de Maintenon. — Son départ pour l’armée. — Madame de Montespan reste près de la reine son voyage à Bourbon. — Coïncidence de son retour avec celui du roi. — On reprend les anciennes habitudes. — Humeur de madame de Maintenon. — Explication entre elle et Madame de Montespan.

Le roi languissait entre madame de Montespan dont il était rassasié, et madame de Maintenon qu’il n’avait pas l’espérance de posséder. Il lui fallait du plaisir et de l’amusement ; ainsi le voulaient l’ardeur de ses sens et le peu de développement de son esprit. Madame de Montespan, qui avait satisfait longtemps à ses deux besoins, n’y suffisait plus ; plus de jeunesse dans sa figure, ni dans sa taille : son esprit même avait vieilli : plus de ces saillies qui étonnent, qui égalent, qui font étincelle au milieu d’une cour. D’un autre côté, madame de Maintenon ne promettait pas au roi le genre de plaisirs dont il avait le goût si vif et l’habitude si forte. Elle ne prétendait pas faire oublier madame de Montespan par les saillies, par les moqueries, par les imitations chargées ; mais elle faisait sentir au roi un intérêt de cœur, elle lui faisait pressentir des jouissances inconnues, elle excitait dans son âme la puissance des sympathies ; la glorieuse, l’amante de la considération s’entendait bien avec l’amant de la gloire sur la valeur de cette jouissance, sur les moyens de se l’assurer. Cette sympathie, en s’exaltant dans leur âme, aidait le roi à concevoir le véritable amour où les puissances morales surpassent les jouissances physiques, et à substituer en lui des idées de bonheur aux idées de plaisir. Mais en attendant que l’avenir qui s’offrait au roi se réalisât, il lui fallait du plaisir, toujours du plaisir. Le plaisir n’est pas le bonheur sans cloute, mais il aide à l’attendre. Le roi s’abandonna donc à tous ses caprices, se livra à peu près à toutes les femmes. Un monarque d’Orient n’est pas plus changeant dans ses goûts ; il jette le mouchoir à droite, à gauche, suivant la fantaisie du moment. Tel fut Louis XIV vers la fin de 1676.

Qu’on se figure, dans la position de madame de Maintenon, une femme d’un autre caractère : elle mettra en jeu tout ce que l’art de la galanterie aura de plus raffiné, d’abord pour nuire à sa rivale, ensuite pour plaire toujours plus qu’elle-même : elle disputera sa possession autant qu’il faudra pour en exalter le désir jusqu’à la passion. Elle aura ses impatiences, ses accès de jalousie, ses bouderies, ses colères ; elle aura ses parures, ses artifices de toilette, ses illusions d’optique ; elle fera tout ce qu’a fait madame de Montespan, cet esprit toujours si vil, si brillant, si fécond en petits artifices et jamais supérieur. Mais madame de Maintenon marchera autrement vers un but plus élevé que ceux de la galanterie : elle veut être aimée, préférée, et respectée, tâche impossible à une femme galante. Elle ne veut point être maîtresse, mais amie d’un prince à qui il faut faire perdre l’habitude des plaisirs désordonnés et apprendre ceux de l’amitié. Reprenons les faits dans l’ordre où les documents les présentent.

Dans le mois de janvier, le roi eut l’occasion de dire un mot plus que galant à madame de Maintenon. Lui ayant demandé quel était l’opéra qu’elle préférait, elle se déclara pour Atys. Atys est trop heureux , répondit le roi, en citant un vers de la quatrième scène du deuxième acte.

Au mois de mars il partit pour l’armée de Flandre. On crut d’abord que madame de Montespan, qui devait aller à Bourbon, n’irait pas ; ce qui persuadait que le retour du roi serait plus prompt qu’on n’avait cru.

En effet, madame de Montespan reste d’abord près de la reine : singulière situation pour toutes deux. Laquelle des deux fera la cour à l’autre ? sur quel pied l’épouse légitime, la mère de l’héritier de la couronne, sera-t-elle obligée à vivre avec la femme coupable qu’un double adultère met dans les bras du roi ? Verrons-nous l’impudence d’un côté, la résignation de l’autre, se tendre une main aussi familière que serait celle d’une franche amitié dans une parfaite parité de condition, de vertu et d’honneur ? Madame de Sévigné va nous apprendre comment les choses se sont passées. Elle écrit à sa fille, le 29 avril 1676 : « La reine a été deux fois aux Carmélites avec Quanto (madame de Montespan).Cette dernière se mit à la tête de faire une loterie ; elle se fit apporter tout ce qui peut convenir à des religieuses ; cela fit un grand jeu dans la communauté. Elle causa fort avec sœur Louise de la miséricorde (madame de La Vallière) ; elle lui demanda si tout de bon elle était aussi aise qu’on le disait. Non, répondit-elle, je ne suis point aise, mais je suis contente. Quanto lui parla fort du frère de Monsieur (du roi), et si elle voulait lui mander quelque chose, et ce qu’elle dirait pour elle. L’autre, d’un ton et d’un air tout aimable, et peut-être piquée de ce style : Tout ce que vous voudrez, madame, tout ce que vous voudrez. Mettez dans cela toute la grâce, tout l’esprit et toute la modestie que vous pourrez imaginer117. Quanto voulut ensuite manger ; elle donna une pièce de quatre pistoles pour acheter ce qu’il fallait pour une sauce qu’elle fit elle-même et qu’elle mangea avec un appétit admirable. Je vous dis le fait sans aucune paraphrase. »

Les maîtresses de François Ier, de Henri II, les Châteaubriant, les duchesses de Valentinois, n’ont pas poussé l’impudence aussi loin.

Les complaisances de la reine suffisaient sans doute à l’orgueil de madame de Montespan, mais non à son amusement ni à sa vanité. Elle part pour aller se dissiper à Bourbon : « Elle part seule », dit madame de Sévigné à sa fille ; « mais si elle avait voulu mener tout ce qu’il y avait de dames à la cour, elle aurait pu choisir. »

Quelle était pendant cette absence la situation de madame de Maintenon ? La cour s’était partagée entre elle et madame de Montespan ; celle-ci avait pour elle les affidés qui comptaient sur l’habitude du roi jugée invincible, l’autre ceux qui comptaient sur son inconstance. Les gens du service, qui voyaient les choses de plus près, étaient généralement pour madame de Maintenon. Leurs empressements pour elle, après le départ de madame de Montespan, sont décrits dans la même lettre de madame de Sévigné. « L’amie (madame de Maintenon) est encore plus triomphante que celle-ci (madame de Montespan) : tout est comme soumis à son empire. Toutes les femmes de chambre de sa voisine (elle était logée tout près de madame de Montespan) sont à elle. L’une lui tient le pot a pâte à genoux devant elle ; l’autre lui apporte ses gants ; l’autre l’endort. » Ainsi se passaient les choses pendant l’absence de madame de Montespan.

Mais quel était le rôle de celle-ci ? Elle se donnait des airs de reine à Bourbon. Madame de Sévigné nous étale les hommages dont elle est l’objet, dans une lettre du 17 mai : « Madame de Montespan est à Bourbon, où M. de La Vallière a fait donné ordre qu’on la vint haranguer de toutes les villes de son gouvernement : elle ne l’a point voulu, Elle a fait douze lits à l’hôpital ; elle a donné beaucoup d’argent ; elle a enrichi les capucins ; elle souffre les visites avec civilité. M. Fouquet (l’abbé Fouquet) et sa nièce (la seconde fille du surintendant), qui buvaient à Bourbon, l’ont été voir. Elle causa une heure avec lui sur les chapitres les plus délicats. Madame Fouquet s’y rendit le lendemain. Madame de Montespan la reçut très honnêtement, l’écouta avec douceur et avec une apparence de compassion admirable. Dieu fit dire à madame Fouquet tout ce qui se peut au monde imaginer de mieux, et sur l’instante prière de s’enfermer avec son mari, et sur l’espérance, qu’il avait que la Providence donnerait à madame de Montespan, dans les occasions, quelque souvenir et quelque pitié de ses malheurs. Enfin, sans rien demander de positif, elle lui fil voir les horreurs de son état, et la confiance qu’elle avait en sa bonté, et mit à tout cela un air qui ne peut venir que de Dieu. Ses paroles m’ont paru toutes choisies pour toucher un cœur sans bassesse et sans importunité. »

Dans le même temps, que fait le roi ? Il signale sa présence à l’armée de Flandre par quelques exploits. Il fait sauter la citadelle de Liège, le 31 mars. Il se rend au camp devant Condé, le 21 avril, et prend cette ville le 28. Il prend Bouchain à la fin de juin, et quitte l’armée, le 4 juillet, pour revenir à Saint-Germain.

Le 8 juillet, madame de Sévigné écrit à sa fille : « Le roi arrive ce soir à Saint-Germain, et par hasard madame de Montespan s’y trouve aussi le même jour. J’aurais voulu donner un autre air à ce retour, puisque c’est une pure amitié. » Le surlendemain, madame de Sévigné écrit à sa fille les détails de l’arrivée du roi : « Le bon ami de Quanto avait résolu de n’arriver que quand elle arriverait de son côté ; de sorte que si cela ne se fut trouvé juste le même jour, il aurait couché à trente lieues d’ici. Mais enfin tout alla à souhait. La famille de l’ami (la famille royale) alla au-devant de lui ; on donna du temps aux bienséances, mais beaucoup plus à la pure et simple amitié qui occupa tout le soir. On fit hier une promenade ensemble, accompagnés de quelques dames ; on fut bien aise d’aller à Versailles pour le visiter avant que la cour y vienne. Ce sera dans peu de jours, pourvu qu’il n’y ait point de hourvari… L’ami de Quanto arriva un quart d’heure avant Quanto ; et comme il causait en famille, on le vint avertir de l’arrivée. Il courut avec un grand empressement et fut longtemps avec elle. Il fut hier à cette promenade que je vous ai dite, mais en tiers avec Quanto et son amie (madame de Maintenon) ; nulle autre personne n’y fut admise, et la sœur (madame de Thiange) en a été très affligée. La femme de l’ami (la reine) a fort pleuré. On dit sourdement que si son mari partait elle serait du voyage. »

Au moment où le roi allait revenir de l’armée de Flandre et où la saison des eaux finissait pour madame de Montespan, on avait agité à la cour la question de savoir si madame de Montespan y reviendrait118. Madame de Caylus résume ainsi la discussion : « Pourquoi non ? disaient ses parents et ses amis, même les plus vertueux ; madame de Montespan, par sa naissance et par sa charge, doit y être. Elle peut y vivre aussi chrétiennement qu’ailleurs. M. l’évêque de Meaux fut de cet avis. Il restait cependant une difficulté : madame de Montespan, ajoutait-on, paraîtra-t-elle devant le roi sans préparation ? Il faudrait qu’ils se vissent avant de se rencontrer en public, pour éviter les inconvénients de la surprise. Sur ce principe il fut conclu que le roi viendrait chez madame de Montespan ; mais pour ne pas donner à la médisance le moindre sujet de mordre, on convint que des dames respectables et des plus graves de la cour seraient présentes à cette entrevue, et que le roi ne verrait madame de Montespan qu’en leur compagnie. Le roi vint donc chez madame de Montespan, comme il avait été décidé ; mais insensiblement il l’attira dans une fenêtre ; ils se parlèrent bas assez longtemps, pleurèrent, et se dirent ce qu’on a coutume de dire en pareil cas. Ils firent ensuite une profonde révérence à ces vénérables matrones, passèrent dans une autre chambre, et il en avint madame la duchesse d’Orléans et ensuite M. le comte de Toulouse. »

Madame de Maintenon avait prévu ce retour. Elle n’ignorait pas la correspondance qui, nonobstant le jubilé, s’était établie entre le roi et sa maîtresse. Aussi, dès le 27 juin, exprimait-elle à l’abbé Gobelin un redoublement de vocation pour la retraite, et d’éloignement pour la cour. « Je désire plus ardemment que jamais, écrivait-elle, d’être hors d’ici, et je me confirme de plus dans l’opinion que je ne puis y servir Dieu. Je vous en parle moins, parce qu’il me revient que vous dites tout à l’abbé Testu. Voilà un trait de ma sincérité naturelle. » Madame de Maintenon, non seulement parle moins de sa retraite, mais elle ne veut pas surtout qu’on en répande le bruit. Ce n’était pas le cas de faire remarquer la sincérité de son reproche. On s’en convaincra en lisant sa lettre 37e, sans date, à Gobelin : « Vous traitez trop sérieusement mon reproche. Je ne vous soupçonne point d’avoir révélé ma confession à l’abbé Testu ; mais il a appris par vous le dessein que j’ai de sortir de la cour ; c’est au-delà de ce que je voulais qu’il sut. Je vous prie de ne pas vous laisser surprendre par l’abbé, qui est intrigant, fin et adroit119. »

Madame de Montespan, toute contente, fait à madame de Maintenon des amitiés protectrices. Madame de Maintenon veut toujours se retirer ; elle écrit de Versailles à Gobelin le 15 juin au soir : « J’ai prié madame la duchesse de Richelieu de vous dire ce qui s’est passé ici. On m’a montré de la tendresse (madame de Montespan triomphante y était disposée) ; mais à vous dire la vérité, on ne m’a pas persuadée, et je ne saurais renoncer au projet (de retraite) que j’ai fait avec vous : j’y envisage une douceur extrême ; et quelque bons traitements qu’on me fasse ici, j’y aurai de grands chagrins. Demandez donc bien à Dieu ce que je dois faire ; et après qu’il vous l’aura inspiré, conduisez-moi ou il vous plaira… Mes compliments à M. Le Ragois. Je vous crois trop bon Français pour n’avoir pas été ravi de ce qui s’est passé. » (Ravi ne peut être là qu’ironiquement.)

Remarquez que madame de Maintenon ne dit pas à Gobelin : « Donnez-moi sur-le-champ votre avis sur ma retraite, mais : Demandez à Dieu ce que je dois faire, et prenez du temps pour me transmettre sa réponse. » Observez aussi que le même jour, elle écrit à madame de Saint-Géran, mais franchement, sans lui demander conseil ; elle lui dit positivement et vivement ce qu’elle sent. « Je vous l’avais bien dit que M. de Condom jouerait dans cette affaire un personnage de dupe. Il a beaucoup d’esprit, mais il n’a pas celui de la cour. Avec tout son zèle, il a précisément fait ce que Lauzun aurait eu honte de faire. Il voulait les convertir, et il les a raccommodés. C’est une chose inutile que tous ces projets, il n’y a que le P. de La Chaise qui puisse les faire réussir. Il a déploré vingt fois avec moi les égarements du roi ; mais pourquoi ne lui interdit-il pas l’usage des sacrements ? il se contente d’une demi-conversion. Vous voyez bien qu’il y a du vrai dans les petites lettres. Le P. de La Chaise est un honnête homme ; mais l’air de la cour gâte la vertu la plus pure, et adoucit la plus sévère. »

M. de Beausset, dans son Histoire de Bossuet, voit avec peine que madame de Maintenon se soit montrée en cette occasion peu équitable envers Bossuet.

« Comment, dit-il, avec autant d’esprit qu’elle en avait, ne s’est-elle pas aperçue qu’accuser un évêque tel que lui, de n’avoir pas l’esprit de cour, c’était lui accorder un titre de plus à l’estime ? La fermeté tranchante du duc de Montausier pouvait n’être pas déplacée dans un homme de sa profession et surtout de son caractère ; mais la longue expérience de Bossuet et sa profonde connaissance du cœur humain lui avaient appris que la douceur, la patience et les exhortations évangéliques sont les véritables armes a un évêque pour combattre les passions et qu’elles servent plus souvent à en triompher que ces décisions brusques et absolues qui obtiennent rarement un si heureux succès. L’événement justifia la sagesse de Bossuet. L’intrépide fermeté du duc de Montausier et la parole que lui avait donnée Louis XIV, n’empêchèrent pas ce prince de reprendre bientôt après les chaînes qui le livrèrent encore à la domination de madame de Montespan. Bossuet, au contraire, par la rectitude de sa conduite, par ses utiles instructions, et surtout par ce caractère de vertu et de sagesse qui ne l’abandonnait jamais dans les circonstances les plus difficiles et les plus délicates, vit enfin ses vœux couronnés. Il suffirait d’ailleurs, pour la justification de Bossuet, d’observer que madame de Maintenon est la seule de tous ses contemporains qui se soit permis, en cette occasion, de donner comme un témoignage de mollesse, ou comme un défaut d’esprit de la cour, une conduite pleine de bienséance et conforme aux maximes de la prudence chrétienne.

« Mais on serait également injuste envers madame de Maintenon, si on se plaisait à attribuer le chagrin de voir madame de Montespan revenir à la cour, à des motifs peu dignes d’elle, et à ces petites passions qu’on retrouve si souvent dans la société. Toute la suite de sa vie a montré qu’en cette occasion sa peine la plus sensible fut la perte des espérances qu’elle avait déjà conçues de ramener le roi à une conduite plus conforme aux sentiments de religion et de piété dont elle était pénétrée. »

M. de Beausset se fonde sur les Mémoires de Saint-Simon, et il en cite l’extrait suivant :

« Bossuet était un homme dont les vertus, la droiture et l’honneur étaient aussi inséparables que la science et la vaste érudition. La place de précepteur de M. le dauphin l’avait familiarisé avec le roi, qui s’était plusieurs fois adressé à lui dans les scrupules de sa vie. Bossuet lui avait souvent parlé là-dessus avec une liberté digne des premiers siècles et des premiers évêques de l’église ; il avait interrompu le cours de ses liaisons plus d’une fois ; il avait osé poursuivre le roi qui lui avait échappé. Il fit à la fin cesser tout commerce, et acheva de faire couronner cette grande œuvre par les derniers efforts qui chassèrent pour jamais madame de Montespan de la cour 120. »

Les instructions de Bossuet, ses représentations sages, mesurées, faites à propos, ont sans doute pu concourir au renvoi de madame de Montespan en 1680, mais très faiblement. Les causes déterminantes, comme nous le verrons dans les événements de cette année, 1680 et des précédentes, qui été l’inconstance du roi, la lassitude des continuelles avanies qu’elle lui attirait, et surtout la douceur, la raison pleine de charmes, le vif intérêt qu’il trouvait dans la conversation de madame de Maintenon, son inclination pour elle, le désir de se fixer à la possession du noble cœur qu’il lui avait reconnu.

Mais supposé que la sagesse de Bossuet ait en effet contribué, en 1680, au renvoi de madame de Montespan, le reproche que lui fait madame de Maintenon sur sa conduite en 1676 ne serait pas moins juste.

M. de Beausset aurait peut-être dû se défier de l’intérêt qui rattachait à la gloire de Bossuet, et surtout de l’aversion qu’il a dû reconnaître dans le duc de Saint-Simon pour madame de Maintenon ; il n’aurait pas refusé à cette femme illustre un témoignage mérité de son heureuse influence sur le retour du roi à des habitudes régulières, pour l’attribuer exclusivement au prélat qui avait tant d’autres titres à ses hommages.

Ce que madame de Maintenon prévoyait quand elle écrivait à Gobelin, « J’aurai de grands chagrins », ne tarda pas à se réaliser. Elle lui écrivit une lettre sans date autre que celle de 1676 ; mais qui est certainement du mois de juillet, comme on le verra par une lettre suivante qui est explicative de celle-ci.

« Ce jeudi soir 1676, Madame de Montespan et moi avons eu une conversation fort vive. Comme je suis la partie souffrante, j’ai beaucoup pleuré. Elle en a rendu compte au roi à sa mode. Je vous avoue que j’ai bien de la peine à demeurer dans un état où j’aurai tous les jours de pareilles aventures. Il me serait bien doux de me remettre en liberté. J’ai eu mille fois envie d’être religieuse. La peur de m’en repentir m’a fait passer par-dessus les mouvements que mille autres auraient appelés vocation. Je meurs d’envie, il y a sept mois, de me retirer, et la même crainte m’en empêche : c’est une prudence bien timide et qui me fait consumer ma vie dans d’étranges agitations… Je sais bien que je puis faire ici mon salut ; mais je crois que je le ferais mieux ailleurs. Je ne puis comprendre que la volonté de Dieu soit que je souffre de madame de Montespan. Elle est incapable d’amitié, et je ne puis m’en passer. Elle ne saurait trouver en moi les oppositions qu’elle y trouve sans me haïr. Elle me redonne au roi comme il lui plaît, et m’en fait perdre l’estime. Je suis avec lui sur le pied d’une bizarre qu’il faut ménager. Je ne puis lui parler seule, parce qu’elle ne me le pardonnerait jamais ; et quand je lui parlerais que je dois à madame de Montespan ne peut me permettre de parler contre elle. »

Une lettre explicative de celle qu’on vient de lire, et qui heureusement porte la date précise du lundi 29 juillet, détermine très approximativement cette de la précédente, la voici : « Je pense toujours de même, quoique le changement de mon style vous ait fait craindre un changement d’idée. » (Cette phrase suppose une lettre intermédiaire d’un ton moins triste que la précédente.) « Comme je vous parle sincèrement, je ne vous dis point que c’est pour mieux servir Dieu que je voudrais quitter la cour : je crois que je puis faire ici mon salut. » (On entrevoit ici l’aveu d’un peu de dépit causé par les variations du roi.) « Mais je ne vois rien qui nous défende de songer à notre repos et à nous tirer d’un état qui nous trouble à tout moment. Je me suis mal expliquée si vous avez compris que je songeais à être religieuse. Je suis trop vieille pour changer de condition ; et selon le bien que j’aurai, je songerai à m’établir en pleine tranquillité. Dans le monde, tous les retours sont pour Dieu ; dans le couvent, tous les retours sont pour le monde. Voilà ma grande raison ; celle de l’âge vient ensuite. Madame de Richelieu est présentement avec madame de Montespan. Je me consume de chagrins et de veilles, je sèche à vue d’œil, et j’ai des vapeurs mélancoliques. »

Cette lettre fournit matière à réflexion. Madame de Maintenon veut toujours se plaindre de la cour, et quand elle s’y trouve mal, et quand elle s’y trouve bien. Mais elle ne veut pas être prise au mot.